• A la BnF

    La gloire d’Homère

    Présent 27/01/2007

     

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    Le buste antique du poète aveugle accueille le visiteur de Homère, sur les traces d’Ulysse ; suivent des monnaies grecques à son effigie et des gravures des XVI-XVIIe où il se présente en prophète, en humaniste, en mendiant… Le ton est donné : l’un des aspects les plus séduisants de l’exposition est ce face à face continu entre des pièces issues d’époques et de cultures fort différentes. Des vases et pièces grecques aux illustrations modernes, en passant par des objets étrusques, de la vaisselle et des monnaies romaines, des manuscrits et des imprimés, sans oublier la projection d’extraits de films (dont le Ulysse avec Kirk Douglas, 1953), tous ces témoignages font pleinement ressortir l’aspect humain d’une œuvre capable de toucher autant de cœurs et d’intelligence à travers les âges, ainsi que son caractère fondateur pour la civilisation occidentale.Cette très belle promenade se fait en trois étapes : 1) Homère et les Muses, 2) Ulysse le destructeur de Troie, 3) Retour à Ithaque. Le périple est complet et éclaire les nombreuses facettes de l’œuvre homérique, d’autant que la question de la transmission du texte avec tous ses aléas n’est pas oubliée, ce qui est l’occasion de voir l’un des plus anciens manuscrits conservés, le papyrus Sorbonne 2245 (du IIIe siècle av. JC.), ou des manuscrits médiévaux occidentaux, qui perdent le contact direct avec le texte mais non avec la trame et les épisodes, adaptant l’histoire à la société du temps sous la forme, par exemple, du Roman de Troie (illustration) ; ou encore les manuscrits byzantins avec gloses, comme le Commentaire sur L’Iliade d’Eusthate de Thessalonique (XIIIe), qui fonde la critique philologique moderne et les premières éditions italiennes, vénitiennes souvent, du XVe.

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    J’ai regretté que la théorie de Samuel Butler ne soit pas mentionnée. Dans son essai The Authoress of the Odyssey (1897), le romancier tente de prouver par la critique interne et externe que, si Homère a écrit L’Iliade, L’Odyssée est attribuable à une femme sicilienne, qui s’est peinte dans le personnage de Nausicaa. Cette idée, en rupture totale avec la tradition sur ce point, la rejoint en rendant assez sagement à chacune des épopées son intégrité, quand la critique, à partir du XVIIIe, y a vu parfois un rapetassage d’aèdes postérieurs et en est venue à nier l’existence même d’Homère.

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    Parmi les curiosités, citons les Centons homériques (parchemin du Xe), « évangile » constitué de vers homériques plus ou moins modifiés, tentative extrême d’appropriation, par la chrétienté, de la culture antique ; ou ces herbiers de la Renaissance dont l’auteur s’interroge sur l’identification de l’herbe de Circé et de la plante moly – le charme et l’antidote. C’est presque avec piété qu’on regarde, côte à côte, le volume contenant le texte grec de l’Iliade et l’Odyssée (1707) annoté par Chateaubriand, dont il ne se sépara jamais, et un exemplaire de l’Iliade en grec (1554) commentée de la main de Racine. La musique n’est pas oubliée, avec le manuscrit autographe des Troyens de Berlioz (1855-1859).

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    Parmi les illustrations du XXe siècle, les bois en couleurs de Théo Schmied (dans les années trente) ont honorablement vieilli, tout comme les études de Matisse pour Ulysse de James Joyce. Cela, répétons-le, fait bon ménage avec la célèbre coupe représentant l’aveuglement de Polyphème ou un superbe miroir étrusque sur lequel est gravé le cheval de Troie. Car la BN, on l’oublie parfois, c’est aussi un Cabinet des médailles riche en objets antiques de grande valeur.

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    Remarquable hommage rendu à Homère, à son œuvre et à ses prolongements, l’exposition fait ressortir, implicitement, combien la disparition voulue de l’apprentissage des langues anciennes est comparable à une spoliation d’héritage.<o:p></o:p>

       Samuel   <o:p></o:p>

       Homère, sur les traces d’Ulysse,    

    jusqu’au 27 mai, Bibliothèque nationale Fr. Mitterrand

     

    illustration : Le Roman de Troie, BnF, Manuscrits français 782


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  • Au musée Delacroix

    Une exposition minimaliste

    Présent du 09/12/2006

     

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    Une gageure du musée Delacroix ? Consacrer une exposition à Henriette de Verninac, sœur du peintre. D’entrée un panneau avertit le visiteur qu’un buste par Joseph Chinard aurait pu lui être montré mais que, vu la fragilité du marbre, il est resté au Louvre (Mme de Verninac en Diane chasseresse préparant ses traits, 1808photo). Il faut se contenter du portrait d’Henriette par Jacques Louis David, daté de 1799, un tableau magnifique certes : la jeune fille de dix-sept ans a de la prestance, et le rigoureux drapé de la robe et de la longue écharpe contraste savamment avec le traitement de la chevelure aux boucles légères, jouant de la transparence et de l’opacité.<o:p></o:p>

    A part cela, ce sont surtout des vitrines présentant des lettres familiales des uns et des autres. Les enfants Delacroix étaient trois : la sœur en question, Henriette, l’aîné Charles, général d’Empire, et Eugène. On dit que ces frères, l’un militaire, l’autre peintre, si différents de caractères, inspirèrent à Balzac les deux Bridau de La Rabouilleuse. Delacroix fut particulièrement proche de son neveu, de cinq ans plus jeune que lui et dont il devint, à la mort d’Henriette (âgée de 45 ans), le tuteur. Le décès de ce neveu à 31 ans l’affligea profondément. Ces disparitions prématurées furent une source d’isolement pesant pour cet homme très tôt orphelin. Mentionnons, pour clore le chapitre famille, l’éventualité plausible qu’Eugène Delacroix ait été le fils naturel de Talleyrand.<o:p></o:p>

    Il reste que la partie musée proprement dite (l’ancien logement du peintre) console de l’indigence de l’exposition susdite, installée dans l’atelier : de petites toiles de qualités sont à voir, en particulier des portraits : ceux de sa bonne Jenny, dont on nous dit pudiquement qu’elle prit « une place de plus en plus importante dans la vie du peintre », du jeune Richard de La Hautière, ou d’un jeune homme coiffé d’un béret bleu, ainsi que deux esquisses pour les peintures de la bibliothèque du Palais Bourbon, au pastel. C’est dans ces lieux qu’il rendit l’âme le 13 août 1863, « comme un enfant » selon Jenny et sans perdre, au dire de Philippe Burty, son « air d’aristocratie exotique ».<o:p></o:p>

    Paris se prête à un parcours Delacroix de qualité. Commencer par le Louvre, où se trouvent les principales œuvres du maître ; traverser la Seine et continuer par le musée Delacroix (auquel le billet du Louvre donne accès le même jour) ; finir par Saint-Sulpice à quelques pas de là, pour admirer dans la première chapelle latérale sud La lutte de Jacob avec l’Ange, sa peinture religieuse la plus inspirée. Héliodore chassé du temple, au même endroit, ne touche pas, pas plus que L’agonie au Jardin des Oliviers, très froide, de Saint-Paul-Saint-Louis dans le Marais ; l’église Saint-Denys du saint Sacrement, dans ce même Marais, possède une Piéta de qualité. Bref, de quoi se consoler de cette non-exposition Henriette de Verninac. Sans oublier deux lectures : L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix par Baudelaire et le Journal du peintre (Plon, 1982), l’un des plus intéressants écrits d’artiste.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>


    Henriette de Verninac,

    Musée Delacroix, jusqu'au 19 février 2007

    légende de la photo : © musée du Louvre


    Voir également

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  • A l'Institut néerlandais

    Eugeen Van Mieghem

    Présent 06/01/2007


     

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    Le dessinateur Eugeen Van Mieghem (1875-1930) a été à l'honneur cette année à New York (sur le thème des émigrants de la Red Star Line) et à Antwerp. L'Institut néerlandais propose aux Parisiens de découvrir cet artiste sur la thématique « Portraits de femmes ». La tentation est grande, pour définir un artiste relativement inconnu du grand public, de le comparer à d'autres qui constituent une référence évidente, aussi me pardonnera-t-on de sacrifier à cette coutume. Si, d'entrée, il est comparable à Forain ou Steinlen, il faut cependant nuancer cette appréciation. Car si l’angle « social réaliste » se retrouve chez Van Mieghem (mais quasiment pas dans les dessins présentés ici), la caricature n'est pas son domaine – même si une pointe de satire se laisse deviner parfois – et seule une petite eau-forte colorée représentant trois vicieux lorgnant une femme nue, sorte de Suzanne et les vieillards, appartient franchement au genre : le nu se détache sur le fond noir des vêtements, d'où sortent trois têtes grimaçantes ; c'est une scène qui m'a évoqué les séances de dessin de nu à la Grande Chaumière.

     

     

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    Maniant avec vigueur le crayon, la craie noire, la sanguine mais également le pastel, Van Mieghem a beaucoup croqué son épouse Augustine. C’est Augustine lisant le journal, ou Augustine bougonnant, et surtout son beau profil volontaire qu’on admire dans plusieurs dessins. Ce modèle remarquable devait être emporté par la tuberculose à 24 ans : certains croquis sont marqués par la cruauté du constat de la progression de la maladie (illustration). Parmi les pastels, Le long de l’Escaut, Augustine avec le petit Eugeen, indiquent assez combien l’artiste est au-delà du réalisme social qu’on lui prête trop systématiquement et exprime parfois une intimité tout à fait subjective. Augustine a posé pour de nombreux nus ; ils constituent la partie faible de l’œuvre, assez convenus qu’ils sont, or rien n’est plus attristant qu’un nu quelconque.

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    La mère de l’artiste a servi de sujet à quelques dessins ou pastels, et, si nous poursuivons les comparaisons, Spilliaert peut être nommé ici, car l’effet est étrangement hallucinatoire, fantomatique.<o:p></o:p>

    Qualité encore plus difficile à conserver qu’à atteindre, la matité des peintures à l’huile de Van Mieghem est particulièrement heureuse, que ce soit sur des supports qui la favorisent (papier, carton) ou sur toile. Ses peintures se distinguent également par leur ambiance. Comme signalé plus haut pour certains pastels, la tendance naturaliste des dessins cède le pas à une veine plus intérieure. Sur un fond riche, nourri, stationnent deux ou trois personnages. Deux élégantes au bord de l'Escaut est une peinture que mange un ciel aux merveilleux gris colorés ; dans un format plus petit, la toile Deux élégantes au centre ville joue de frottis suggestifs sur un fond de vert émeraude. Voilà un tableautin qu’on aimerait avoir chez soi pour le regarder souvent.<o:p></o:p>

    Les agoraphobes n'ont rien à craindre en allant voir cette exposition ; on y est pourtant fort bien reçu, et ce court passage de Van Mieghem à Paris mérite une visite.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Eugeen Van Mieghem et les femmes,

    Institut néerlandais, jusqu'au 21 janvier 2007

    légende de l’illustration : © Van Mieghem Museum, Antwerp<o:p></o:p>


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  • Au Grand Palais

    Trésors dégloutis

    Présent 30/12/2006


     

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    L’idée même de trésors immergés parle fortement à nos imaginations stimulées par un vieil album de Tintin ou le souvenir des films du Commandant Cousteau. L’exposition, au Grand Palais, des pièces repêchées sur la côte égyptienne n’a donc pas de mal à attirer de nombreux visiteurs, parmi lesquels les plus polis s’excuseront cent fois en cours de visite pour un pied écrasé ou un coup de coude reçu, d’autant qu’à l’affluence s’ajoute une disposition discutable des vitrines.

     

     

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    Saluons le travail de Franck Goddio, fondateur de l’Institut Européen d’Archéologie Sous-marine (IEASM) et de l’Oxford Center for Maritime Archaeology (OCMA), qui s’est fait une spécialité des fouilles sous-marines. Après avoir œuvré sur des épaves de galions et autres vieux bâtiments mythiques, il s’est attelé à fouiller le port antique d’Alexandrie, il a retrouvé dans la baie d’Aboukir la cité perdue d’Héracleion (Thanis, en égyptien ; or on a longtemps cru que ces deux noms désignaient deux lieux différents) et Canope Est. La période couverte par ses fouilles va du VIIIe siècle avant J.-C. au VIIIe après. Pas de grand art égyptien ici, donc, et le terme de « trésor », ainsi que le tarif d’entrée (10 euros), ne doivent pas faire illusion : il manque à l’ensemble quelques pièces fortes qui auraient répondu, justement, à nos imaginations émoustillées.

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    Parmi les éléments à retenir, il y a une belle statue de reine ptolémaïque en Aphrodite, au drapé transparent et sensuel, très hellénistique de facture (du IIIe siècle avant notre ère – photo) ; le Naos des Décades, cube de pierre de 1,78 m de haut, qui contenait une statue du dieu Shou (divinité de l’atmosphère gazeuse entre ciel et terre) et sur les parois duquel est gravé un calendrier astrologique ; une stèle de Nectabo Ier (380-362 av. JC) qui décrète que les marchandises fabriquées ou importées par les Grecs seront taxées à 10%, non pour la haute lutte chiraquienne contre le sida mais pour la construction d’un temple à la déesse Neith.<o:p></o:p>

    Les nombreux objets cultuels du temple d’Hérakleion sont d’actualité, car ils rappellent au visiteur a priori indifférent l’importance de la liturgie : des coupes et des bols en bronze, des encensoirs et des brûle-parfum, de lourds plats à offrande en granit ; une série de louches rituelles au fin manche terminé en tête de canard. Parmi les objets les plus tardifs, brillent des pièces arabes ou byzantines, quelques croix pendentives et une remarquable bague de mariage byzantine en or : sur le chaton figurent le Christ et les époux, sur l’anneau une citation de saint Jean.<o:p></o:p>

    La dernière salle mentionne les destructions chrétiennes d’Hérakleion. Les visiteurs, repentants, lisent gravement le panneau, et, si je puis dire, tombent dedans : la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie, par l’émir Amr Ibn al-As dans les années 640, pour incompatibilité avec le Coran, n’est pas mentionnée – évidemment, a-t-on envie d’ajouter. La fondation Hilti, qui finance les recherches de Franck Goddio, n’a pas envie de se mettre à dos nos frères musulmans.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Trésors engloutis d'Egypte,

    Musée du Grand Palais, jusqu'au 16 mars 2007

    légende de l’illustration : Arsinoé II, granit noir

    © Franck Goddio/Hilti Foundation/Christophe Gerick<o:p></o:p>


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  • Au musée du Louvre

    Douceur du marbre

    Présent du 25/11/2006

     

     

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    Desiderio da Settignano est un sculpteur du Quattrocento florentin quelque peu méconnu. Mort jeune en 1464, il avait déployé pendant une quinzaine d’années une activité intense et appréciée. Deux églises de Florence en témoignent, Santa Croce avec le tombeau du chancelier Carlo Marsuppini, et San Lorenzo avec le tabernacle du Saint Sacrement, commandes mêlant architecture, décoration et sculpture. Le Louvre nous présente ces temps-ci vingt-cinq de ses œuvres (certaines avec des attributions incertaines), qui méritent un détour approfondi.

     

     

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    Sa production se partage en deux parties : la ronde-bosse et le bas-relief. La seule sculpture en pied, un Saint Jean-Baptiste, fut probablement commencée par Donatello et achevée par Da Settignano. Celui-ci a excellé dans les bustes : des femmes, un jeune homme, toujours de marbre, se présentent avec une grande simplicité, dignes sans sécheresse, quelques plissés indiquant l’habit. Une des pièces maîtresses, parallèle à cette série, est un bois doré et peint, qu’on crut longtemps portrait d’une Florentine mais qui s’est révélé être, après examen et nettoyage, une Sainte Constance, peut-être un chef reliquaire. Gothique par l’aspect immédiat et la technique, par le traitement du visage aussi, elle semble bien de la même main que les têtes de marbre. Le caractère charnière de l’époque se laisse voir dans cette réminiscence médiévale. Si L’enfant souriant (cat. n°9) s’apparente à la faute de goût – le sourire est, d’un point de vue plastique, toujours catastrophique puisqu’il casse les formes –, les deux autres bustes d’enfants sont habilement traités : l’artiste se sort avec brio du piège poupin, tout comme il s’acquitte habilement des rides et des chairs s’affaissant du bas-relief Profil d’homme lauré (Jules César ?), sans s’y complaire ni les laisser dégrader la fermeté de l’ensemble.

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    Ses nombreux autres bas-reliefs relèvent du stiacciato, du relief de très faible épaisseur. Il y déploie une virtuosité certaine mais jamais gratuite. On appréciera Jésus et Saint Jean-Baptiste enfants, ainsi que plusieurs Vierge à l’Enfant (photo), la plus réussie étant celle dite « Madone de Turin ». Une grande douceur émane des ses reliefs à peine prononcés, où les formes conduisent sans heurts la lumière : stil dolce, style doux, tel est le mouvement dont participe Desiderio. Cependant nulle morbidesse, nul abus de moelleux : la rigueur est de mise, et, si les plans paraissent fondus, aux endroits stratégiques la forme se dessine : on appréciera en particulier les drapés sobres, réduits aux plans essentiels, les mains fermement dessinées. Toute une manière subtile d’envisager le volume sans le négliger jamais, qui montre une réelle intelligence d’artiste.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Desiderio Da Settignano,

    Musée du Louvre, jusqu'au 22 janvier 2007

    Légende de la photo : Madone dite « Panciatichi », Florence, © Maria Brunori<o:p></o:p>


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