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Le numéro 20 arrive dans quelques jours... A lire:
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Racisme et blasphème autour de la Sainte Face (lart contemporain, toujours en encore ), éditorial de Samuel;
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un dossier spécial Marcel Aymé de 8 pages (Les idées claires, par Amédée Schwa; L'Innocent et le Tutélaire, par Marina Le Must; Marcel Aymé à l'écran, par Kwasi Broni;
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la rubrique Idées et Langages, par G. Lindenberger.
Ce numéro est épuisé.
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Picasso
Maître cube<o:p></o:p>
Présent du 27 octobre 07<o:p></o:p>
Le Musée Picasso revient sur la période cubiste du peintre, sans conteste la plus représentative de toutes, la plus populaire : la peinture n’est plus vraiment figurative, ce qui permet à tout lambda d’éprouver le frisson de la modernité, mais sans inquiétude puisque, solidement béquillée par la géométrie, elle garde un aspect rationnel, lequel aspect est renforcé par un habillage scientifique : la découpe de la période 1906-1923 en sous-périodes aboutit à y distinguer des cubismes ibérique, africain, synthétique, rococo, décoratif… Découpé en petits dés, le cubisme est-il plus digeste ?<o:p></o:p>
L’évolution de Picasso a trouvé son point de départ dans les primitifs océaniens, africains, byzantins, et chez Cézanne et Gauguin. En retour on fait volontiers de ceux-ci et des artistes exogènes les suppôts de la modernité révolutionnaire. Vision erronée, car les arts primitifs ne sont pas révolutionnaires, ils sont l’expression de croyances et de piétés, pleinement impliqués dans leur société, et donc, du point de vue de la fonction, identiques à ce qu’a été l’art en Europe ou en Asie. Cézanne et Gauguin ne sont pas plus révolutionnaires. Christine Sourgins les a, dans son livre sur l’art contemporain, assimilés aux artistes d’avant-garde mais ils furent des réformateurs, la nuance est d’importance – on doit à Henri Charlier de l’avoir exactement formulée.<o:p></o:p>
De la force religieuse et plastique de ses modèles, on constate aisément d’ailleurs que Picasso n’a pas retrouvé grand-chose, ou rien gardé. Récupérateur, il est toujours inférieur à sa source d’inspiration. Qu’il regarde Gauguin, Cézanne ou des idoles, il ne produit que des simulacra : des apparences et de fausses idoles. L’aspect est repris, mais sans qu’un quelconque soupçon de l’intériorité de l’original n’apparaisse. N’est-ce pas le drame de Picasso que de n’avoir jamais rien exprimé de profond, qu’il n’ait rien eu à dire ou qu’il ne s’en soit pas soucié ?<o:p></o:p>
Picasso avait du talent et de la technique. Il maîtrisait la composition, c’est un acquis de la peinture qu’il n’a jamais essayé de subvertir, voulant rester regardable. En matière de couleur, ses harmonies sont souvent séduisantes. Mais il semble que ces moyens n’aient servi à rien. Cette impuissance s’observe dès ses toiles académiques – abominablement académiques –, d’une technique très poussée alors qu’il n’a qu’une quinzaine d’années (années 1895) : La première communion est un tableau sentimental, Sciences et charité, un tableau à la Greuze. Il rompra avec la vision académique, mais sans trouver pour autant le secret de la forme. Il n’aura jamais qu’une approche extérieure du monde. De là, peut-être, cette appétence frénétique à triturer les apparences pour en percer le mystère, que ce soit à la manière cubiste où la géométrie guide les recherches et les bride fatalement puisque la Création n’y est pas réductible, ou à la manière postérieure, quand, ayant constaté l’impuissance de la raison, il débraye et part en roues libres. <o:p></o:p>
Ce goût de la déconstruction et de la reconstruction, qu’on saisit dans les esquisses, les étapes intermédiaires et les tableaux achevés, ce refus de l’inspiration, qui aboutissent à des œuvres sans profondeur, nous ramènent à Arcimboldo (Présent du 13 oct.). Apollinaire, qui se prit d’amour pour le cubisme (ses articles lyriques sur le sujet font de la peine), avait lui aussi un côté maniériste, qui éclate dans ces jeux de lettrés que sont les calligrammes. <o:p></o:p>
Certains artistes ne se sont jamais remis du cubisme, comme Albert Gleizes. Il écrivit un traité Du Cubisme et des moyens de le comprendre (1920 – le titre est déjà un aveu), qui comporte des aperçus de bons sens sur la peinture et des énormités sur l’époque « régénératrice » qu’il pensait vivre. Dom Angelico Surchamp et ses frères de l’Atelier de la Pierre-qui-Vire se sont obstinés à peindre des compositions religieuses cubistes fades et insanes jusqu’aux années quatre-vingt-dix. <o:p></o:p>
Les tout-cubistes sont restés minoritaires. La page a été vite tournée, à commencer par Picasso lui-même. Cependant l’art moderne est fondé sur la révolution cubiste, comme l’a dit des Demoiselles d’Avignon John Richardson : « détonateur principal du mouvement moderne, clef de voûte de l’art au vingtième siècle », sans qu’on puisse engager la responsabilité, je le répète, des arts primitifs, ni celle des réformateurs de la fin du dix-neuvième. De l’impuissance à exprimer l’intériorité, l’art a évolué vers la haine de l’intériorité. L’art moderne est un iconoclasme dans la mesure où il refuse la contemplation. Le musée Picasso, en s’intéressant d’aussi près au cubisme, nous permet de saisir ce moment si important pour la compréhension du non-art du XXe siècle.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Picasso cubiste<o:p></o:p>
jusqu’au 7 janvier 2008, Musée Picasso<o:p></o:p>
illustration : Guitare et Mandoline sur cheminée (1915), The Metropolitan Museum of Art, New York © Succession Picasso 2007<o:p></o:p>
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Au Musée du Luxembourg<o:p></o:p>
Arcimboldo,
ingéniosité
et maniera<o:p></o:p>
Présent du 20 octobre 2007<o:p></o:p>
« Arcimboldo ? Oh, celui-là, avec ses légumes ! » me disait récemment une amie italienne. Il est sûr que ses tableaux vus partout sont devenus indigestes. Les discours extravagants ont contribué à en dégoûter : Roland Barthes s’en est donné à cœur joie sur ce peintre, avec l’aisance qu’on lui connaît à l’analyse invérifiable. L’exposition du Luxembourg, elle, présente toiles et dessins de Giuseppe Arcimboldo (1526-1593) au milieu d’objets tirés du Kunstkammer de Vienne : des moulages sur nature (tourteau en bronze), parfois curieusement associés (une lampe à huile constituée d’un coquillage sur une patte d’aigle), un œuf d’autruche monté en coupe, etc., où se reconnaît le goût pour la merveille, maître mot du maniérisme, courant européen auquel appartient ce peintre et qui l’explique.<o:p></o:p>
Les artistes postérieurs aux grands Renaissants, lassés de trop de sublime, se laissent aller à ébahir le public dans le but de réveiller des sens épuisés. L’inattendu, le hors norme, l’énigmatique, tout doit piquer la curiosité. La littérature emploie la périphrase et l’oxymore. La peinture cultive l’allégorie, l’emblème. L’architecture se décore sans repos, use du trompe-l’œil et de la mise en abîme.<o:p></o:p>
Ovide est l’écrivain de cette période qui aime les travestissements et les métamorphoses, surprises que fait la nature, nature avec laquelle le maniérisme va jouer abondamment : grottes artificielles et jeux d’eaux perfectionnés enrichissent les jardins. Les formes de la flore et de la faune intéressent pour elles-mêmes, et c’est la naissance des planches naturalistes qui représentent l’animal sans prétexte narratif, la création des Cabinets des merveilles où sont rassemblées toutes les bizarreries et monstruosités de la nature. Ambroise Paré écrit en 1573 Des monstres et prodiges, manuel de tératologie. En 1560 Pierre Boaistuau avait publié Histoires prodigieuses les plus mémorables qui aient été observées, compilation dans le goût du temps.<o:p></o:p>
Les automates, autre façon d’imiter la nature, se répandent. L’amour du mécanisme se retrouve au théâtre : machineries et décors se développent, tout peut apparaître sur scène, s’y transformer, en disparaître. Les artistes sont de formidables artisans, de véritables ingénieurs, mais s’opère alors la distinction entre artistes et artisans : l’artiste doit se distinguer du simple ouvrier par son ingéniosité, équivalent du mot médiéval engin qui désigne à la fois l’habileté et la ruse, faculté brillante, d’un autre ordre que le talent et la créativité. L’art maniériste restera un art de fête et de cour : l’émerveillement du convive est le gage de la grandeur du souverain.<o:p></o:p>
Arcimboldo, fils d’un artiste qui travailla au dôme de la cathédrale de Milan, commença par réaliser des fresques, des cartons de vitraux et de tapisseries. D’une de ces tapisseries, La Dormition de la Vierge, plus que la scène centrale, on remarque le décor qui forme cadre, constitué de mascarons, de guirlandes et de fruits, motifs qui annoncent l’activité maniériste de l’artiste à la cour viennoise des Habsbourg de 1562 à 1587. <o:p></o:p>
Pour cette cour il peignit les sérieux portraits des filles de Ferdinand 1er. Attribués sans certitude, ils sont convenus et répétitifs. Sa production en matière de fêtes est moins connue et pour cause : elle consistait en éphémères réalisations. Il reste un album de projets de costumes, décors et accessoires, offert à Rodolphe II en 1585, et des témoignages. <o:p></o:p>
Les planches à l’aquarelle représentant un faucon et un céphalophe sont, on l’a dit, typiques du maniérisme, ainsi que la série des beaux dessins sur la sériciculture (encre et lavis bleus), projet de décoration murale, qui illustrent l’intérêt pour l’association de l’art et de la nature – l’homme et l’animal mettant en commun leur savoir-faire.<o:p></o:p>
Les portraits « déguisés » firent sa gloire à Vienne et dans le monde. Les Saisons, les Eléments, les Métiers sont basés sur la surprise de la métamorphose. Mais c’est une construction démontable : il n’y a nulle spontanéité, nulle profondeur. Roger Caillois emploie avec raison, au sujet de ces tableaux, les mots de procédé, de stratagème, de prouesse conventionnelle et mécanique. (Cohérences aventureuses, 1976) Les trois portraits réversibles sont d’un ressort analogue. La nature morte devient un visage (illustration ; retournez votre journal), et après ? Equivalent d’un palindrome où le double sens de lecture prime le sens des phrases, le tableau n’est finalement ni un portrait ni une nature morte.<o:p></o:p>
Replacées dans le contexte du maniérisme européen, les œuvres d’Arcimboldo gagnent en lisibilité et, déchéance pour un maniériste ! surprennent beaucoup moins.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Arcimboldo (1526-1593), <o:p></o:p>
jusqu’au 13 janvier 2008, Musée du Luxembourg<o:p></o:p>
illustration : G. Arcimboldo, Nature morte / L’Homme potager, Crémone, Museo Civico Ala Ponzone<o:p></o:p>
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Marcel Aymé (1902-1967)<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
Droiture dun écrivain
Présent du 6 oct. 07
Marcel Aymé est mort il y a quarante ans, le 14 octobre 1967. Dune santé fragile, à laquelle on doit ses débuts décrivain car il entreprit Brûlebois à loccasion dune convalescence, doué dun regard toujours curieux dobserver ce qui se passe en bas de chez soi, il mena une vie tranquille. Après avoir grandi dans le Jura à Villers-Robert, il monta à Paris et sinstalla à Montmartre, dont il devint une des figures. Des vacances au Cap-Ferret, un séjour au Danemark, un voyage aux Etats-Unis, voilà tout pour la géographie. <o:p></o:p>
I.<o:p></o:p>
De son vivant, il a bénéficié dune réelle popularité, que ce soit pour le scabreux relatif de <?xml:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" /><st1:PersonName ProductID="La Jument">La Jument</st1:PersonName> verte ou la fraîcheur des Contes du Chat perché, mais des romans comme Maison Basse ou <st1:PersonName ProductID="La Rue">La Rue</st1:PersonName> sans nom, plus nuancés, plus noirs aussi, nous en apprennent beaucoup sur un homme pour qui la vie nétait manifestement pas dun rose franc. Dans ses écrits, seule lamitié, plus que la famille et beaucoup plus que lamour, au romantisme duquel il soppose absolument, seule lamitié a le pouvoir denrichir et dadoucir la vie. « Nimbu disait quil ny avait rien de pareil au plaisir de boire une bouteille entre amis en faisant une partie de jacquet. Louis inclinait à le croire. » (Les Jumeaux du Diable)<o:p></o:p>
Lamitié est le sentiment qui correspond le mieux à ce qua toujours cherché Marcel Aymé : lattention gratuite portée à lautre, non à un être humain désincarné et idéal mais à un être de chair et dos, proche, à plus forte raison sil souffre et est rejeté de tous ; à celui que des catholiques appelleraient leur prochain. <o:p></o:p>
Watrin, dans Uranus (chap. XXI), seul de la foule qui fait dans ses braies, brave la morale de lEpuration et soccupe du type molesté par les FFI, un communiste devenu vichyssois en captivité. « Le professeur Watrin, ayant franchi les rangs des soldats, se penchait sur le blessé et, avec un mouchoir, essuyait le sang qui coulait sur son visage. » Puis il lemporte dans la salle de la gare. Cest très exactement la parabole du bon Samaritain, sauf la fin : les gendarmes, sur ordre du commissaire, le forcent à quitter les lieux, et du blessé il ne sera plus question. Pessimisme de lauteur : le geste humain de Watrin ne pèse pas lourd face à la lâcheté de la foule et à la veulerie des « élites » (maire, docteur, édiles, curés).<o:p></o:p>
Tout classement des êtres par catégories (sociales, raciales, professionnelles, politiques) lui apparaît comme un amoindrissement de lhomme. Un des personnages du Chemin des écoliers (1946) a cette préoccupation de ne sintéresser quaux individus, de ne chercher que des hommes et des caractères, sans considérer « ces lotissements [sociaux, raciaux, etc.] plus ou moins absurdes. »<o:p></o:p>
Cependant ces catégories existent et se prêtent à lobservation. Les distinctions sociales constituent un motif fécond. De la confrontation de deux personnes de milieux différents, lune se pensant supérieure et lautre se croyant égale, naît un comique de mots, dintonations, de regards Comique décuplé quand les bourgeois jouent aux communistes cf. la nouvelle En arrière, ou ce texte brillant quest Le confort intellectuel. Vouloir monter ou descendre léchelle sociale est vain car on néchappe pas à son milieu qui se définit avant tout par une éducation dont il est impossible de saffranchir. <o:p></o:p>
Existe donc une imperméabilité des classes sociales entre elles (la nouvelle Le monument) qui explique linertie sociale (le roman Aller Retour), presque souhaitable car une personne sortie de son milieu ne saurait sépanouir. Dans Gustalin, le paysan qui tente sa chance en ville en revient vite et la Parisienne qui sinstalle à la campagne ny reste pas. Le snobisme dun prétendu retour à la terre sera moqué dans une farce en un acte, Le Minotaure.<o:p></o:p>
II.<o:p></o:p>
Son rejet des étiquettes explique son mépris pour les catégories de droite et de gauche, et même la dénonciation de celles-ci comme biaiseuses des réalités. Le mépris pour ces lotissements nempêche malheureusement pas que les autres vous y assujettissent. Jusquen 1935, il fut considéré comme un écrivain de gauche. <o:p></o:p>
La suspicion à son encontre naquit à loccasion de linvasion de lEthiopie par lItalie. Il signa un manifeste qui prenait la défense de lItalie fasciste et sopposait à une réplique occidentale contre la dite invasion, texte émanant « dintellectuels français pour la défense de lOccident et la paix en Europe ». Cest surtout cette paix en Europe que Marcel Aymé voulait voir préservée. La réaction ulcérée de la gauche le força à se justifier. « Cest ma conviction quil faut être fou de lespèce furieuse pour vouloir sembringuer, quelques soient les torts de lItalie, dans une guerre de principe. [ ] Voilà, en gros, ce qui ma conduit à signer un manifeste dont tous les termes ne me conviennent pas, il sen faut, mais qui renferme lessentiel : pas de guerre. » Ne lâchant pas los, André Wurmser le prendra lannée suivante à partie dans Commune, la revue de lAssociation des écrivains et artistes révolutionnaires (au nombre desquels : Gide, Gorki, Vaillant-Couturier), lui reprochant de sêtre compromis avec lextrême droite. La réponse du romancier fut, de nouveau, cinglante (je renvoie, pour plus de détails, au chapitre XII de sa biographie par Michel Lécureur).<o:p></o:p>
Malgré sa collaboration à Je suis partout pendant lOccupation, et malgré cet antécédent de 1935 qui lavait rendu définitivement suspect à lil gauche, Marcel Aymé ne fut pas mis en cause par le CNE pendant lEpuration. Il ne reçut quun « blâme sans affichage » (quel esprit scolaire) pour avoir vendu un scénario de film à <st1:PersonName ProductID="la Continental-Films">la Continental-Films</st1:PersonName>, firme allemande ! Des « amis » lui conseillèrent dêtre discret et il eût pu se tenir coi, mais lamitié de Marcel Aymé allait donner sa pleine mesure. <o:p></o:p>
Il monta au créneau pour défendre Brasillach, quil connaissait davant-guerre. Sur le conseil de Me Isorni, il sollicita différentes personnalités pour une pétition. Picasso refusa de signer, sous prétexte que cela ne le regardait pas. Le romancier légratigna : « Sans doute avait-il raison. Ses toiles sétaient admirablement vendues sous lOccupation, et les Allemands les avaient fort recherchées. En quoi la mort dun poète français pouvait-elle le concerner ? » <o:p></o:p>
En 1949, il prendra la défense de Maurice Bardèche, en 1950 celle de Céline, écrivant au juge pour énoncer des arguments propres à blanchir lécrivain, sollicitant les uns et les autres (dont Giono). Il écrira en avril 63 un hommage à Bastien-Thierry, remarquant particulièrement le courage de celui-ci qui avait lors de son procès « tranquillement accusé le seul homme de qui il aurait pu attendre la vie sauve. »<o:p></o:p>
Rejeté par la gauche pour ses positions libres, accepté avec méfiance par une droite que son anti-cléricalisme ou sa gauloiserie chatouillaient aux entournures (lun et lautre ont souvent la saveur dune rigolade bien française, la liberté de ton des Cent nouvelles Nouvelles), il finit par être classé anarchiste de droite. Encore une catégorie, mais tellement indéfinie quil ne dut pas sen offusquer. <o:p></o:p>
Son amitié avec Brasillach et Pierre Varillon (directeur des pages littéraires de LAction française) lavait amené à déjeuner avec Maurras et Léon Daudet. Aymé avait pu constater quil était reçu par les milieux dAction française avec une largesse desprit qui faisait défaut ailleurs. Accepter un écrivain pour ses qualités et sa liberté de pensée sans soffusquer du reste était une attitude qui rejoignait exactement la sienne. <o:p></o:p>
Lauteur de larticle Marcel Aymé dans Wikipédia (lencyclopédie sur Internet) regrette quil ait été « si obstinément classé à droite et récupéré abusivement par les cercles conservateurs. » Non, il na pas été récupéré, il a été accueilli par des gens avec qui il partageait incontestablement certaines valeurs.<o:p></o:p>
III.<o:p></o:p>
Naturaliste, Marcel Aymé, ou fantaisiste ? Ou réaliste, surréaliste, magico-réaliste, existentialiste ? Cet écrivain à qui les cases répugnaient entre mal dans les cases de lhistoire littéraire. Lanalyse de thèmes récurrents semble plus propice à éclairer luvre. Nous avons parlé amitié, classes sociales ; la justice et linnocence, questions connexes, sont des questions clés.<o:p></o:p>
En tant que journaliste et chroniqueur avant-guerre, il avait noté les manières et les décisions dune justice quil estimait de classe, donc injuste (passim, dans le recueil Du côté de chez Marianne). Il semporte contre les peines infligées aux voleurs, plus sévères que celles prononcées contre les parents infanticides. Lors du procès de Violette Nozières (laquelle avait assassiné son père probablement incestueux), il décrit « des juges cambrés de fausse pudeur et peureux de toucher au fond des débats, un jury congestionné par lenvie de faire plaisir à une foule carnassière ». Il renvoie dos à dos les journaux bourgeois pour qui linceste « est une invention gracieuse de la mythologie » sans réalité, et les journaux avancés pour qui il est impossible quun ouvrier le commette.<o:p></o:p>
Puis il avait vu fonctionner les tribunaux de lEpuration. Il écrit alors une pièce, La Tête des autres (1952), quon présente ordinairement comme une dénonciation de la peine de mort mais qui est plus que cela, une charge féroce contre la magistrature à la botte du pouvoir politique ou financier, couchée, corrompue.<o:p></o:p>
Les contemporains ne sy sont pas trompés : tout le monde y reconnut les tribunaux de lEpuration et les allusions aux affaires Stavisky et Joanovici (devenu dans la pièce Alessandrovici). La pièce fit scandale. Quelques années plus tard, les tribunaux gaullistes allaient renforcer cette vision très négative de la justice française. (Jean Anouilh fit les mêmes constats, dans LAlouette, dans Pauvre Bitos, avec une violence plus rentrée.)<o:p></o:p>
Parallèlement à la justice quil décrit, prompte à condamner linnocent, existe une autre justice, personnelle celle-là, qui sert à sinnocenter. La culpabilité, Marcel Aymé la considère avec indulgence, mais il sintéresse de près au mensonge qui est loutil de cette « justice ». <o:p></o:p>
Le Buf clandestin est un roman léger sur le mensonge et ses mystères. M. Berthaud se dit végétarien, ce qui lui vaut ladmiration de sa femme (cela le rend, à ses yeux, mystérieux) et de sa fille aînée (qui y voit une détermination morale extraordinaire). Jusquau dimanche où sa fille le surprend dans la cuisine, attablé à manger un biftèque saignant quil sest préparé lui-même. Le tablier et la poêle encore fumante sont deux pièces à charge. Pourquoi a-t-il menti ? Il aurait pu manger de la viande devant sa famille, après tout. Mais lhomme est un être mystérieux, à double fond, et rien ne nous permet dy accéder ; aucune interprétation nest sûre au-delà de celle des actes et des faits. <o:p></o:p>
Pourrait-on y accéder, au double fond et aux tréfonds de lhomme, que cela ne vaudrait pas mieux, voilà ce que dit la pièce Les quatre vérités (1954). Un jeune savant a inventé un sérum de vérité. Après que sa femme, ses beaux-parents et lui ont eu une piqûre de Masochine, a lieu un odieux déballage sans quau bout du compte le savant ne réussisse à savoir si sa femme est allée chez sa tante à Montauban ou à Cannes avec Dieu sait qui.<o:p></o:p>
Au-delà du mensonge à lusage dautrui, auquel certains personnages ne sont pas loin dattribuer une fonction de pure utilité sociale, le mensonge quil aime disséquer est celui quon se fait pour se dissimuler ses faiblesses et se croire innocent, lhypocrisie appliquée à soi-même. Les romans et les nouvelles sont pleins de notations de mensonges intimes, quils concernent des détails de la vie quotidienne, des peccadilles, des lâchetés petites ou grandes, ou des crimes. <o:p></o:p>
Michaud a mangé une quatrième tartine nous sommes sous lOccupation , une de plus que sa part, un de ses enfants sen trouve donc privé. Il quitte le domicile « avec la conscience à vif, essayant encore de disputer si le délit avait été consommé en toute innocence. [ ] Bâfrer sur la part de ses enfants, rogner de son plein pouvoir leur pain déjà si chichement mesuré et laisser croire à une minute de distraction très innocente, on ne pouvait rien imaginer de plus bas. » (Le Chemin des écoliers)<o:p></o:p>
Un criminel se persuade quil na pas dâme, conséquemment il néprouve aucun remords, et peut se dire innocent ; mais, condamné à mort, « alors que les valets de guillotine se saisissaient de sa personne, Martin, sentant létreindre le remords de son crime, comprit que son âme ne lavait jamais quitté et quil sétait forgé un conte. » (Lâme de Martin) Une autre nouvelle, Trois faits divers, présente deux assassins qui, sétant rencontrés par hasard, se racontent leur crime. Dans leur bouche lhistoire est presque belle et leur irresponsabilité si évidente quils se reconnaissent mutuellement innocents. « Ils versèrent encore des larmes sur leur bonté et sur lingratitude des hommes, entrecoupant leurs sanglots dinvocations à une justice obscure qui nétait ni celle de Dieu, ni celle des hommes » Mais peu après chacun avoue sa responsabilité et sa cruauté comme malgré soi et avec un plaisir non dissimulé, comme sils avaient eu, eux aussi, une piqûre de Masochine.<o:p></o:p>
***<o:p></o:p>
Quelques thèmes frôlés je maperçois que nous navons parlé ni de La Vouivre, ni des Tiroirs de linconnu népuisent pas la richesse dune uvre qui a provoqué peu détudes. Se prête-t-elle peu aux thèses ou est-elle redoutable ? La notice Wikipédia citée plus haut ajoute que « très peu d'intellectuels ont osé entreprendre une étude approfondie et objective de son travail de peur d'être taxés de fascisme, d'antisémitisme ou de tendances réactionnaires ». Le bel aveu ! Des éclairages restent à faire. <o:p></o:p>
Saluons lactivité de la SAMA, Sociétés des amis de Marcel Aymé, qui publie chaque année un Cahier Marcel Aymé. Le n°25, qui vient de paraître, contient une biographie d'Arthur, frère aîné de Marcel, des extraits du cours du Pr Bouttier sur les nouvelles, des critiques de pièces de théâtre <o:p></o:p>
Michel Lécureur accomplit un important travail. Il a écrit un essai (La comédie humaine de Marcel Aymé, La Manufacture, 1985 on peut nêtre pas daccord avec beaucoup des conclusions) et une biographie (1988), dont il a donné une version complétée et corrigée en 1997 : Marcel Aymé, un honnête homme (Les Belles Lettres / Archimbaud). On lui doit la publication dinédits et lachèvement de lédition des uvres complètes dans la collection de la Pléiade commencée par Yves-Alain Favre. Je reste persuadé pour ma part que lire Marcel Aymé dans la Pléiade est dommage. Avec des appels de notes et de variantes contre lesquels le regard butte sans cesse et son air collet monté, cette collection lui correspond si peu ! Il se lit dans la collection blanche de Gallimard et, avec plus de plaisir encore peut-être, en vieux Livre de Poche.<o:p></o:p>
Samuel
voir également notre dossier Marcel Aymé lovendrin n°20
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A la Monnaie de Paris<o:p></o:p>
L’or
de la Colchide<o:p></o:p>
Présent du 6 octobre 07<o:p></o:p>
L’expédition de Jason et des Argonautes en Colchide pour en rapporter la Toison d’Or est connue de chacun dans ses grandes lignes, mais les mythes grecs sont plus compliqués que la version scolaire qui laisse de côté épisodes obscurs et variantes. A l’époque d’Hérodote, le récit de l’aller était presque fixé, mais pas encore celui du retour.<o:p></o:p>
Selon Robert Graves, la complexité du récit de la Toison d’Or s’explique par la fonte, en un seul récit, de deux histoires de voyage : celle d’une quête de l’ambre du côté de l’Adriatique et celle d’une quête de l’or en Colchide, voyages à situer avant la Guerre de Troie, vers le XIIIe siècle avant J. C. D’autres éléments s’y sont greffés, comme les épreuves imposées au héros qui prétend à la main d’une fille de roi, comme le cycle de Médée, que ses philtres et son chaudron de rajeunissement rapprochent des mythes celtes.<o:p></o:p>
Ce mythe peut se lire comme un récit zodiacal – mais est-ce la trame d’origine, ou le résultat d’une reconstruction ? Les psychanalystes, jamais en reste, y voient des symboles, archétypaux bien sûr, « un périple fantasmatique » à la recherche « du lieu interdit et primordial de l’engendrement »… Cela au mépris d’auteurs grecs (Strabon, Appien) qui avaient noté les éléments vérifiables du mythe, à savoir que, en Colchide, les indigènes ramassaient l’or du fleuve Phase en y tendant des peaux de bêtes. Cet usage s’est pratiqué jusqu’au XXe siècle.<o:p></o:p>
Les fouilles réalisées depuis cent ans en Géorgie (ex-Colchide, ex-Ibérie, entre Caucase et Arménie), au bord de la mer Noire, ont mis au jour de merveilleux bijoux en or, particulièrement dans la cité sanctuaire de Vani où, entre le VIIIe et le Ier siècle, furent ensevelis des guerriers, des aristocrates et des prêtres. Certaines pièces ont été exhumées tout récemment : la tombe 24, où fut enseveli un noble avec ses serviteurs et plus de mille objets d’or, a été fouillée en 2004.<o:p></o:p>
Les bijoux se déclinent en diadèmes, bracelets, boucles d’oreilles, broches, pendentifs, boutons, affiquets et parures diverses. Ils se caractérisent par un riche décor animal et ornemental.<o:p></o:p>
Les motifs ornementaux sont variés : rosettes à neuf pétales, spirales, volutes (illustration), svastikas dextro- ou lévogyres, etc. Au rayon animalerie, nous avons un aigle éployé sur une bague, une série de cent à cent vingt oiseaux à coudre sur un vêtement (on distingue trois trous percés à cet effet), un collier avec trente et une tortues, un sommet de coiffe compliqué : le motif principal, répété des deux côtés, est un cerf entouré de trois biches, le tout surmonté de lions et de rangs d’oiseaux. Le métal est ajouré, et de minuscules billes d’or donnent du relief à l’ensemble.<o:p></o:p>
Deux diadèmes tirés de la tombe d’une noble dame mériteraient à eux seuls une longue étude. Leur décor est superbe : lion contre taureau, lionne contre sanglier… Ils sortent du même atelier. Sur une belle torsade sont fixés deux losanges coupés chacun en deux registres dans le sens de la grande diagonale, les motifs des registres d’un même losange étant symétriques. Trois losanges utilisent la symétrie axiale, en miroir – une symétrie naturelle –, alors qu’un quatrième est basé sur une symétrie centrale, plus complexe. <o:p></o:p>
D’autres motifs sont obscurs : un cavalier sur un char que les archéologues analysent comme une référence au culte de la Grande Mère des dieux, ou cette étonnante composition d’un cavalier casqué à cheval suivi d’un oiseau lui-même suivi d’un oison, ornement en quatorze exemplaires.<o:p></o:p>
Une autre caractéristique de bijoux de la Colchide : la répartition équilibrée, pour un même bijou, du décor et du métal nu. Le plaisir de l’œil et son repos ont été pensés, ce qui n’est pas un mince mérite. C’est une marque de raffinement certain que de laisser brut une partie du métal : la partie ornée n’en ressort que mieux. Ce sens du décor apparaît en particulier dans les bracelets ouverts : chaque extrémité est décorée d’une tête animale tandis que le corps du bijou reste nu – affrontement et symétrie, l’universel moyen décoratif.<o:p></o:p>
Les échanges avec les cultures scythe, perse et grecque, sont devinables ou explicites (par exemple la tombe du guerrier Dédatos, de la fin du IVe siècle av. J. C., contenait une armure de style grec et une monnaie grecque), mais ces bijoux montrent l’originalité et la qualité d’un art typiquement colchidien en matière de métallurgie et d’orfèvrerie (par repoussage ou à cire perdue), ainsi que dans le domaine de l’ornement, qu’il soit basé sur l’observation de la nature ou sur la réflexion géométrique.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
L’or de la Toison d’or – Trésors de Géorgie, jusqu’au 7 novembre, <o:p></o:p>
La Monnaie de Paris, 11 quai de Conti, Paris VIe<o:p></o:p>
illustration : Bijoux angulaire avec 68 pendentifs à volutes <o:p></o:p>
© Musée Nat. de Géorgie Tbilisi<o:p></o:p>
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