• Au musée de Montmartre<o:p></o:p>

    La légende de l’absinthe<o:p></o:p>

    Présent du 26 avril 08<o:p></o:p>

    La fée verte est inséparable de l’histoire littéraire et artistique de la seconde moitié du XIXe siècle français. Mais comment cette boisson, composée d’absinthe, de badiane, d’anis, de fenouil et d’hysope, a-t-elle connu un succès tel que sa consommation dépassa alors celle du vin ? <o:p></o:p>

    L’absinthe entre dans notre histoire lors de la colonisation d’Algérie : les soldats se protègent de la dysenterie en ajoutant à l’eau quelques gouttes de ce breuvage médicinal antiseptique. D’autres effets agréables se font sentir, et lorsqu’ils rentrent en France l’usage s’en répand dans les cafés. Elle est la boisson chic des officiers, la boisson populaire des soldats. Les marques se multiplient, la qualité et le prix baissent : la consommation se répand chez les ouvriers, dans la bohème désargentée. L’absinthe est partout, dans la littérature, l’art, qu’elle soit sujet d’un tableau, d’un poème, ou simple figurante.<o:p></o:p>

    La réclame n’est pas en reste. Les affiches vantent les mérites de marques variées : l’absinthe Perle s’adresse aux femmes comme il faut, mais les absinthes Robette, Blanqui, Gemmp Pernod présentent des femmes suggestives, annonciatrices de plaisirs, en tenue légère ou décolletée (illustration) : l’accent est mis sur le côté canaille de la boisson. Serait-ce la première utilisation de l’image de la femme à usage publicitaire ?<o:p></o:p>

    Entre cinq et sept, dans les cafés, c’est « l’heure du persil », la « messe verte ». Le rituel de préparation est un supplément de légende, avec ses ustensiles spéciaux : la cuillère ajourée sur laquelle est posé le sucre, le verre à réservoir pour la dose d’absinthe. Il existe même des fontaines à eau, à placer au centre de la table, munies de quatre robinets individuels. Les gouttes d’eau versées sur le sucre, le breuvage lentement troublé… Le mythe commence avant l’absorption. <o:p></o:p>

    Les manifestations ? Joie et indulgence, d’après le poète Raoul Ponchon, spécialiste s’il en fût (La Muse au cabaret). En effet, à la différence du vin dont l’abus provoque des querelles – c’est du moins ce que dit une affiche de l’époque –, l’absinthe a des effets lénifiants. Elle provoque un état cotonneux assez agréable. Cela justifie même l’appellation de Notre-Dame de l’Oubli. <o:p></o:p>

    (Je me souviens de mon initiation à l’absinthe polonaise en compagnie d’une étudiante spécialiste de Maurice Rollinat ; de nos apéritifs de conscrits sur une base aérienne où l’on s’ennuyait sec, et buvait de même, entre autres de l’absinthe rapportée d’Andorre. Le major B., lui, donnait dans le classique – heureux temps, enfui, où le service était national).<o:p></o:p>

    Le nom scientifique de la plante, Artemisia absinthium, fait référence à Artémis, déesse lunaire qui partage plus d’un trait commun avec Hécate : c’est signaler assez les dangers d’une plante connue dans l’Antiquité pour ses vertus abortives. Elle n’a pas meilleure presse dans la Bible. Ceux qui ont abandonné sa Loi, Yahvé se propose de les disperser parmi les nations, de leur donner de l’absinthe à manger puis de les exterminer. (Jérémie, chap. 9) Le météorite qui aux derniers jours tombera dans les fleuves, les changeant en eaux amères non potables, se nomme Absinthe. (Apocalypse, chap. 8) <o:p></o:p>

    L’intoxication à l’absinthe provoque épilepsie, hyperesthésie – trouble des sensations qui ne pouvait que séduire les esthètes. Dépendance, folie, misère, enfants dégénérés… L’absinthisme est dénoncé dès le début des années 1870. D’autres affiches prennent le relais, celles des ligues anti-alcooliques, soutenues par les marchands de vin désintéressés. Un squelette prend l’apéritif en compagnie d’un consommateur. Un buveur, avachi, abruti, est assailli par une vapeur verte aux yeux sanguinolents. L’assiette au beurre consacre un numéro spécial à l’alcool (octobre 1906), avec des caricatures de Bernard, Florès, et Poulbot. On s’achemine lentement vers l’interdiction, décrétée le 16 mars 1915. Henri Genévrier peint Le cortège funéraire de la Fée verte, clôturé par une procession des tristes citoyens de Pontarlier, ville phare de l’absinthe puisque c’est là que les Pernod, venus de Suisse au début du dix-neuvième siècle, avaient installé leur distillerie.<o:p></o:p>

    Paul Ricard met au point le Pastis en 1932, qui remplace dans le cœur des Français l’apéritif interdit. Il faut attendre 1999 pour que soit autorisé un « spiritueux aromatique à la plante d’absinthe » dont les taux de substances toxiques sont évidemment limités. Des passionnés luttent maintenant pour la réhabilitation de la fée verte : selon eux, les maux attribués à l’absinthe seraient ceux de l’alcool en général. La mauvaise qualité de beaucoup d’absinthes suffirait d’ailleurs à expliquer leurs effets désastreux. Morale de l’histoire : pour votre santé, buvez bon !<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’Absinthe, la fée verte de Montmartre,

    jusqu’au 30 juin, Musée de Montmartre

    illustration : Lithographie de Nover, 1895, Musée de Pontarlier<o:p></o:p>


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  • A la Bibliothèque historique de la Ville de Paris<o:p></o:p>

    Christophe Girard entre en résistance<o:p></o:p>

    Présent du 23 avril 08<o:p></o:p>

    L’exposition Les Parisiens sous l’Occupation présente un bel ensemble de clichés d’André Zucca (1898 – 1973). Photographe de presse reconnu à partir de 1937, il est correspondant de guerre pour France-Soir et Paris Match en 1939, et travaille pour Signal, magazine de propagande allemande, à partir de 1941. Cela lui vaut le privilège de travailler avec des pellicules couleurs et de parcourir Paris en tout sens et toute liberté. A la Libération il perd sa carte de presse et doit se résigner à faire les mariages et les premières communions sous pseudonyme à Dreux.<o:p></o:p>

    Les deux cent cinquante photographies, tirées du fonds de la Bibliothèque Historique, risquent d’être remballées presto avant le 1er juillet, date initialement prévue pour la fermeture : Christophe Girard, adjoint à la Culture, bien que faisant partie du Comité d’Honneur de l’exposition en compagnie de Bertrand Delanoë, vient d’en demander l’arrêt. La découverte des photos lors du vernissage aurait fait vomir cet élu en charge du Patrimoine et de la Mémoire dans le 4e. (Vous pouvez l’invoquer si vous avez perdu vos clés et que vous êtes domicilié dans le Marais. Sinon, voyez saint Antoine.) <o:p></o:p>

    En quoi consiste le caractère émétique du travail d’André Zucca, « dont la valeur propre présente un intérêt historique et artistique incontestable » ? Il « donne à voir un Paris léger, voire insouciant » (communiqué de presse) Rien sur les rafles ni sur la Résistance. Pas bête pour deux sous, Girard a « immédiatement compris la manipulation derrière de prétendues belles images. » (interview au Journal du Dimanche)<o:p></o:p>

    Les Parisiens peuvent en effet découvrir, à travers ces photos, que sous l’Occupation on emmenait les enfants au Guignol, on jouait au loto, à la belote, on allait au cinéma, à la foire du Trône ; que les femmes se maquillaient, achetaient de la lingerie, portaient des chaussures à semelles compensées. Etes-vous bien assis ? A Ménilmontant on mangeait même des cerises… L’obligation d’avoir une lumière vive pour utiliser les pellicules Agfacolor explique l’ambiance ensoleillée, véritable inconvenance en ces heures sombres. La couleur rend les clichés encore plus troublants : la distanciation du noir et blanc n’opérant plus, ces images sont presque celles d’un Paris que nous connaissons.<o:p></o:p>

    Bref, les photographies remarquables d’André Zucca vont à l’encontre de la vulgate, en montrant que sous l’Occupation la vie quotidienne continuait et qu’au printemps les Parisiennes étaient pleines de charme. Des laiderons par temps bas eurent moins gêné Chr. Girard, particulièrement choqué par la photo d’un couple d’amoureux au jardin du Luxembourg, un exemplaire de Signal posé près d’eux. Un couple hétérosexuel, qui plus est. Le regard oblique d’un passant trop honnête ? Les photos relèvent, d’après lui, de la propagande. Les Allemands n’étaient pas de cet avis : aucune ne parut dans Signal. Les Censeurs ont souvent une sensibilité exacerbée.<o:p></o:p>

    La polémique a commencé peu après le vernissage. Désormais, un Avertissement est donné au visiteur pour qu’il n’aille pas conclure à l’inexistence des rafles, des files d’attente, etc. La promotion publicitaire par affichage a été suspendue. Bientôt peut-être des bassines seront-elles distribuées à ceux qui, comme M. Girard, ont l’estomac fragile. L’entrée des enfants même accompagnés sera-t-elle interdite ? J’imagine que notre élu tremble à l’idée que ses enfants tombent sur de telles images car il est Père comme les autres (Hachette, 2006 – comprenez « papa homosexuel »). Cette exposition est tellement inconciliable avec l’enseignement de l’Education nationale ! Des visiteurs bien intentionnés, citoyens fiables, ont d’ailleurs laissé dans le livre d’or des commentaires éloquents, conseillant par exemple aux organisateurs de « retourner à l’école » – pour réviser, sans doute.<o:p></o:p>

    En février dernier, Jean-Marie Le Pen et Camille Galic ont été lourdement condamnés pour une entrevue parue dans Rivarol en janvier 2005, dans laquelle Le Pen déclarait qu’« en France du moins l’occupation allemande n’a pas été particulièrement inhumaine », propos qualifiés d’apologie de crimes de guerre et de contestation de crimes contre l’humanité. Que les photos d’André Zucca puissent illustrer ces quelques mots suffit pour deviner quelles sont les chances de survie de l’exposition. En attendant, le sursaut mémoriel de Chr. Girard a eu pour effet immédiat d’amener de nombreux visiteurs, dont votre serviteur, ravi de pouvoir désormais lire certaines pages de Léautaud avec un œil encore plus averti.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Les Parisiens sous l'Occupation: photographies d'André Zucca,<o:p></o:p>

    jusqu’au 1er juillet ?<o:p></o:p>

    Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 22, rue Mahler, 4e. Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 11 h à 19 h. Entrée : 4 euros.<o:p></o:p>


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  • C'est l'heure des déclarations...


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  • A la Bibliothèque nationale<o:p></o:p>

    Daumier le génie d’un siècle<o:p></o:p>

    Présent du 19 avril 08<o:p></o:p>

    Honoré-Victorin Daumier (1808 – 1879) est l’homme de la lithographie, technique basée sur la répulsion de l’encre et de l’eau, mise au point en 1798 et rapidement répandue dans toute l’Europe. La lithographie va façonner le style de Daumier – on serait bien en peine d’imaginer son œuvre sous une autre forme – comme lui va donner la pleine mesure à cette technique, exploitant toutes ses possibilités. <o:p></o:p>

    Tirée sur du beau papier, une estampe de Daumier offre des nuances infinies, des noirs profonds, des gris variés, de purs blancs. Grâce à l’obligation de dépôt légal on possède quatre mille estampes de Daumier en tirage de valeur. Ce n’est pas le cas des exemplaires arrachés à des journaux, évidemment de qualité inférieure, les pires étant les tirages réalisés par gillotage à partir de 1870, procédé qui facilitait la composition puisqu’il permettait d’inclure l’image au texte chez l’imprimeur, mais un désastre du point de vue artistique car l’estampe offre alors un grisé uniforme et malpropre.<o:p></o:p>

    Les lithos gagnent à être vues avant la lettre, c’est-à-dire avant l’ajout de la légende, la plupart du temps bavarde, accaparant l’attention au détriment de l’image. Faiblesse d’autant plus sensible quand les légendes de Goya vous trottent encore dans la tête (Présent du 12 avril), mais qui n’est pas imputable à Daumier. Celui-ci envoyait une épreuve portant une mention laconique, reconvertie ensuite en légende prolixe par un journaliste de service qui, payé à la ligne, avait tout intérêt à dissimuler son manque d’esprit sous un fatras de points d’exclamation et de suspension. Parfois – témoins, de précieuses épreuves passées entre diverses mains d’une salle de rédaction, annotées – le chargé de légende avouait son incompréhension du dessin et refilait le bébé à un collègue. L’Idée de l’artiste dépassait le simple gag. L’Esprit dépassait la lettre. Indifférence des légendes : certaines estampes existent avec des légendes totalement différentes.<o:p></o:p>

    La Censure (périodes 1835 – 1848 ; 1852 – 1868), à laquelle les planches étaient soumises avant publication, refusait plus souvent la légende que le dessin lui-même ; on la récrivait alors jusqu’à ce qu’elle soit jugée assez inoffensive. Cette censure pouvait être d’ordre commercial (Manière dont on fait à Paris du saucisson de Lyon : en débitant du chien, d’après Daumier).<o:p></o:p>

    La première caricature politique, datée du 22 juillet 1830, s’intitule « Passe ton chemin cochon ». Si N. Sarkozy avait eu des lettres, au Salon de l’Agriculture… En 1831, paraît la litho Gargantua : un Louis-Philippe géant engloutit les biens des Français qu’on hisse à dos d’homme sur une rampe jusqu’à sa bouche. Elle vaudra à l’artiste d’être condamné pour « excitation à la haine et au mépris du gouvernement du roi » à six mois de prison. (Il en fera cinq, à Sainte-Pélagie.) Il suffit de peu pour adapter les dessins de Daumier à notre époque. Le Gargantua ferait une assez belle allégorie du Prélèvement social. Quant aux députés divers qu’il a représentés, ils annoncent ceux que nous connaissons : la vulgarité des uns, la veulerie des autres, nul dépaysement.<o:p></o:p>

    A la Bn Fr. Mitterrand, une exposition annexe présente les « héritiers » de Daumier. Les dessinateurs de presse actuelle se targuent volontiers du patronage de Daumier, dépositaires qu’ils seraient de son courage. Aucun d’eux n’a pourtant tâté de Sainte-Pélagie et, prétendraient-ils que l’expression des idées est libre en France, il serait aisé de leur rétorquer que certaines opinions sont délictuelles et mènent à la case prison (sans toucher 3094,01 euros). Qu’ils s’abstiennent de taquiner le parquet par timidité ou adhésion à la sainte loi de la Halde, ce sont des héritiers au petit pied. <o:p></o:p>

    La censure n’a pas eu que de mauvais aspects : on lui doit les caricatures sociales de Daumier, les séries des mœurs conjugales, des bas-bleus, des artistes, le traitement burlesque de l’Histoire ancienne à la manière du Virgile travesti de Scarron, vieux thèmes auxquels la lithographie donne une nouvelle jeunesse, mais aussi ces produits du temps que sont les bons bourgeois (illustration), les gens de justice, les locataires et les propriétaires – souvenez-vous du terrible Molineux décrit dans César Birotteau, car le rapprochement s’impose : l’image que nous avons du XIXe siècle, nous la devons à une couple de phénomènes, Balzac et Daumier. Ils sont aussi complémentaires que le scanner et la radiographie, l’œil droit et l’œil gauche, et la vision binoculaire, grâce à quoi nous percevons les reliefs, est si parfaite que, malgré la subjectivité de l’un et l’autre, l’objectivité de l’image obtenue ne fait aucun doute.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Daumier,

     jusqu’au 8 juin, BnF Site Richelieu.<o:p></o:p>

    illustration : Recherche infructueuse de la planète Leverrier (1846), BnF, dpt Estampes et photographie<o:p></o:p>


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  • Au Petit Palais<o:p></o:p>

    Un bain d’acide<o:p></o:p>

    Présent du 12 avril 08<o:p></o:p>

    Francisco Goya (1746 – 1828) commença sa carrière de graveur en reproduisant les tableaux de Vélasquez, honneur des collections royales. Ayant fait ses armes dans cet exercice difficile, il s’essaya à des sujets plus personnels, une fuite en Egypte, une espagnolade (un aveugle à la guitare), un garrotté – supplicié qui en annonce d’autres. Il se tourna vers des graveurs : Rembrandt l’influença, et Tiepolo (mort en 1770) qui avait publié une suite de Caprices : des chouettes parmi de vieilles pierres, la Mort qui donne audience annoncent les Caprices de Goya, réalisés à partir de 1797 et publiés en 1799.<o:p></o:p>

    Quelle galerie que ces caprices ! Et déjà quel génie du titre bref, allusif, énigmatique, moqueur, cruel ! Jeune femme prélevant les dents d’un pendu (A la chasse aux dents), galants, jeunes femmes et vieilles maquerelles (Qui se ressemble s’assemble, illustration), parfois occupées à plumer des hommes-poulets syphilitiques (Les voilà déplumés), monstres se taillant les griffes les uns les autres (Ils se pomponnent), vieille qui se farde (Jusqu’à la mort), sorcières au sabbat, âne posant devant un singe peintre… La veine des fantaisies est exploitée avec succès et dépassée. La satire exprime de façon déguisée les opinions du Goya « éclairé », sympathisant des philosophes français, dénonçant une Espagne rétrograde.<o:p></o:p>

    Quand il se remet à la gravure en 1810, la désillusion a marqué sa vie à jamais. Le peintre francophile a vu l’Espagne occupée par les armées napoléoniennes, le peuple et les religieux massacrés par les enfants de la Révolution. Répression menée par Murat à Madrid en 1808, répression à travers tout le pays en 1810, Goya, pour reprendre le titre d’une de ses gravures, a vu cela. On y rencontre des pendus, des fusillés, des garrottés, on y croise des charretées de cadavres (Enterrer et se taire). Les Désastres de la guerre rappellent Les Supplices et Les Misères de la guerre de Jacques Callot mais sont d’une crudité toute moderne. Goya travailla à ces planches entre 1810 et 1820 car après les troubles mêmes les images continuèrent à le hanter. <o:p></o:p>

    La série de la Tauromachie est comme une respiration (1815-1816). La mort est pourtant présente, celle du taureau ou celle du torero (La mort malheureuse de Pepe Hillo). Sur la fin de sa vie, Goya s’essayera à des scènes tauromachiques travaillées sur la pierre lithographique, qui permet d’autres effets, d’autres noirs, d’autres textures. Entre 1816 et 1823, il renoue avec les caprices sous le titre de Disparates, caprices à la puissance dix. Les thèmes traditionnels sont traités avec encore plus de mystères, de fantastique. <o:p></o:p>

    En 1824, âgé de 78 ans, craignant pour sa sécurité, Goya s’exile en France et y finit sa vie discrètement. Ses Caprices ne l’ont pas attendu, ils ont franchi les Pyrénées dans les malles du baron Vivant-Denon et dans celles des officiers, et les romantiques en ont fait immédiatement leur miel : le Faust de Delacroix en porte la marque. Les écrivains s’y intéressent : Baudelaire les goûtent, Mérimée les juge déplaisantes.<o:p></o:p>

    Les Disparates ne sont publiés à Madrid qu’en 1854, Les Désastres qu’en 1863 : leur influence se fait sentir sur la seconde moitié du siècle. Les symbolistes apprécient les images sombres et débridées que Goya n’a dessinées que pour déplorer ce sommeil de la raison qui engendre des monstres, mais avec tant de force, tant d’imagination, que cauchemars et grotesques ont acquis, par son burin, des lettres de noblesse : des symbolistes secondaires s’en inspirent (M. Roux, F. Bulot, F. Chifflart), Odilon Redon publie six planches en hommage à Goya. L’exhumation du corps du peintre à Bordeaux en 1888 est en elle-même un disparate : la tête manque au squelette, vraisemblablement volée par un phrénologiste.<o:p></o:p>

    Dans un registre plus dramatique, Léopold Debrosses (1821-1900), lorsqu’il veut graver les horreurs du siège de Paris, se sert des Désastres (Paris et ses avant-postes pendant le siège de 1870-1871). Inégales eaux-fortes, parmi lesquelles on retient Les fosses de Champigny, digne des fosses madrilènes. Au XXe siècle, Paul Morand s’approprie Goya : chaque chapitre du Flagellant de Séville (1951) a pour titre celui d’une gravure, l’artiste lui-même est un des personnages secondaires, et l’écriture de certains chapitres se veut totalement picturale. L’action, située en Espagne au moment de l’occupation française de 1808-1810, permet d’évoquer des événements récents et douloureux (collaboration, résistance, épuration). Identification d’une œuvre à une autre, d’un créateur à un autre – Paul Morand est exilé en Suisse lorsqu’il écrit ce roman, et lui aussi a vu cela. Cette fécondité des gravures de Goya cent cinquante ans après montre combien elles étaient plus que des œuvres de circonstance.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Goya graveur,<o:p></o:p>

    jusqu’au 8 juin, Musée du Petit Palais<o:p></o:p>

    illustration : Goya, Tal para qual, Caprices © Petit Palais / Roger Viollet<o:p></o:p>


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