• Au Palais de la découverte<o:p></o:p>

    Termites et fourmis, acquis sociaux<o:p></o:p>

    Présent du 31 mai 08<o:p></o:p>

    Le roi des termites a disparu, les jeunes visiteurs sont invités à enquêter dans le monde feuillu des fourmis œcophylles puis dans le milieu terreux qui abrite les termites macrotermes. Une fois l’enquête terminée (et même si le dénouement, comme à moi, vous a échappé), une seconde partie poursuit la comparaison entre les deux insectes.<o:p></o:p>

    Les fourmis sont des hyménoptères (elles sont proches des abeilles et des guêpes), tandis que les termites sont des isoptères, cousins des blattes, et à l’intérieur de chaque ordre les espèces ont des modes de fonctionnement variés. Cependant termites et fourmis ont de nombreux points communs et l’occasion de se faire la guerre. Un combat entre une colonie de termites et une colonie de fourmis est un spectacle violent. Les fourmis y apparaissent plus habiles et particulièrement efficaces. <o:p></o:p>

    Le clivage premier entre les classes d’une société d’insectes est celui de la fécondité. Un roi, une reine, n’assurent aucun gouvernement – la gestion d’une colonie est autorégulée – mais la reproduction. Une reine pond une majorité d’individus stériles et, de temps à autre, une larve royale fertile destinée à fonder une autre colonie. Le roi fourmi meurt après l’accouplement et la reine pond toute sa vie ; la reine termite, régulièrement fécondée, pond toute sa vie toutes les deux secondes ; le terme de grossesse est mérité puisqu’elle prend en quelques années cinq cent fois son poids. <o:p></o:p>

    Immobilisée dans une chambre nuptiale construite autour d’elle, la reine termite est alimentée par les ouvriers qui nourrissent, outre le couple royal, les gardes : tout cela se fait par régurgitation. La spécialisation, on le voit, mène à une totale dépendance. La xylophagie explique en partie que l’alimentation soit assurée par une classe spécifique, car la symbiose est un procédé gastronomique souvent employé. Les Pseudoacanthodermes militaris coupent grossièrement le bois et placent les débris dans des chambres de la termitière où pousse un champignon (le mycotête) dont l’action désagrège le bois, lequel peut ensuite être absorbé par les ouvriers qui le mâcheront à l’usage des autres. Quand une reine (ou un roi) part fonder une colonie, elle emporte du mycélium. <o:p></o:p>

    Les fourmis ont des ouvrières chargées de nourrir les larves, tandis que d’autres s’occupent du creusement de la fourmilière et de sa défense, ainsi que des courses à l’extérieur. Certaines, les fourmis Acromyrmex octospinosus, emploient aussi un champignon pour transformer leur nourriture. Bien plus, elles produisent un antibiotique qui protège le champignon des parasites. Autre exemple de symbiose : les fourmis Messor barbarus collectent des graines, dont certaines se perdent au cours du déplacement, ce qui assure à la plante une chance de se reproduire plus loin. <o:p></o:p>

    La réputation des termites en matière de construction n’est pas à faire. Les célèbres cathédrales peuvent atteindre huit mètres de haut. Le maintien d’une température acceptable est assuré par cette colonne de terre : l’air chaud monte, faisant monter à son tour l’air frais du sol. Bien d’autres constructions existent : certains termites construisent des dalles de terre dressées, orientées nord-sud dans la longueur, ce qui leur assure un ensoleillement minimal. L’habitat existe aussi sous forme de champignons, façon Schtroumpfs, ou de nids dans les arbres.<o:p></o:p>

    Les fourmis n’ont pas le tempérament architecte. Les galeries constituent un réseau ingénieux mais creuser n’est pas bâtir. Cependant elles ont un talent d’ingénieur : elles établissent des ponts suspendus vivants pour franchir le vide ou des colonnes descendantes pour aller chercher une proie. Chaque fourmi est alors l’équivalent d’une poutrelle métallique. Puis l’ouvrage se défait, toujours de façon ordonnée et logique. Les fourmis œcophylles, dites aussi tisserandes, assemblent des feuilles entre elles pour constituer des nids à l’aide de la soie produite par les larves.<o:p></o:p>

    Les sociétés d’insectes ont eu, et auront toujours une influence sur certains théoriciens politiques : sociétés parfaites et rôdées, il est tentant de les prendre en modèle pour remédier aux insuffisances des nôtres. Mais, comme le soulignait Roger Caillois, entre leurs sociétés et les sociétés humaines, c’est tout le contraste « entre l’insecte et l’homme, entre le mécanisme et la liberté, entre la fixité et l’histoire. ». <o:p></o:p>

    Plus concrètement, les fourmis ont des choses à nous apprendre en ce qui concerne le déplacement. Des scientifiques tentent de mettre en algorithmes leurs allées et venues complexes pour améliorer l’acheminement et la distribution du courrier. Quant aux termites, la climatisation naturelle de leur habitat inspire la recherche des architectes.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Le termite et la fourmi, deux sociétés, deux mondes,<o:p></o:p>

    jusqu’au 31 août 08, Palais de la découverte<o:p></o:p>

    illustration : Fourmi Cataglyphis © Marie Canard<o:p></o:p>


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  • Au musée d’Ecouen<o:p></o:p>

    Médecins et Praticiens au XVIe siècle<o:p></o:p>

    Présent du 24 mai 08<o:p></o:p>

    Même s’il est difficile de concevoir que la médecine ait préexisté à la Sécurité Sociale, il faut l’admettre : il y eut un temps sinistre où la France n’avait pas « le meilleur système de santé du monde ». Le musée de la Renaissance ausculte le corps médical à l’aide de livres et d’ustensiles plus ou moins menaçants tels que trépans, tire-fond triploïde, spéculums, pélicans, daviers « bec de perroquet », dilatatoires à vessie.<o:p></o:p>

    Qui, au XVIe siècle, compose le monde médical ? D’abord, deux professions dûment répertoriées puisqu’un diplôme est nécessaire pour y accéder : les médecins et les apothicaires. Ceux-ci ne sont différenciés officiellement des épiciers qu’à partir de 1514. De quoi alimenter le débat entre les pharmaciens et les magasins Leclerc qui veulent vendre des médicaments.<o:p></o:p>

    Vient ensuite la profession de barbier–chirurgien, méprisée par les médecins et les apothicaires : le livresque entend que ne soit pas contestée sa précellence sur le manuel. Enfin, n’appartenant pas au monde médical stricto sensu mais pratiquant la médecine, les charlatans de tout poil. Leur prolifération indique que la clientèle existait. A. Paré mentionne quelques unes de leurs « superstitieuses sornettes », « comme faire des pilules du crâne d’un homme pendu, contre la morsure d’un chien enragé. »<o:p></o:p>

    Concrètement, le médecin délègue les actes médicaux à son étudiant ou au barbier et il discourt sur les humeurs, mire l’urine : c’est à ce geste qu’on le reconnaît dans de nombreuses gravures. Le médecin n’est que peu praticien, il est avant tout un érudit qui lit et commente les auteurs antiques (Galien, Celse), arabes (Averroès), perses (Avicenne). Il écrit à son tour des traités, en latin, digestion d’autres livres. Le journal de Jean Heroard (1551-1628), médecin du futur Louis XIII, est une exception qui nous renseigne abondamment sur les méthodes de l’époque.<o:p></o:p>

    En médecine comme en d’autres domaines, le savoir de la Renaissance est fondé plus sur l’érudition que sur la science. On constate selon A. Koyré une baisse de l’esprit critique : l’écrit antique est accepté aveuglément ; le mépris pour la synthèse aristotélicienne entraîne celui du réel. Le cas de Paracelse (1493-1541) est particulier. Docteur en médecine, il écrit en allemand des traités qui mêlent mystique, magie, alchimie ; il ne se contente pas de livre (il brûle plutôt son exemplaire d’Avicenne), il manie les métaux, les cornues, distille et filtre, pressent l’intérêt des remèdes d’origine métallique. Mais globalement le savoir du médecin stagne, nous le retrouverons tel quel au XVIIe (pouls, saignée, urine, humeurs). A l’opposé, le chirurgien confronté à la réalité développe sa technique.<o:p></o:p>

    La plus belle figure de barbier devenu chirurgien est celle d’Ambroise Paré (1510-1590), qui débuta par trois années à l’Hôtel-Dieu de Paris, apprentissage sans concession qui sera complété par une formation continue, celle des champs de bataille. Confrontés aux blessures par balles, innovation du temps, les chirurgiens se contentaient de cautériser la plaie en y laissant le projectile et expliquaient l’infection qui s’ensuivait par l’empoisonnement de la poudre. Paré, lui, met au point une pince d’extraction tire-balle, préconise le nettoyage de l’intérieur de la plaie puis son pansement. Il évite encore la cruelle cautérisation lors de l’amputation en ligaturant les artères. Il développe les prothèses et, dans la foulée, la correction orthopédique. Il s’intéresse à la génération et à l’obstétrique, à la tératologie qui est un « accident de génération » ; il remarque que certains asticots nettoient les plaies, technique remise à la mode aujourd’hui ; invente une pince qui permet simultanément de maintenir la vessie ouverte et d’en retirer les calculs. <o:p></o:p>

    Personnage pragmatique et sympathique, Ambroise Paré fut reçu à la faculté de médecine en 1554, non sans grincements de dents : pensez, un chirurgien qui écrivait des manuels de chirurgie pratique en français ! Les médecins reviendront régulièrement à la charge : à la mort de François II en 1560, on l’accuse d’avoir versé du poison dans l’oreille du roi.<o:p></o:p>

    Ambroise Paré reconnut ce qu’il devait en matière d’anatomie à André Vésale (1514-1564) à qui on doit le monumental De humani corporis fabrica (1543), illustré de planches à la fois descriptives et artistiques dues à un élève du Titien. Ici encore, c’est la recherche concrète qui permet un progrès : Vésale dissèquait à tour de bras. Alors qu’on suivait sans se poser de questions l’anatomie de Galien (médecin du IIe siècle), il s’aperçut que celle-ci correspondait non à l’homme mais à un animal : Galien avait disséqué et décrit des singes en les pensant semblables aux hommes.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Ars Medicina, Médecine et savoir au XVIe siècle, jusqu’au 7 juillet 08, <o:p></o:p>

    Musée national de la Renaissance, château d’Ecouen.<o:p></o:p>

    illustration : Leçon d'anatomie, ouvrage de R. Colombo, 1559


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  • DIRECTION RELIGIEUSE

    Diététique.

    – Les pigeons, victimes à venir du réchauffement climatique ? Cela ressort des propos de Maître Suprême Ching Hai, « humanitaire, artiste et enseignante spirituelle de renommée internationale ». Son message aux dirigeants du monde, « Je leur dirais d’utiliser leur puissant pouvoir pour faire changer le mode alimentaire de la planète […] D’utiliser leur puissant pouvoir pour instaurer une nouvelle façon de s’alimenter sur cette planète, le végétarisme. » Bis repetita placent, et comme les mots « puissant pouvoir » semblent délectables. Donc, au menu, tofu, gluten et maïs, « aliments nutritifs sauvant des vies » et coupant l’appétit démesuré des pollueurs. Quant aux gens du monde (traîtrise d’un logiciel de traduction), Maître Suprême Ching Hai « les aime énormément ». C’est d’ailleurs son secret : « Soyez bon et en bonne santé. »

    Biblique. –

    Conscient que la longueur d’un service religieux « barbant et inapproprié » rebute les fidèles, Mark Evans (Little Rock, Arkansas) a créé sa propre église « pour les sans-église» et mis au point un office qui ne dure pas plus de trente minutes. Au programme, « un message engageant, une musique de culte entraînante et un rituel créatif ». Une créativité, qui fera verdir plus d’une équipe liturgique de chez nous ! Par contre, la spiritualité du message n’a rien de l’esprit tiers-mondiste requis pour une bonne pastorale : « Guidé par un millionnaire », annonce notre Mark Evans, qui ne l’est pas encore. Le millionnaire en question est Salomon. « Vous seriez émerveillé par son avis sur beaucoup de questions, votre profession, vos relations, votre santé, vos finances… Ce que Salomon avait à dire concerne tout simplement le monde d’aujourd’hui. » La clé de Salomon, clé du coffre?

    à part ça, Mark Evans est l’auteur, avec son épouse, de l’ouvrage Mariage gagnant : 7 choses que font les couples heureux pour le rester. Il propose diverses formations, parmi lesquelles je relève celles sur les « gens toxiques », ou comment apprendre à se comporter «avec les relations toxiques, les religions toxiques et les parents toxiques. »

    DIRECTION ARTISTIQUE

    Guidé.

    – Au Grand Palais, du 7 mai au 15 juin, le sculpteur américain Richard Serra présente « une installation que le visiteur découvre sous la forme d’un paysage d’acier à la fois radical et poétique, minimal et mouvementé. » Une œuvre « épurée et majestueuse » qui « bouleverse le rapport du visiteur à l’espace » (véritable scie de l’art contemporain). Histoire que nul n’erre ou n’use de sa jugeote, « une politique de médiation innovante et engagée » est instaurée grâce à des « médiateurs spécialisés », sortes de vigiles de l’histoire de l’art, chargés d’ « accueillir et orienter gratuitement les visiteurs individuels dans un souci constant d’échange et de dialogue. » Le public scolaire, « objet d’une attention particulière », bénéficiera de visites adaptées, « en cohérence avec le socle commun des connaissances et les programmes ». Socle et œuvre sont dignes l’un de l’autre.

    Azimuté. –

    Un lieu s’ouvre dans le 18e, pour mener « des expériences autour des notions de corps, d’espace, de la relation public / privé. » Première tournée sur le thème du voyeurisme : Marianne Mains (de l’ENSA de Nancy) « développe une esthétique trash–glamour… Ses mises en scène très élaborées de jeunes filles rendues à la nature ou soumises à son bon vouloir sont autant de rêveries intrigantes » (photo) Géraldine Husson présente des « objets hybrides, proposition d’univers–refuges, sensibles, psychiques et physiques sans considération de frontières. » Des thématiques sales et rebattues, de jeunes artistes à la remorques des Annette Messager, des Louise Bourgeois (à l’honneur au Centre Pompidou), des Sophie Calle (à l’honneur à la BnF).

    Désorienté. –

    Une galerie du Marais accueille les sculptures d’Elisabeth Ballet, « universelles car elles remettent en jeu les questions classiques de la sculpture ». Pourtant, rien que de très rabâché : «les questions du déplacement et de la circulation dans l’espace, sur l’articulation du dehors et du dedans, de l’ouvert et du fermé...» Je vous passe les détails, mais sachez que « la sculpture maintient le spectateur à distance tout en l’obligeant à une déambulation mentale. » Tout cela sent en effet le déambulateur.

    DIRECTION POLITIQUE

    Coincé. –

    Lu dans Direct Matin du 8 avril : « La diffusion récente d’une vidéo sadomasochiste qui met en scène Max Mosley, patron mondial du sport automobile, suscite des remous dans la F1. » Ce n’est pourtant pas ce que vous croyez. Il n’est pas reproché au sexagénaire l’usage du fouet en compagnie de cinq jeunes femmes. « L’usage d’uniformes, de tenues de prisonniers et, surtout, de la langue allemande lors d’un simulacre d’interrogatoire a fait s’émouvoir nombre de personnalités du monde du sport automobile. » Indignation subséquente des organisations juives britanniques, qui ont rappelé des antécédents familiaux accablants : le père de Max Mosley avait fondé dans les années trente la British Union of Fascists. Archétype jungien ? Complexe freudien ? Max Mosley a réfuté « le caractère nazi de son échappée sexuelle »… Les adeptes du triolisme révisionniste n’ont qu’à bien se tenir.

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  • Lexicologie diocésaine

    par Amédée Schwa

    I. Avenir de l’entreprise

    Une toute récente publicité du groupe Suez frappe par sa ressemblance avec la campagne pour le synode qui a eu lieu en 2005 – 2007 dans le diocèse d’Angers (1 & 2). Le slogan est le même, le logo aussi : personnage ou croix, c’est tout un du point de vue graphique. Qui aurait dit que l’église d’Anjou donnerait le ton en matière de communication ? Celle-ci était un des thèmes du synode. Suez partage également des valeurs avec le diocèse. Le laïus accompagnant la publicité rappelle des passages de la Charte synodale : diversité des cultures, écologie, action citoyenne… Le grand groupe se démarque par sa politique de recrutement et par sa devise, « Vous apporter l’essentiel de la vie ». L’une comme l’autre seraient jugées agressives et intolérantes si les chrétiens se les appropriaient.

    II. En ce temps-là je franchissais des portails

    L’ancien séminaire d’Angers, devenu Centre diocésain en l’absence de prêtres, est en cours de totale restructuration. Il arbore un portail flambant neuf. Portail ni roman, ni gothique, ni classique, ni rien. Portail à l’emporte-pièce, tôle percée de mots indignes d’être gravés dans l’airain mais auxquels le vide convient. La technique répond à l’intention. (photo 5)

    Pour parler juste, c’est un ensemble : le portail est accosté d’une clôture, travaillée de la même façon. (photo 3) La première impression est celle d’un fatras de mots, de répétitions difficilement comptables à cause de la variation de la taille des caractères (une police Courier New, à peu près). Il y a cependant une organisation. Comme on le constate sur la vue d’ensemble (photo 3), on passe de gauche à droite d’une disposition touffue à une dissémination. Un premier groupe de mots A est répété tel quel en B ; repris dans une disposition différente sur le portail proprement dit (C) ; la dernière partie (D) fait appel à une nouvelle série de mots ; le retour maçonné, où les mots sont en creux, présente une suite de mots nouveaux répétée quatre fois. (photo 4)

    On dénombre sur la tôle près de quatre-vingt dix mots, classés comme suit (en respectant majuscules et minuscules) :

    Le trio de tête est constitué de : Bonne nouvelle (18), PAIX (14), JOIE (13).

    Viennent ensuite : PAROLE (9), partage (9), Dialogue (8).

    En deux exemplaires : ACCUEIL, NOËL.

    Une seule occurrence : Formation, ANIMATION, RASSEMBLEMENT, Rencontre, Etoile, amour, Vie, Lumière.

    Sur le muret de béton, nous lisons : Respect (8), Ecoute (8), Ecrit (8), Eau (8), ROC (4) Ciel (4), Lumière (4).

    L’absence de syntaxe est significative. Justifiée dans une devise, elle constitue précisément ici une logorrhée, un flux de mots à peine maîtrisé : les maîtres mots des panneaux qui fleurissent encore dans les sanctuaires, invention de Vatican II, supposés porter un message fort, donner un sens à la messe. Maintenant que ces messes, puisqu’elles furent de fort mauvais spectacles, se jouent à gradins vides, la vieille garde a souhaité pérenniser ce que les panneaux avaient d’heureusement biodégradables, et communiquer à l’homme de la rue son lexique de base. Car le portail est l’application des propos de Mgr Bruguès : « Notre message ne portera guère d’écho si l’on ne perçoit pas que nous sommes heureux de vivre à notre époque. » (Charte du Synode) D’où le mot « joie » dans le peloton de tête, joie manifestée à l’occasion par les gesticulations d’un clergé en pleine danse de Saint-Guy (photo 6, lors d’un rassemblement synodal). Notez combien le curé X, à cet instant précis, ressemble au personnage ectoplasme de la publicité Suez.

    Il est incertain que les passants soient attirés par ce discours. Les mots ne démentent pas la tristesse incommensurable du bâtiment, enlaidi un peu plus par la pose d’huisseries modernes – en matière de rénovation, le saccage des ouvertures révèle immédiatement le manque de goût. Ce défaut d’œil est confirmé par la pose toute récente, dans le hall du centre, d’une sculpture de Guylaine Chaveton qui représente le Buisson ardent, où l’Esprit (photo 8) n’est qu’un esprit, un mort-vivant sorti d’un film d’horreur de troisième rang.


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  • Deux articles d’Hugues Rebell parus dans Le Soleil

    Les Patricides glorifiés

    Les premiers jours de septembre sont pour nous des anniversaires pleins de douleur. Ils appellent ces fantômes terribles des armées détruites, des champs de bataille inondés de sang, - le souvenir d’une catastrophe sans exemple. Mais Sedan, avec ses entassements de cadavres, ses troupes débandées et folles, son entourage de villes en feu, est d’une vision moins pénible que la tragédie du Quatre-Septembre, de la Commune et de la troisième République. Ici rien d’héroïque : le désastre a même quelque chose de ridicule, de burlesque, qui pourrait égayer un étranger indifférent aux maux de notre pays ; le destructeur prend des allures de pitre forain, de Robert Macaire. C’est l’assassin devenu juge, gendarme, héritier de sa victime. Et Robert Macaire triomphe : nul n’ose dévoiler la supercherie.

    Malgré les beaux livres de MM. Duquet et Arthur Chuquet, l’histoire de cette malheureuse époque reste enveloppée d’ombre. En effet, on néglige volontairement tout ce qui pourrait l’éclairer, je veux dire les révélations du principal acteur : le parti républicain. Sans disculper Napoléon III, il conviendrait de s’attaquer au vrai criminel ; l’empereur n’est coupable que d’avoir laissé grandir le mal, de l’avoir subi, d’en avoir été l’humble esclave, mais cette complicité timide ne doit pas faire oublier ceux qui ont préparé l’attentat, qui l’ont accompli, qui en ont bénéficié. C’est l’habitude des orateurs républicains de flétrir les conservateurs qui, en pleine paix, en vue des guerres possibles, et par souci de la prospérité nationale, s’avisent de mettre en doute l’excellence du gouvernement actuel.

    Ces orateurs ont la mémoire courte ; ils oublient que durant tout l’Empire ils ont souhaité la défaite de la France. Nous avons des témoignages qui ne sont point suspects, par exemple, celui de M. Darimon, l’un des membres les plus actifs de l’opposition libérale sous Napoléon III. « M. Jules Simon, dit-il, n’est pas seulement un adversaire de la guerre ; le succès de nos armes lui cause un dépit profond, parce qu’il rehausse le prestige de l’Empire. » Ce sentiment n’était point particulier à M. Jules Simon. Tout le parti républicain qui nous fait aujourd’hui la loi, avait cette horreur du succès militaire. « Guerre à l’Armée ! » a été le cri de ralliement des humanitaires de l’Empire comme il devint plus tard le mot d’ordre des dreyfusistes.

    M. Thiers, le fondateur de la République, a prudemment laissé dans l’oubli - et ses éditeurs n’ont pas eu meilleure mémoire – le discours à la Chambre du 31 décembre 1867. Il s’y élève contre les nouveaux projets de mobilisation, il refuse de croire que l’armée prussienne soit aussi nombreuse qu’on le prétend. « Vous vous défiez beaucoup trop de votre pays, dit-il, et vous l’effrayez. Il faut le rassurer. Nous avons une puissante armée. Et puis, n’auriez-vous pas toujours deux ou trois mois pour organiser la garde nationale ? » Il a surtout pleine confiance dans « cette vive ardeur qui s’allume dans tous les cœurs français au moment d’une guerre. » Comment ne dormirait-on pas tranquille après cela ! Le discours de M. Thiers fut très applaudi. L’humanitarisme était alors en grande faveur. Il trouvait des adeptes même auprès des généraux. Dans un livre qu’on devrait bien distribuer à tous nos députés socialistes et progressistes, Les entretiens de Bismarck, le secrétaire du chancelier nous montre le général Wimpffen parlant de la fraternité des peuples au moment de la capitulation de Sedan, alors que Bismarck gronde entre ses dents : « Balivernes ! balivernes ! » évidemment Wimpffen tenait là un discours de circonstance, mais plusieurs généraux pensaient réellement ce qu’il ne disait que des lèvres et par occasion. Dans toute cette guerre, ce n’est point le courage des soldats qui fait défaut ; il y a des actes de bravoure admirables ; l’infériorité du nombre même n’est point la véritable cause de la défaite ; non, ce qui nous a menés à Sedan, c’est le manque de foi de certains chefs. Le parti républicain avait accompli son œuvre ; il avait détruit chez beaucoup l’enthousiasme, la croyance, le feu qui donne la victoire. Ces manœuvres mollement faites, ces marches et ces contre-marches, ces troupes qui arrivent en retard ou qui n’arrivent point, ces hésitations continuelles, tout cela indique bien que la guerre, la gloire, le succès sont devenus presque indifférents à ceux qui commandent. On s’y intéresse comme à une partie de billard, et on laisse le hasard décider pour ou contre soi.

    Et on ne croit pas plus au chef qu’à la guerre. Tout le monde commande et personne. L’Empereur, Lebœuf, Bazaine, Mac-Mahon, Ducrot, Wimpffen sont généralissimes tour à tour. à qui obéir ? C’est ici qu’on voit l’importance du chef, du Prince reconnu comme un maître respecté, dont on n’a pas à discuter les ordres ; et l’on comprend pourquoi le général de Gallifet, avant d’être ministre, disait que l’idée d’une République n’est pas compatible avec celle d’une forte puissance militaire. Imaginez que la guerre éclate aujourd’hui. Qui commanderait ? Serait-ce le général André, si populaire ? Serait-ce M. Loubet, si expérimenté ? Serait-ce le général Brugère ? Seul le Prince, avec la force du commandement, qu’il tient de ses ancêtres, peut réellement imposer sa volonté.

    Napoléon III n’avait pour se faire obéir que cette autorité personnelle qui ne résiste guère à la maladie, à l’âge, à la mauvaise fortune. Il sentait si bien sa faiblesse devant l’indifférence de ses généraux qu’il n’osait plus donner un ordre, agir en son nom. Il semble alors qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même. Si réellement il eût été le représentant du pays, s’il eût pensé avoir le droit de faire la paix, la France peut-être ne serait pas démembrée ; elle n’eût pas prolongé cinq mois une lutte inutile ; Paris n’eût pas connu les souffrances du siège et les destructions de la Commune. Bismarck l’a dit à Napoléon III, qui se plaignait des dures conditions qu’on imposait à son armée : « Si l’Empire était solidement établi, nous vous ferions des conditions moins onéreuses, et nous signerions la paix avec vous sans penser que demain elle sera violée ; on peut compter, en effet, sur la parole et la reconnaissance d’un Prince, mais non pas sur celles d’un peuple qui change chaque jour ses institutions et son gouvernement ».

    Bismarck, comme Napoléon III, se doutait bien que la révolution, à la nouvelle de Sedan, allait éclater à Paris. Admirons encore une fois le patriotisme du parti républicain. Il attendait la défaite - non pas l’irrémédiable que personne n’eût pu prévoir - mais une défaite quelconque pour renverser l’Empire et s’installer à sa place. Le trouble que doit produire un changement de gouvernement dans l’état, la difficulté d’improviser un ordre nouveau, rien de tout cela ne l’occupait. Il ne songeait qu’à être maître, à goûter un peu au pouvoir, fût-ce comme Jean de Leyde, pour quelques semaines. La première tentative d’insurrection avait empêché le retour de l’Empereur à Paris, la réorganisation de l’armée de Mac-Mahon ; le parti républicain avait ainsi condamné l’armée impériale. Au quatre septembre, il acheva la ruine de la France. Il y eut alors un schisme dans le parti. Les uns tenaient pour le pouvoir immédiat, comme Gambetta ; les autres, comme Thiers, pour le pouvoir futur. On se souvient de la visite que Mérimée, mourant, fit, à la demande de l’Impératrice, à ce destructeur de monarchies. Il implorait, son aide, il le priait d’user de sa popularité pour établir un gouvernement fort qui pût sauver le pays. « Il n’y a rien à faire », dit Thiers. Cela signifiait qu’il y avait trop à faire pour lui. Il voulait bien être le sauveur, mais lorsqu’il n’y aurait plus rien à sauver. M. Thiers a été comme le modèle de tous nos républicains au pouvoir. Ils ont été les pilleurs d’épaves du grand naufrage qu’ils avaient préparé. Les années leur ont fait oublier le crime, et l’or, les honneurs, les ont assurés de leur vertu.


    Spéculateurs

    Pour réaliser son rêve monstrueux : des hommes semblables, n’ayant ni fonctions particulières, ni devoirs différents, égaux en sottise et en impuissance, la démagogie essaie de modifier toutes nos façons de vivre ; elle travaille à sa tâche aujourd’hui avec une ardeur féroce : il faut que tout se transforme, êtres et choses ; jamais ne s’est montrée si insolemment la tyrannie du fanatisme qui ne veut pas tenir compte de l’œuvre des siècles, de l’instinct naturel des peuples, mais forcer, contredire, réformer toutes les inclinations de l’existence. Il suffit que Paris doive la plus grande part de sa beauté à la Royauté française pour que la démagogie ne veuille pas la lui pardonner. Dès maintenant, si ne s’y oppose une autorité forte, par exemple, une ligue qui ne se contente pas de protestations et de discours, Paris est condamné ; la Commune n’aura été qu’un essai de l’énorme destruction que la troisième République va achever, doucement, au milieu du consentement ou du moins du silence d’un peuple où il y a des artistes, des historiens, des gens épris du passé, de la beauté, des simples enfin qui n’ont que des souvenirs, des habitudes, et s’étonnent de ne plus se reconnaître dans l’endroit même où ils sont nés.

    Je ne fais point ici de « tartine » ; je ne prends point d’attitude, et je n’exagère rien. Je suis seulement plein de douleur et d’indignation à la pensée que l’œuvre folle de la démolition de Paris s’accomplit avec une telle aisance et une telle rapidité, comme quelque chose de naturel, de nécessaire, quand, au contraire, on ne peut rien imaginer de plus insensé ni d’aussi extravagant dans la barbarie.

    Les autres villes, par exemple une grande cité commerçante comme Londres, ont autant, sinon davantage, besoin, que Paris, de nombreuses voies de circulation ; mais parle-t-on chez nos voisins de mettre un tramway dans Hyde-Park, d’abattre les arbres de Green-Park pour y faire une rue et de démolir Buckhingham-Palace sous prétexte qu’il n’est pas dans l’alignement et gêne le passage ? Les Anglais, sans être un peuple d’idéalistes, n’estiment pas que l’humanité ne soit qu’un besoin de circulation. Or, nous, au contraire, nous en sommes là. On va sacrifier, comme on l’a déjà fait je ne sais combien de fois, un monument à une rue, et quel monument ? L’Institut seulement ! Il n’y a aucune raison pour que bientôt le Palais-Royal, le Louvre, dont les guichets ne facilitent pas précisément la circulation, n’aient le même sort que l’Institut. Une sorte de manie destructive semble s’être emparée de certains hommes, qui les pousse à tout ruiner. Les villes, je le sais bien, doivent se transformer comme notre existence, mais ces transformations hâtives et inutiles sont absolument inouïes et contraires à la nature. En saccageant ainsi notre passé nous ressemblons à ces sauvages qui assassinent leurs vieillards, même s’ils sont encore sains et robustes.

    Des règlements de police et chez les cochers et les charretiers moins de cette routine qui les fait choisir certaines rues de préférence à d’autres, d’un trajet aussi court, parfois même plus rapide, il n’en faudrait pas plus pour rendre aisée la circulation. Paris, surtout après la construction complète du Métropolitain, ne peut avoir aucun embarras à se mouvoir ; si on le persuade qu’il manque de rues, on le trompe.

    Et de fait on a intérêt à le tromper. Nos politiciens démocrates, conseillers municipaux ou députés, tiennent à s’occuper de grandes œuvres : voter un budget qui ne soit pas trop chargé, supprimer des taxes ou ne pas en créer de nouvelles, à leur sens, cela est bien trop modeste. Au contraire, démolir et rebâtir Paris, quelle gloire !

    Gloire dorée au surplus. Pourquoi serait-on politicien, dans une démagogie, si ce n’est pour remplir sa bourse, pour faire des affaires ? Le politicien de la démocratie a toujours derrière lui le spéculateur pour lui montrer une affaire et l’ingénieur pour l’accomplir sous sa direction. Ce sont les trois compères qui, aujourd’hui, se chargent de bouleverser Paris, de ne pas laisser un souvenir de son histoire, une pierre de ses monuments. Ainsi dans cette horrible anarchie où nous vivons, c’est la richesse que l’esprit révolutionnaire a choisi comme agent de ses destructions ; c’est la richesse qui démolit les palais, qui arrache les arbres des parcs, qui travaille à faire à l’humanité une vie laide, monotone, malsaine, odieuse ! Les intelligences sont à ce point confuses et obscurcies que les hommes s’acharnent à leur perte en croyant tout sacrifier à leurs intérêts, et que dans ce moment les pires aveugles sont justement ceux qui se nomment pompeusement des spéculateurs, d’un mot qui signifie contemplation haute, vue profonde, compréhension vaste.

    Même en oubliant l’art, l’histoire, ce qui donne à notre existence une joie et une fierté, en ne se plaçant qu’au point de vue de l’argent à gagner, est-ce un si bon calcul de prétendre changer la caractère d’une ville, et de lui enlever tout ce qui fait la fortune de ses habitants ?

    En même temps qu’on trace les nouvelles rues, s’en vont les anciennes maisons, quelquefois beaucoup moins incommodes que les étroits logements que l’on construit pour les petites et même les moyennes bourses ; les loyers s’augmentent, et les Parisiens qui vivaient à Paris, de plus en plus gagneront la banlieue, les villes voisines. Une partie de Paris ressemblera au quartier de la Cité, à Londres ; on n’y viendra que pour le travail et les affaires ; des maisons, bâties pour former une cinquantaine d’appartements, devront se louer à des Compagnies, se loueront moins facilement, et par suite moins cher. Paris déserté de bonne heure, triste, sans promenades, sans rues pour les voitures, sillonné partout d’horribles tramways, ne sera plus le rendez-vous des grandes fortunes. Ce ne sera plus la ville du loisir, du luxe et de l’art. Sera-ce la ville du commerce ? Mais tous ses commerçants et ses industriels travaillent précisément pour le loisir, pour le luxe et pour l’art. On l’a bien vu à son Exposition organisée par des politiciens, des spéculateurs et des ingénieurs, à son exposition démocratique, d’où l’on avait voulu chasser le luxe et la beauté. Paris n’a pas fait ses frais.

    Il est temps que la Monarchie, en rendant à la richesse ses droits, lui rende aussi ses devoirs et son utilité. Même ces traitants, ces agioteurs de l’Ancien Régime, que Lesage et Dancourt ont si cruellement fustigés, s’ils acquéraient mal leurs richesses, devaient les dépenser en œuvres utiles. Aujourd’hui la richesse se cache, comme un opprobre ; se sentant traitée en usurpatrice, elle oublie quel rôle bienfaisant elle doit jouer dans l’humanité ; il ne lui est plus permis que de se dépenser en secret, de spéculer et ainsi travaille-t-elle moins à ses intérêts du jour qu’à sa ruine de demain.


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