• Au musée de la Vie romantique<o:p></o:p>

    Ingres sur papier<o:p></o:p>

    Présent du 27 septembre 08<o:p></o:p>

    J.-A.-D. Ingres (1780-1867) eut fort à faire pour que sa peinture soit acceptée sans réticence, mais son dessin – la ligne telle qu’il la peignait, la ligne ingresque épurée – fut toujours louée. Le musée Ingres de Montauban possède une collection considérable de dessins. Catherine Lépront, écrivain, a été invitée à piocher dans ce fonds.<o:p></o:p>

    Pas de dessin qui ne soit destiné à être traité en peinture. Le maître ne lésinait pas sur l’esquisse : la réalisation des grandes toiles était précédée de quelques centaines de dessins. Personnage par personnage, détail par détail, le bras comme-ci, le bras comme-ça, la main plus ou moins infléchie… Avant même d’être habillée, la pose est étudiée nue pour que sa justesse anatomique ne pâtisse d’aucune négligence, puis drapée. <o:p></o:p>

    Toutes ces références aux œuvres majeures du peintre retracent sa carrière partagée entre Paris et Rome comme entre échecs et succès. Grand prix de Rome en 1801, Ingres n’y partit qu’en 1806, l’Administration n’ayant pas le budget nécessaire. Arrivé là-bas, il apprit que ses toiles présentées au Salon avaient été vivement critiquées, en particulier par David et ses élèves. Les années suivantes ne lui donnèrent pas envie de regagner Paris : ses envois à l’Académie, auxquels en tant que pensionnaire de la Villa Médicis il était tenu, furent jugés sévèrement, ses envois aux Salons de 1814 et de 1819 ne firent pas l’unanimité. Ingres vécut dix-huit années d’exil en Italie.<o:p></o:p>

    Cependant la toile peinte pour la Trinité-des-Monts (Jésus remettant les clefs à saint Pierre) fit parler d’elle, et Montauban demanda une œuvre pour la cathédrale. Le Vœu de Louis XIII y fut installé en 1824. La Vierge est raphaélesque, sa pose se ressent du projet initial, une Assomption. Une très belle étude montre les anges qui écartent les rideaux dans des poses chorégraphiques, nettement atténuées malheureusement dans le tableau. Le Vœu fit taire les ennemis d’Ingres, qui rentra à Paris. <o:p></o:p>

    Dix ans s’ensuivirent, de reconnaissance : Delacroix et l’école romantique lui rendent justice ; il a la Légion d’Honneur, est nommé président de l’Ecole des Beaux-Arts. Le Martyre de saint Symphorien lui est commandé par l’évêque d’Autun, lieu du martyre. De nombreux dessins mettent en lumière la mise en place, lente, des nombreux personnages, de leurs attitudes et de leurs gestes. Le tableau reprend la légende dorée du saint : la mère de Symphorien s’adresse à son fils « de dessus le mur » en lui montrant le ciel, « Mon fils, mon fils, souviens-toi de la vie éternelle ; lève les yeux en haut, et contemple celui qui règne dans le ciel. On ne t’ôte point la vie, on la change pour une meilleure existence », tandis que le préteur, d’un geste (illustration), ordonne le supplice du jeune homme qui a refusé d’honorer la statue de Vénus.<o:p></o:p>

    Hélas ! le tableau, présenté au public en 1834, s’attira une bordée immédiatement lâchée, cruelle. Ulcéré, le peintre demanda et obtint le poste de directeur de la Villa Médicis, où il resta six ans. (Il fut un excellent directeur, actif, proche des élèves, exigeant.) L’estime que provoqua son tableau Stratonice (1840) adoucit sa blessure et le décida à regagner Paris, à jamais cette fois. L’unanimité qui avait fait défaut était totale désormais, n’y manqua que l’acquiescement de Delacroix avec qui le désaccord artistique était définitif.<o:p></o:p>

    La peinture d’Ingres a souvent, malgré bien des qualités, un côté ennuyeux. Ses dessins aussi , ils expliquent ce défaut, d’ordre technique et non imaginatif : il a cherché la pureté calligraphique du trait et non sa spontanéité (pour reprendre l’analyse et les termes d’Henri Charlier). Quand Catherine Lépront écrit que « Plus l’idée se précise plus le dessin est épuré. Le corps semble perdre de sa matière, littéralement se désincarner pour qu’il n’en subsiste que son contour essentiel, sa forme stricte, comme si Ingres avait procédé par gommages successifs de données superflues » – quand elle écrit cela elle a partiellement raison dans la mesure où Ingres a en partie tort, ce ne sont pas des données superflues qui ont été gommées, mais la vie même du corps que seule la vivacité du trait communique. « Il faut modeler rond, et sans détails intérieurs apparents », disait Ingres ; les figures deviennent alors ces silhouettes que C. Lépront nomme des ombres permanentes.<o:p></o:p>

    Ingres était tout exigence à l’égard de son art, et c’est à son honneur, mais il se trompa de méthode. Ce pourquoi ses contemporains l’admiraient, était en réalité une faiblesse. Ingres, à force de surveiller sa ligne, ennuie comme, à table, une femme qui surveille la sienne au lieu de profiter.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Ingres, Ombres permanentes, <o:p></o:p>

    jusqu’au 4 janvier 2009, Musée de la Vie romantique<o:p></o:p>

    Illustration : Le préteur (détail du Martyre de st Symphorien) © Musée Ingres, Cliché Roumagnac<o:p></o:p>


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  • Benoît XVI aux Bernardins<o:p></o:p>

    Leçon inaugurale<o:p></o:p>

    Présent du 15 septembre 08<o:p></o:p>

    Les origines de la théologie occidentale et les racines de la culture européenne, tel est le thème qu’a traité Benoît XVI au Collège des Bernardins vendredi soir devant les responsables de la culture. Ora et labora.<o:p></o:p>

    L’importance de l’activité monastique dans la formation de la culture chrétienne est d’emblée soulignée. Cette culture est née d’une recherche, non au sens moderne du mot – les responsables de la pastorale l’emploient pour parler d’une aimable perte des certitudes –, mais au contraire d’une acquisition : Quaerere Deum, recherche à laquelle la Parole révélée contribue efficacement.<o:p></o:p>

    Intéressés à la Parole divine, les moines ne pouvaient que se pencher sur le langage humain qui l’a exprimée. « La recherche de Dieu requiert donc, intrinsèquement, une culture de la parole […]. Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu est en chemin vers nous et nous vers Lui, ils devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes. » <o:p></o:p>

    Cette Parole devenue dialogue entre l’homme et Dieu par la récitation des psaumes, donna naissance à un chant en rapport avec celui des anges en présence du Tout Puissant (ici le Pape a des phrase qui rappellent la Sainte Liturgie), et plus largement à la musique occidentale. « De cette exigence capitale de parler avec Dieu et de Le chanter avec les mots qu’Il a Lui-même donnés est née la grande musique occidentale. Ce n’était pas là l’œuvre d’une « créativité » personnelle où l’individu, prenant comme critère essentiel la représentation de son propre moi, s’érige un monument à lui-même. Il s’agissait plutôt de reconnaître attentivement avec les « oreilles du cœur » les lois constitutives de l’harmonie musicale de la création, les formes essentielles de la musique émise par le Créateur dans le monde et en l’homme, et d’inventer une musique digne de Dieu qui soit, en même temps, authentiquement digne de l’homme et qui proclame hautement cette dignité. » <o:p></o:p>

    La spécificité de la Parole biblique réclame son interprétation à la lueur de l’Esprit qui vivifie et qui rend libre mais n’autorise aucune subjectivité : l’homme libre est lié par un lien d’intelligence et d’amour. « Cette tension entre le lien et la liberté, qui va bien au-delà du problème littéraire de l’interprétation de l’Écriture, a déterminé aussi la pensée et l’œuvre du monachisme et a profondément modelé la culture occidentale. Cette tension se présente à nouveau à notre génération comme un défi face aux deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, de l’autre, le fanatisme fondamentaliste. Si la culture européenne d’aujourd’hui comprenait désormais la liberté comme l’absence totale de liens, cela serait fatal et favoriserait inévitablement le fanatisme et l’arbitraire. L’absence de liens et l’arbitraire ne sont pas la liberté, mais sa destruction. » <o:p></o:p>

    L’autre aspect de la vie monacale, le travail, par lequel l’homme collabore à l’œuvre du Créateur, explique « le développement de l’Europe, son ethos et sa conception du monde ». Cette collaboration consiste aussi à rendre la foi communicable à ceux qui recherchent le dieu inconnu car au-dessus des cultures diverses existe la Vérité. « Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable. »<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p><o:p></o:p>Choisir un sujet aussi polémique que celui des racines chrétiennes de la culture européenne face à un auditoire composé de représentants d’une culture obstinément renégate, de têtes telles que celles de Chirac et de Delanoë, de représentants du culte musulman, revenait à mettre les pieds dans le plat. La tranquillité et l’assurance des propos de Benoît XVI sont une marque d’autorité indéniable, sur les païens comme sur les catholiques qui ne seraient pas disposés à les faire leurs. La netteté des idées pontificales s’oppose à la dysphasie du collège épiscopal français confit en bégaiements et approximations. Cette allocution constitue une véritable leçon inaugurale qui indique ce que serait la vocation retrouvée des Bernardins si les autorités ecclésiastiques locales substituaient au Relativisme ambiant la Sagesse chrétienne mentionnée par Benoît XVI. Au-delà, elle rappelle aux chrétiens comment ils doivent occuper « la scène culturelle ».<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Texte complet de l’allocution papale


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  • Journées du Patrimoine<o:p></o:p>

    Notes patrimoniales<o:p></o:p>

    Présent du 20 septembre 08<o:p></o:p>

    Un attroupement de jeunesses en liesse ou en pâmoison devant un hôtel XVIIe, ce n’est pas ce que vous croyez. Pas d’engouement subit pour la bonne architecture, mais une arrivée d’extatiques fans débraillés et percés. L’hôtel de Brossier (3e arr.) fête les Journées du Patrimoine à l’insu de son plein gré en hébergeant depuis hier soir les candidats de la Star Academy, apprentis paillettes ou futures paillasses enfermés pour trois mois dans ces vénérables murs. Programme vraisemblable : glapissements dans la cage d’escalier, verlan dans les ruelles, caméras dans les commodités… Qu’en penseront les Mânes de Guillaume Brossier, trésorier des Guerres dans les années 1640 ? Les bobos de la rue Charlot sont plus fâchés par le dérangement occasionné, plus inquiets du débarquement d’un peu de banlieue que choqués par l’irruption de la télé-réalité dans le Marais historique. <o:p></o:p>

    *<o:p></o:p>

    Les Mânes des vieux Romains, Joachim du Bellay au moment de méditer sur les Antiquités de l’Urbs et sur le destin d’icelle, les invoquait classiquement : trois tours de tombeau, trois appels, « J’invoque ici votre antique fureur / En cependant que d’une sainte horreur / Je vais chantant votre gloire plus belle. » Méthode douce que l’acclamative ! Désormais le marteau-piqueur les réveille. La gestion des travaux à Rome ne se simplifie pas. Le creusement d’un parking de 700 places dans le quartier du Pincio est bloqué suite à la découverte d’une citadelle. La construction de la ligne C du métro a trébuché dans un escalier impérial. Entre l’évacuation nocturne des vestiges par de ruffians entrepreneurs et l’immobilisation du paysage, les Romains au cas par cas tentent de trouver une solution qui ne lèse ni le passé ni le futur. A Naples, où le problème se pose autant, les vestiges d’un temple du 1er siècle ont été intégrés à la station de métro à l’origine de leur invention. Roberto Cecchi, haut responsable au ministère des Biens culturels, s’extasie : « Avant de monter dans les rames, les passagers marcheront dans un temple romain… Splendide. » Les pique-poquets en provenance de Dacie ou d’Illyrie en profiteront pour invoquer Mercure, dieu des voleurs.<o:p></o:p>

    *<o:p></o:p>

    Chez nous, la manie est à la restauration menée selon les règles de l’art puis, au nom d’une prétendue continuité, à l’installation d’œuvres saugrenues au beau milieu des vieilles pierres remontées. C’est le thème même de ces 25e Journées : liens entre création et patrimoine. Ce qui est en réalité un parasitisme esthétique est d’ailleurs né il y a environ cinq lustres. Les emblématiques colonnes de Buren datent de 1986. Les Angevins se souviennent de la suspension aux murailles du château, par Grau-Garriga en 1989, de gigantesques draps qui semblaient attendre l’essorage. Aujourd’hui le procédé est commun. Ainsi les figures ectoplasmiques et fumeuses de Claudio Parmiggiani  dénatureront-elles prochainement les lignes gothiques du Collège des Bernardins, dont la lisibilité architecturale était en rapport avec la clarté intellectuelle qu’y acquéraient jadis les Cisterciens (cf. Présent de samedi dernier) ; ainsi les châteaux s’encombrent-ils de pouilleries, Fontainebleau d’une quinzaine de bêtises en partenariat avec le Palais de Tokyo, et Versailles des plus coûteux bibelots au monde, ceux de Jeff Koons, l’artiste ne connaissant d’autres étiquettes que celles des prix.<o:p></o:p>

    *<o:p></o:p>

    Cependant tout cela passera, hormis les séjours qu’ont bâtis nos aïeux : ils ont une durée de vie excellente puisque édifiés en matériaux nobles – j’appelle matériaux nobles les matériaux qui vieillissent bien, c’est-à-dire capables de résister à l’usure tout en se patinant –, leur lente usure ne demande de restauration que rarement tandis que le moderne s’effrite et se gâte avec une rapidité plaisante. La rénovation des susdites colonnes de Buren commence symboliquement ce week-end et comme il n’y a pas de petits profits, la palissade du chantier a été dessinée par Daniel Buren lui-même. Le Centre Pompidou a dû être restauré au bout de vingt ans. On peut prévoir qu’il mourra toutes gouttières crevées, infiltré de partout, dans une incontinence totale. Les zœuvres contemporaines pour lesquels le plasticien emploie tout ce qui lui tombe sous la main, voire les matières les plus organiques de son enveloppe corporelle sous l’emprise d’une inspiration métabolique, posent d’ores et déjà de cruelles difficultés aux restaurateurs. Avec quoi restaurer un gratin de pâtes jeté sur une toile mal tendue tout en respectant le travail de l’artiste ? Il suffira d’une génération désoccupée de ces choses, ou simplement désargentée – on sait que le budget du patrimoine est de plus en plus restreint –, pour que pourrisse dans les réserves, tel le portrait de Dorian Gray, la quasi-totalité d’un art congénitalement sujet à péremption.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Illustration : Portail de l’Hôtel de Brossier : lion et cornes d’abondance © Schwa Ltd<o:p></o:p>


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  • Discours du pape Benoît XVI

    au collège des Bernardins à l'occasion de sa rencontre avec le monde de la culture

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

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    Paris, le vendredi 12 septembre
    Source : Vatican

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    Discours de Benoît XVI <o:p></o:p>

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    Monsieur le Cardinal,<o:p></o:p>

    Madame le Ministre de la Culture,<o:p></o:p>

    Monsieur le Maire,<o:p></o:p>

    Monsieur le Chancelier de l’Institut,<o:p></o:p>

    Chers amis,<o:p></o:p>

    Merci, Monsieur le Cardinal, pour vos aimables paroles. Nous nous trouvons dans un lieu historique, lieu édifié par les fils de saint Bernard de Clairvaux et que votre prédécesseur, le regretté Cardinal Jean-Marie Lustiger, a voulu comme un centre de dialogue de la Sagesse chrétienne avec les courants culturels intellectuels et artistiques de votre société. Je salue particulièrement Madame le Ministre de la Culture qui représente le gouvernement, ainsi que Messieurs Giscard d’Estaing et Chirac. J’adresse également mes salutations aux ministres présents, aux représentants de l’Unesco, à Monsieur le Maire de Paris et à toutes les autorités. Je ne veux pas oublier mes collègues de l’Institut de France qui savent ma considération et je désire remercier le Prince de Broglie de ses paroles cordiales. Nous nous reverrons demain matin. Je remercie les délégués de la communauté musulmane française d’avoir accepté de participer à cette rencontre ; je leur adresse mes vœux les meilleurs en ce temps du ramadan. Mes salutations chaleureuses vont maintenant tout naturellement vers l’ensemble du monde multiforme de la culture que vous représentez si dignement, chers invités.<o:p></o:p>

    J’aimerais vous parler ce soir des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne. J’ai mentionné en ouverture que le lieu où nous nous trouvons était emblématique. Il est lié à la culture monastique. De jeunes moines ont ici vécu pour s’initier profondément à leur vocation et pour bien vivre leur mission. Ce lieu évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou n’y rencontrons-nous qu’un monde désormais révolu ? Pour pouvoir répondre, nous devons réfléchir un instant sur la nature même du monachisme occidental. De quoi s’agissait-il alors ? En considérant les fruits historiques du monachisme, nous pouvons dire qu’au cours de la grande fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la formation des nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle. Comment cela s’est-il passé ? Quelle était la motivation des personnes qui se réunissaient en ces lieux ? Quelles étaient leurs désirs ? Comment ont-elles vécu ?<o:p></o:p>

    Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. On dit que leur être était tendu vers l’« eschatologie ». Mais cela ne doit pas être compris au sens chronologique du terme – comme s’ils vivaient les yeux tournés vers la fin du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel : derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif. Quaerere Deum : comme ils étaient chrétiens, il ne s’agissait pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche consistait à la trouver et à la suivre. Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes. La recherche de Dieu requiert donc, intrinsèquement, une culture de la parole, ou, comme le disait Dom Jean Leclercq (1) : eschatologie et grammaire sont dans le monachisme occidental indissociables l’une de l’autre (cf. L’Amour des lettres et le désir de Dieu, p.14). Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu est en chemin vers nous et nous vers Lui, ils devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un chemin vers la parole. Saint Benoît appelle le monastère une dominici servitii schola, une école du service du Seigneur. L’école et la bibliothèque assuraient la formation de la raison et l’eruditio, sur la base de laquelle l’homme apprend à percevoir, au milieu des paroles, la Parole.<o:p></o:p>

    Pour avoir une vision d’ensemble de cette culture de la parole liée à la recherche de Dieu, nous devons faire un pas supplémentaire. La Parole qui ouvre le chemin de la recherche de Dieu et qui est elle-même ce chemin est une Parole qui donne naissance à une communauté. Elle remue certes jusqu’au fond d’elle-même chaque personne en particulier (cf. Ac 2, 37). Grégoire le Grand décrit cela comme une douleur forte et inattendue qui secoue notre âme somnolente et nous réveille pour nous rendre attentifs à Dieu (cf. Leclercq, ibid., p. 35). Mais elle nous rend aussi attentifs les uns aux autres. La Parole ne conduit pas uniquement sur la voie d’une mystique individuelle, mais elle nous introduit dans la communauté de tous ceux qui cheminent dans la foi. C’est pourquoi il faut non seulement réfléchir sur la Parole, mais également la lire de façon juste. Tout comme à l’école rabbinique, chez les moines, la lecture accomplie par l’un d’eux est également un acte corporel. « Le plus souvent, quand legere et lectio sont employés sans spécification, ils désignent une activité qui, comme le chant et l’écriture, occupe tout le corps et tout l’esprit », dit à ce propos Dom Leclercq (ibid., p. 21).<o:p></o:p>

    Il y a encore un autre pas à faire. La Parole de Dieu elle-même nous introduit dans un dialogue avec Lui. Le Dieu qui parle dans la Bible nous enseigne comment nous pouvons Lui parler. En particulier, dans le Livre des Psaumes, il nous donne les mots avec lesquels nous pouvons nous adresser à Lui. Dans ce dialogue, nous Lui présentons notre vie, avec ses hauts et ses bas, et nous la transformons en un mouvement vers Lui. Les Psaumes contiennent en plusieurs endroits des instructions sur la façon dont ils doivent être chantés et accompagnés par des instruments musicaux. Pour prier sur la base de la Parole de Dieu, la seule labialisation ne suffit pas, la musique est nécessaire. Deux chants de la liturgie chrétienne dérivent de textes bibliques qui les placent sur les lèvres des Anges : le Gloria qui est chanté une première fois par les Anges à la naissance de Jésus, et le Sanctus qui, selon Isaïe 6, est l’acclamation des Séraphins qui se tiennent dans la proximité immédiate de Dieu. Sous ce jour, la Liturgie chrétienne est une invitation à chanter avec les anges et à donner à la parole sa plus haute fonction. À ce sujet, écoutons encore une fois Jean Leclercq : « Les moines devaient trouver des accents qui traduisent le consentement de l’homme racheté aux mystères qu’il célèbre : les quelques chapiteaux de Cluny qui nous aient été conservés montrent les symboles christologiques des divers tons du chant » (cf. ibid., p. 229).<o:p></o:p>

    Pour saint Benoît, la règle déterminante de la prière et du chant des moines est la parole du Psaume : Coram angelis psallam Tibi, Domine – en présence des anges, je veux te chanter, Seigneur (cf. 138, 1). Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière communautaire, en présence de toute la cour céleste, et donc d’être soumis à la mesure suprême : prier et chanter pour s’unir à la musique des esprits sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos, de la musique des sphères. Les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté. De cette exigence capitale de parler avec Dieu et de Le chanter avec les mots qu’Il a Lui-même donnés est née la grande musique occidentale. Ce n’était pas là l’œuvre d’une « créativité » personnelle où l’individu, prenant comme critère essentiel la représentation de son propre moi, s’érige un monument à lui-même. Il s’agissait plutôt de reconnaître attentivement avec les « oreilles du cœur » les lois constitutives de l’harmonie musicale de la création, les formes essentielles de la musique émise par le Créateur dans le monde et en l’homme, et d’inventer une musique digne de Dieu qui soit, en même temps, authentiquement digne de l’homme et qui proclame hautement cette dignité.<o:p></o:p>

    Enfin, pour s’efforcer de saisir cette culture monastique occidentale de la parole, qui s’est développée à partir de la quête intérieure de Dieu, il faut au moins faire une brève allusion à la particularité du Livre ou des Livres par lesquels cette Parole est parvenue jusqu’aux moines. Vue sous un aspect purement historique ou littéraire, la Bible n’est pas un simple livre, mais un recueil de textes littéraires dont la rédaction s’étend sur plus d’un millénaire et dont les différents livres ne sont pas facilement repérables comme constituant un corpus unifié. Au contraire, des tensions visibles existent entre eux. C’est déjà le cas dans la Bible d’Israël, que nous, chrétiens, appelons l’Ancien Testament. Ça l’est plus encore quand nous, chrétiens, lions le Nouveau Testament et ses écrits à la Bible d’Israël en l’interprétant comme chemin vers le Christ. Avec raison, dans le Nouveau Testament, la Bible n’est pas de façon habituelle appelée « l’Écriture » mais « les Écritures » qui, cependant, seront ensuite considérées dans leur ensemble comme l’unique Parole de Dieu qui nous est adressée. Ce pluriel souligne déjà clairement que la Parole de Dieu nous parvient seulement à travers la parole humaine, à travers des paroles humaines, c’est-à-dire que Dieu nous parle seulement dans l’humanité des hommes, et à travers leurs paroles et leur histoire. Cela signifie, ensuite, que l’aspect divin de la Parole et des paroles n’est pas immédiatement perceptible. Pour le dire de façon moderne : l’unité des livres bibliques et le caractère divin de leurs paroles ne sont pas saisissables d’un point de vue purement historique. L’élément historique se présente dans le multiple et l’humain. Ce qui explique la formulation d’un distique médiéval qui, à première vue, apparaît déconcertant : Littera gesta docet – quid credas allegoria… (cf. Augustin de Dacie, Rotulus pugillaris, I). La lettre enseigne les faits ; l’allégorie ce qu’il faut croire, c’est-à-dire l’interprétation christologique et pneumatique.<o:p></o:p>

    Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a besoin de l’interprétation, et elle a besoin de la communauté où elle s’est formée et où elle est vécue. En elle seulement, elle a son unité et, en elle, se révèle le sens qui unifie le tout. Dit sous une autre forme : il existe des dimensions du sens de la Parole et des paroles qui se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire. À travers la perception croissante de la pluralité de ses sens, la Parole n’est pas dévalorisée, mais elle apparaît, au contraire, dans toute sa grandeur et sa dignité. C’est pourquoi le Catéchisme de l’Église catholique peut affirmer avec raison que le christianisme n’est pas au sens classique seulement une religion du livre (cf. n. 108). Le christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même, qui déploie son mystère à travers cette multiplicité. Cette structure particulière de la Bible est un défi toujours nouveau posé à chaque génération. Selon sa nature, elle exclut tout ce qu’on appelle aujourd’hui « fondamentalisme ». La Parole de Dieu, en effet, n’est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de là, doit devenir également un processus vital. Ce n’est que dans l’unité dynamique de leur ensemble que les nombreux livres ne forment qu’un Livre. La Parole de Dieu et Son action dans le monde se révèlent dans la parole et dans l’histoire humaines.<o:p></o:p>

    Le caractère crucial de ce thème est éclairé par les écrits de saint Paul. Il a exprimé de manière radicale ce que signifient le dépassement de la lettre et sa compréhension holistique, dans la phrase : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6). Et encore : « Là où est l’Esprit…, là est la liberté » (2 Co 3, 17). Toutefois, la grandeur et l’ampleur de cette perception de la Parole biblique ne peut se comprendre que si l’on écoute saint Paul jusqu’au bout, en apprenant que cet Esprit libérateur a un nom et que, de ce fait, la liberté a une mesure intérieure : « Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté » (2 Co 3, 17). L’Esprit qui rend libre ne se laisse pas réduire à l’idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète. L’Esprit est Christ, et le Christ est le Seigneur qui nous montre le chemin. Avec cette parole sur l’Esprit et sur la liberté, un vaste horizon s’ouvre, mais en même temps, une limite claire est mise à l’arbitraire et à la subjectivité, limite qui oblige fortement l’individu tout comme la communauté et noue un lien supérieur à celui de la lettre du texte : le lien de l’intelligence et de l’amour. Cette tension entre le lien et la liberté, qui va bien au-delà du problème littéraire de l’interprétation de l’Écriture, a déterminé aussi la pensée et l’œuvre du monachisme et a profondément modelé la culture occidentale. Cette tension se présente à nouveau à notre génération comme un défi face aux deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, de l’autre, le fanatisme fondamentaliste. Si la culture européenne d’aujourd’hui comprenait désormais la liberté comme l’absence totale de liens, cela serait fatal et favoriserait inévitablement le fanatisme et l’arbitraire. L’absence de liens et l’arbitraire ne sont pas la liberté, mais sa destruction.<o:p></o:p>

    En considérant « l’école du service du Seigneur » – comme Benoît appelait le monachisme –, nous avons jusque-là porté notre attention prioritairement sur son orientation vers la parole, vers l’« ora ». Et, de fait, c’est à partir de là que se détermine l’ensemble de la vie monastique. Mais notre réflexion resterait incomplète si nous ne fixions pas aussi notre regard, au moins brièvement, sur la deuxième composante du monachisme, désignée par le terme « labora ». Dans le monde grec, le travail physique était considéré comme l’œuvre des esclaves. Le sage, l’homme vraiment libre, se consacrait uniquement aux choses de l’esprit ; il abandonnait le travail physique, considéré comme une réalité inférieure, à ces hommes qui n’étaient pas supposés atteindre cette existence supérieure, celle de l’esprit. La tradition juive était très différente : tous les grands rabbins exerçaient parallèlement un métier artisanal. Paul, comme rabbi puis comme héraut de l’Évangile aux Gentils, était un fabricant de tentes et il gagnait sa vie par le travail de ses mains. Il n’était pas une exception, mais il se situait dans la tradition commune du rabbinisme. Le monachisme chrétien a accueilli cette tradition : le travail manuel en est un élément constitutif. Dans sa Regula, Benoît ne parle pas au sens strict de l’école, même si l’enseignement et l’apprentissage – comme nous l’avons vu – étaient acquis dans les faits ; en revanche, il parle explicitement du travail (cf. chap. 48). Augustin avait fait de même en consacrant au travail des moines un livre particulier. Les chrétiens, s’inscrivant dans la tradition pratiquée depuis longtemps par le judaïsme, devaient, en outre, se sentir interpellés par la parole de Jésus dans l’Évangile de Jean, où il défendait son action le jour du shabbat : « Mon Père (…) est toujours à l’œuvre, et moi aussi je suis à l’œuvre » (5, 17). Le monde gréco-romain ne connaissait aucun Dieu Créateur. La divinité suprême selon leur vision ne pouvait pas, pour ainsi dire, se salir les mains par la création de la matière. L’« ordonnancement » du monde était le fait du démiurge, une divinité subordonnée. Le Dieu de la Bible est bien différent : Lui, l’Un, le Dieu vivant et vrai, est également le Créateur. Dieu travaille, Il continue d’œuvrer dans et sur l’histoire des hommes. Et dans le Christ, Il entre comme Personne dans l’enfantement laborieux de l’histoire. « Mon Père est toujours à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre. » Dieu Lui-même est le Créateur du monde, et la création n’est pas encore achevée. Dieu travaille ! C’est ainsi que le travail des hommes devait apparaître comme une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde. Sans cette culture du travail qui, avec la culture de la parole, constitue le monachisme, le développement de l’Europe, son ethos et sa conception du monde sont impensables. L’originalité de cet ethos devrait cependant faire comprendre que le travail et la détermination de l’histoire par l’homme sont une collaboration avec le Créateur, qui ont en Lui leur mesure. Là où cette mesure vient à manquer et là où l’homme s’élève lui-même au rang de créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement aboutir à sa destruction.<o:p></o:p>

    Nous sommes partis de l’observation que, dans l’effondrement de l’ordre ancien et des antiques certitudes, l’attitude de fond des moines était le quaerere Deum – se mettre à la recherche de Dieu. C’est là, pourrions-nous dire, l’attitude vraiment philosophique : regarder au-delà des réalités pénultièmes et se mettre à la recherche des réalités ultimes qui sont vraies. Celui qui devenait moine s’engageait sur un chemin élevé et long, il était néanmoins déjà en possession de la direction : la Parole de la Bible dans laquelle il écoutait Dieu parler. Dès lors, il devait s’efforcer de Le comprendre pour pouvoir aller à Lui. Ainsi, le cheminement des moines, tout en restant impossible à évaluer dans sa progression, s’effectuait au cœur de la Parole reçue. La quête des moines comprend déjà en soi, dans une certaine mesure, sa résolution. Pour que cette recherche soit possible, il est nécessaire qu’il existe dans un premier temps un mouvement intérieur qui suscite non seulement la volonté de chercher, mais qui rende aussi crédible le fait que dans cette Parole se trouve un chemin de vie, un chemin de vie sur lequel Dieu va à la rencontre de l’homme pour lui permettre de venir à Sa rencontre. En d’autres termes, l’annonce de la Parole est nécessaire. Elle s’adresse à l’homme et forge en lui une conviction qui peut devenir vie. Afin que s’ouvre un chemin au cœur de la parole biblique en tant que Parole de Dieu, cette même Parole doit d’abord être annoncée ouvertement. L’expression classique de la nécessité pour la foi chrétienne de se rendre communicable aux autres se résume dans une phrase de la Première Lettre de Pierre, que la théologie médiévale regardait comme le fondement biblique du travail des théologiens : « Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte (logos) de l’espérance qui est en vous » (3, 15). (Logos doit devenir apo-logie, la Parole doit devenir réponse). De fait, les chrétiens de l’Église naissante ne considéraient pas leur annonce missionnaire comme une propagande qui devait servir à augmenter l’importance de leur groupe, mais comme une nécessité intrinsèque qui dérivait de la nature de leur foi. Le Dieu en qui ils croyaient était le Dieu de tous, le Dieu Un et Vrai qui s’était fait connaître au cours de l’histoire d’Israël et, finalement, à travers son Fils, apportant ainsi la réponse qui concernait tous les hommes et que, au plus profond d’eux-mêmes, tous attendent. L’universalité de Dieu et l’universalité de la raison ouverte à Lui constituaient pour eux la motivation et, à la fois, le devoir de l’annonce. Pour eux, la foi ne dépendait pas des habitudes culturelles, qui sont diverses selon les peuples, mais relevait du domaine de la vérité qui concerne, de manière égale, tous les hommes.<o:p></o:p>

    Le schéma fondamental de l’annonce chrétienne ad extra – aux hommes qui, par leurs questionnements, sont en recherche – se dessine dans le discours de saint Paul à l’Aréopage. N’oublions pas qu’à cette époque, l’Aréopage n’était pas une sorte d’académie où les esprits les plus savants se rencontraient pour discuter sur les sujets les plus élevés, mais un tribunal qui était compétent en matière de religion et qui devait s’opposer à l’intrusion de religions étrangères. C’est précisément ce dont on accuse Paul : « On dirait un prêcheur de divinités étrangères » (Ac 17, 18). Ce à quoi Paul réplique : « J’ai trouvé chez vous un autel portant cette inscription : “Au dieu inconnu”. Or, ce que vous vénérez sans le connaître, je viens vous l’annoncer » (cf. 17, 23). Paul n’annonce pas des dieux inconnus. Il annonce Celui que les hommes ignorent et pourtant connaissent : l’Inconnu-Connu. C’est Celui qu’ils cherchent, et dont, au fond, ils ont connaissance et qui est cependant l’Inconnu et l’Inconnaissable. Au plus profond, la pensée et le sentiment humains savent de quelque manière que Dieu doit exister et qu’à l’origine de toutes choses, il doit y avoir non pas l’irrationalité, mais la Raison créatrice, non pas le hasard aveugle, mais la liberté. Toutefois, bien que tous les hommes le sachent d’une certaine façon – comme Paul le souligne dans la Lettre aux Romains (1, 21) – cette connaissance demeure ambiguë : un Dieu seulement pensé et élaboré par l’esprit humain n’est pas le vrai Dieu. Si Lui ne se montre pas, quoi que nous fassions, nous ne parvenons pas pleinement jusqu’à Lui. La nouveauté de l’annonce chrétienne c’est la possibilité de dire maintenant à tous les peuples : Il s’est montré, Lui personnellement. Et à présent, le chemin qui mène à Lui est ouvert. La nouveauté de l’annonce chrétienne réside en un fait : Dieu s’est révélé. Ce n’est pas un fait nu mais un fait qui, lui-même, est Logos – présence de la Raison éternelle dans notre chair. Verbum caro factum est (Jn 1, 14) : il en est vraiment ainsi en réalité, à présent, le Logos est là, le Logos est présent au milieu de nous. C’est un fait rationnel. Cependant, l’humilité de la raison sera toujours nécessaire pour pouvoir l’accueillir. Il faut l’humilité de l’homme pour répondre à l’humilité de Dieu.<o:p></o:p>

    Sous de nombreux aspects, la situation actuelle est différente de celle que Paul a rencontrée à Athènes, mais, tout en étant différente, elle est aussi, en de nombreux points, très analogue. Nos villes ne sont plus remplies d’autels et d’images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne. Quaerere Deum – chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable.<o:p></o:p>

    Merci beaucoup.<o:p></o:p>


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  • Patrimoine<o:p></o:p>

    Enfin les Bernardins<o:p></o:p>

    Présent du 13 septembre 08<o:p></o:p>

    Benoît XVI a prononcé hier une allocution à l’usage « du monde de la culture » dans le Collège des Bernardins retapé. La restauration de ce bâtiment, morceau cistercien d’envergure en plein Paris, symbole de la vie intellectuelle de l’Eglise, était aussi attendue que la venue de ce pape digne de l’inaugurer. Le collège fut fondé en 1246 par Etienne de Lexington, abbé de Clairvaux, afin de donner aux moines de l’ordre une solide formation intellectuelle : il ne tenait pas à ce qu’ils se laissassent distancer dans ce domaine par les Dominicains. Le développement des universités incitait par ailleurs les ordres monacaux à se doter de systèmes propres. Au siècle suivant, le  collège passa à la maison mère (Cîteaux) et fut agrandi, doté d’une église avec l’appui de Benoît XII, fils de meunier et ancien élève.  <o:p></o:p>

    La Ville, à qui le bâtiment appartenait depuis 1805, n’avait osé se lancer dans des travaux a priori herculéens. Le diocèse s’en est rendu acquéreur et, réalisant la volonté de Mgr Lustiger, les a menés à bien . <o:p></o:p>

    Il y avait fort à faire. Le collège, fermé et nationalisé en 1790, servit de prison pour les galériens en attente – lors des massacres de Septembre, soixante-dix de ces pauvres diables furent massacrés par les Sans Culottes qui pensaient avoir affaire à des moines déguisés et qui, dans le doute, appliquèrent le principe de précaution. L’église fut vendue en 1797 puis partiellement rasée, les vestiges disparurent lors du percement du boulevard Saint-Germain (1859). Le corps qui subsiste des dépeçages et remaniements urbains servit de grenier à farine, de magasin d’huile pour les réverbères, d’école des Frères des Etudes chrétiennes, de dépôt des archives municipales, et enfin de caserne des pompiers et d’internat de l’Ecole de police entre 1845 et 1993. <o:p></o:p>

    Cette bâtisse oblongue (<st1:metricconverter productid="71 m│tres">71 mètres</st1:metricconverter> de long sur 14 de large) est rythmée sur la rue de Poissy par ses contreforts. A l’intérieur, la salle principale est un vaisseau divisé en trois nefs par deux files de fines colonnes qui portent des voûtes bandées d’ogives à biseau. Les diverses perspectives sont enchanteresses. En sous-sol, le cellier, voûté d’ogives lui aussi, a été déblayé, les moines l’ayant comblé finalement pour stabiliser le gros œuvre mis en péril par des affaissements. Tel qu’il est désormais, cloisonné en petites salles de cours, on est privé de son aspect général, mais ses piles trapues, qui contrastent avec les colonnes du rez-de-chaussée, sont impressionnantes. A l’étage était le dortoir. L’escalier fin XVIIe qui, suivant l’usage cistercien, le reliait à la chapelle, était à double révolution comme à Chambord. Il a été hélas supprimé à une date inconnue. <o:p></o:p>

    Prouesse technique des restaurateurs, les étages supérieurs, pour alléger la charge pesant sur les fines colonnes de la salle du rez-de-chaussée, ont été suspendus par câbles à la charpente métallique des combles, lesquels ont retrouvé leurs proportions originelles. Les travaux ont apporté leur lot d’émotions, comme l’exhumation de la pierre tombale de frère Günther, venu étudier de Thuringe, mort en 1306 ; comme la découverte d’ un grand Christ qui fut polychrome et d’une statue de femme, sans sa tête.<o:p></o:p>

    Aujourd’hui pour le collège des Bernardins, « il s'agit d'offrir un lieu du dialogue intellectuel et spirituel sans lequel les grands tournants de l'histoire ne peuvent se prendre dans la sérénité », dixit Mgr Vingt-Trois. Ce sera un lieu « de questionnements et d’enrichissements mutuels, point de convergence de divers modes d’expression et de recherche autour de la question centrale de l’homme et de son avenir. » Dialogue, questionnement, recherche… Vocabulaire épiscopal de base. Qu’en sera-t-il concrètement ? <o:p></o:p>

    L’art contemporain y sera accueilli, suivant la mode du parasitisme esthétique. Il est probable que se confirment certaines tendances rouettistes, décelables dans une conférence du Carême dernier à Notre-Dame. Un Institut J.-M. Lustiger permettra d’accéder aux archives du prélat ; il est fait savoir que les doctorants y seront bien accueillis. Côté formation, le Collège abrite dès cette rentrée l’Ecole Cathédrale, qui tout en étant « attentive à donner accès à l’enseignement du Concile Vatican II »,  « invite à scruter la Tradition de l’Église pour en recevoir les richesses ». Sur ce point les étudiants les plus curieux gagneront à se promener dans la voisine rue des Bernardins. <o:p></o:p>

    Enfin, un pôle de recherches est constitué sous le nom de Chaire des Bernardins (Sociétés humaines et responsabilités éducatives, Economie et société…) et les conférences du mardi traiteront  de l’économie sociale de marché, des tensions humaines dans l’entreprise… Ça fleure bon le management ! Qu’est-ce qui sortira d’intitulés aussi rébarbatifs, de tournure si peu chrétienne ? La vie intellectuelle du diocèse de Paris répondra-t-elle à ce programme ambitieux ? La Foi, minimisée dans ce projet « au service de l’homme », y trouvera-t-elle son compte ?<o:p></o:p>

    Samuel

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    Allocution du Pape au Collège des Bernardins

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