• A la Cité de l’Architecture et du Patrimoine<o:p></o:p>

    La Vierge et l’Enfant<o:p></o:p>

    Présent du 31 janvier 2009<o:p></o:p>

    Destinataire et sujet d’innombrables hymnes, odes et textes – toute une littérature dont saint Bernard fut à l’origine – la Vierge Marie est également omniprésente dans la sculpture médiévale, monumentale ou privée. A côté des épisodes de la vie de la Vierge, qui constituent une série parallèle à ceux de la vie du Christ qu’elle précède, recoupe, puis prolonge, l’image la plus marquante, celle qui vient immédiatement à l’esprit, est la Vierge à l’Enfant. Cette étiquette cache de substantielles différences : il en existe plusieurs types. Les plâtres sortis des réserves de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine sont autant de témoins de particularismes régionaux, d’évolutions spirituelles et artistiques sur quatre siècles (XIIIe-XVIe).<o:p></o:p>

    L’art roman est représenté par la Vierge de Mantes-la-Jolie, du début XIIIe. Le plâtre est patiné de manière à imiter le bois peint original. Nous sommes face à la Vierge « Trône de sagesse » : elle tient sur son genou gauche l’Enfant, curieusement assis de biais alors qu’en général il est assis frontalement. Il tenait le Livre et bénissait. Les drapés dessinent des cannelures régulières. Représentation hiératique provenant des mosaïques ravennates et romaines, « jamais reine n’eut plus de majesté », disait Emile Mâle de ce type de Vierge-trône qui porte son fils « avec la gravité sacerdotale du prêtre qui tient le calice ». C’est elle qu’on voit, encensée par les anges, au tympan du portail Sainte-Anne de N.-D. de Paris (milieu du XIIe).<o:p></o:p>

    Avec les statues suivantes, gothiques, une autre idée s’exprime. La Vierge est debout et tient l’Enfant sur son bras gauche. Elle est déhanchée pour soutenir le poids d’un fils quelque peu grandet. Dans les cathédrales, on la place souvent au trumeau d’un portail où elle est « Porte du Ciel » (N.-D. de Paris encore, portail de la Vierge, vers 1220). Cette recherche d’une pose plus naturelle et d’une représentation plus réaliste est en rapport direct avec les prédications franciscaines qui s’appuient sur des écrits tels que les Méditations sur la vie de Jésus Christ, où l’auteur s’attarde à plaisir sur l’enfance du Christ avec des scènes de sourires et de larmes dans lesquelles mère et enfant se consolent… Il y a de la chaleur plus que de la grandeur, du sentiment qui finira par donner naissance à un sentimentalisme artistique. <o:p></o:p>

    Dans un premier temps, rien de tel, et cette profonde humanité du rapport mère-enfant est encore lié au mystère de l’Incarnation. Ce sont, de la première moitié du XIVe siècle, les Vierges de Nanteuil-le-Haudouin (Oise), de Cernay-les-Reims (Marne), de Saint-Dié-des-Vosges (Lorraine), cette dernière typique de la production régionale, trapue, le buste rejeté en arrière, les yeux en amande. La Vierge de Quéant (Pas-de-Calais, XVe siècle) est une belle statue de style champenois ; retirée de l’église après la Guerre de 14-18, elle fut obstinément réclamée par le curé qui la récupéra en 1934, victoire paroissiale sur l’accaparement muséal. <o:p></o:p>

    Mais au XVe siècle l’Enfant qui jusque là était sans âge, est de plus en plus représenté comme un poupon, pour accroître le réalisme familial. La célèbre Vierge du musée d’Autun, attribuée sans conviction à Claus de Werve, est un chef-d’œuvre de l’art bourguignon. L’enfant est emmailloté comme au sortir du berceau mais cet emmaillotement réduit considérablement sa présence. Le moulage ne reprend malheureusement pas la polychromie de l’original : voile blanc, manteau doré, langes rouges. Le poupon est à moitié dénudé (Vierge de Dampierre-Saint-Nicolas, Seine-Maritime, fin XVe) puis totalement nu, potelé, joufflu (Vierge de N.-D. de la Couture, au Mans, par Germain Pilon, XVIe) : on mesure le chemin parcouru depuis l’Enfant de Mantes-la-Jolie.<o:p></o:p>

    La Vierge de Dampierre s’apprête à allaiter son fils (illustration). Le thème n’est pas nouveau. Il relève de l’intimité humaine et de l’intimité spirituelle appuyée par le « Beata ubera quae suxisti » (évangile de saint Luc). En 2007, à Kerluan, a été exhumée une Vierge bretonne allaitant dont les vicissitudes sont exemplaires : cassée à la Révolution, puis réparée, elle avait été enterrée en 1904 par un curé qui jugeait plus décent de la remplacer par une sulpicerie. Un acte qui témoigne d’une évolution des mentalités peu glorieuse.<o:p></o:p>

    La Vierge à l’Enfant et le Christ en Croix sont l’alpha et l’oméga de l’iconographie chrétienne, en lien direct avec l’essentiel de la Révélation. Aux alentours du quinzième siècle se répand une autre image, celle de la Pieta qui en quelque sorte réalise la fusion des deux images : la Vierge reprend sur ses genoux le Christ mort désormais.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Vierges à l’Enfant, jusqu’au 30 avril 2009<o:p></o:p>

    Cité de l’architecture & du patrimoine<o:p></o:p>

    Illustration : Eglise de Dampierre-Saint-Nicolas (Seine-Maritime). © D. Bordes/CAPA/MMF 2008<o:p></o:p>


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  • Au musée Maillol<o:p></o:p>

    L’avant-garde et la Révolution<o:p></o:p>

    Présent du 24 janvier 2009<o:p></o:p>

    Dans les années 1910, les artistes ne font plus le voyage de Rome mais de Paris, où l’avant-garde à l’œuvre les attire. De nombreux Russes et Baltes y viennent étudier, s’y établissent ou repartent vers l’Est, porteurs de ferments nouveaux. Les idées circulent vite et les artistes demeurés à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Vilnius, à Riga, etc., ne restent pas en dehors du courant : quelques années plus tard ils seront eux-mêmes l’avant-garde. L’existence de groupes artistiques tels que la Rose bleue, la Toison d’or, est signe de vitalité. Le Valet de carreau, fondé en 1910, rassemble Chagall, Malevitch, Larionov, Gontcharova…<o:p></o:p>

    Marqués par le cubisme français et le futurisme italien, les artistes s’éloignent rapidement du figuratif. Ivan Klioune peint en 1910 de façon symboliste (La femme de l’artiste, ou : La tuberculose), puis dans les années vingt il organise des éléments géométriques : Construction sphérique, Diagonales dans l’espace… Lioubov Popova peint en 1907 une nature morte bien brossée avec panier et pot à eau, mais en 1918 s’adonne à « l’architectonique picturale ». <o:p></o:p>

    Chacun y va de son concept, Rodtchenko et le linéarisme, Matiouchine et l’organicisme, Redko et le luminisme, Nikritine et le projectionnisme. Filonov promeut l’art analytique, tandis que Koudriachov s’épuise en « compositions cosmiques ». Art envahi par la géométrie, péri corps et biens dans les –ismes. Le cérébral l’emporte et la matière s’appauvrit : la peinture est étalée sans amour sur la toile, comme à regret, comme une concession au monde sensible.<o:p></o:p>

    L’-isme vainqueur est le suprématisme de Malevitch (1915 – quête d’un art absolu au-dessus du réel, qui aboutira au fameux carré blanc sur fond blanc) auquel se rattache le non-objectif (la forme détachée de toute référence à l’objet). L’influence de Malevitch est orbitale. Son groupe Supremus attire Popova, Klioune, Oudaltsova qu’on a connue, retour de Paris, cubiste convaincue avec pichet, guitare et violon. L’enseignement de Malevitch à l’école d’art de Vitebsk puis à Petrograd contribue à la diffusion du suprématisme dans toute l’Europe.<o:p></o:p>

    C’est enfin, au début des années vingt, le constructivisme, synthèse de l’esprit géométrique et de l’esprit révolutionnaire qui séduit les artistes pressés d’en finir avec l’art bourgeois. On trouve dans la boîte du peintre équerre et marteau, faucille et compas. Au service de la Révolution, l’affiche et la typographie prennent un coup de jeune. L.Popova s’illustre dans la calligraphie de slogans : « Tous au meeting », « Que les jeunes remplacent les vieux, vive la Jeunesse communiste ». G. Kloutsis réalise cinq cartes postales à l’occasion des premières Spartakiades (jeux olympiques prolétariens, Moscou, 1928) : « Pour une jeunesse saine », Saluons les ouvriers sportifs du monde entier » (ill). Très actif, Kloutsis dessine des projets de haut-parleurs, de tribunes destinés à la propagande. <o:p></o:p>

    Cependant ces vibrants engagements tournent court, comme l’acquis artistique qu’ils sont censés véhiculer. L’imposition du Réalisme soviétique par Staline au début des années trente fait de l’art d’avant-garde un art subversif et proscrit. Cercles, carrés, lignes droites savamment combinées sentent la méditation élitiste, dédaigneuse des saines réalités ouvrières, impuissante à les exprimer et dénuée d’effets stakhanovistes. La glorification du régime requiert le réalisme monumental qui convainque l’Europe que l’utopie est réalisée. Lénine aide les camarades à transporter un madrier, l’ouvrier s’épanouit en bleu de chauffe : oubliées, les « constructions d’un mouvement rectiligne » de Koudriachov !<o:p></o:p>

    Sur les trente-six artistes exposés au musée Maillol, deux émigrèrent en France (A. Exter et P. Mansouroff), deux furent victimes des purges de 1938 (A. Drévine, exécuté ; G. Kloutsis – notre fieffé propagandiste – disparu au Goulag). Les autres surent se faire discrets et certains, comme Nikritine ou Malevitch lui-même, devinrent adeptes du réalisme dialectique – montrant qu’au fond l’art à leurs yeux pesait moins lourd que la Révolution.<o:p></o:p>

    On doit à Georges Costakis (1913-1990), d’origine grecque, d’avoir sauvé de nombreuses œuvres de l’oubli. D’abord chauffeur de l’ambassade de Grèce à Moscou, puis de celle du Canada, il se forme à l’art en promenant les visiteurs chez les antiquaires riches des œuvres « rapportées » des campagnes militaires. Pris de passion, il acquiert pour rien les toiles que le courroux du Parti rend sans valeur marchande. Considéré comme embarrassant, il quitte l’URSS à la fin des années soixante-dix. Sa collection est répartie aujourd’hui entre la prestigieuse Galerie Tretyakov et le musée de Thessalonique. Si cet art est daté, la page d’histoire reste intéressante.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’avant-garde russe dans la collection Costakis, <o:p></o:p>

    jusqu’au 2 mars 2009, Musée Maillol.<o:p></o:p>

    Illustration : G. Kloutsis, Carte postale des Spartakiades © Adagp Paris 2008

    <o:p>voir également:</o:p>

    <o:p></o:p><o:p></o:p><o:p></o:p>


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  • Au musée Galliera<o:p></o:p>

    Des robes de princesse<o:p></o:p>

    Présent du 17 janvier 2009<o:p></o:p>

    A-t-on jamais autant modifié la silhouette féminine qu’avec la crinoline ? Les caricaturistes ne manquèrent pas de dénoncer le tour de magie qu’elle permet : telle femme plate dans son cabinet de toilette en sort plantureuse.<o:p></o:p>

    Le mot « crinoline » vient de l’italien crinolino, mélange de lin et de crin. Il est utilisé en France vers 1830 pour désigner un jupon gonflé et raidi de crin. Sa carrière publique commence en 1845 ; le crin est remplacé en 1856 par des fanons de baleine, qui laissent la place en 1859 à une cage formée de cerceaux métalliques reliés par des sangles. Sa forme a varié au fil du temps : elle est ronde, s’aplatit aux hanches, se projette vers l’arrière. La crinoline est une jupe auquel est toujours associé un corsage laissant les épaules nues, parfois plusieurs corsages qui permettaient d’adapter la tenue, plus ou moins décolletée, aux circonstances. <o:p></o:p>

    D’abord unies ou discrètement rayées, dans des tons pastels, les crinolines se firent plus voyantes grâce aux chimistes qui inventèrent des couleurs synthétiques telles que le fuchsia et le mauve. Carreaux et rayures devinrent très prisés. <o:p></o:p>

    Née avant le Second Empire, l’heure de gloire de la crinoline fut celle des bals impériaux. Quelques accessoires alliant commodité et élégance complétaient alors l’équipement des dames, tels que mantelets, manchons, ombrelles, carnets, éventails parfois équipés de porte-bouquet…Bals officiels, bals privés, bals costumés étaient quasi-quotidiens. Lors du bal que donna la duchesse d’Albe pour fêter la réunion de Nice et de la Savoie à la France, tandis que le couple impérial, rang oblige, se contentait de masques et de dominos, la princesse Mathilde apparut en Nubienne : « elle portait une robe brune et un burnous blanc ; sa tête, ses épaules et ses bras teintés de bistre », se souvenait, ému, Imbert de Saint-Amand. Le musée Galliera a réuni un bal fantôme de merveilles anonymes ou historiques, vestimentaires et iconographiques. Les modestes dessins de mode côtoient l’ambitieux et lourd portrait d’une Inconnue à la mantille par F. X. Winterhalter (1869). Voici, tirés de la garde-robe de la princesse Mathilde, une de ses robes, à rayures noires et rouges, un manchon inouï, en plumes de paon et de lophophore (le lophophore n’est pas une invention d’Alexandre Vialatte mais une sorte de faisan afghan).<o:p></o:p>

    L’impératrice Eugénie était réputée pour son élégance (ill.). On lui reprocha un intérêt trop vif pour la mode, sa « frivolité » – comme à Marie-Antoinette pour qui elle avait une grande admiration. (Elle s’inspira d’ailleurs des portraits de la Reine par Vigée-Lebrun pour s’habiller.) En réalité, vêtue très simplement dans la vie quotidienne, elle avait conscience de l’importance de sa tenue dans les situations officielles. Imbert de Saint-Amand, encore, notait en 1895 : « il n’y a pas au monde de contraste plus saisissant que celui qui existe entre ses toilettes éblouissantes d’autrefois et sa robe de veuve, sa robe de laine noire d’aujourd’hui. » Il reste de la garde-robe d’Eugénie des corsages, un mantelet, un boléro, un écran offert par les Dames Israélites d’Alger lors du voyage en Algérie. <o:p></o:p>

    Véritables « robes de princesse », les crinolines ne furent pas réservées aux dames de la haute société, les cocottes et demi-mondaines alors florissantes en portaient aussi, comme en font foi les lavis de Constantin Guys. <o:p></o:p>

    Avec la crinoline, la marchande à la toilette disparaît et l’on assiste à la naissance et du prêt-à-porter, et de la haute couture : la mécanisation de la fabrication de la dentelle, le développement des grands magasins qui proposent des modèles de robes sur catalogue assurent une diffusion en nombre, tandis que l’excellence du faire français et du goût parisien triomphe lors des expositions universelles, en matière de mode ainsi que dans la parfumerie et la bijouterie. Le traité de commerce entre la France et l’Angleterre (23 mai 1860) favorise d’une part l’importation des matériaux et produits industriels anglais, d’autre part l’exportation des articles de modes, de fantaisies, des soieries, des vins et spiritueux. <o:p></o:p>

    La France vit encore sur cette réputation d’excellence, mais à notre médiocre manière de s’habiller correspond un vocabulaire pauvre. Sorti du coton, du polyester, du col en V, nous n’avons plus grand-chose à dire. Les descriptions de crinolines raviront les poètes d’une authentique joie lexicale : « mousseline pékinée mauve sur fond crème, blonde, tresse de satin mauve et franges de pois parme », « faille façonnée, brochée de soie rose et crème avec ruché de satin formant plastron », « taffetas de soie violet, biais de satin noir et dentelle de Cluny noire »… <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Sous l’Empire des crinolines (1852-1870),

    jusqu’au 26 avril 2009, Musée Galliera.<o:p></o:p>

    Illustration : L’Impératrice Eugénie, vers 1861. Photographie de Mayer & Pierson

    © S. Piera / Galliera / Roger-Viollet.<o:p></o:p>


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  • In memoriam Clotilde Devillers (1956-2008)

     

    Présent du 10 janvier 09<o:p></o:p>

    Le Barroux apparaît sur une pochade d’Yves Brayer (1). La reproduction est une vignette mais aisément reconnaissable est le village vu de la plaine, village où Clotilde Devillers a vécu et travaillé une quinzaine d’années, avant de s’installer à Caromb avec son mari Olivier Dupont. C’était un Barroux où les rues n’étaient identifiées par aucune plaque, où l’eau ne coulait pas aux fontaines, où la municipalité semblait incarnée par un unique cantonnier ; un Barroux où il n’y avait ni salon de thé ni supérette, juste l’épicerie de Paulette qui étiquetait malencontreusement le prix sur la date limite de consommation et dont le chat, « Jauni », cueillait d’une langue précieuse le sel du jambon disposé sur la trancheuse. C’est le Barroux que j’ai connu et auquel le souvenir de Clotilde Devillers est à jamais lié.<o:p></o:p>

    *<o:p></o:p>

    Alors qu’elle était étudiante aux Beaux Arts de Lille, elle assista à une conférence d’Albert Gérard donnée pour le MJCF. Elle connaissait déjà L’Art et la Pensée d’Henri Charlier – Clotilde se souvenait avec émotion de la lecture de ce formidable outil de stimulation intellectuelle,  « chef-d’œuvre de l’esprit » disait Bernard Bouts – mais ne parvenait pas à concilier la profondeur de cet ouvrage avec l’enseignement qu’elle recevait aux Beaux Arts, avec l’inanité des travaux donnés et la philosophie de l’art sous-jacente. Elle prit des cours de dessin avec A. Gérard, et en 1980 ils fondèrent l’Atelier de la Sainte-Espérance qui ne tarda pas à déménager au Barroux avec membres et bagages, après que plusieurs séjours consacrés par Albert à peindre la fresque de la crypte de Sainte-Madeleine leur eurent révélé ces paysages picturaux que la fondation de Dom Gérard rendait encore plus attirants.<o:p></o:p>

    Désormais la créativité de Clotilde Devillers devait se déployer dans le domaine de l’art religieux. Outre les nombreuses commandes d’ordre privé, les bannières peintes pour les chapitres des pèlerinages de Chartres, les dessins d’habits liturgiques (ensuite brodés par Sabine Delmaire) étaient plus que de simples commandes à ses yeux : l’expression de sa foi en la communion des saints, de sa fidélité à la messe traditionnelle pour laquelle les ornements ne pouvaient qu’être beaux. L’association de sauvegarde des oratoires fit appel à elle pour réhabiliter certains de ces petits monuments, afin que ces niches, témoignage de la piété populaire, l’équivalent des calvaires de l’Ouest, soient de nouveau habitées d’images. Sa participation en tant qu’illustratrice aux catéchismes et autres manuels conçus par l’association Transmettre à l’usage des familles confrontées à la pénurie de catéchistes relève du même engagement, engagement discret et pacifique de l’artiste dans son atelier.<o:p></o:p>

    La présence sur le territoire communal des deux monastères bénédictins lui occasionna de plus importants travaux. (A titre anecdotique, je revois Clotilde rire – avec le bon sens familial – de ce que des Dan Brown locaux ou des gnosomanes croyaient avoir découvert : que l’Atelier de la Sainte-Espérance, Sainte-Madeleine et N.-D. de l’Annonciation étaient sur la carte les sommets d’un triangle isocèle, indice ésotérique évident.) Chez les Frères, Clotilde a décoré le cul-de-four de l’abbatiale et l’oratoire du Père Abbé. Elle a également peint dans l’aile de l’hôtellerie les Noces de Cana provençales dont les familles qui ont pris un goûter dans cette pièce se souviennent, ainsi que les retraitants qui y ont bu leur café après laudes (ill.2). Ces Noces de Cana sont une des plus belles peintures de Clotilde, pour la composition, les coloris, pour la justesse des attitudes et la joie fraîche qui en émane.<o:p></o:p>

    Pour les Sœurs, elle a sculpté les chapiteaux du cloître sur le thème des Litanies de la Sainte Vierge. Ensemble conséquent (quatre-vingts chapiteaux), que les échéances de chantier ne lui permirent pas de mener avec toute la sérénité qu’un tel travail exigeait. Œuvres cloîtrées, mais nous sommes quelques uns à avoir pu admirer les jeux du soleil dans les reliefs de la pierre. L’édification de l’abbatiale a requis sa participation aux vitraux, au buffet de l’orgue… Ces travaux la montrent moins préoccupée par la forme que marquée par une recherche de l’à-plat par la ligne à la façon d’un Matisse. (Signalons que d’autres femmes-artistes ont travaillé au monastère de l’Annonciation : Isabelle Quilton pour un portail à tympan sculpté sis derrière la clôture, Marie-Agnès Mathieu pour la mosaïque au sol du sanctuaire.) La dernière œuvre importante de Clotilde, La Visitation (2008, ill. 3), composée de trois toiles peintes, a été réalisée pour un des parloirs du monastère. On constate une évolution par rapport aux Noces de Cana : plus de dépouillement, une place accordée à de grandes plages colorées.<o:p></o:p>

    *<o:p></o:p>

    Extérieurement adossée au rocher et à une autre maison grosse et carrée, la maison de Clotilde Devillers au Barroux était une modeste boîte verticale fermée par un versant de tuiles, devant laquelle elle soignait un citronnier en pot, surveillant la croissance « des citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide ». Intérieurement, la pièce du bas, dotée d’une puissante cheminée, pourvue d’un puits fermé par une trappe de pierre sur laquelle était gravé un verset de psaume, se prolongeait par une pièce troglodyte creusée dans la roche qui supporte la terrasse du château ; une échelle de meunier donnait accès à la pièce du haut. Habitat qui tenait de la grotte érémitique et du perchoir poétique. Ayant prêté à Clotilde Les Lettres à un jeune poète, je reçus en retour L’Art et la Grâce de Dom Clément Jacob, opuscule sur lequel elle écrivit : « On dirait le complément chrétien à Rilke. Qu’en penses-tu ? » Ce trait est caractéristique d’une femme qui ne perdait jamais de vue l’essentiel et y rapportait tout.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    (1) N°3206 du catalogue raisonné, cf. Présent du 27 décembre.<o:p></o:p>

    Nombreuses photographies d'oeuvres de Cl. Devillers à cette adresse.

    <o:p></o:p>


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  • Au musée Delacroix<o:p></o:p>

    L’œil et la lentille<o:p></o:p>

    Présent du 3 janvier 2008<o:p></o:p>

    Un an après le musée Rodin, le musée Delacroix s’intéresse aux liens qui existèrent entre son artiste éponyme et la photographie. Le rapport n’est pas le même car Rodin (1840-1917) est postérieur à l’apparition de la technique, tandis que Delacroix (1798-1863) est l’exact contemporain de Daguerre (1781-1851) et de Talbot (1800-1877).<o:p></o:p>

    Delacroix, curieux d’un nouveau moyen de représentation du réel, ne se refusa pas à l’objectif des Carjat, Nadar, Petit, Durieu… tout en confinant les photographes au rang de techniciens face à lui l’artiste. Il exerce pleinement son œil critique à la fois par métier et par volonté de diffuser une image conforme à la représentation qu’il veut donner. Il n’hésite pas, « effrayé », à demander à Nadar d’« anéantir » les plaques et les clichés réalisés la veille. Jugement impartial de l’œil professionnel mêlé au jugement partial de l’homme qui admet ou refuse l’image livrée au public : complexité de la photographie à la fois objective et interprétative. D’autant que Delacroix ne s’aimait pas : « Je me vis dans une glace et je me fis presque peur de la méchanceté de mes traits… », relevait-il jeune, et vieux il interdit qu’on prît l’empreinte mortuaire de son visage. Nadar se garda bien de détruire les plaques, et cette « triste effigie » – selon Delacroix – est devenue pour la postérité une fière image (illustration).<o:p></o:p>

    Delacroix dessina d’après photographies. Quand son cousin Léon Riesener le prend en daguerréotype, il dessine des autoportraits d’après la plaque, ajoutant une subjectivité à une autre. Il possède des photos d’œuvres classiques qui lui servent de motifs pour s’exercer. Les photographies commencent ainsi à remplacer les gravures dans la constitution de ce qu’on appelle « le musée imaginaire » des artistes. L’heure n’était pas encore à la couleur mais on a constaté depuis, qu’il n’y a rien de plus difficile que d’obtenir une photographie fidèle à l’original sur le rapport des couleurs – disons-en même l’impossibilité. Une bonne reproduction en noir et blanc est moins déloyale. Elle révèle même les tares : « Promenade le soir dans la galerie Vivienne, où j’ai vu des photographies chez un libraire. Ce qui m’a attiré, c’est L’Elévation en croix de Rubens qui m’a beaucoup intéressé : les incorrections, n’étant plus sauvées par le faire et la couleur, paraissent davantage. » (1853)<o:p></o:p>

    Des photographes comprirent que vendre aux artistes des clichés de nus académiques représenterait une bonne affaire, ils allègeraient l’artiste de la recherche d’un modèle et immobiliserait une pose mieux que toutes les remontrances. Delacroix eut en sa possession de tels clichés de L.-C. d’Olivier et de J. Vallou de Villeneuve. Cependant, peut-être pour se différencier des clichés érotiques, les poses étaient conventionnelles, encombrées d’un décor à prétention esthétique. Autre défaut aux yeux de Delacroix, les clichés étaient trop précis : le daguerréotype fut soutenu par l’Académie des Sciences en raison de sa précision tandis que Delacroix y voyait un motif de le récuser (tout comme les tirages au collodion qui présentaient le même défaut). Le peintre s’était suffisamment interrogé sur les rapports des parties au tout, sur celui des détails à la masse, pour repousser les photographies précises à rebours de l’œil humain. Il préférait « celles où l’imperfection même du procédé pour rendre d’une manière absolue, laisse certaines lacunes, certains repos pour l’œil qui ne lui permettent de se fixer que sur un petit nombre d’objets. »<o:p></o:p>

    Dans le but d’obtenir de valables clichés de nus, il mena avec son ami Eugène Durieu un essai de nus académiques (avec un modèle masculin et un modèle féminin) pour lequel fut utilisée la technique du calotype qui donnait les certains flous qu’il souhaitait. Delacroix indiqua les poses et limita les accessoires à la peau de bête et au bâton, comme cela se pratiquait en atelier. Durieu aux manettes, Delacroix en réalisateur : l’album de vingt-six clichés est le fruit unique d’une collaboration expérimentale entre un peintre et un photographe.<o:p></o:p>

    Delacroix regarda souvent « avec passion et sans fatigue ces photographies d’après des hommes nus, ce poème admirable, ce corps humain sur lequel j’apprends à lire et dont la vue m’en dit plus que les inventions des écrivassiers. »(Hormis Dante et Shakespeare, il n’aimait pas les écrivains, Balzac ô combien.) Delacroix dessina d’après ces clichés, particulièrement lorsqu’en séjour hors de Paris il n’avait pas de modèle à sa disposition. C’est vraiment pour faire ses gammes qu’il travaillait ainsi, car il peignit peu suivant ce procédé ; document exceptionnel, une petite Odalisque (huile sur toile) reprend une pose de l’album Durieu en la vêtant partiellement. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Delacroix et la photographie,

    jusqu’au 2 mars 2009, Musée Delacroix.

    Illustration : E. Delacroix par Nadar, 1858 (papier salé) © BNF

    Voir également


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