• Au château d’Angers

    Les livres du Roi René

    Présent 31 octobre 2009

    Né en 1409 au château d’Angers, le roi René a été fêté en Anjou tout au long de l’année. Les châteaux de Montriou, de Saumur, de Baugé, des Ponts-de-Cé, le manoir de Launay ont rendu hommage au roi chasseur, festif, ami des arts. Le château de Chanzeaux a été choisi pour évoquer la légende du « bon roi René », chevalier, peintre et jardinier.

    Une légende façonnée au XIXe, qui oppose un peu plus les profils de Louis XI et de son oncle, déjà naturellement assez contrastés. D’une part Louis XI, formé à la dure par son enfance triste au château de Loches, confronté à la jalousie de son père, luttant sans relâche pour agglomérer des terres au royaume de France et constituer un Etat ; de l’autre le roi René, héritier d’une mosaïque de territoires qui lui échappent peu à peu, rêveur qui se réfugie dans un monde de tournois et de plaisirs honnêtes et cultivés. Louis obtient par la diplomatie ce que René perd par les armes. Le neveu trouve son plaisir dans les rapports des espions, l’oncle dans les poèmes et la lecture.

    La galerie de l’Apocalypse rassemble jusqu’au 3 janvier quelques livres de la bibliothèque du roi René et de celles de ses proches, Jeanne de Laval son épouse, Charles son frère, René II de Lorraine son petit-fils. La Maison d’Anjou aimait les livres. Le Psautier de Mayence, deuxième livre imprimé de l’histoire (1457), est offert par René aux Franciscains du couvent de la Baumette, qu’il a fondé par piété envers la Madeleine et la Sainte-Baume. Le roi et ses proches font travailler les peintres qui ont nom Barthélémy d’Eyck, Georges Trubert, ou, anonymes, le nom des œuvres qu’ils ont laissées. Les comptes de Jeanne de Laval font apparaître des règlements aux « écrivains » (ceux qui calligraphient textes et rubriques), aux enlumineurs et aux relieurs. Sa bibliothèque se compose de traités religieux et de romans courtois. Le comte du Maine rassemble des textes rares, comme ce Commentaire sur Tite-Live de Nicolas Tiveth. On le voit, plongé dans sa lecture, sur une miniature tirée du Traité des oiseaux d’Albert le Grand.

    Le mécénat du roi René, sa proximité avec les peintres, leur collaboration lors de l’illustration de ses écrits expliquent que la mémoire collective l’ait vu en peintre, alors qu’il est un écrivain. Mortifiement de Vaine Plaisance (1455), Livre du Cœur d’Amour épris (1457) sont des méditations qui tentent de s’incarner dans les personnages sans chair ni os que sont les allégories. Tel était le goût du temps. (Notre époque, concédons-le, n’est pas en reste : ses hérauts ne clament-ils pas que Sans-Papiers arrive accompagné de Prospérité au pays de Xénophobie ?) Le livre des tournois, écrit entre 1462 et 1465 est un traité technique qui codifie les joutes chevaleresques.

    Barthélémy d’Eyck a été l’artiste le plus proche du roi René. A son service de 1447 à 1470, c’était un intime. Il avait son siège et sa table de travail dans les appartements royaux. Une lettre de sa veuve, Jeanne de la Forest, adressée au roi, montre l’amitié qui unissait les deux hommes et l’intérêt du roi pour le fonds d’atelier.

    B. d’Eyck illustre magistralement Le livre des Tournois par des planches qui fourmillent d’armures et d’étendards, dans un style qu’on pourrait croire du XXe siècle. Il peint le profil de Louis II coiffé d’un turban rouge ou une Vierge au voile bleu pour les Heures du roi. Ses illustrations pour le poème de Regnault et Jehanneton sont connues par une copie. Ce poème chante les amours du couple royal, qu’on devine derrière les diminutifs, sur le mode de la bergerie. Le baiser, le pique-nique, la balançoire… L’amour de René et Jeanne de Laval (sa seconde épouse) apparaît encore dans le psautier de la reine sous la forme d’un couple de tourterelles sur une branche de groseillier.

    La collaboration entre le roi et le peintre, la créativité de celui-ci sont évidentes à la vue des images du Mortifiement de Vaine Plaisance. Le mérite du peintre est de donner corps aux allégories (« Ame confie son cœur à Crainte de Dieu et Contrition »), à raconter les diverses paraboles comme celle de la vieille femme, chargée d’un sac de blé, qui s’apprête à traverser un pont branlant (illustration).

    Bien d’autres images ressuscitent un monde féodal dans toute la fraîcheur des cimiers colorés, des écus bariolés, qu’elles ornent des diplômes (lettre d’anoblissement, passeport pour la Terre Sainte, hommages vassaliques), les statuts de l’Ordre du Croissant créé par le roi pour fédérer ses amis, ou La relation du Pas de Saumur, joute courtoise de 1446, avec dames, chevaliers et sergents, où l’on admire « René d’Anjou sortant combattre le duc d’Alençon ».

    Samuel

    Splendeur de l’enluminure, le roi René et les livres.

    Jusqu’au 3 janvier 2010, Château d’Angers

    illustration : Mortifiement de vaine plaisance.

    Enluminé par Barthélemy d’Eyck, achevé par Jean Colombe vers 1470-1475. © Metz, Bibl. mun.


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  • Au musée Carnavalet

    Images de la Révolution

    Pr ésent du 24 octobre 2009

    Le musée Carnavalet possède la plus impo rtante collection mondiale d’images et d’objets de la période révolutionnaire (2500 numéros). Les petites et grandes dates de la Révolution ne sont-elles pas parisiennes, comme les gravures souvent anonymes, souvent rudimentaires, qui les racontent ? C’est Berthier de Sauvigny qui reconnaît la tête de son beau-père au bout d’une pique, les Dames de la halle qui partent pour Versailles ; le déboulonnage des statues, les massacres de l’abbaye de Saint-Germain ; l’arrestation à Varennes, le roi décapité…

    Plus que tout autre événement, la prise de la Bastille et sa démolition ont provoqué un flot d’images dont le type s’est fixé assez rapidement. Rares sont les gravures ou les aquarelles qui constituent une suite narrative : en général tout est condensé en une seule image. Rolf Reichardt, de l’université de Giessen (Hesse), publie une passionnante étude sur l’iconographie de la Bastille, à partir des collections du musée. (On goûtera au passage l’introduction embarrassée du Pr Michel Biard. Pris en sandwich entre reconnaissance des massacres et « réflexion citoyenne », « patrimoine mémoriel », il craint « une désorientation des citoyens nuisible à toute démocratie digne de ce nom. » Comme dit la légende d’une grossière gravure : « La véritable guillotine ordinaire, ha le bon soutien pour la liberté ».)

    R. Reichardt montre la naissance du mythe d’une prison infernale au cours du XVIIIe, mythe créé par d’anciens prisonniers, puis celle du mythe de la prise de la forteresse, créé par ceux qui y participèrent – ou le prétendirent : une commission examina les témoignages et délivra des brevets aux 954 officiels « Vainqueurs de la Bastille ». La distinction, en période d’égalitarisme, fut mal perçue et les Vainqueurs renoncèrent prudemment aux honneurs annoncés.

    Le patriote Palloy a joué un grand rôle dans l’imagerie bastillaise. De son propre chef, il commença la démolition, puis obtint un mandat officiel et des subventions intéressantes. La forteresse détruite, il l’exploita encore en inondant la France de médailles frappées avec le métal des chaînes, des serrures ; de pierres récupérées taillées à l’image de l’ancienne prison qu’on promena en procession, ou gravées, transportées par des « Apôtres de la liberté » qui agrémentaient le don de déclarations verbeuses et de gravures à la gloire de la Révolution et de Palloy lui-même. La reddition de comptes, embrouillée, rendit celui-ci plus discret.

    Hubert Robert en tant que peintre des ruines ne pouvait manquer de peindre la démolition de la Bastille. Par la suite incarcéré à Sainte-Pélagie et à Saint-Lazare, il peignit les promenades dans la cour, sa propre cellule. Il y fit le portrait du poète Roucher, qui sera guillotiné le même jour que Chénier. Lui-même n’y passa pas. « Dum spiro spero », écrivit-il sur un dessin de sa captivité. L’Italie devait lui paraître loin (cf. Présent du 17 oct.).

    Jacques-Louis David fut le fervent révolutionnaire qu’on sait. Dans Le Triomphe du peuple français sur la monarchie, le peuple français figure en Hercule, comme lors de la fête de l’Etre suprême représentée par Th. Ch. Naudet, ou au sommet d’un Temple de l’Egalité resté à l’état de projet. J.-L. David dessina des vêtements républicains : le décret du 25 floréal an II ne projetait-il pas une « régénération du costume » ?

    Régénéré également, le calendrier inspire au peintre Louis Lafitte douze compositions gravées par Salvatore Tresca. Le sentiment rousseauiste de la nature et l’élégance néo-classique donnent des images charmantes, malgré la relative banalité des jeunes femmes qui personnifient les mois. Les quatrains ajoutés sont mirlitons à souhait.

    Plus réalistes, d’un art fin sous des dehors presque naïfs, les personnages découpés de P.-E. Lesueur ressuscitent personnages, costumes, attitudes. Les légendes sont postérieures. Don patriotique de jeunes ouvrières, repas républicain ; le « Terroriste du temps de Robespierre payé pour susciter des querelles et occasionner des arrestations », le Jacobin « réfléchissant sur la manière de gouverner la France » procèdent d’un fin talent d’observation et de synthèse (illustration).

    Les caricatures sont moins nombreuses que les gravures narratives (le géant Iscariotte Aristocrate), et, comparées aux caricatures anglaises exposées à l’étage, moins talentueuses d’un point de vue graphique, moins incisives. Les Anglais s’en prennent violemment, crûment, tantôt à la famille royale, tantôt aux sans-culotte, voire à tous en même temps.

    Samuel

    La Révolution française, trésors cachés du musée Carnavalet.

    Caricatures anglaises au temps de la Révolution et de l’Empire.

    Jusqu’au 3 janvier 2010, Musée Carnavalet.

    Rolf Reichardt, L’imagerie révolutionnaire de la Bastille (Collections du musée Carnavalet), 2009, 45 euros.

     

    illustration : P.-E. Lesueur, Jacobins et terroristes, 1789 © Carnavalet / Roger-Viollet


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  • Au musée de la Vie romantique

    Toujours l’Italie

    Présent du 17 octobre 09

    Un peu d’Italie est toujours bon à prendre. Après Orsay le printemps dernier (le voyage italien au XIXe), le Petit Palais et la Vie romantique s’associent pour évoquer le voyage artistique à partir du XVIIe siècle.

    Albrecht Dürer fut, dans les années 1500, le premier étranger à venir en Italie pour goûter par lui-même l’ambiance créatrice des cités. A partir des années 1510, les œuvres de Michel-Ange et de Raphaël, sans oublier les antiquités, attirèrent à Rome les artistes italiens eux-mêmes, puis leurs confrères européens. Le voyage à Rome devenait une étape essentielle de la vie d’un artiste, et ce pour trois siècles et demi.

    Les artistes français ont bénéficié d’un séjour institutionnel sous la forme du Prix de Rome, entre 1663 et 1968. D’abord réservé aux peintres et aux sculpteurs, le Prix a été élargi aux architectes (1720), puis sous Napoléon aux musiciens et aux graveurs. Le séjour de plusieurs années s’effectuait aux frais de la Couronne, de la République. Certains artistes sont devenus de très appréciés directeurs de la Villa Médicis, Ingres par exemple.

    Il n’y avait pas que des primés à fréquenter Rome. L’attraction était telle que tout peintre tentait d’y aller, à ses frais ou à la charge d’un mécène. Delacroix ne put faire le voyage. Le premier voyage de Corot fut financé par ses parents, deux autres suivirent. La présence française à Rome est continue, riche, changeante puisque les uns arrivent et les autres partent ; mais certains y restent longuement. Au XVIIe, Jacques Sarrazin y séjourne dix-huit ans, François Perrier cinq ans puis dix ans, Simon Vouet douze ans, Pierre Mignard vingt ans, Poussin seize ans. Le Roi rappelle ceux dont il estime le talent nécessaire à son éclat. Vouet et Mignard s’exécutent, Poussin aussi mais n’a qu’une hâte, retourner à Rome, où il passe les vingt-cinq dernières années de sa vie.

    Claude Gellée, dit le Lorrain (1600-1682), adolescent orphelin, quitte sa région natale et arrive – plutôt par hasard – à Rome où il devient domestique du peintre Agostino Tassi. Il broie les couleurs, s’essaye à peindre, étonne son maître qui le prend comme élève. Il se forme également à Naples puis en Lorraine auprès de Claude Deruet, lui-même ancien romain. Touché par le virus italien, Claude Gellée regagne Rome pour n’en plus partir. Il est le paysagiste de la campagne romaine, peintre autant que graveur. Une salle entière de l’exposition est consacrée à ses eaux-fortes, une quarantaine appartenant au legs Dutuit.

    Le Lorrain aime les effets de lumières, les aubes et les crépuscules dans des ports imaginaires, les orages dans la campagne (illustration). Les bergeries (La danse au bord de l’eau) cèdent le pas aux sujets mythologiques sans que l’atmosphère ne perde de sa poésie, ni le trait de sa générosité. La peinture de Poussin est évidemment pour quelque chose dans cette mythologie, mais le Lorrain garde toute sa personnalité. Deux talents aussi différents avaient leur place à Rome.

    Autre clou de l’exposition, les huit panneaux peints par Hubert Robert (1733-1808) pour l’hôtel que Beaumarchais fit construire dans le quartier de la Bastille en 1790 et la Ville de Paris démolir en 1826. Ces peintures échappèrent heureusement à l’incendie de 1871 mais furent séparés : deux au Petit Palais, six à l’Hôtel de Ville. Leur réunion est un événement.

    Hubert Robert séjourna en Italie de 1754 à 1765. Il se spécialisa dans les paysages à vieilles pierres, devenant « Robert des ruines », plus productif que fécond, mais parfois heureusement inspiré. Beaumarchais lui reprocha d’avoir peint trop rapidement ces panneaux, mais leur qualité est indéniable. Chacun associe une statue antique à un paysage ou des ruines, avec quelques personnages. Un arbre donne l’oblique ou la verticale. Les plus réussis sont Le Gladiateur, La Vénus Callipyge, sculpture dont il existe au Louvre une copie réalisée par François Barois à Rome dans les années 1680, ainsi que L’Apollon, que des dessinateurs sont occupés à étudier. Les sculptures sont toutes des références « classiques » : la Vénus Médicis, l’Hercule Farnèse, le Laocoon…

    Certains peintres du XIXe laissent froid (Pils, Girodet, Chauvin…). D’autres sont touchés par la grâce italienne. Les petites peintures de François Marius Granet, dénuées de la raideur néo-classique, représentent des voûtes ombreuses de couvent, de passages. (Ingres a fait le portrait de ce peintre en 1807, sur panorama romain.) Paul Huet dessine la Campagne romaine, très beau dessin à la plume (1842). Moins présente, la figure est celle de la muse : Corot reste paysagiste en peignant sa Marietta (L’odalisque romaine) ; Carpeaux sculpte le buste de la Palombella.

    Samuel

    Souvenirs d’Italie (1600-1850), Chefs-d’œuvre du Petit Palais.

    Jusqu’au 17 janvier 2010, Musée de la Vie romantique.

    illustration : Claude Gellée, Le troupeau en marche par temps orageux © Petit Palais / Roger-Viollet


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  • Aux Gobelins

    Haute lisse

    Présent du 10 octobre 2009

    Vers la fin de son règne, Louis XIV possédait cinq cents tentures, soit deux mille cinq cents tapisseries. Il avait hérité du fonds constitué à partir de François Ier, l’avait enrichi par des achats et surtout avec les œuvres sorties des manufactures organisées par ses soins. Un tiers de cette collection a survécu. Les tapisseries du XVIe ont presque toutes été brûlées en 1797 pour en récupérer les fils d’or et d’argent dont elles étaient rehaussées.

    Réchappé du recyclage, Le triomphe de Bacchus (1560) est une grande pièce à registres : cinq scènes, frises, figures. Règnent le pittoresque et les grotesques. Certaines tapisseries disparues sont connues par des copies postérieures. Comparons deux versions du Triomphe de Minerve, l’une du XVIe, l’autre du XVIIe redessinée par Noël Coypel. On note des modifications de détails (habillements, gestes) ; le socle où se tient la déesse est désormais en marbre ; la séparation des compartiments narratifs est plus ambitieuse, ce sont des entablements. La bordure est recomposée.

    (Les bordures des tapisseries ne sont pas moins intéressantes que les sujets, car elles expriment le génie décoratif d’une période, comme les moulures en architecture. Tour à tour, ce sont des rinceaux, des grotesques, des arabesques ; des cuirs, des guirlandes de fruits, de fleurs, où émergent des putti, des figures, des scènes secondaires en camaïeu… Les bordures sont tellement typiques que souvent on les changeait pour mettre la tapisserie au goût du jour.)

    Il arrive que seuls des dessins restituent une œuvre détruite. Les Guise possédaient une tenture sur le thème des Ages de la vie. Les dessins de Thomas Vincidor montrent ainsi la succession des jeux, des plaisirs, du travail, de la réussite – et cette conclusion moins riante : la vieillesse auprès des enfants qui se disputent l’héritage.

    Th. Vincidor, comme Jules Romain souvent repris par les lissiers, était un élève de Raphaël. La tenture réalisée par le Maître en 1516 pour la chapelle Sixtine, Les Actes des Apôtres, a connu un succès européen. François Ier en possédait un exemplaire, brûlé en 1797. Celui d’Henri VIII fut détruit à Berlin en 1945. Il reste l’exemplaire du duc de Gonzague (Mantoue). La gloire de cette œuvre était telle que Charles Ier d’Angleterre acquit les cartons originaux en 1620, et la fit tisser par sa manufacture de Mortlake. La qualité de cette édition anglaise est excellente, d’une grande finesse. Les coloris sont préservés, contrairement à tant de tapisseries dont les verts ont jauni. La Pêche miraculeuse, composition audacieuse construite sur une unique horizontale étayée par les échassiers, en est un exemple (illustration). Le Surintendant Fouquet possédait une version tissée vers 1650 à la manufacture de Maincy qu’il avait créée près de Vaux-le-Vicomte et dont les employés partiront ensuite grossir les rangs des Gobelins. Mais le petit format de ce tissage des Actes des Apôtres n’est pas heureux.

    La première moitié du XVIIe voit tisser une belle Histoire de Diane, d’après Toussaint Dubreuil (1561-1602). On apprécie, dans Les Paysans changés en grenouille, la clarté de la scène et les personnages vigoureusement dessinés. Ce peintre mourut hélas trop tôt. Les tapisseries réalisées d’après La Hyre sont passées, ce sont deux mythologies : L’enlèvement d’Europe et Pygmalion et Galatée, dont le Louvre possède le dessin. Rubens et Vouet se partagent la vedette. Louis XIII fait appel au premier pour une Histoire de Constantin, au second, rentré de Rome, pour des scènes de l’Ancien Testament : Le sacrifice de la fille de Jephté. Simon Vouet est à l’aise, ses tapisseries ont de l’ampleur, quelque chose d’aérien.

    Viennent Le Brun et Mignard. Leurs Automnes respectifs, sans être rivaux, n’ont rien de commun. La tapisserie de Le Brun est une sorte d’emblème, tandis que Mignard invente un riant cortège de Bacchus. Les Mois à grotesques de Claude Audran, qu’assistent Desportes pour les animaux et Watteau, son élève, annoncent le dix-huitième et ses élégantes singeries.

    Qu’au XVIIe siècle la tapisserie ait été considérée comme un art égal à la peinture à l’huile, les collections royales en témoignent donc largement. Les techniques coexistent car elles ne font pas double emploi. La tapisserie garde sur l’huile l’avantage du grand format sans effet de reflet et aisé à transporter ; également d’habiller une pièce bien plus chaudement. En donnant aux peintres le contrôle sur les lissiers, en soumettant la créativité de ceux-ci à l’exécution stricte des cartons réalisés par ceux-là, Le Brun améliora la production dans un premier temps, mais l’effet pervers fut de gauchir le métier de la tapisserie qui devint une annexe de la peinture et perdit de son âme.

    Samuel

    Fastes royaux, La collection des tapisseries de Louis XIV.

    Jusqu’au 15 novembre 2009, Galerie des Gobelins.

    prolongement jusqu'au 7 février 2010!

    illustration : La Pêche miraculeuse d’après Raphaël, Manufacture de Mortlake, vers 1630.


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  • Au musée du Louvre

    Beautés vénitiennes

    Présent du 3 octobre 09

    De passage à Venise en 1739, le Président de Brosses écrit à un ami : « Nous ne songeons jamais à déjeuner, Sainte-Palaye et moi, sans nous être au préalable mis quatre tableaux du Titien et deux plafonds de Paul Véronèse sur la conscience. Pour ceux du Tintoret, il ne faut pas songer à les épuiser : il fallait que cet homme-là eût una furia da diavolo. »

    Les trois noms du XVIe siècle vénitien forment un beau podium qui ne s’est pas constitué sans rivalités. Quand Véronèse arrive à Venise en 1553, il a 25 ans. Face à lui, Titien, 63 ans, est le maître mais Tintoret, 35 ans, ne cache pas son ambition de le supplanter. Des commanditaires à foison, des commandes publiques soumises à concours : la concurrence est ouverte. Nul, pas même Titien, ne peut s’estimer définitivement au faîte de la gloire.

    Chacun se présente avec sa formation et son style. Titien garde de Bellini et de Giorgione le goût des compositions lisibles, mais au fil des ans son art a gagné en nervosité. Tintoret est marqué par le maniérisme : des couleurs cassées par de noir et de blanc, des poses expressives voire outrées, une touche lâchée jusque – parfois – la veulerie. Véronèse est son contraire, décoratif, coloriste, toujours digne. Il acquiert du Titien l’abandon qui lui fait souvent défaut.

    Titien, par son talent, est la référence. La barre est haute : le portrait de Paul III (1543, illustration), celui du doge Francesco Venier (1554-1556) ne sont pas flattés ; dépouillés de tout sentiment, ils sont l’image d’hommes en qui le pouvoir s’est incarné, les desséchant mais les haussant. Le coloris du camail papal est inquiétant mais son regard est direct. Le portrait de l’amiral Sebastiano Venier peint par Tintoret (1571) dérive du portrait du doge, mais il est plus convenu qu’observé : l’amiral pose en homme de guerre. Quand il peint les reflets sur l’armure, le Tintoret a l’intention de montrer la supériorité de la peinture sur la sculpture. Déterminer l’art le plus élevé est une question vaine, mais l’époque se la posait, par souci de hiérarchisation. A se demander quel art est le mieux à même de reproduire le réel, les artistes rabaissaient singulièrement l’art en général ; dans la pratique heureusement l’inspiration les menait beaucoup plus loin que la visée initiale. Les peintres déploient donc leur savoir-faire pour rendre les reflets sur le métal, sur le miroir, dans l’eau. Le Tintoret fait se refléter, avec les déformations voulues, une figure dans une armure ; Véronèse peint un magnifique Saint Menna en cuirasse aux vifs accents lumineux(1560). Quant au Titien, il n’a rien à prouver, ayant dès les années 1530 représenté Della Rovere dans une magnifique armure aux reflets blancs et verts.

    Le miroir est féminin. Titien et Véronèse l’utilisent pour leurs Vénus respectives (1555), le Tintoret pour sa Suzanne (id., une composition trop compliquée). Le nu est leur domaine. La Danaé du Titien est accompagnée d’un Cupidon (version 1545), d’une maquerelle (version 1554). Il peint deux Tarquin et Lucrèce en 1570, la seconde plus dépouillée. Titien est un travailleur jamais satisfait. Tintoret, quand il reprend ces thèmes, ne lui arrive pas à la cheville. Les peintres sont nettement moins inspirés par les Patriciennes. Habillées, sans armure ni miroir, elles ont moins d’éclat. L’une avec son chasse-mouche (Titien, 1560), l’autre avec son mouchoir (Véronèse, 1570), elles sont plus mémères que muses.

    La peinture religieuse révèle les mêmes qualités, trahit les mêmes défauts. Le Repas d’Emmaüs du Titien est dépouillé, baigné dans une paisible atmosphère (1534). A gauche, le jeune serviteur, le disciple et l’aubergiste forment un groupe remarquable, qui a plus de consistance que le Christ. Constat identique dans la toile de Véronèse, très mondaine (1555). Profanes jusqu’à la moelle, les Vénitiens peinent à exprimer la foi. Il faut l’humanité des personnages pour les mettre à l’aise. Bassano, Titien, Tintoret et Véronèse peignent chacun un Saint Jérôme pénitent entre 1560 et 1580. C’est une figure imposée, avec sa pose, ses accessoires, mais quelles conceptions différentes, du monde, de la peinture !

    Plus que des rivalités, la concurrence a provoqué une émulation entre les artistes, dont le prestige social, au XVIe siècle, s’est singulièrement affermi – n’oublions pas qu’un jour Charles-Quint se baissa pour ramasser un pinceau du Titien. Les artistes se peignent eux-mêmes et s’entre-peignent. Les autoportraits du Tintoret, jeune (1546) puis vieux (1588), sont beaux mais le feu de l’œil jeune fait place à un étonnant regard vide. L’autoportrait de Titien en vieillard à la calotte est une merveille d’autorité et de noblesse (1562).

    Samuel

    Titien, Tintoret, Véronèse : Rivalités à Venise.

    Jusqu’au 4 janvier 2010, Musée du Louvre.

    illustration : Titien, Portrait de Paul III © Erich Lessing, Vienne


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