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    Au musée Marmottan Monet
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    Monet et les abstraits<o:p></o:p>

    Présent du 31 juillet 2010<o:p></o:p>

    Le musée Marmottan Monet se propose de montrer la filiation existant entre Claude Monet et la peinture abstraite, européenne et américaine, d’après la Seconde Guerre.<o:p></o:p>

    Ce n’est pas du Monet de l’impressionnisme qu’il s’agit, mis sur la voie de l’observation de la nature par Eugène Boudin, mais du Monet d’après. Comme Renoir, Monet a eu une longue vieillesse post-impressionniste qui est loin de valoir sa peinture antérieure.<o:p></o:p>

    Bernard Dorival (auteur de La peinture française, 1946, dans l’excellente collection « Arts, styles et techniques » de chez Larousse) a des mots sévères pour la voie que Monet emprunte à partir de 1890 jusqu’à sa mort en 1926. « Effets faciles », harmonies « facilement fausses »… « le contact avec la nature se perd dans les ensembles téméraires qu’il entreprend, sans en avoir peut-être le souffle » : les fameux nymphéas de l’Orangerie. S’opposent, d’une part, des toiles comme Impression, soleil levant où la touche est signifiante (1873, illustration), Bras de Seine à Giverny, paysage d’une extraordinaire netteté (1885) et, d’autre part, Bras de Seine près de Giverny, soleil levant, recouvert d’une taie blanche et savonneuse (1897), Le pont japonais, où la touche dégouline (1918), Le saule pleureur où elle est filasse (1919).<o:p></o:p>

    En abordant toute chose par la lumière et non par la forme, les impressionnistes allaient à l’impasse. Renoir, Monet cherchèrent à en sortir. Monet, en refusant toujours la forme, devait logiquement aboutir à l’informel. On comprend comment les peintres abstraits y trouvèrent des morceaux tout rôtis pour leur bec. On comprend aussi qu’ils sont le terme d’une suite d’erreurs.<o:p></o:p>

    L’idée même d’une peinture « abstraite » est absurde. La peinture, par le fait de ses deux dimensions, est une abstraction de la réalité qui en a trois. Elle s’abstrait même d’une quatrième dimension, le Temps, en se présentant sans déroulement, à l’inverse des vers, de la mélodie. Les formes et les couleurs, qui constituent le langage plastique, sont des abstractions, des pensées ; et l’artiste exprime sa pensée par le biais de la réalité qui n’est pas là comme fin mais comme langage. (Voyez L’art et la pensée d’Henri Charlier, chap. L’art et l’intelligence.) <o:p></o:p>

    Le peintre Jean Legros n’écrivait pas autre chose : « Ce qui est le plus abstrait est ce qui est le plus mental et si l’on me demandait de désigner ce que je considère comme étant la peinture mentale, je désignerais Vinci, Piero Della Francesca, Vermeer, et non pas la grande part de la peinture d’aujourd’hui qualifiée d’abstraite sous le prétexte qu’il y a absence d’objets. » L’art dit abstrait a été un art plus intellectuel que mental. Cependant Jean Legros s’exprima par une peinture non-figurative (ce terme est préférable à abstrait), croyant, on le devine en le lisant, à un « sens de l’histoire de l’art » qui aurait rendu caduc le figuratif.<o:p></o:p>

    La seconde moitié du vingtième siècle est imprégnée de cette croyance en l’avènement inéluctable d’un non-figuratif supérieur. En effet, si le problème se pose en termes d’un art abstrait d’un côté, d’un art concret de l’autre, implicitement le débat s’embarrasse des valeurs qu’on peut attacher à ces termes : un art d’idées pures, éthéré, l’emporte sur un art prosaïque, grossier.<o:p></o:p>

    Qui dit supériorité dit hiérarchie. Inavouée mais perceptible, la hiérarchie des genres exista au XXe siècle, impérieuse. Les ouvrages consacrés à l’art de cette période n’envisagent que le fleuve de l’art abstrait. L’art figuratif n’y apparaît pas, ou qu’à titre de ruisselet. On peut cependant mépriser cette hiérarchie, car le recul, l’expérience permettent de savoir que le Temps, s’il travaille contre les pigments, trouve à chaque toile la cimaise qu’elle mérite.<o:p></o:p>

    Les toiles de Monet vieillissant, les toiles des peintres qui lui sont rattachés, respirent la tristesse. Ce n’est pas le vocabulaire risible qu’elles suscitent qui l’amoindrira. L’un des rédacteurs du catalogue parle de la nature qui « se nappe dans son devenir-peinture » chez Rothko (peintre américain d’origine lettone, 1903-1970), de l’« alliage non-compositionnel » chez Riopelle (québécois, 1923-2002) – deux abstraits et un abstrus.<o:p></o:p>

    ***<o:p></o:p>

    Le musée Marmottan Monet, pour ses collections, est à visiter. Il est riche en peintures et enluminures des XVe-XVIe siècles, possède toute une collection de petits portraits de Louis Léopold Boilly. Et puis il y a un Gauguin sur grosse toile, à la matière lourde et mate (Bouquet de fleurs, 1897), un fin Renoir (Portrait de Julie Manet, 1894), un Caillebotte suranné (Rue de Paris, temps de pluie, 1877) et toute une série de tableaux de Berthe Morisot, frais et savants : Eugène Manet à l’île de Wight (1874), Les foins à Bougival (1883)…<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Monet et l’abstraction.

    Jusqu’au 26 septembre 2010, Musée Marmottan Monet.<o:p></o:p>

    illustration : Claude Monet – Impression, soleil levant, 1873 © musée Marmottan Monet, Paris / Bridgeman Giraudon<o:p></o:p>


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  • Les Petits Hommes verts<o:p></o:p>

    Les Envahisseurs ont apporté leur langage, leurs lois, leur religion et leur mode de vie. Venus sauver votre planète, ils vous incitent à collaborer. Cette rubrique a pour but de vous aider à les mieux comprendre.<o:p></o:p>

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    Assis. – Vous avez mal à la conscience quand vous vous asseyez sur un siège qui abîme la planète ? Utilisez « le pouf Sushi éco-désigné… astucieux mélange de jeans et de velours pour vous asseoir confortablement, en toute conscience ». Ou bien le fauteuil Paul, « constitué à 70% de bouchons broyés collectés par l’association Les Bouchons de l’Amour », dans une démarche d’« éco-conception ». (Source : Complément d’objets n°5.)<o:p></o:p>

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    Errant. – A l’occasion des départs en vacances, les « 10 commandements de l’éco-conduite » préconisent de bien gonfler les pneus, de pratiquer en douceur accélérations et freinages, etc., et enfin de bien préparer son trajet. Car, en se perdant, en cherchant son chemin, on parcourt des kilomètres supplémentaires, quelle pollution évitable ! Les animaux errants sont ramassés, mis en fourrière et éventuellement euthanasiés : le conducteur victime des aberrations du GPS, le juillettiste errant, l’aoûtien perdu connaîtront-ils le même sort, au nom de la protection de l’environnement ?<o:p></o:p>

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    Lumineux.La station de métro Censier-Daubenton expérimente « l’éco-éclairage ». Dans les couloirs et à l’accueil, 20500 kWh sont économisés en une année, « de quoi alimenter un réfrigérateur pendant 68 ans ! » Rappelons qu’un frigo a une durée de vie moyenne de 15 ans. Sur les quais, ce sont 107500 kWh qui sont économisés, « soit la consommation d’un téléviseur fonctionnant 24h/24 durant 245 ans ! » Effarant ! Imaginez l’état d’un cerveau soumis à deux siècles et demi de télévision non-stop. Bonjour le bavoir. En quoi consistera la télé en l’an 2255 ? Où en sera la téléréalité ? La fiction française ? Le dimanche n’existera plus, mais Drucker ? <o:p></o:p>

    Ce genre d’équivalences aussi inattendues qu’énigmatiques, les écolos s’en sont fait une spécialité. Le magazine Terra economica, en calculant « la facture écologique » du président Sarkozy sur l’année qui a suivi le Grenelle de l’Environnement, indique que les 301236 kilomètres parcourus en déplacements officiels représentent, en équivalent CO2, 1750 tours de la Terre en voiture du genre Smart ou encore les flatulences méthaniques de 823 vaches. <o:p></o:p>

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    Sent-bon. D’ailleurs, prenez une bouse de vache. Cuisez-la en la pressurisant (une heure à feu doux) et vous obtenez une odeur de vanille à se damner. La vanilline ainsi produite permet de parfumer à bas prix des bougies aromatiques et… du shampoing. Et la pâte à crêpes ? Ainsi fonctionne « l’éco-bien-être olfactif », selon l’écolomag n°17.<o:p></o:p>

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    Infantile. – Eduquons les enfants ! Ma journée verte, de Melanie Walsh, leur enseignera 10 bonnes habitudes « pour que chaque jour soit une journée verte ». Du genre « faire sécher ses vêtements sur un fil », « terminer son assiette », ou « fabriquer soi-même le cadeau de grand-mère » (pauvre mère-grand !). Les esprits peuvent être dressés dès 4 ans avec Dis maman c’est quoi le développement durable ? Pour expliquer aux petits les termes « réchauffement climatique », « produit bio ». La théorie sans la pratique, ne vaut rien : quatre pages de jeux sur les « écogestes » agrémentent le livre. Voilà qui prépare des générations d’écobarges.<o:p></o:p>

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    Pas bien. – L’éditorial de l’écolomag n°17, signé La Chouette, s’en prend aux « écolo-phobiques », survivants « d’anciennes tribus d’hominidés » dont l’existence est « particulièrement périlleuse pour les espèces vivantes » (sic). Mauvais parents, ils « vont jusqu’à souiller volontairement leur territoire ». Bien entendu ! Une mère qui avorte mais qui mange bio est beaucoup plus respectueuse de la planète qu’une famille nombreuse qui épuise les ressources naturelles en chocos BN.<o:p></o:p>

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    Samuel


    Présent du 24 juillet 2010<o:p></o:p>


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    Au château de Vincennes

    Anges musiciens

    Présent du 24 juillet 2010<o:p></o:p>

    La Sainte-Chapelle du château de Vincennes, construite entre la fin du XIVe et le milieu du XVIe, avait souffert de la tempête de 1999. Témoignage de l’élégance des gothiques rayonnant et flamboyant, elle a été rénovée – regrattée jusqu’à l’os : quid de la patine du Temps ?<o:p></o:p>

    Les vitraux du chœur constituent un bel ensemble du XVIe siècle. Ils sont sortis de l’atelier de Nicolas Beaurain, qui avait œuvré pour le roi à Fontainebleau, à Saint-Germain. Racontant l’Apocalypse, ils sont fournis en anges, en anges à trompette notamment. Cela est une première raison d’y accueillir une exposition sur les anges musiciens. Une seconde raison, les autres anges musiciens sculptés aux fenêtres du donjon (XIVe).<o:p></o:p>

    D’abord présentée à Notre-Dame d’Auray par le Centre de musique sacrée, l’exposition est riche en sculptures bretonnes polychromes des XVI et XVIIe siècles, et nul ne s’en plaindra tant cette sculpture, bonhomme ou âpre, est toujours vigoureuse. Les célèbres anges musiciens qui ornent Notre-Dame de Kermascléden (du XVe) sont plus fins, mais inspirés par la même simplicité.<o:p></o:p>

    Tous les anges ne sont pas musiciens. L’ange gardien ne saurait être oublié (toile de Jean-Vincent Lhermittais, XVIIIe). Juché derrière son épaule, un ange guide saint Matthieu lors de la rédaction de son évangile. Deux anges recueillent le sang du Christ dans un calice, au pied de la Sainte Trinité, énorme sculpture catéchétique et populaire (église de Croisty). On les retrouve sur une Trinité semblable, en bas-relief au centre d’un polyptique où figurent des scènes de la vie de la Vierge. Les anges y sont présents : l’Annonciation, la Nativité, et se déploient lors de l’Assomption, du Couronnement, moments où ils se forment en orchestre. Comme le précise le Catéchisme des Anges du Barroux, Marie devient alors leur reine, et « ils jouissent d’un surcroît de béatitude, dite ‘accidentelle’, depuis que la Vierge est montée au ciel ». D’où cette musique céleste en son honneur, où éclate leur joie.<o:p></o:p>

    Une Assomption (peinte vers 1650) montre quatre anges musiciens, avec clochettes, harpe, violon et luth. Les anges d’un vitrail entourent la Vierge, hiérarchisés suivant l’instrument dont ils jouent : les cordes d’abord, les vents ensuite (ill.). <o:p></o:p>

    Les représentations suivent la musique du temps, les instruments sont taillés ou peints d’après nature. Sur les culots sculptés qui proviennent du donjon, on identifie nettement les instruments utilisés : percussions, cordes avec ou sans archet, orgue portatif. Grâce aux témoignages iconographiques nombreux, croisés, des passionnés refabriquent ces ancêtres. Luthiers et facteurs remontent le temps, comme dans la nouvelle de Jacques Perret (Arrangements pour le théorbe). Il ne manque que l’usure à ces instruments qui manifestent dans leurs formes la bizarrerie de leurs vocables : chifonie, rebec, cromorne, cornet à bouquin…<o:p></o:p>

    Sorti de son cadre apocalyptique, l’ange à la trompette prend place au sommet de la chaire, pour que les fidèles n’oublient pas le jour de colère auquel il faut se préparer – et peut-être, aussi, donner au curé de l’allant et de l’inspiration, lui rappeler de ne pas endormir l’auditoire. Trois anges bretons encore : un du XVIIe, en bois noir, à la robe aux plis taillés comme une vis de pressoir ; deux du XVIIIe, plus fades, dont l’un a une discrète poitrine féminine.<o:p></o:p>

    Dans l’incapacité d’imaginer un être asexué, les artistes tendent forcément vers une représentation plutôt homme ou plutôt femme, mais toujours juvénile, et nécessairement amène. Comme le dit le catéchisme, « qui ne voit que l’idée même de ces créatures célestes implique quelque chose d’aimable et de gracieux qui a toujours inspiré les artistes ? » Cependant cette aménité angélique s’accompagne, dans l’art roman, du caractère terrible que leur confère leur rôle de messager et d’envoyé de Dieu. A l’inverse, le baroque connaîtra une floraison de putti, d’une joliesse blessante, « dont la représentation donnera un coup fatal à la piété chrétienne, tant il est vrai que la déformation d’une réalité lui cause plus de mal que sa négation », explique le catéchisme (chap. Iconographie). Au XVIIIe et au XIXe, l’ange se féminise : quand elle devient sentimentale, la piété s’accommode d’anges féminins et languides, qui deviennent, hors de l’art sacré, évaporés et malsains (tableau de Jean-Louis Hamon, Les Muses à Pompéi, XIXe).<o:p></o:p>

    Parmi les sculptures provenant du château de Pierrefonds, un des anges est en réalité une jeune musicienne. On admirera sa longue natte et le remarquable travail du drapé. Mentionnons encore, parmi les œuvres insignes de cette remarquable exposition, un ange éthiopien dessiné à l’encre (livre de prières, IVe siècle ?) ; une petite Annonciation italienne précieuse mais digne (début XVIIe). <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Anges musiciens.

    Jusqu’au 5 septembre 2010, château de Vincennes (Sainte-chapelle).<o:p></o:p>

    illustration : Ange musicien (XVIe). Saint-Avé, coll. privée (56) © CMS<o:p></o:p>


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    Au musée des Lettres et des Manuscrits<o:p></o:p>

    Proust épistolier<o:p></o:p>

    Présent du 17 juillet 2010<o:p></o:p>

    Philip Kolb, l’homme qui publia la correspondance de Marcel Proust, estimait que ses 5000 lettres répertoriées représentent le vingtième du volume réel. L’édition compte 21 volumes, publiés entre 1971 et 1993. A cette annexe de l’œuvre (hors-d’œuvre au sens architectural, qui peut l’être aussi au sens culinaire), un compendium rend l’accès plus facile : le choix de lettres, paru chez Plon en 2004, en retient 627.<o:p></o:p>

    Proust méritait donc une exposition du musée des Lettres et des Manuscrits, d’autant que côté manuscrits il ne fut pas en reste, par la longueur de son roman et par sa rédaction, procédant par ajouts, découpages, collages. Les placards du deuxième volume de La Recherche se signalent par leur complexité. Les épreuves composées à partir du manuscrit s’accroissent et se transforment en un second manuscrit (illustration).<o:p></o:p>

    On voit aussi des épreuves de la traduction de La Bible d’Amiens de Ruskin, auteur essentiel dans la formation esthétique du romancier et, par les corrections, les amendements que fit celui-ci à la traduction d’abord effectuée par sa mère, moment important du forgeage de son style. <o:p></o:p>

    On trouve encore la première version de l’épisode de la madeleine, instant clé du Côté de chez Swann, inoubliable analyse du rapport entre la mémoire et les sens « subtils » que sont le goût et l’odorat. Le souvenir authentique, d’après Proust, n’est pas celui que pioche la volonté, comme on déterre péniblement une souche et les racines, mais celui qu’on ignorait avoir et qui émerge des profondeurs, remonté de lui-même à la surface sous l’impulsion d’une odeur, à laquelle notre mémoire l’avait, à notre insu, indissolublement lié.<o:p></o:p>

    Proust a vu son manuscrit du Côté de chez Swann refusé par tous les éditeurs. Sentant la maladie gagner du terrain chaque année, il se résout à le publier à compte d’auteur. Ce premier volume paraît chez Grasset en novembre 1913. En 1914, il reçoit les épreuves du deuxième volume. La guerre suspend l’activité de l’éditeur. C’est « grâce » à la guerre que La Recherche prend une dimension imprévue : Proust en profite pour enrichir considérablement les épreuves, d’où ces placards étonnants. C’est une refonte. Cependant les éditeurs qui l’ont refusé s’aperçoivent de leur erreur. Gide, lecteur à la NRF, écrit à Proust dès la parution du Côté de chez Swann : « le refus de ce livre restera la plus grave erreur de la NRF ». Les contacts avec la NRF, avec Grasset, vont amener Proust à accepter les offres de Gaston Gallimard, qui publie A l’ombre des jeunes filles en fleurs en 1918. <o:p></o:p>

    Le livre obtient le prix Goncourt 1919. Non sans grincement de dents. L’auteur, malade, n’a pas reçu les journalistes, qui croient à du mépris. L’opinion est fâchée qu’un roman de guerre, Les Croix de bois, ait été écarté au profit d’un roman aussi inactuel, voire intemporel.<o:p></o:p>

    C’est pourtant à un va-t-en-guerre que Proust doit le prix : Léon Daudet. « C’est un écrivain qui devance son époque de plus de cent ans », a-t-il déclaré à ses pairs de la petite Académie. Proust est très attaché à la famille Daudet. Il a connu Alphonse Daudet, à qui il emprunte quelques traits lorsqu’il crée l’écrivain Bergotte ; une amitié affectueuse le lie à son fils Lucien, une amitié respectueuse à son autre fils Léon et à son épouse. A Léon Daudet il dédiera Le Côté de Guermantes.<o:p></o:p>

    Quelques lettres ont été échangées avec Charles Maurras. Dreyfusard, Proust reste à distance. Mais l’admiration est réciproque, Proust lisant avec plaisir L’Action française dont la qualité littéraire en impose à beaucoup, au-delà des clivages politiques. Surtout, la gratitude de Proust est indéfectible. Maurras est en effet le premier à avoir signalé le talent de Proust, dans son article louangeur sur Les Plaisirs et les Jours, en août 1896, alors que dans l’ensemble la critique dédaignait l’ouvrage : « il faut que la jeune génération s’accoutume à faire fond sur ce jeune écrivain ». (En « omettant » de prendre en compte la part de Maurras dans la vie littéraire des années 1890-1920, part créative et critique, l’histoire de la littérature fausse totalement la perspective.)<o:p></o:p>

    Bien d’autres noms apparaissent dans la correspondance, intéressants (Cocteau, Rivière, Régnier…) ou médiocres (Gregh, Souday, Bourges, ce dernier connu des lecteurs de Bloy : c’est Desneux dans Le Désespéré). Proust agrémente parfois sa lettre d’un pastiche, comme des vers hugoliens (lettre à Albert Sorel). On sait quel pasticheur il a été, de Balzac, de Sainte-Beuve, de Flaubert : un exercice qui demande le parfait accord de la sensibilité et de l’analyse littéraires.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Proust, du temps perdu au temps retrouvé.

    Jusqu’au 29 août 2010, musée des Lettres et des Manuscrits<o:p></o:p>

    illustration : À l’Ombre des jeunes filles en fleurs. Placard d’épreuves corrigées de 1914 © Coll. privée / Musée des lettres et manuscrits - Paris<o:p></o:p>


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    Les Petits Hommes Verts<o:p></o:p>

    Les Envahisseurs ont apporté leur langage, leurs lois, leur religion et leur mode de vie. Venus sauver votre planète, ils vous incitent à collaborer. Cette rubrique a pour but de vous aider à les mieux comprendre.<o:p></o:p>

    Grand Homme Vert. « Si demain Jean-Marie Le Pen voulait me rencontrer, ma ‘religion’ est telle qu’il irait se faire voir », écrivait Nicolas Hulot (Graines de possible, 2005). On reconnaît, à ce tabou, l’actuelle religion d’Etat. De cette religion Hulot est un adepte, mais également un prophète. Le prophète préféré des électeurs et de leurs élus, en matière d’écologie. Récemment, 53% des personnes interrogées voyaient en lui la personnalité « qui défend le mieux l’environnement ». Raison de plus de ne pas aimer Le Pen : Jacques Roubaud n’a-t-il pas publié un poème intitulé « Le Pen pollue », dans Le Monde en mars 1998 ?<o:p></o:p>

    La biographie que lui consacre Bérengère Bonte (journaliste à Europe 1) retrace le parcours de cet enfant du XVIe qui n’assume pas son arrondissement, ses débuts comme photographe à l’agence Sipa, puis la radio, puis la télé, avant que comme un bodhisattva il ne repousse son apothéose pour, patiemment, nous inculquer les notions nécessaires au salut de la planète. <o:p></o:p>

    Une planète qu’il connaît bien, pour l’avoir parcourue en tous sens. La traçabilité de Nicolas Hulot ne se fait pas sans un lourd bilan carbone. Le coureur du Paris-Dakar, le vacancier des Mascareignes, l’animateur d’Ushuaïa, d’Okavango, d’Ushuaïa nature, a mobilisé ULM, hélicoptères, avions, 4x4. Des déplacements à base de kérosène qui ne le prédisposaient pas à devenir un chantre de l’écologie. L’écologie lui est venue comme ça, tombée du ciel. Sa science est celle d’un amateur, nourri de citations réparties dans une dizaine de petits cahiers thématiques. Telle est la vie intellectuelle de ce présentateur télé qui, fort d’un carnet d’adresses où figurent Jacques et Claude Chirac, PPDA et tant d’autres, a lancé la Fondation Nicolas Hulot pour l’homme et la nature, institut de lobbying, à l’origine du Comité de Veille Ecologique (1999), de la Charte de l’Environnement (2005), du Pacte écologique (2006, y traînait l’idée d’une taxe carbone). En janvier 2007 au musée Branly, c’est Hulot encore qui préside le jury d’examen devant lequel passent, volontaires pour l’humiliation, dix candidats à la présidentielle. Ceux-ci voient noter (sur vingt) leurs propositions écologiques. Le scolaire au secours de la politique ! On songe aux enfants qui notaient d’autres enfants dans l’émission « L’école des fans ».<o:p></o:p>

    Les écologistes de stricte obédience, ceux qui sont pour la décroissance et non pour un développement durable qu’ils estiment aménagé aux convenances industrielles et commerciales, contestent à Hulot ce rôle de directeur des consciences notées sur barème. Non seulement il a des joujoux polluants, mais il se finance en puisant dans l’escarcelle de grandes firmes pas très propres (Rhône-Poulenc, par exemple). C’est sa morale à lui. <o:p></o:p>

    En avril dernier, quatre cents chercheurs ont écrit à Valérie Pécresse pour se plaindre de Claude Allègre, qui dénonce régulièrement le mythe du réchauffement climatique. Lorsqu’en septembre 2009 Allègre avait qualifié Hulot d’« imbécile », la communauté scientifique n’avait pas tiqué. Son imbécillité peut donc être considérée comme établie. Imbécile, peut-être, mais dont le train de vie semble « durable ». Les droits d’auteur, l’émission « Ushuaïa » déclinée en chaîne de télévision, en magazine et en gels douche… il n’a connu qu’un échec, celui de son film Le Syndrome du Titanic (2009), mais heureusement les entreprises partenaires étaient là pour éponger : EDF, la SNCF et L’Oréal, rien que ça. <o:p></o:p>

    Nicolas Hulot a failli se présenter à la présidentielle de 2007. Que cachait son désistement ? On prête à ce millionnaire au cœur pur des visées européennes, voire onusiennes.<o:p></o:p>

    Samuel

    Présent du 9 juillet 2010<o:p></o:p>

    Bérengère BONTE, Sain Nicolas, Editions du Moment, 2010, 330 pages. 19 euros.<o:p></o:p>


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