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    Le Louvre<o:p></o:p>

    au temps des Lumières<o:p></o:p>

    Présent du 1er janvier 2011<o:p></o:p>

    Imaginez un palais inachevé, dont certaines parties n’ont pas été poussées plus avant que le gros œuvre, dépourvues de toitures, un domaine que de multiples constructions bancroches et pittoresques ont envahi, à telle enseigne qu’on ne distingue guère le mur palatial de la cloison populaire. Tel se présente le Louvre au XVIIIe siècle, un chantier à l’abandon où survit, au milieu d’agrégats parasitaires, la vague idée d’un projet royal.<o:p></o:p>

    (Il faut de plus se représenter le Louvre ainsi : à l’Est, la Cour carrée, prolongée par la Grande Galerie côté Seine, à l’extrémité ouest de laquelle se raccrochent les Tuileries ; et ni galerie symétrique au nord, ni place où caser une pyramide.)<o:p></o:p>

    Des tas de gens vivent et travaillent dans ce Louvre. Le roi concède à la haute noblesse des appartements ou des portions de terrain. Le duc de Nevers détient ainsi 780 m2 de constructions diverses. Par un usage qui remonte à Henri IV, des artistes sont logés et ont leur atelier : des graveurs, des peintres (La Tour, Chardin, Greuze), des sculpteurs (J.-B. Lemoyne, Pigalle, Falconnet). L’Académie de peinture et de sculpture siège au Louvre. Le contact avec le public a lieu lors du Salon, organisé à partir de 1737. Avec le Salon naît le compte rendu et la critique d’art, dont Diderot est alors le plus éminent représentant. Les salles pleines de tableaux ont fait l’objet de gravures, particulièrement de Saint-Aubin qui y revient année après année.<o:p></o:p>

    Les Bâtiments du roi octroient une multitude de « baraques », humbles boutiques et, dans des endroits plus choisis, des places de bouquinistes et de marchands d’estampes, activité attestée par des relevés et des peintures jusqu’au début du XIXe (illustration), depuis reléguée sur les quais.<o:p></o:p>

    Face à ce pullulement anarchique, l’esprit du temps présenta un projet de 75 boutiques (au pied de la Colonnade), toutes sur le même plan (projet anonyme, vers 1770). Combien le siècle a-t-il fait de projets concernant le Louvre ? Délaissé par le roi, le Louvre est en effet devenu l’objet d’une tentative, par la Ville, de le réintégrer au tissu urbain. Comment l’y coudre de façon rationnelle ? La pensée des Lumières se devine dans la critique de l’attitude royale et dans la réflexion sur un urbanisme plus utilitariste.<o:p></o:p>

    Louis XV tenta d’affirmer son intérêt pour la question en appelant de ses vœux la création d’une place royale (1748). Un certain « Legrand l’aîné » avait dans l’idée de l’ouvrir côté Colonnade, en rasant tout bonnement Saint-Germain-l’Auxerrois. Sous Louis XVI, l’abbé Lubersac, dit « l’abbé monuments » pour son imaginaire bâtisseur que desservaient ses lacunes en architecture, dessina une place où la statue équestre était remplacée par un obélisque, autour duquel s’organisait un espace où réunir le Roi et la Nation – nous étions en 1783. Un projet de 1790 rassemble au Louvre le Roi, l’Assemblée, la Ville et le Peuple.<o:p></o:p>

    A ces plans sur la comète politique s’ajoutent les projets d’intégrer l’Opéra royal et la Bibliothèque. Avec les Académies, le Louvre aurait alors regroupé les organes des sciences et des arts, dans une unité « encyclopédiste ».<o:p></o:p>

    Qu’en fut-il concrètement ? Marigny, le petit frère de la Pompadour, remarquable directeur des Bâtiments du roi, entreprit en 1755 le dégagement du terre-plein de la Colonnade et le dégagement et l’achèvement de la Cour carrée (un dessin de Blondel et Saint-Aubin la montre encombrée de vieilles constructions assaillies par les échafaudages).<o:p></o:p>

    Son successeur, le comte d’Angiviller – placé là par Turgot qui disposait aux postes-clés ses amis éclairés – a donné l’impulsion à l’idée d’un Louvre musée, voulant rendre accessibles les collections royales au public, jusque là plutôt réservées aux élèves de l’Académie.<o:p></o:p>

    Angiviller charge Soufflot de réfléchir aux questions de sécurité (matériaux ignifugés) et d’éclairage. Les débats sont intenses et n’aboutissent à rien. Les projets de Wailly et d’Hubert Robert, deux des premiers conservateurs du Louvre pendant la Révolution, seront repris par Percier et Fontaine sous l’Empire. Les esquisses de 1795 de Robert, Projet pour la Grande Galerie et La Grande Galerie en ruine, sont enlevées et constituent de remarquables simulations.<o:p></o:p>

    Sous la Révolution, les Tuileries à leur tour sont soumises à des projets de remaniement, car le Roi et sa famille jugent malcommode la distribution des appartements. Un plan de 1790 renseigne sur les modifications envisagées. On note que la salle de spectacle doit devenir une chapelle, sur un plan analogue à celle de Versailles. La situation se dégradant, le chantier n’avait pas commencé lorsque les Tuileries furent prises, le 10 août 1792.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Le Louvre au temps des Lumières, 1750-1792.

    Jusqu’au 7 février 2011, Musée du Louvre.

    illustration : P.-A. Demachy, Guichet du Louvre côté est : les magasins d’estampes, 1791 © RMN / Christian Jean<o:p></o:p>


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    À l’École des Beaux-Arts

    L’architecte Garnier
    (1825-1898)

    Présent du 25 décembre 2010

    Peu d’édifices portent le nom de leur architecte. Sauf erreur, Paris ne compte que la Tour Eiffel et l’Opéra Garnier. La tour a assuré la gloire à Eiffel. L’opéra n’a pas rendu ce service à Garnier, dont ni la vie, ni la personnalité, ni même les autres constructions ne sont connues.

    L’Ecole des Beaux-Arts revient sur celui qui fut son élève de 1842 à 1848. Quelques travaux sont exposés : des projets pour un phare à structure métallique, pour un hôtel balnéaire, pour une sacristie. Deux étapes : le plan et l’élévation. Le sujet « Un conservatoire des Arts et Métiers » fut donné au concours pour le prix de Rome en 1848, que Charles Garnier remporta.

    Pensionnaire de la Villa Médicis de 1849 à 1854, il en profite pour découvrir l’Italie, ainsi que la Grèce et Constantinople. Les « envois de Rome », ces travaux que les pensionnaires envoyaient en France afin que les professeurs suivissent les progrès, consistent en relevés de monuments (basilique Saint-Pierre), de peintures (fresques de Pompéi, fresques étrusques de Tarquinia), de sculptures. Egalement, en relevés de monuments antiques ruinés qu’accompagne une proposition de restitution (temple de Vesta à Rome ; de Jupiter à Egine).

    A côté de ces devoirs, Garnier pratique l’aquarelle pour le plaisir. Les costumes orientaux lui parlent. Il rapporte du voyage de 1852 des aquarelles représentant des Grecs, hommes et femmes, des Turcs, des juives de Constantinople, un récureur de chibouque – un métier, croyez-moi, qui n’a pas de code de désignation dans les ordinateurs du Pôle Emploi.

    Au retour d’Italie, comme c’est humain, Garnier fit une grosse dépression. Puis il commença sa carrière parisienne. Ses premières affectations : sous-inspecteur pour la restauration de la tour Saint-Jacques, qui alors perdait ses gargouilles, puis inspecteur des travaux des barrières, zones mythiques de l’urbanisme parisien !

    En 1860 est lancé le concours de l’Opéra. La voie du concours était une première et un tour de passe-passe : il s’agissait d’écarter Rohault de Fleury, architecte ordinaire de l'Opéra à qui revenait de droit le chantier, pour confier celui-ci au favori du couple impérial, Viollet-le-Duc. 171 participants entrèrent en lice. Le projet de Charles Garnier fut vainqueur au second tour et Viollet-le-Duc se retrouva Jospin comme devant.

    La première pierre fut posée en juillet 1862 et l’inauguration eut lieu en janvier 1875. Pour ce chantier énorme, Garnier dirige son agence avec fermeté et bonne humeur. La masse de travail est colossale. Plans, dessins à l’encre ou en couleurs, s’accumulent. Dallages, colonnades, ornements, modénatures… Tout est supervisé par le patron. Les peintres et sculpteurs amis sont embauchés. Les maquettes en plâtre des principaux morceaux de sculptures sont exposées : allégories de l’Harmonie et de la Poésie (Charles Cordier), du Drame et de la Musique (Gabriel-Jules Thomas), l’Apollon d’Aimé Millet et, bien évidemment, la Danse de Carpeaux.

    Le numéro du Trombinoscope consacré à Charles Garnier, paru le mois même de l’inauguration de l’Opéra, juge que « ce ne sera guère que dans trente ans, quand la pluie, la fumée et la poussière auront recouvert d’une teinte noire et uniforme cette énorme pièce montée en sucre d’orge, angélique, jujube, amandes, chocolat, pistaches, abricots confits et gelée de groseilles, que l’on pourra vraiment juger de son effet ». Description amusée de cette accumulation d’éléments antiques, Renaissance et baroques.

    L’Opéra, considéré comme réussi, vaudra à Charles Garnier des commandes multiples, le casino de Monte-Carlo, le théâtre Marigny, les Bouffes Parisiens, l’Observatoire de Nice. Sans compter les immeubles et demeures particulières, et, éphémère monument, le catafalque dressé sous l’Arc de Triomphe lors des funérailles de Victor Hugo (31 mai 1885).

    Proche, par son passage aux Beaux-Arts et son séjour romain, de nombreux artistes, Garnier a été portraituré par Bouguereau, par Bénouville, par Baudry, par Carpeaux. Il a aussi été caricaturé : le XIXe a tant aimé les portraits-charges ! Celui dessiné par Nadar est tout à fait réussi.

    Garnier lui-même a pratiqué la caricature tout au long de sa carrière. Quelques dessins évoquent la vie à la Villa Médicis, avec ses anecdotes magnifiées (un duel entre Cabanel et Tourny alors que deux autres peintres s’enivrent, indifférents), mais aussi, bien plus tard, les séances à l’Institut où Garnier ne manque pas de saisir d’un trait les vieillards assoupis.
    Samuel
     
    Un architecte pour un empire. Jusqu’au 9 janvier 2011, ENSBA, 13 rue Malaquais, Paris VIe.

    L’œil et la plume : caricatures de Charles Garnier. Jusqu’au 30 janvier 2011, ENSBA, 14 rue Bonaparte, Paris VIe.

    illustration : Charles Garnier, Vue de trois-quarts du nouvel opéra, printemps 1862, encre et aquarelle, 82 x 154 cm © BMO

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    Au Petit Palais<o:p></o:p>

    De Nittis, peintre<o:p></o:p>

    Présent du 18 décembre 2010
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    Giuseppe De Nittis ? Un nom qui apparaît dans le Journal des Goncourt, dans la liste des peintres participant à la première exposition impressionniste. Le Petit Palais, en le présentant, permet de poursuivre la confrontation de carrières et parcours artistiques entre 1865 et 1885, après Monet (Présent du 13 novembre) et Gérôme (11 décembre).<o:p></o:p>

    De Nittis naît en 1846 dans les Pouilles. Entré aux Beaux-Arts de Naples en 1861, il en est renvoyé pour indiscipline en 1863. Il fonde alors l’Ecole de Resina avec quelques peintres : on délaisse la sèche peinture d’histoire pour le plein air. Des paysages étirés, découpés en bande de ciel, de terre et d’eau (Sur les rives de l’Ofanto, 1867), marqués par une grande sensibilité lumineuse : études exclusives de nuées (huile sur bois), études de vagues tempétueuses, de reflets argentés dans le golfe de Naples.<o:p></o:p>

    En 1867, il découvre Paris, où il revient, s’installe et se marie en 1868. (Son épouse, née Léontine Gravelle, devenue veuve en 1884, publiera une flopée de romans et de contes, certains sous le pseudonyme d’Olivier Chantal. Leur fils Jacques, médecin, restera lié au monde littéraire et artistique, publiera des vers dans diverses revues.) Giuseppe De Nittis fait la connaissance d’Adolphe Goupil qui devient son marchand, de son gendre Gérôme, de Meissonnier, mais aussi des Goncourt (portrait d’Edmond plus tardif, 1881, devant sa bibliothèque, grand pastel), de Caillebotte, Degas, Manet… <o:p></o:p>

    La guerre de 1870 le fait retourner en Italie. C’est là, notablement, qu’en 1872 il « croque » l’éruption du Vésuve. Le panache de fumée, plusieurs fois étudié, est grandiose, menaçant par sa masse et sa coloration. Les photos du panache de l’Eyjafjöll, lors de l’éruption de l’année dernière, laissent assez deviner l’intérêt que peut y prendre un peintre déjà attiré par les nuages plus habituels. La critique moderne voit volontiers dans ces études de nuages volcaniques des pressentiments abstraits ; demandez donc à Pline l’Ancien le degré d’abstraction d’une éruption du Vésuve…<o:p></o:p>

    En 1873, De Nittis revient définitivement en France. Ses contacts avec les impressionnistes, on les mesure dans ces « femmes au jardin » qui se multiplient. Sa participation à la première exposition impressionniste (1874) ne signifie, relativement au mouvement, pas grand-chose. Le noyau impressionniste invita de nombreux peintres à se joindre à lui, y compris des peintres acceptés au Salon officiel, ce qui était le cas de De Nittis, afin de ne pas donner à l’exposition du groupe l’apparence d’un nouveau « Salon des Refusés ». Renoir, chargé de l’accrochage, fut d’ailleurs si embêté pour accrocher le tableau de De Nittis parmi les autres qu’il le laissa de côté. Ce n’est qu’après le début de l’exposition qu’on lui trouva une place, expliquera De Nittis, « en mauvaise lumière, et quand la presse et les premiers visiteurs furent passés. Je ne m’en fâchai pas et n’en éprouvai nul ennui. Seulement, je dis en riant : –– c’est une leçon. Je ne recommencerai pas » (les Notes et souvenirs du peintre ont été publiés en 1895).<o:p></o:p>

    Plus qu’en peintre de campagne, c’est en peintre parisien que De Nittis s’épanouit, avec le même goût que, peu après, Pierre-Jacques Pelletier. Même affinité pour l’atmosphère pluvieuse, les gris innombrables, les rehauts colorés et les reflets que laisse l’averse après son passage (La parfumerie Violet), les luminosités diffuses ou précises qu’on attrape en bord de Seine. Dans ces climats vécus, un Paris reste, celui des ruines des Tuileries (1882) ou du chantier de l’extrémité ouest du Louvre (La place des Pyramides, 1875). <o:p></o:p>

    De Nittis s’est rendu plusieurs fois en Angleterre. Pour un banquier il peint une série de toiles de rues londoniennes, quelque peu convenues (La National Gallery à Londres, 1877), où le peintre se montre sensible à l’animation de la capitale (Piccadilly, promenade hivernale) et toujours aux ciels chargés. Dans des toiles moins commerciales (Westminster, 1878), il est marqué par Whistler et Monet.<o:p></o:p>

    De Nittis a été par ailleurs le peintre des élégances parisiennes, au Bois, aux courses à Auteuil, dans le salon de la princesse Mathilde, fréquenté par la noblesse autant que par les artistes et les écrivains. Il est plus profond lorsqu’il se montre touché par l’élégance japonaise. A ranger parmi les collectionneurs les plus importants d’une époque qui en comptait beaucoup, De Nittis pratique l’aquarelle sur soie sur laquelle il peint, véritable nippon, des chauves-souris, des chrysanthèmes et des bambous. Les paravents apparaissent dans certaines compositions. Le Kimono couleur orange (une de ses dernières toiles), révèle la maîtrise de sa touche qui anime des zones colorées subtilement variées : le pinceau ne décrit pas, il suggère.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Giuseppe De Nittis (1846-1884) – La modernité élégante.

    Jusqu’au 16 janvier 2011, Petit Palais.

    illustration : Le kimono orange © Fotostudio Rapuzzi, Brescia<o:p></o:p>


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    Au musée d’Orsay<o:p></o:p>

    Un pompier<o:p></o:p>

    Présent du 11 décembre 2010<o:p></o:p>

    Jean-Léon Gérôme est né à Vesoul en 1824. Venu à Paris, il entre dans l’atelier de Paul Delaroche en 1840. Il suit son maître en Italie, puis, rentré à Paris, passe trois mois dans l’atelier de Charles Gleyre avant de devenir l’assistant de Delaroche. Malgré l’échec au prix de Rome (1846), Gérôme connaît une carrière enviable, où ne manquent ni les commandes officielles, ni les décors prestigieux : bibliothèque des Arts et Métiers, chapelle Saint-Jérôme à Saint-Séverin, villa pompéienne du prince Napoléon… Après la réforme de l’école des Beaux-Arts (1863), provoquée par les heurts du Salon où « pousse » la génération réaliste et impressionniste, Gérôme est nommé à la tête d’un des ateliers, où il restera près de quarante ans. Il a épousé la fille de Goupil, le grand marchand d’art qui assure la diffusion des œuvres de son gendre par le biais de reproductions photographiques.<o:p></o:p>

    Une carrière que les attaques cependant n’ont pas épargnée. Aussi bien de la part des critiques, que de ses confrères en académisme ou des « modernes ». Inflexible, il est fidèle au système auquel il appartient. Il s’oppose en 1884 à l’exposition des œuvres de Manet aux Beaux-Arts. Il tente d’empêcher le legs Caillebotte en 1894, collection d’œuvres impressionnistes.<o:p></o:p>

    Le bougre n’est pas mauvais. Il finit par concéder au sujet de Manet : « Ce n’est pas aussi mauvais que je le croyais. » En 1887, il refuse de vendre à l’Etat une de ses sculptures – car il a sculpté –, estimant que l’argent public doit profiter à des artistes plus nécessiteux. Les bloyens lui savent gré d’avoir secouru à deux ou trois reprises le romancier, vers 1895, avec simplicité et « une bonté parfaite ». Cependant Bloy note, le 11 janvier 1904 : « Mort du peintre sculpteur Gérôme. Matière à copie pour une huitaine. Mort subite. Un des derniers actes de cet artiste contestable qui fut traité par le Monde avec tant de douceur, a été de dire, à propos de moi qui ne lui demandais rien, qu’il était décidé, à l’avenir, à ne plus rien donner à personne. »<o:p></o:p>

    La victoire impressionniste, des décennies après la bataille, a remisé les « pompiers », Cabanel, Gérôme et les autres, ces officiels de la période 1850-1900, dans les réserves. Un dépoussiérage a lieu depuis une trentaine d’années, justifié du point de vue de l’histoire de l’art, mais inexplicable autrement que par le relativisme du point de vue du goût. Les pompiers « vaudraient » les impressionnistes. On en vient à louer leur modernité. Ainsi celle de Gérôme, « modernité paradoxale », « modernité minimaliste », modernité inaboutie », égrène le catalogue en formules gênées aux entournures, Orsay assurant que Gérôme « est regardé comme l’un des grands créateurs d’images du XIXe siècle ». Terrible compliment, celui qui évite le mot « peintures ». Ses images seraient cinématographiques : c’est bien le problème.<o:p></o:p>

    En fait de peintures, j’en ai vu quatre. Trois tableautins, un pifferaro (illustration), un portrait de Charles Garnier, une scène de genre (le père et le fils de l’artiste sur le pas d’une porte) ; et, dans un tableau, le plafond et les arcades d’une mosquée. Pour le reste, le tempérament du peintre, face au réel comme au tableau, est incertain.<o:p></o:p>

    Ses figures sont en carton. Sa Vérité sortant d’un puits ! D’un puits moussu sur la margelle duquel on poserait un nain, ou un moulin, sort, hagarde, une vérité qui a l’épaisseur d’un personnage imprimé sur un présentoir publicitaire. L’allégorie de la République a la même consistance, et le lion derrière elle.<o:p></o:p>

    Ses lointains ne sont pas suggérés. Peints avec application, quelques coups de blaireau les ont floutés, leur donnant une sécheresse systématique. Selon le manuel Roret concernant la peinture et la sculpture, édité en 1833 (les manuels Roret donnent d’utiles précisions sur le métier sans lequel il n’est point d’art), il ne faut utiliser le blaireau « qu’avec réserve pour ne pas tomber dans la mollesse et le flou maniéré ». Le métier jugeant le pompier…<o:p></o:p>

    Et il en est ainsi, qu’il soit néo-grec (Le combat de coqs, 1846), peintre d’histoire (Pollice verso, 1872) ou orientaliste (Le prisonnier, 1861) : aucun voyage, à Constantinople, en Egypte, en Syrie, en Asie mineure, en Algérie, ni même celui d’Italie, n’a modifié son regard. Il refroidit tout ce qu’il regarde, ternit tout ce qu’il représente, sans ligne vivante ni modelé, sans couleur. Comme une rétrospective peut être plus cruelle qu’une réserve ! Cette peinture et cette sculpture où fusionnent la dureté et la mollesse au point qu’on ne sait exactement où finit l’une, où commence l’autre, font penser – les spectateurs de Desperate Housewives comprendront – aux macaronis de Susan Mayer, à la fois brûlés et pas cuits.

    Samuel<o:p></o:p>

    Jean-Léon Gérôme, L’histoire en spectacle.

    Jusqu’au 23 janvier 2011, musée d’Orsay.

    illustration : Jean-Léon Gérôme, Pifferaro, 1856 © Ville de Nantes / Musée des Beaux-Arts / Photographie : A. Guillard<o:p></o:p>


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    La galerie des Gobelins

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    à l’heure du bronze<o:p></o:p>

    Présent du 4 décembre 2010<o:p></o:p>

    Après la mise à mal du patrimoine mobilier des châteaux durant la Révolution, le remeublement incombe à Napoléon. Il n’agit pas en décorateur, mais en gouvernant. Il veut relancer un artisanat et une industrie, asseoir son règne en répétant, par le biais des arts décoratifs, les idées fortes qui le sous-tendent, marquer sa prééminence par un ameublement qui en impose.<o:p></o:p>

    Questions pendules et candélabres – puisque l’exposition se concentre sur ces objets, bronzes où le noir contraste violemment avec les parties dorées –, les convenances distinguent. Un prélat ne saurait être meublé comme un maréchal ou un préfet. La pendule du salon ne saurait être celle de la chambre d’une dame, où Psyché et Cupidon, des cygnes, sont les figures imposées. Ces exigences nourrissent la variété des sujets, que les progrès en horlogerie permettent aux créateurs, moins prisonniers des impératifs mécaniques, d’accroître encore.<o:p></o:p>

    L’Antique règne en maître, sous sa forme épurée, néoclassique. Hébé caressant un aigle dit la jeunesse et la vitalité de l’Empire. Les zéphyrs, souffles d’Occident doux et apaisants, disent la paix nationale retrouvée. Les cornes d’abondance et Cérès, la richesse entrevue.<o:p></o:p>

    Minerve, déesse de la guerre, s’impose. Les Français ne sont-ils pas tous devenus soldats ? Si Rome est une référence politique, son ennemi Hannibal en est une autre, militaire : stratège foudroyant qui passe mers et montagnes, il a droit à sa pendule, d’après l’œuvre sculptée par Slodtz au XVIIIe. Autre emprunt, à la peinture cette fois : repris de David, le serment des Horaces, « en 3D », pour une pendule commandée par le prince Murat (1805). Tout patriotique combattant est sollicité : Achille, Agamemnon, Hector qui dit adieu à Andromaque.<o:p></o:p>

    Minerve est aussi la déesse des arts et des sciences et, en ces temps de reconstruction, elle appelle à la poésie et à la lecture. Les poètes et leur lyre ont droit à leurs pendules, Homère, Anacréon, Sapho (illustration, pendule acquise pour la chambre à coucher de l’Impératrice aux Tuileries). Les personnages « à l’étude » sont nombreux.<o:p></o:p>

    La gigantesque pendule-monument réalisée par Duguers en 1806 à la mémoire de Frédéric II est tout en allégories et symboles à la gloire du militaire et du juriste. Elle est monstrueuse. Elégantes, les pendules dites « architectures » peuvent être un arc de triomphe (celui du Carrousel date de 1809), un autel, une borne, une colonne. La campagne d’Egypte donne quelques candélabres en forme de « cariatides égyptiennes », quelques pendules ; cela reste limité.<o:p></o:p>

    Que dire de cette production ? La mainmise de Percier et Fontaine sur le goût lui donne une unité. Décrivant l’habit démodé du cousin Pons, vêtu Empire, Balzac signale « ce je ne sais quoi de menu dans les plis, de correct et de sec dans l’ensemble, qui sentait l’école de David, qui rappelait les meubles grêles de Jacob » : cela s’applique à ces bronzes. Les objets vont du simple au compliqué, limite tarabiscotés parfois – mais on note alors que la lisibilité demeure. Le dessin est sec, mais le bronze est beau : les bronziers de l’Ancien Régime sont encore en activité. Thomire (1751-1843), ciseleur et fondeur, est le maître de cette période. Une pendule de 1809 comme La France écrivant (ou : Le génie de l’histoire) est dessinée par Percier, réalisée par Thomire, le mécanisme par Lepaute. Dans les décennies qui suivent, les artisans et les artistes coopéreront moins, ceux-ci estimant ces travaux indignes de leur « génie ». Il s’ensuivra un abâtardissement du goût.<o:p></o:p>

    A la Restauration, l’Antiquité est moins présente. Oh, il y a toujours des Victoires qui prennent leur envol sur un globe, assurant aux bougies un piédestal maintes fois répété. Homère ne passe pas à la trappe (bronze d’après une pendule de Gérard, 1824). L’étude demeure un sujet, le grand homme aussi : voici Marius sur les ruines de Carthage (clin d’œil vainqueur à l’Hannibal précédent), voici aussi Galilée. Le goût troubadour se répand, pour preuve la garniture de cheminée qui emprunte à un tableau de F.F. Richard ses personnages (François Ier et Marguerite de Navarre dans un décor gothique). L’anecdote moraliste débarque : tout doré, Louis-Philippe s’apprête à saigner le courrier Werner. Un artiste réalise une Indienne chassant le fauve, puis sous le Second Empire un François 1er chassant le sanglier. Une pendule à la gloire des deux Napoléon, confuse et engraissée, révèle l’alourdissement du goût.<o:p></o:p>

    Comme les intérieurs bourgeois, les appartements luxueux connaissent les réductions de chefs-d’œuvre et les « groupes mobiles » : une faunesse d’après Clodion, les chevaux de Marly, la Diane au cerf connaissent le destin du dessus de cheminée.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’heure, le feu, la lumière (1800-1870), Bronzes du garde-meuble impérial et royal.

    Jusqu’au 27 février 2011, Galerie des Gobelins.

    illustration : Sapho (Maison Thomire Duterme et Cie, 1809). Paris, Mobilier national © Isabelle Bidau<o:p></o:p>


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