• À la mairie de Paris

    Vues de Paris

    Présent du 25 juin 2011

    J’hésite à recommander cette exposition. L’entrée libre entraîne un afflux massif de visiteurs et elle n’est pas si libre : le système de sécurité est pesant. (Il est plus facile d’aborder à Lampedusa qu’entrer chez Bertrand Delanoë, fût-ce par la rue Lobau. La charité du maire, pour être médiatique, reste bien ordonnée.) Bref, l’heure d’attente est le minimum.

    « Paris au temps des impressionnistes » regroupe des œuvres venues du musée d’Orsay, dont certaines parties sont en travaux. On voit de grands maîtres ; et de petits maîtres qui se situent aux confins de l’impressionnisme, du naturalisme et de l’académisme, hors des définitions trop précises.

    La première partie présente le Paris qui se bâtit durant le Second Empire et la IIIe République. Durant la seconde moitié du XIXe, Paris s’étend ou se régénère au rythme moyen de 1 240 immeubles par an. Cette floraison est réglementée par la loi de 1859 (alignements, dimensions, encorbellements, etc.). L’architecture à structure métallique se développe, telle la gare Saint-Lazare qui Monet choisit comme motif, mais souvent elle ne rompt pas avec la pierre, cas de l’église Saint-Augustin, de la salle de lecture de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Les immeubles de rapport construits par Raoul Brandon (un élève de Victor Laloux, l’homme de la gare d’Orsay), utilisent le béton armé, dans un style haussmannien revue à la sauce Art nouveau, adaptation peu heureuse.

    Les peintres s’intéressent aux chantiers : Maximilien Luce, De Nittis qui peint les échafaudages du Louvre côté place des Pyramides. Peintre variable, élève d’Hébert, Trouillebert a donné le meilleur de lui-même dans de petits paysages, comme ce chantier ferroviaire dans l’est parisien, avec des poutrelles métalliques rouges sur le ciel bleu.

    L’élément urbain prend une importance qu’il n’avait pas du temps de l’école des paysagistes de l’école de Barbizon, qui s’était installée dans les champs et les forêts. L’impressionnisme, lui, est parisien et fluvial.

    Noble Paris seule raison qui vit encore

    Qui fixes notre humeur selon ta destinée

    Jongkind, à l’aise à l’huile et à l’aquarelle, magicien de l’eau, rend en quelques tâches sur un dessin rapide au crayon l’atmosphère d’un coin de Paris. Gauguin peint La Seine au pont d’Iéna, temps de neige (1875), Caillebotte une Vue des toits, effet de neige (1878), où les blancs sont mis en valeur par les gris, les mauves, les tons brique. Lumières de Paris, ciels plombés ! Je n’ai pas vu de toiles de Pierre-Jacques Pelletier.

    Parmi les peintres qui ne sont pas purement impressionnistes mais ont le goût de la lumière, Antoine Guillemet. Ses grandes toiles sont intéressantes : Paris vu de la butte des Moulineaux (1897), ou, mieux, Bercy en décembre (1874) : premières lumières du jour s’accrochant aux maisons basses en bord de Seine, sous un ciel gris. Situons-le, Guillemet est l’homme qui figure sur le Balcon de Manet.

    Stanislas Lépine, élève de Corot, est plus intimiste avec ses vues de Montmartre d’où se dégage une poésie certaine (Rue Saint-Vincent, vers 1870). Van Gogh, en peignant les guinguettes (1886), aura une autre vision de Montmartre, non moins poétique.

    L’époque impressionniste n’est pas que le paysage. C’est aussi la vie parisienne, avec ses gosses et ses ouvriers, ses demi-mondaines et ses bourgeois. Quelques artistes croquent, en verve. Constantin Guys, Lautrec, Steinlein, Degas, Vallotton, mais également Forain dont on voit là quelques œuvres de qualité : la Jeune femme sur un balcon associe un profil dans le goût du temps, d’une joliesse effrontée, à un décor parisien de cheminées. Deux portraits mondains : le célèbre Proust par Blanche (1892), l’antipathique Robert de Montesquiou par Boldini (1897) – mais, de grâce, Montesquiou n’a pas inspiré le personnage de Swann ! mais celui du baron de Charlus, et auparavant celui de Jean des Esseintes. Ernest La Jeunesse, dans ses Nuits et ennuis… (1896) s’est moqué de ce littérateur : il le montre en train d’écrire des vers artificiels et prétentieux et finalement ayant recours à son Larousse pour trouver une rime.

    Une salle est consacrée au Siège et à la Commune. Des troupeaux furent rassemblés dans le Bois de Boulogne afin de nourrir la capitale. Gustave Doré en a tiré un dessin étonnant, au moutonnement épique. Cet artiste est desservi, souvent, par la façon dont ont été gravées ses illustrations – la façon de l’époque, des plus communes. Les figures féminines de Puvis de Chavannes, Le Ballon (1870), Le Pigeon (1871), rappellent les moyens de communication en usage durant le siège. Dom Gérard aimait Puvis de Chavannes et cela suffirait à nous faire regarder avec attention ces figures noires sur fond brun.

    Samuel

    Paris au temps des impressionnistes.

    Jusqu’au 30 juillet 2011, Mairie de Paris, 5 rue Lobau.

    illustration : Johan Barthold Jongkind, La Seine et Notre-Dame de Paris © RMN (musée d’Orsay) / Jean-Gilles Berizzi


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  • Au musée de l’Orangerie

    Severinisme

    Présent du 18 juin 2011

    Gino Severini (1883-1966) a nagé – au fil de l’eau, comme certaines bêtes – dans divers courants du fleuve post-impressionniste : il a connu les gouttelettes du divisionnisme, et son affluent le divisionnisme scientifique, les chutes du futurisme, le ruisselet du réalisme idéiste, les larges rives du cubisme synthétique et du cubo-futurisme, avant de patauger dans le néo-classique à tendance néo-divisionniste. Comment aurait-il eu le temps d’être peintre ?

    Initié en 1902 au divisionnisme, qui est un pointillisme à revendication scientifique, et voulant mieux connaître Seurat, il vient à Paris. C’est en tant qu’introducteur en France du futurisme qu’il perce, en 1912.

    Le futurisme éclot en Italie quelques années auparavant, pondu par Marinetti. Il revendique une peinture dynamique, la modernité ayant mis en branle les machines et décuplé le mouvement mécanique. L’esthétique de la violence implacable de la bielle devient la référence.

    Rien du futurisme n’échappe à Apollinaire, qui suit avec attention le développement des idées picturales de son époque : ni la jactance des manifestes qui tombent dru, comme il arrivera au temps du surréalisme, ni l’insolence qui n’en a pas qu’après l’académisme mais toutes choses : jusqu’au cubisme, que les futuristes ne reconnaissent pas mais dont ils subissent malgré tout l’influence. D’ailleurs, pour le poète, le futurisme est une imitation des fauves et des cubistes. Il note que Severini est influencé par Van Dongen (cf. Présent du 28 mai), dont certaines peintures essayent de rendre le mouvement (de danses, de manèges), ce que Severini tente de réaliser avec La Danse du pan-pan au Monico, toile à succès en 1912. Le Monico était un dancing de Pigalle et le pan-pan, peut-être, une danse dans le goût de la Mattchiche.

    « En réalité, remarque Apollinaire, les peintres futuristes ont eu jusqu’ici plus d’idées philosophiques que d’idées plastiques. » Vu que « la nature ne les intéresse pas », c’est à des idées qu’ils demandent des formes. Tout l’intellectualisme du XXe siècle est là. « Parmi les propositions du manifeste des peintres futuristes, il n’y en a pas qui ait paru plus sotte que celle-ci : “Nous exigeons, pour dix ans, la suppression totale du nu en peinture.” » Quoi de moins humain que cette interdiction et que son objet ? (En matière d’oukases littéraires et artistiques, les surréalistes seront, là encore, des suiveurs.)

    Danseuses, tramways : le rendu du mouvement se traduit par des effets kaléidoscopiques dans les années 1912-1915. Des titres se posent comme des équations : Danseuse + Mer + Voile = Bouquet de fleurs. Voilà qui ne sent ni la mer, ni la danseuse, mais le biscornu. D’autres titres ne cachent pas leur prétention : Expansion sphérique de la lumière centripède et centrifuge et Expansion de la lumière (centrifuge et centripède). (Ce « centripède » est un barbarisme et ne désigne en aucun cas, façon Luc Ferry, un ancien ministre français.) Quand un titre prend cette allure, on sait qu’aucune peinture ne survit.

    Les futuristes aimant la modernité, ils aiment la guerre moderne, broyeuse. Marinetti suggère à Severini de s’en inspirer. (Fernand Léger aura la « révélation » d’une esthétique moderne durant la guerre, feu et acier.) Il peint au début de la Première quelques toiles intéressantes, Train blindé en action et Canons en action (illustration), typique du lettrage de l’époque, écho aux calligrammes d’Apollinaire.

    En 1916, Severini devient cubiste. Ses natures mortes ont de belles harmonies, sourdes, plus à la Juan Gris qu’à la Pablo Picasso. Il avait déjà, les années précédentes, inclus des collages, des inscriptions, dans ses tableaux : ainsi du portrait de Paul Fort (« Prince des Poètes » oublié de nos jours, dont Severini avait épousé la fille en 1913). Avec le goût cubiste pour la géométrie, Severini se lance dans de savantes et stériles recherches sur les tracés harmoniques et le nombre d’Or. Il redevient figuratif, développe un sens décoratif certain. Il peint des panneaux pour la maison du marchand d’art Léonce Rosenberg, lequel ignorait qu’un jour le second mari de sa petite-nièce serait présumé innocent dans une histoire de viol new-yorkais.

    Severini a-t-il été fasciste ? L’exposition ne clamant pas haut et fort, ni mezzo voce, qu’il ne l’a pas été, on peut s’interroger. Les futuristes ont eu tendance à le devenir. On se contentera de la perspicacité de Nicole Tamburini, dans La Tribune de l’Art, qui a vu, dans les gris et les bruns de tableaux des années trente, des couleurs qui « trahissent les sombres heures de la montée du fascisme ».

    Plus sérieusement, signalons la publication de la correspondance Severini-Maritain, deux centaines de lettres de 1923 à 1966.

    Samuel

    Gino Severini, futuriste et néoclassique.

    Jusqu’au 25 juillet 2011, Musée national de l’Orangerie.

    illustration : Gino Severini, Canons en action (Mots en liberté et formes), 1915© Archivio Fotografico Mart © ADAGP, Paris 2011


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  • Au Quai Branly

    Histoires de sculptures

    Présent du 11 juin 2011

    Le pays dogon est situé dans le sud du Mali, entre le fleuve Niger et la frontière burkinabé. L’ethnographe Marcel Griaule (1898-1956), se faisant expliquer la cosmogonie dogon dans les années 1940, en conclut que les dogon connaissent depuis des siècles l’étoile Sirius B, dont l’existence n’a été prouvée qu’en 1836 par la science européenne. Certains s’appuient sur ce qui n’est qu’interprétation pour en déduire que les Dogon sont d’origine extraterrestre – leur ancêtre fondateur ne tombe-t-il pas des cieux, avec sciences et bagages, dans une arche ? (Comprenez : une soucoupe.) Plus prosaïquement, les Dogon sont arrivés dans cette région vers les XIV-XVe siècles, fuyant l’islamisation. Les Français seront-ils un jour réputés extraterrestres ?

    Les sculptures jouent un rôle important dans la culture dogon. Que n’entendrait-on si le christianisme s’était élevé là contre ! L’aniconisme islamique et ses effets sont mentionnés avec une discrétion de violette. Le vrai est que, des trois civilisations, européenne, noire africaine et arabe, les deux premières étaient mieux disposées à s’entendre, à se convenir, que chacune d’elles avec la troisième. Des civilisations qui partagent le même respect de l’image, pour lesquelles elle est un mode d’expression à part entière, peuvent passer par-dessus bien des traits culturels a priori séparateurs.

    La sculpture dogon est essentiellement mythique. Le lien entre origines et arts appartient au personnage du forgeron, « personnage énigmatique », « figure centrale », écrit Jean Laude (Les arts de l’Afrique noire). Descendant du Démiurge et détenteur du savoir-faire, le Forgeron est habilité à sculpter les ancêtres. Venu du ciel, il a apporté avec lui dans une arche les techniques, les graines primordiales, les ancêtres humains et animaux. Dans sa chute, il se brise les jambes. (Les forgerons de la mythologie européenne, à commencer par Héphaïstos, sont aussi magiciens et boiteux.)

    L’incident se lit d’une deuxième manière : à l’origine l’homme était raide, inarticulé. Sous l’effet du choc ses membres se seraient cassés, ainsi seraient apparues les articulations qui rendent l’homme apte au travail. Les figures du peuple tellem se présentent les bras levés, certaines les jambes pliées, d’autres unijambistes. Ce pourrait être une représentation du Forgeron boiteux. Elles sont aussi, ordinairement, interprétées comme des figures implorant la pluie.

    Une autre version relate l’arrivée du Forgeron dans une arche qui se brise à l’arrivée. Il se transforme alors en cheval et tire l’arche vers une mare. Des auges cérémonielles représentent cela : sur le corps de l’arche sont figurés les passagers ; elle est dotée d’une tête de cheval. Ces auges, arches originelles, sont de bons morceaux d’art. Elles sont la propriété d’un chef religieux de village, hogon.

    Le chef de tous les hogon est celui du village d’Arou. Voici un autre mythe que racontent les sculptures où l’on voit un homme juché sur un autre. Lors d’une migration, trois frères marchaient. Le plus jeune, Arou, fatiguant, son frère aîné le prit sur ses épaules. Le petit, qui voyait plus loin de par sa position, vit le pays, le nomma et se l’appropria. (Nommer les choses, est s’en rendre maître.) Par la suite il rencontra une vieille femme qui, le voyant si gentil, lui donna divers objets qui firent de lui le premier hogon. Plus qu’une histoire, c’est la légitimation d’un état de fait social et religieux.

    Les mandés disent descendre d’Arou. Ils héritent de la sculpture tellem et niongom, mais développée, ambitieuse : un artiste s’est lancé dans la représentation de deux joueurs de balafon. La tête légèrement détournée d’un des deux personnages suffit à donner de la vie à un groupe qui, sans cela, serait raide. Ils ont sculpté beaucoup de maternités ; mais elles n’ont pas la qualité des maternités n’duleri chez qui se rencontre l’art le plus élégant : l’enfant est placé sur les genoux de sa mère, de biais, ou contre elle, plus ou moins « affectueusement ». De la mère, la poitrine et les épaules forment une partie distincte du tronc, comme emboîtées sur lui ; sur cette partie s’élance le cou. Cette vision en volumes décomposés est un langage.

    Le style régional de Bombou-Toro est, avec le style n’duleri, un art où il se passe quelque chose, où l’intériorité s’exprime. Les figures de couple sont célèbres, l’homme passant le bras gauche sur l’épaule de la femme. D’autres femmes se présentent en Aphrodite pudique.

    Marcel Griaule a répertorié 68 types de masques. 35 sont exposés. Ils valent plus par leur signification que par leur valeur artistique. Certains objets, en bois, sont intéressants : des coupes complexes, ornées de cavalier ; des appuie-tête, des tabourets, des pièces de métier à tisser, des portes et serrures sculptées : on y retrouve les « implorants » aux bras levés.

    Samuel

    Dogon. Jusqu’au 24 juillet 2011, musée du quai Branly.

    illustration : Statue féminine © musée du quai Branly, photo Patrick Gries


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  • Chanson française

    Une trentaine de militants anarchistes ont été interpellés mercredi soir à Toulouse pour outrage à la police. Ces contestataires s’étaient rassemblés devant le commissariat pour y chanter Hécatombe, chanson où Brassens ridiculise les forces de l’ordre, et y crier « Mort aux vaches ». L’occasion ? Manifester leur soutien à un Rennais de 27 ans, récemment condamné parce qu’il avait, selon Ouest-France, entonné ce même texte devant des policiers, à Cherbourg.

    A Toulouse, les forces de l’ordre ont encerclé les anars et les ont emmenés dans le commissariat pour y relever leur identité. Ce concert malsonnant devrait se terminer par de simples rappels à la loi.

    Parmi les personnes interpellées, une jeune femme qui a trouvé cela ridicule et surréaliste : « Je croyais qu’il n’y avait rien de mal à chanter Brassens devant un commissariat. Apparemment, il y a certaines personnes auxquelles on ne peut pas toucher. » Excusons cette jeune femme, elle est Italienne. En France on peut impunément toucher les policiers, à coups de barre de fer, de marteau, de pierre, de parpaing, voire de gros électroménager, mais à condition d’être « jeune ». Ainsi, dans le récent guet-apens des Tarterêts (cf. l’article de Caroline Parmentier du 7 juin), aucun jeune n’a été interpellé – la police, elle, étant mise en cause.

    Ici il ne s’agissait que de chanson. Le texte de Brassens raconte une dispute de mégères sur le marché de Brive-la-Gaillarde, qui se retournent comme un seul homme contre les gendarmes venus les séparer. Un texte de 1952, rigolard et quasiment littéraire, comparé aux raps où l’incitation à la haine des keufs est nettement moins policée. Les rappeurs échappent en général aux condamnations, au nom de la libre expression des « jeunes ». La susceptibilité des policiers toulousains ne montre-t-elle pas que les forces de l’ordre ont cinquante ans de retard dans leur gestion des outrages et de l’ordre public ?

    Martin Schwa

    Présent du 11 juin 2011


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  • Aux Gobelins
    Histoires de tapisseries
    Présent du 4 juin 2011
     
    La Galerie des Gobelins présente un choix de tapisseries tirées des collections nationales, pour l’essentiel des tentures réalisées d’après Raphaël et deux de ses élèves : Jules Romain et Giovanni da Udine.

    Raphaël (1483-1520) a dessiné les cartons de la tenture des Actes des Apôtres, qui a connu un destin européen exceptionnel. Des quatre tapisseries retenues, l’épisode le moins célèbre est l’aveuglement d’Elymas. A Paphos, saint Paul proclame la parole de Dieu au proconsul Sergius Paulus, très intéressé. Un magicien, Elymas, cherche à le détourner de la foi. Saint Paul annonce à ce magicien qu’il va devenir aveugle, ce qui se produit. Devant ce prodige, le proconsul se convertit.

    Raphaël peignit à fresque les Chambres du Vatican. La messe de Bolsenna est un miracle eucharistique arrivé en 1263 à un prêtre qui doutait de la Présence réelle. Le pape Urbain IV envoya comme enquêteurs saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure. Dans la peinture de Raphaël, fidèlement reproduite par la tapisserie, c’est Jules II, le commanditaire, qui assiste agenouillé au miracle.

    Décoratives, les tapisseries n’en sont pas moins importantes par ce qu’elles racontent. Une femme du vieux temps descend ainsi de nuit d’une tapisserie où elle figure en Omphale et discute avec le jeune héros d’un conte de Théophile Gautier. Que racontent les tentures des Gobelins ?
    Jules Romain (1492-1546) est le « fils » le plus prodigue du Raphaël. A son sujet, Jean Babelon note que « sa robustesse dégénère souvent en outrance et déclaration » (L’art au siècle de Léon X). La tenture des Fructus Belli fut tissée au XVIIe d’après les peintures commandées par Ferrante Gonzague, l’un des condottieres les plus typiques du XVIe siècle, fidèle capitaine de Charles Quint. Grandes compositions, lisibles, où ressortent aujourd’hui les fils rouges et les fils d’or, ce qui leur donne une allure éclatante. Parmi ces fruits de la guerre, la récompense et le châtiment, le dîner du général, le char du triomphe – et une mise à sac. Ferrante Gonzague avait participé au sac de Rome en 1527. Les bordures sont décorées de trophées, de dépouilles, on y lit aussi la devise Non sine fastidio, « Non sans dégoût » : l’homme de guerre était-il fatigué de manier l’épée ?
    L’histoire de Scipion, d’après Jules Romain (tissage du XVIIe), relate les épisodes marquants de la vie du général qui acheva de donner l’Espagne à Rome et eut l’idée de porter la guerre en Afrique pour détourner Annibal de l’Italie. Lors de la bataille du Tessin, il sauve la vie de son père tombé de cheval. Le repas chez Syphax et L’incendie du camp se situent lors de la deuxième guerre punique. Syphax était un roi numide qui chercha à s’allier avec Scipion. Ce dîner est une audace, car rendre en tapisserie un repas aux flambeaux était une gageure, qui s’avère réussie.
    Giovanni da Udine (1487-1564) est un tempérament plus décoratif. Il est l’auteur des Triomphes des dieux (tissage bruxellois du XVIe). Le triomphe de Vénus se fait sur une belle nef autour de laquelle voltigent de multiples Amours, nagent Tritons et Néréides emmenés par Neptune. Le triomphe de Bacchus relate, dans le registre inférieur, la fabrication du vin. D’autres scènes, liées au vin, sont moins explicites, mais certains personnages titubent ou montrent les signes de la gueule de bois.
    Le triomphe de Minerve est une tapisserie plus narrative. L’histoire de Persée y domine, à bon droit puisqu’il fut aidé par la déesse dans sa lutte contre Méduse. Furieuse que celle-ci ait couché avec Neptune dans un de ses temples, Minerve avait transformé Méduse en monstre. Depuis, ces deux-là se détestaient. La plus belle scène est celle où Persée lutte pour sauver Andromède de l’appétit du monstre marin femelle envoyé par Neptune. Le dieu voulait venger les Néréides, ses protégées, que Cassiopée, mère d’Andromède, s’était vantée de surpasser en beauté. Les femmes ne rient pas sur de tels sujets.
    Un maître du Nord, non identifié, est à l’origine de l’Histoire de Vulcain, tissage de Mortlake, vers 1625. Beau tissage, beaux dessins : les personnages sont bien campés, le décor, soigné, ne les écrase pas. On voit Vulcain préparer le filet de bronze, plus léger qu’un fil d’araignée, et le disposer sur le lit où il compte piéger son épouse, Vénus, et l’amant de celle-ci, Mars. Deux femmes l’aident dans cette tâche, une duègne et une sorte d’allégorie de la Jalousie, si on juge d’après sa laideur. La tenture suivante est habilement composée. Par une ouverture, on aperçoit les amants pris dans le filet ; la scène principale est celle où Neptune plaide la cause de Vulcain devant un Jupiter fort embêté par cette histoire qu’à son avis le mari aurait mieux fait de ne pas ébruiter.
    Que plût aux dieux que sans être caché
    J’eusse m’amie ainsi auprès de moi.
    Par ces mots Clément Marot concluait une épigramme sur le sujet.
    Samuel
     
    L'Eclat de la Renaissance italienne.
    Jusqu’au 24 juillet 2011, Galerie des Gobelins.
     
    illustration : Persée délivrant Andromède, d’après Giovanni da Udine (XVIe siècle). Paris, Mobilier national © P. Sébert

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