• Manet (Edouard)

    Au musée d’Orsay

    Manet, un maître à part

    Présent du 23 avril 2011

     

    Edouard Manet (1832-1883) est un peintre difficile. Le monde académique, la planète critique et l’univers confraternel des ateliers même n’ont pas toujours su le cerner. Tantôt on lui a donné la casquette de l’école réaliste, tantôt celle de l’impressionnisme. Casquette à carreaux, casquette à pont, même si Manet a groupé autour de lui à la fin des années 1860, au café Guerbois entre Clichy et Batignolles, Zola, Bracquemond, Bazille, Fantin, Renoir et Degas et d’autres, il a toujours refusé le couvre-chef.

    Comme il y a une littérature de lettré, sa peinture est celle d’un homme qui pense aux maîtres – Degas, avec qui il avait nombre de points communs sauf celui-là, le lui a reproché. Les chefs-d’œuvre du passé éclairent en partie les siens. Le monde académique ne sut pas reconnaître la part profondément traditionnelle de sa peinture, peut-être parce que le passé y était décanté, mais aussi parce que la peinture officielle, contrairement à ce qu’elle prétendait, était tout sauf traditionnelle : elle était routinière.

    L’histoire a minimisé la formation de Manet dans l’atelier de Thomas Couture. Qu’il ait passé six ans (1850-1856) chez un peintre académique, ne cadrait pas avec l’idée que le modernisme se fait de la carrière d’un « révolutionnaire ». L’académisme de Couture est d’ailleurs relatif. Le maître l’était en paroles, moins pinceau en main. Un portrait dans un musée lituanien, une femme en chemisier blanc, me l’avait laissé penser. J’ai retrouvé la façon franche de traiter le vêtement dans une esquisse de détail pour sa grande toile de l’Enrôlement des volontaires de 1792, un homme vu de dos, en fait juste une chemise blanche et une besace. Il y a de la décision là-dedans.

    Le musée d’Orsay rend à Couture ce que Manet lui doit. Une série de portraits, parmi lesquels Prince S.T. (1852), le plus réussi, explique ceux des débuts de Manet. Couture a tendance à perdre son modèle dans le modelé trop détaillé, Manet, tout en reprenant l’éclairage du visage et le fond neutre, donne au visage plus d’unité, par un modelé moins dispersé (Portrait d’homme, 1855-1856). Quelques années plus tard, deux portraits en pied, deux garçonnets (Le petit Lange et Le jeune garçon à l’épée, 1861-1862), constituent deux chefs-d’œuvre. La force concentrée de Manet lui permet de laisser inachevé son tableau : au petit Lange, il manque un bras, mais qui s’en apercevra ? L’inachèvement laisse voir sa manière d’ébaucher : des jus montés peu à peu jusqu’à l’opacité.

    Ces deux toiles se rattachent à l’art de Couture, ainsi qu’aux maîtres que Manet étudie attentivement, en particulier Velasquez. Il copie, à Florence, l’autoportrait du vieux Titien. Au Louvre, la Barque de Dante de Delacroix, lequel en ces années finit sa vie (1863), isolé, sans savoir qu’il est, pour la jeune génération, la référence.

    La carrière de Manet va connaître des refus au Salon, des acceptations qui feront bondir la critique. En 1863, Manet doit exposer Le déjeuner sur l’herbe au Salon des Refusés. Cette composition s’inspire du Concert pastoral alors attribué à Giorgione (désormais au Titien). La femme nue est son modèle Victorine Meurent, qui pose aussi pour Le Fifre, merveilleux tableau dans le prolongement des tableaux de garçonnets, refusé en 1866. C’est elle aussi, l’Olympia du tableau accepté au Salon de 1865, qui scandalisa la critique. Là encore, le sujet était nourri de références magistrales : La Vénus d’Urbin du Titien, que Manet avait copiée, la Maja desnuda de Goya. La sienne fut jugée fort indécente, quand on acceptait des indécences bien plus grandes ! La critique acceptait toute indécence du moment qu’elle fût peinte de façon académique. « L’indécence » du tableau de Manet réside dans le traitement du nu sans le réalisme abâtardi d’idéalisme, sans les lècheries de pinceau suggestives, sans le fondu douceâtre que l’académisme estimait essentiels à la représentation du nu féminin. Son Olympia est une forme picturale – une très belle étude à la sanguine le confirme – non un fantasme rendu vaporeusement acceptable.

    Au même Salon, Manet exposait un Christ insulté par les soldats. L’artiste montrait qu’il se conformait aux genres reconnus. Il a peint d’autres toiles religieuses : le Christ aux anges, un Moine en prières (où se devine Zurbaran). Des toiles fortes, mais le regard du Christ insulté n’est pas à la hauteur. On croit plus aux soldats. Que manque-t-il à cet art pour être vraiment religieux ?

    A la fin des années 1860, Manet se rapproche des impressionnistes. Ou ceux-ci se rapprochent de lui. Il a un train d’avance : il a déjà exposé, fait parler de lui. Certaines peintures prendront un « air » impressionniste. La Seine à Argenteuil (1874) a le ton local, mais deux figures sur la rive, même discrètes, dépassent le strict paysage. Ce sont aussi les figures de Sur la plage (1873), la femme concentrée dans la lecture, l’homme perdu dans ses pensées, qui donnent un sens autre que paysager au tableau. De ce Manet-là, les personnages intériorisés sur la plage ou ailleurs, en annoncent d’autres, ceux de Gauguin – « Degas, Manet, pour qui j’ai une admiration sans bornes », écrira-t-il de Tahiti au critique Fontainas en 1899.

    Parmi les impressionnistes, Berthe Morisot fut certainement la plus proche de Manet. Elle fut à partir de 1868 son modèle, et son élève. Elle est la femme assise dans la grande toile du Balcon, aux côtés de deux autres personnes (inspirée par une toile de Goya). Son beau visage est fermé, mais s’ouvre un brin dans le portrait « au bouquet de violettes ». Berthe fut-elle amoureuse de Manet ? A lire certains courriers adressés à sa mère, qui l’accompagnait dans les premiers temps qu’elle posait, on le pressent. Elle observe l’humeur de Manet, son travail, et ne cache pas son dépit lorsqu’une autre élève et modèle, Eva Gonzalès, débarque et approche trop près de « son » peintre. Manet avait épousé en 1863 Suzanne Leenhoff, le professeur de piano de ses frères, et Berthe Morisot épousera un de ceux-ci, Eugène Manet, en 1874.

    1874 est d’abord l’année du premier Salon impressionniste. Berthe y exposa, Manet non. La bande y vit, sinon une trahison, du moins la crainte d’un opportuniste encore attaché au système officiel. Théophile Gautier, dès 1845, avait dénoncé « ces lâches outrages » que le jury du sacro-saint Salon se permettait à l’égard des artistes qui ne répondaient pas à ses critères. Le jeu pervers de l’acceptation ou du refus des tableaux ne lui avait pas échappé (article du 11 mars 1845). Manet ne fera pas sienne cette analyse. Il croit à l’honnêteté intellectuelle du jury et pense inutile de chercher une reconnaissance autre qu’officielle, convaincu qu’un peintre doué doit finir par emporter le morceau. Il acceptait de soumettre ses toiles au jury. Naïveté éloignée de l’attitude d’un Cézanne qui, lui, présentait ses tableaux pour le « plaisir » de voir le jury se choquer (le plaisir de la démonstration).

    La palette de Manet continue de s’éclaircir, de s’alléger. La toile intitulée Au père Lathuille (1879) est fraîche, décidée, savamment construite. Attablés, un gandin se heurte à la moue d’une pimbêche, déconvenue qu’à l’arrière-plan un garçon, blanchi sous le plateau, constate, désabusé.

    A partir de 1875, les portraits, hélas, prennent une allure mondaine, comme celui du peintre Carolus-Duran, celui du journaliste et critique d’art Albert Wolff, à l’air satisfait (il « s’opposa à l’antisémitisme et aux peintres impressionnistes » dit, d’un ton d’épitaphe, Wikipedia), et encore ceux de son ami Antonin Proust. Mais le portrait de Clemenceau rattrape cette faiblesse. Campé comme une borne, le personnage ne passe pas inaperçu. Celui de Mallarmé est plus intimiste, l’homme est, comme Baudelaire du temps de leur jeunesse, l’autre poète lié au peintre par une belle amitié.

    Les natures mortes de Manet ont eu beaucoup de succès au XXe siècle. Elles ont parfois éclipsé d’autres tableaux. Manet en eût été surpris, car il respectait la hiérarchie des genres. Ses natures mortes sont d’une telle qualité qu’elles relativisent cette hiérarchie, voire la nient. L’asperge est connue, le citron aussi ; les poissons sur la nappe peuvent rebuter mais attardez-vous à la manière du peintre d’en rendre l’écaille et la forme, d’un pinceau courant, et ils seront un sujet pas moins acceptable qu’une coupe de fruits. L’attention aux choses, qui est le tout de la nature morte, ne surprend pas chez Manet. Il en a inclus dans plusieurs grands tableaux, les livres du portrait de Zola, le pique-nique du Déjeuner sur l’herbe, le bouquet d’Olympia.

    Samuel

    Manet, inventeur du Moderne. Jusqu’au 3 juillet 2011, musée d’Orsay.

    illustration: Le petit Lange. © Staatliche Kunsthalle Karlsruhe. Au père Lathuille. © Collection du Musée des Beaux-Arts de Tournai, Belgique. Berthe Morisot au bouquet de violettes. © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 4 Décembre 2011 à 16:31
    Не очень сложно понять что такое [url=http://www.bustrans.com.ua/category/6]аренда микроавтобуса[/url], но совсем не легко найти топовую корпорацию, что презентует такой тип услуг.
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