• Préraphaélites

    Au musée d’Orsay

    Ballade préraphaélite

    Présent du 16 avril 2011

    En 1848, trois peintres anglais fondent la Confrérie préraphaélite : Millais, Hunt et Rossetti. Démarche proche de celle des Nazaréens allemands, il s’agit de se dégager de l’idéal raphaélesque, plus exactement de l’aspect conventionnel qu’il a pris dans la pratique académique victorienne. Un désir de primitivisme ? Ce désir, s’il exista, fut contrecarré par le recours au réel, judicieuse réponse à l’idéalisme qui devint, mal comprise, un réalisme stérile. L’influence de la photographie, récemment mise au point (1839), ne fut pas pour rien dans ce dévoiement. Les photographes furent, autour des préraphaélites, presque plus nombreux que les poètes et les écrivains.

    Leur influence est particulièrement forte sur les paysagistes. La photographie enregistrait les masses et, en y regardant de plus près, les détails aussi. Rien de tel en peinture, où les masses sont prépondérantes et où les détails sont suggérés ou sacrifiés. Fascinés par ce qui était propre au médium photographique, les peintres s’y laissèrent prendre. Ils détaillèrent à outrance. Ils confondirent l’attention à la nature avec sa reproduction serve.

    Théophile Gautier, dans son feuilleton concernant l’Exposition universelle de 1855, trouve du bon chez Millais et Hunt, et relève la faiblesse du concept. Il devine, dans une telle vision, la lentille plus que l’œil : « il arrive que les détails prennent cette importance exagérée que le microscope donne aux objets, et qu’un brin d’herbe attire autant l’œil qu’un arbre ».

    Ce défaut rédhibitoire est accentué par l’utilisation, toujours dans un souci de vérité, d’un ton local rapidement irréel à force de tourner au vert jaune, une teinte à vous dégoûter des légumes. La même teinte – on ne saurait parler d’harmonie – se retrouve dans les différentes toiles de John William Inchbold, et chez un autre peintre : Charles Allston Collins. D’Inchbold, il n’y a guère que Le manoir hanté qui se sauve par sa fraîcheur, ce tableau étant l’un des premiers : le détaillisme n’est pas encore principe, les teintes sont encore soumises à la pensée.

    Les photographes demandèrent à la peinture du pittoresque, mais cela était moins grave que la confusion des techniques. C’est donc à eux que l’on demandera de bons paysages. Jennings (La roche de Dargle, avec un peintre au travail), Sinclair (Givre dans un parc), White (Le pont de Lledr).

    Ils hésitèrent, pour ce qui est du portrait, entre la netteté et le flou. Les photographies de Lady Clementina Hawarden sont nettes et contrastées (Photographic Study, étude pour laquelle posa sa fille). David Wilkie Wynfield opta pour une mise au point plus diffuse. On lui doit de remarquables portraits, simples (le peintre Watts), ou costumés car les préraphaélites aimaient les mises en scènes littéraires : Hunt en costume Renaissance, Millais en Dante.

    Julia Margaret Cameron (née en 1815 à Calcutta, morte en 1879 à Ceylan) partagea sa vie entre l’Inde et l’Angleterre où, de 1863 à 1875, elle réalisa des portraits d’une force extraordinaire. Artistes et jeunes femmes de son entourage passent devant l’objectif, par lequel elle s’entend à donner aux volumes des visages une présence rare, non sans évanescence parfois (illustration). Elle aussi met en scène des textes de Shakespeare, de Milton, de Tennyson – son voisin sur l’île de Wight. Son portrait de celui-ci est à comparer avec celui qu’en donne Watts, tout comme celui de Iago pour lequel pose un modèle italien, lui aussi peint par Watts.

    Côté peinture, on admire également La robe de soie bleue, ambitieux tableau de Dante Gabriel Rossetti, pour lequel a posé Jane Morris. Le charisme du modèle n’est-il pas pour beaucoup dans la réussite de cette peinture ? Rossetti fit poser Jane Morris de 1865 à 1882 (date de sa mort à lui). Cela ne les empêcha pas d’être amants. Il la fit également poser pour des photographies, indiquant les poses et conduisant le travail de John Parsons, photographe. (Delacroix fit de même pour des études d’académie, en collaboration avec Eugène Durieu.) Cela donne treize photographies où elle pose dans le jardin de Rossetti, habillée d’une robe non corseté dessinée par elle-même. Avec une once d’étrangeté, un air lointain et farouche tout à fait captivants, sa beauté est solide, sans rien de ce que les muses préraphaélites peuvent avoir de caricaturalement chlorotique.

    La photographie préraphaélite, bien supérieure à la peinture ? John Ruskin, dont on voit une superbe étude de roches et de fougères, et qui s’était fait le chantre du mouvement, n’aurait pas aimé constater cela. Autre leçon de l’exposition, la prééminence de deux femmes. Un modèle, Jane Morris. Une photographe, Julia Margaret Cameron.

    Samuel

    Une ballade d’amour et de mort :

    Photographie préraphaélite en Grande-Bretagne, 1848-1875.

    Jusqu’au 29 mai 2011, musée d’Orsay.

     

    illustration : Julia Margaret Cameron, Maud, 1875 © Musée d'Orsay (dist. RMN) / Patrice Schmidt

     

     

     

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