• DIRECTION RELIGIEUSE

    Diététique.

    – Les pigeons, victimes à venir du réchauffement climatique ? Cela ressort des propos de Maître Suprême Ching Hai, « humanitaire, artiste et enseignante spirituelle de renommée internationale ». Son message aux dirigeants du monde, « Je leur dirais d’utiliser leur puissant pouvoir pour faire changer le mode alimentaire de la planète […] D’utiliser leur puissant pouvoir pour instaurer une nouvelle façon de s’alimenter sur cette planète, le végétarisme. » Bis repetita placent, et comme les mots « puissant pouvoir » semblent délectables. Donc, au menu, tofu, gluten et maïs, « aliments nutritifs sauvant des vies » et coupant l’appétit démesuré des pollueurs. Quant aux gens du monde (traîtrise d’un logiciel de traduction), Maître Suprême Ching Hai « les aime énormément ». C’est d’ailleurs son secret : « Soyez bon et en bonne santé. »

    Biblique. –

    Conscient que la longueur d’un service religieux « barbant et inapproprié » rebute les fidèles, Mark Evans (Little Rock, Arkansas) a créé sa propre église « pour les sans-église» et mis au point un office qui ne dure pas plus de trente minutes. Au programme, « un message engageant, une musique de culte entraînante et un rituel créatif ». Une créativité, qui fera verdir plus d’une équipe liturgique de chez nous ! Par contre, la spiritualité du message n’a rien de l’esprit tiers-mondiste requis pour une bonne pastorale : « Guidé par un millionnaire », annonce notre Mark Evans, qui ne l’est pas encore. Le millionnaire en question est Salomon. « Vous seriez émerveillé par son avis sur beaucoup de questions, votre profession, vos relations, votre santé, vos finances… Ce que Salomon avait à dire concerne tout simplement le monde d’aujourd’hui. » La clé de Salomon, clé du coffre?

    à part ça, Mark Evans est l’auteur, avec son épouse, de l’ouvrage Mariage gagnant : 7 choses que font les couples heureux pour le rester. Il propose diverses formations, parmi lesquelles je relève celles sur les « gens toxiques », ou comment apprendre à se comporter «avec les relations toxiques, les religions toxiques et les parents toxiques. »

    DIRECTION ARTISTIQUE

    Guidé.

    – Au Grand Palais, du 7 mai au 15 juin, le sculpteur américain Richard Serra présente « une installation que le visiteur découvre sous la forme d’un paysage d’acier à la fois radical et poétique, minimal et mouvementé. » Une œuvre « épurée et majestueuse » qui « bouleverse le rapport du visiteur à l’espace » (véritable scie de l’art contemporain). Histoire que nul n’erre ou n’use de sa jugeote, « une politique de médiation innovante et engagée » est instaurée grâce à des « médiateurs spécialisés », sortes de vigiles de l’histoire de l’art, chargés d’ « accueillir et orienter gratuitement les visiteurs individuels dans un souci constant d’échange et de dialogue. » Le public scolaire, « objet d’une attention particulière », bénéficiera de visites adaptées, « en cohérence avec le socle commun des connaissances et les programmes ». Socle et œuvre sont dignes l’un de l’autre.

    Azimuté. –

    Un lieu s’ouvre dans le 18e, pour mener « des expériences autour des notions de corps, d’espace, de la relation public / privé. » Première tournée sur le thème du voyeurisme : Marianne Mains (de l’ENSA de Nancy) « développe une esthétique trash–glamour… Ses mises en scène très élaborées de jeunes filles rendues à la nature ou soumises à son bon vouloir sont autant de rêveries intrigantes » (photo) Géraldine Husson présente des « objets hybrides, proposition d’univers–refuges, sensibles, psychiques et physiques sans considération de frontières. » Des thématiques sales et rebattues, de jeunes artistes à la remorques des Annette Messager, des Louise Bourgeois (à l’honneur au Centre Pompidou), des Sophie Calle (à l’honneur à la BnF).

    Désorienté. –

    Une galerie du Marais accueille les sculptures d’Elisabeth Ballet, « universelles car elles remettent en jeu les questions classiques de la sculpture ». Pourtant, rien que de très rabâché : «les questions du déplacement et de la circulation dans l’espace, sur l’articulation du dehors et du dedans, de l’ouvert et du fermé...» Je vous passe les détails, mais sachez que « la sculpture maintient le spectateur à distance tout en l’obligeant à une déambulation mentale. » Tout cela sent en effet le déambulateur.

    DIRECTION POLITIQUE

    Coincé. –

    Lu dans Direct Matin du 8 avril : « La diffusion récente d’une vidéo sadomasochiste qui met en scène Max Mosley, patron mondial du sport automobile, suscite des remous dans la F1. » Ce n’est pourtant pas ce que vous croyez. Il n’est pas reproché au sexagénaire l’usage du fouet en compagnie de cinq jeunes femmes. « L’usage d’uniformes, de tenues de prisonniers et, surtout, de la langue allemande lors d’un simulacre d’interrogatoire a fait s’émouvoir nombre de personnalités du monde du sport automobile. » Indignation subséquente des organisations juives britanniques, qui ont rappelé des antécédents familiaux accablants : le père de Max Mosley avait fondé dans les années trente la British Union of Fascists. Archétype jungien ? Complexe freudien ? Max Mosley a réfuté « le caractère nazi de son échappée sexuelle »… Les adeptes du triolisme révisionniste n’ont qu’à bien se tenir.

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  • Lexicologie diocésaine

    par Amédée Schwa

    I. Avenir de l’entreprise

    Une toute récente publicité du groupe Suez frappe par sa ressemblance avec la campagne pour le synode qui a eu lieu en 2005 – 2007 dans le diocèse d’Angers (1 & 2). Le slogan est le même, le logo aussi : personnage ou croix, c’est tout un du point de vue graphique. Qui aurait dit que l’église d’Anjou donnerait le ton en matière de communication ? Celle-ci était un des thèmes du synode. Suez partage également des valeurs avec le diocèse. Le laïus accompagnant la publicité rappelle des passages de la Charte synodale : diversité des cultures, écologie, action citoyenne… Le grand groupe se démarque par sa politique de recrutement et par sa devise, « Vous apporter l’essentiel de la vie ». L’une comme l’autre seraient jugées agressives et intolérantes si les chrétiens se les appropriaient.

    II. En ce temps-là je franchissais des portails

    L’ancien séminaire d’Angers, devenu Centre diocésain en l’absence de prêtres, est en cours de totale restructuration. Il arbore un portail flambant neuf. Portail ni roman, ni gothique, ni classique, ni rien. Portail à l’emporte-pièce, tôle percée de mots indignes d’être gravés dans l’airain mais auxquels le vide convient. La technique répond à l’intention. (photo 5)

    Pour parler juste, c’est un ensemble : le portail est accosté d’une clôture, travaillée de la même façon. (photo 3) La première impression est celle d’un fatras de mots, de répétitions difficilement comptables à cause de la variation de la taille des caractères (une police Courier New, à peu près). Il y a cependant une organisation. Comme on le constate sur la vue d’ensemble (photo 3), on passe de gauche à droite d’une disposition touffue à une dissémination. Un premier groupe de mots A est répété tel quel en B ; repris dans une disposition différente sur le portail proprement dit (C) ; la dernière partie (D) fait appel à une nouvelle série de mots ; le retour maçonné, où les mots sont en creux, présente une suite de mots nouveaux répétée quatre fois. (photo 4)

    On dénombre sur la tôle près de quatre-vingt dix mots, classés comme suit (en respectant majuscules et minuscules) :

    Le trio de tête est constitué de : Bonne nouvelle (18), PAIX (14), JOIE (13).

    Viennent ensuite : PAROLE (9), partage (9), Dialogue (8).

    En deux exemplaires : ACCUEIL, NOËL.

    Une seule occurrence : Formation, ANIMATION, RASSEMBLEMENT, Rencontre, Etoile, amour, Vie, Lumière.

    Sur le muret de béton, nous lisons : Respect (8), Ecoute (8), Ecrit (8), Eau (8), ROC (4) Ciel (4), Lumière (4).

    L’absence de syntaxe est significative. Justifiée dans une devise, elle constitue précisément ici une logorrhée, un flux de mots à peine maîtrisé : les maîtres mots des panneaux qui fleurissent encore dans les sanctuaires, invention de Vatican II, supposés porter un message fort, donner un sens à la messe. Maintenant que ces messes, puisqu’elles furent de fort mauvais spectacles, se jouent à gradins vides, la vieille garde a souhaité pérenniser ce que les panneaux avaient d’heureusement biodégradables, et communiquer à l’homme de la rue son lexique de base. Car le portail est l’application des propos de Mgr Bruguès : « Notre message ne portera guère d’écho si l’on ne perçoit pas que nous sommes heureux de vivre à notre époque. » (Charte du Synode) D’où le mot « joie » dans le peloton de tête, joie manifestée à l’occasion par les gesticulations d’un clergé en pleine danse de Saint-Guy (photo 6, lors d’un rassemblement synodal). Notez combien le curé X, à cet instant précis, ressemble au personnage ectoplasme de la publicité Suez.

    Il est incertain que les passants soient attirés par ce discours. Les mots ne démentent pas la tristesse incommensurable du bâtiment, enlaidi un peu plus par la pose d’huisseries modernes – en matière de rénovation, le saccage des ouvertures révèle immédiatement le manque de goût. Ce défaut d’œil est confirmé par la pose toute récente, dans le hall du centre, d’une sculpture de Guylaine Chaveton qui représente le Buisson ardent, où l’Esprit (photo 8) n’est qu’un esprit, un mort-vivant sorti d’un film d’horreur de troisième rang.


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  • Deux articles d’Hugues Rebell parus dans Le Soleil

    Les Patricides glorifiés

    Les premiers jours de septembre sont pour nous des anniversaires pleins de douleur. Ils appellent ces fantômes terribles des armées détruites, des champs de bataille inondés de sang, - le souvenir d’une catastrophe sans exemple. Mais Sedan, avec ses entassements de cadavres, ses troupes débandées et folles, son entourage de villes en feu, est d’une vision moins pénible que la tragédie du Quatre-Septembre, de la Commune et de la troisième République. Ici rien d’héroïque : le désastre a même quelque chose de ridicule, de burlesque, qui pourrait égayer un étranger indifférent aux maux de notre pays ; le destructeur prend des allures de pitre forain, de Robert Macaire. C’est l’assassin devenu juge, gendarme, héritier de sa victime. Et Robert Macaire triomphe : nul n’ose dévoiler la supercherie.

    Malgré les beaux livres de MM. Duquet et Arthur Chuquet, l’histoire de cette malheureuse époque reste enveloppée d’ombre. En effet, on néglige volontairement tout ce qui pourrait l’éclairer, je veux dire les révélations du principal acteur : le parti républicain. Sans disculper Napoléon III, il conviendrait de s’attaquer au vrai criminel ; l’empereur n’est coupable que d’avoir laissé grandir le mal, de l’avoir subi, d’en avoir été l’humble esclave, mais cette complicité timide ne doit pas faire oublier ceux qui ont préparé l’attentat, qui l’ont accompli, qui en ont bénéficié. C’est l’habitude des orateurs républicains de flétrir les conservateurs qui, en pleine paix, en vue des guerres possibles, et par souci de la prospérité nationale, s’avisent de mettre en doute l’excellence du gouvernement actuel.

    Ces orateurs ont la mémoire courte ; ils oublient que durant tout l’Empire ils ont souhaité la défaite de la France. Nous avons des témoignages qui ne sont point suspects, par exemple, celui de M. Darimon, l’un des membres les plus actifs de l’opposition libérale sous Napoléon III. « M. Jules Simon, dit-il, n’est pas seulement un adversaire de la guerre ; le succès de nos armes lui cause un dépit profond, parce qu’il rehausse le prestige de l’Empire. » Ce sentiment n’était point particulier à M. Jules Simon. Tout le parti républicain qui nous fait aujourd’hui la loi, avait cette horreur du succès militaire. « Guerre à l’Armée ! » a été le cri de ralliement des humanitaires de l’Empire comme il devint plus tard le mot d’ordre des dreyfusistes.

    M. Thiers, le fondateur de la République, a prudemment laissé dans l’oubli - et ses éditeurs n’ont pas eu meilleure mémoire – le discours à la Chambre du 31 décembre 1867. Il s’y élève contre les nouveaux projets de mobilisation, il refuse de croire que l’armée prussienne soit aussi nombreuse qu’on le prétend. « Vous vous défiez beaucoup trop de votre pays, dit-il, et vous l’effrayez. Il faut le rassurer. Nous avons une puissante armée. Et puis, n’auriez-vous pas toujours deux ou trois mois pour organiser la garde nationale ? » Il a surtout pleine confiance dans « cette vive ardeur qui s’allume dans tous les cœurs français au moment d’une guerre. » Comment ne dormirait-on pas tranquille après cela ! Le discours de M. Thiers fut très applaudi. L’humanitarisme était alors en grande faveur. Il trouvait des adeptes même auprès des généraux. Dans un livre qu’on devrait bien distribuer à tous nos députés socialistes et progressistes, Les entretiens de Bismarck, le secrétaire du chancelier nous montre le général Wimpffen parlant de la fraternité des peuples au moment de la capitulation de Sedan, alors que Bismarck gronde entre ses dents : « Balivernes ! balivernes ! » évidemment Wimpffen tenait là un discours de circonstance, mais plusieurs généraux pensaient réellement ce qu’il ne disait que des lèvres et par occasion. Dans toute cette guerre, ce n’est point le courage des soldats qui fait défaut ; il y a des actes de bravoure admirables ; l’infériorité du nombre même n’est point la véritable cause de la défaite ; non, ce qui nous a menés à Sedan, c’est le manque de foi de certains chefs. Le parti républicain avait accompli son œuvre ; il avait détruit chez beaucoup l’enthousiasme, la croyance, le feu qui donne la victoire. Ces manœuvres mollement faites, ces marches et ces contre-marches, ces troupes qui arrivent en retard ou qui n’arrivent point, ces hésitations continuelles, tout cela indique bien que la guerre, la gloire, le succès sont devenus presque indifférents à ceux qui commandent. On s’y intéresse comme à une partie de billard, et on laisse le hasard décider pour ou contre soi.

    Et on ne croit pas plus au chef qu’à la guerre. Tout le monde commande et personne. L’Empereur, Lebœuf, Bazaine, Mac-Mahon, Ducrot, Wimpffen sont généralissimes tour à tour. à qui obéir ? C’est ici qu’on voit l’importance du chef, du Prince reconnu comme un maître respecté, dont on n’a pas à discuter les ordres ; et l’on comprend pourquoi le général de Gallifet, avant d’être ministre, disait que l’idée d’une République n’est pas compatible avec celle d’une forte puissance militaire. Imaginez que la guerre éclate aujourd’hui. Qui commanderait ? Serait-ce le général André, si populaire ? Serait-ce M. Loubet, si expérimenté ? Serait-ce le général Brugère ? Seul le Prince, avec la force du commandement, qu’il tient de ses ancêtres, peut réellement imposer sa volonté.

    Napoléon III n’avait pour se faire obéir que cette autorité personnelle qui ne résiste guère à la maladie, à l’âge, à la mauvaise fortune. Il sentait si bien sa faiblesse devant l’indifférence de ses généraux qu’il n’osait plus donner un ordre, agir en son nom. Il semble alors qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même. Si réellement il eût été le représentant du pays, s’il eût pensé avoir le droit de faire la paix, la France peut-être ne serait pas démembrée ; elle n’eût pas prolongé cinq mois une lutte inutile ; Paris n’eût pas connu les souffrances du siège et les destructions de la Commune. Bismarck l’a dit à Napoléon III, qui se plaignait des dures conditions qu’on imposait à son armée : « Si l’Empire était solidement établi, nous vous ferions des conditions moins onéreuses, et nous signerions la paix avec vous sans penser que demain elle sera violée ; on peut compter, en effet, sur la parole et la reconnaissance d’un Prince, mais non pas sur celles d’un peuple qui change chaque jour ses institutions et son gouvernement ».

    Bismarck, comme Napoléon III, se doutait bien que la révolution, à la nouvelle de Sedan, allait éclater à Paris. Admirons encore une fois le patriotisme du parti républicain. Il attendait la défaite - non pas l’irrémédiable que personne n’eût pu prévoir - mais une défaite quelconque pour renverser l’Empire et s’installer à sa place. Le trouble que doit produire un changement de gouvernement dans l’état, la difficulté d’improviser un ordre nouveau, rien de tout cela ne l’occupait. Il ne songeait qu’à être maître, à goûter un peu au pouvoir, fût-ce comme Jean de Leyde, pour quelques semaines. La première tentative d’insurrection avait empêché le retour de l’Empereur à Paris, la réorganisation de l’armée de Mac-Mahon ; le parti républicain avait ainsi condamné l’armée impériale. Au quatre septembre, il acheva la ruine de la France. Il y eut alors un schisme dans le parti. Les uns tenaient pour le pouvoir immédiat, comme Gambetta ; les autres, comme Thiers, pour le pouvoir futur. On se souvient de la visite que Mérimée, mourant, fit, à la demande de l’Impératrice, à ce destructeur de monarchies. Il implorait, son aide, il le priait d’user de sa popularité pour établir un gouvernement fort qui pût sauver le pays. « Il n’y a rien à faire », dit Thiers. Cela signifiait qu’il y avait trop à faire pour lui. Il voulait bien être le sauveur, mais lorsqu’il n’y aurait plus rien à sauver. M. Thiers a été comme le modèle de tous nos républicains au pouvoir. Ils ont été les pilleurs d’épaves du grand naufrage qu’ils avaient préparé. Les années leur ont fait oublier le crime, et l’or, les honneurs, les ont assurés de leur vertu.


    Spéculateurs

    Pour réaliser son rêve monstrueux : des hommes semblables, n’ayant ni fonctions particulières, ni devoirs différents, égaux en sottise et en impuissance, la démagogie essaie de modifier toutes nos façons de vivre ; elle travaille à sa tâche aujourd’hui avec une ardeur féroce : il faut que tout se transforme, êtres et choses ; jamais ne s’est montrée si insolemment la tyrannie du fanatisme qui ne veut pas tenir compte de l’œuvre des siècles, de l’instinct naturel des peuples, mais forcer, contredire, réformer toutes les inclinations de l’existence. Il suffit que Paris doive la plus grande part de sa beauté à la Royauté française pour que la démagogie ne veuille pas la lui pardonner. Dès maintenant, si ne s’y oppose une autorité forte, par exemple, une ligue qui ne se contente pas de protestations et de discours, Paris est condamné ; la Commune n’aura été qu’un essai de l’énorme destruction que la troisième République va achever, doucement, au milieu du consentement ou du moins du silence d’un peuple où il y a des artistes, des historiens, des gens épris du passé, de la beauté, des simples enfin qui n’ont que des souvenirs, des habitudes, et s’étonnent de ne plus se reconnaître dans l’endroit même où ils sont nés.

    Je ne fais point ici de « tartine » ; je ne prends point d’attitude, et je n’exagère rien. Je suis seulement plein de douleur et d’indignation à la pensée que l’œuvre folle de la démolition de Paris s’accomplit avec une telle aisance et une telle rapidité, comme quelque chose de naturel, de nécessaire, quand, au contraire, on ne peut rien imaginer de plus insensé ni d’aussi extravagant dans la barbarie.

    Les autres villes, par exemple une grande cité commerçante comme Londres, ont autant, sinon davantage, besoin, que Paris, de nombreuses voies de circulation ; mais parle-t-on chez nos voisins de mettre un tramway dans Hyde-Park, d’abattre les arbres de Green-Park pour y faire une rue et de démolir Buckhingham-Palace sous prétexte qu’il n’est pas dans l’alignement et gêne le passage ? Les Anglais, sans être un peuple d’idéalistes, n’estiment pas que l’humanité ne soit qu’un besoin de circulation. Or, nous, au contraire, nous en sommes là. On va sacrifier, comme on l’a déjà fait je ne sais combien de fois, un monument à une rue, et quel monument ? L’Institut seulement ! Il n’y a aucune raison pour que bientôt le Palais-Royal, le Louvre, dont les guichets ne facilitent pas précisément la circulation, n’aient le même sort que l’Institut. Une sorte de manie destructive semble s’être emparée de certains hommes, qui les pousse à tout ruiner. Les villes, je le sais bien, doivent se transformer comme notre existence, mais ces transformations hâtives et inutiles sont absolument inouïes et contraires à la nature. En saccageant ainsi notre passé nous ressemblons à ces sauvages qui assassinent leurs vieillards, même s’ils sont encore sains et robustes.

    Des règlements de police et chez les cochers et les charretiers moins de cette routine qui les fait choisir certaines rues de préférence à d’autres, d’un trajet aussi court, parfois même plus rapide, il n’en faudrait pas plus pour rendre aisée la circulation. Paris, surtout après la construction complète du Métropolitain, ne peut avoir aucun embarras à se mouvoir ; si on le persuade qu’il manque de rues, on le trompe.

    Et de fait on a intérêt à le tromper. Nos politiciens démocrates, conseillers municipaux ou députés, tiennent à s’occuper de grandes œuvres : voter un budget qui ne soit pas trop chargé, supprimer des taxes ou ne pas en créer de nouvelles, à leur sens, cela est bien trop modeste. Au contraire, démolir et rebâtir Paris, quelle gloire !

    Gloire dorée au surplus. Pourquoi serait-on politicien, dans une démagogie, si ce n’est pour remplir sa bourse, pour faire des affaires ? Le politicien de la démocratie a toujours derrière lui le spéculateur pour lui montrer une affaire et l’ingénieur pour l’accomplir sous sa direction. Ce sont les trois compères qui, aujourd’hui, se chargent de bouleverser Paris, de ne pas laisser un souvenir de son histoire, une pierre de ses monuments. Ainsi dans cette horrible anarchie où nous vivons, c’est la richesse que l’esprit révolutionnaire a choisi comme agent de ses destructions ; c’est la richesse qui démolit les palais, qui arrache les arbres des parcs, qui travaille à faire à l’humanité une vie laide, monotone, malsaine, odieuse ! Les intelligences sont à ce point confuses et obscurcies que les hommes s’acharnent à leur perte en croyant tout sacrifier à leurs intérêts, et que dans ce moment les pires aveugles sont justement ceux qui se nomment pompeusement des spéculateurs, d’un mot qui signifie contemplation haute, vue profonde, compréhension vaste.

    Même en oubliant l’art, l’histoire, ce qui donne à notre existence une joie et une fierté, en ne se plaçant qu’au point de vue de l’argent à gagner, est-ce un si bon calcul de prétendre changer la caractère d’une ville, et de lui enlever tout ce qui fait la fortune de ses habitants ?

    En même temps qu’on trace les nouvelles rues, s’en vont les anciennes maisons, quelquefois beaucoup moins incommodes que les étroits logements que l’on construit pour les petites et même les moyennes bourses ; les loyers s’augmentent, et les Parisiens qui vivaient à Paris, de plus en plus gagneront la banlieue, les villes voisines. Une partie de Paris ressemblera au quartier de la Cité, à Londres ; on n’y viendra que pour le travail et les affaires ; des maisons, bâties pour former une cinquantaine d’appartements, devront se louer à des Compagnies, se loueront moins facilement, et par suite moins cher. Paris déserté de bonne heure, triste, sans promenades, sans rues pour les voitures, sillonné partout d’horribles tramways, ne sera plus le rendez-vous des grandes fortunes. Ce ne sera plus la ville du loisir, du luxe et de l’art. Sera-ce la ville du commerce ? Mais tous ses commerçants et ses industriels travaillent précisément pour le loisir, pour le luxe et pour l’art. On l’a bien vu à son Exposition organisée par des politiciens, des spéculateurs et des ingénieurs, à son exposition démocratique, d’où l’on avait voulu chasser le luxe et la beauté. Paris n’a pas fait ses frais.

    Il est temps que la Monarchie, en rendant à la richesse ses droits, lui rende aussi ses devoirs et son utilité. Même ces traitants, ces agioteurs de l’Ancien Régime, que Lesage et Dancourt ont si cruellement fustigés, s’ils acquéraient mal leurs richesses, devaient les dépenser en œuvres utiles. Aujourd’hui la richesse se cache, comme un opprobre ; se sentant traitée en usurpatrice, elle oublie quel rôle bienfaisant elle doit jouer dans l’humanité ; il ne lui est plus permis que de se dépenser en secret, de spéculer et ainsi travaille-t-elle moins à ses intérêts du jour qu’à sa ruine de demain.


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  • Hugues Rebell

    Portraits d’écrivains

    Maurice Barrès

    Quand j’ai vu Nancy à l’automne, avec les jolies grilles dorées de la place Stanislas et les vastes frondaisons de son jardin, Nancy avec ses casernes et ses coquets musées, il m’a semblé voir l’âme de Barrès, fine, élégante, gracieuse, - ayant aussi ses profondeurs, ses orages.

    On l’appela fumiste, c’est bientôt dit. Ce mot-là signifie : savoir sourire. Certes, il faut savoir sourire de beaucoup de choses, ou l’on est un sot, il faut paraître sourire de beaucoup d’autres ou l’on est un maladroit. Mais on peut aimer et haïr et être un passionné entre quatre murs. Maurice Barrès est un écrivain ; il exprime les idées les plus délicates, les plus subtiles par des images justes et naturelles ; sa phrase est parée, chantante, mais d’une coquetterie discrète, toute française et d’ancien régime. Il marche entouré des charmants fantômes qu’il a imaginés ou créés : Athéné, Bérénice, Claire, Marina.

    C’est cette société sans doute qui le préserve, en ces contacts odieux auxquels l’oblige par ambition de tous les rôles et par dilettantisme, une âme plus vagabonde, capricieuse et énergique, sous des apparences de lassitude, que celle de l’empereur Hadrien. Lorsque dans un journal, à côté de la prose d’une Séverine, il nous donne quelques pensées sur l’art ou la politique, je crois voir l’un de ces croquis des grands artistes où le trait, encore que sommaire, est si juste qu’il recrée pour nous toute la réalité. De même, s’il parle des réformes sociales auprès d’un Thiviers ou d’un Jaurès, il ne nous choque point. Pourtant l’auteur socialiste ou anarchiste nous paraît pousser le dilettantisme trop loin. Le prince de Ligne coiffé d’un bonnet phrygien ne nous étonnerait pas davantage. Maurice Barrès a plutôt l’air d’un grand dignitaire ecclésiastique du XVIIIe siècle que d’un révolutionnaire. Georges Leconte disait : « Quand Barrès lève la main, je m’attends à voir briller l’anneau pastoral. »

    René Boylesve

    En cette époque d’indifférence et de pose banale, comme je vais avec joie vers ceux qui subissent l’enchantement de la vie. René Boylesve est l’un de ces rares.

    Felix qui potuit rerum cognoscere causas !

    Heureux, dirais-je à mon tour, celui qui voit la beauté de tout ce qui l’environne. Celui-là vraiment est un symboliste et un idéiste. L’Âme de la nature ! l’Âme des ruines ! L’Âme de cette humanité fugitive au milieu de laquelle nous passons ! Avec elles s’unissent ces grands hommes, nos saints à nous ! Chateaubriand, Byron, Vigny, Keats, Shelley. René Boylesve s’avance de même pour cette divine communion. Il nous dit la terreur et la joie que nous cause le spectacle de la montagne, comme aussi la volupté somptueuse et l’orgueil de la Venise des Doges. à propos d’un pastel de Point il recréera la grâce délicate et fine de la femme moderne, comme devant des statuettes de Tanagra il évoquera les joies des peuples morts. Mais passionné à la façon des antiques qui ne violèrent point la noblesse ni la simplicité naturelle, il ne gâte point ses sentiments par une expression exagérée et comme il ne sied point de livrer son âme aux marchands de ce siècle, il la pare et la déguise au besoin avec des ironies. Ainsi s’explique le beau sourire tranquille que je lui vois et qui me fait songer à certaines statues de Jean de Bologne. Ce sourire indique un esprit dominateur qui gouverne les mille impressions de la vie, soucieux avant tout de se créer une personnalité une et harmonieuse.

    Maurice du Plessys

    Les Anciens représentaient Minerve et les Muses souriantes. Nos modernes ne voient plus Erato que dans les cimetières, et pareille à l’un de ces fantômes que se plaît à peindre Mme Jacquemin. Maurice du Plessys est allé trouver cette muse misérable, il l’a ramenée parmi les vivants, lui a rendu la joie, et peu à peu, en sa compagnie, ses joues se sont colorées et son corps a pris de nobles formes.

    Les poèmes du Premier livre pastoral sont vraiment d’une forte et belle venue. Parmi les poètes romans, Maurice du Plessys est le plus latin du groupe ; j’entends par là qu’il possède, plus encore que le don rythmique, celui de l’expression énergique, de l’image large et précise. Les mots qui, au XVIe siècle, avaient une signification déterminée, employés plus tard à contre-sens par de mauvais écrivains, n’ont plus aujourd’hui qu’un sens fuyant, fort lâche, et c’est pourquoi presque toute la poésie d’aujourd’hui est si vague, consacrée uniquement à la sensation. Une poésie en effet ne peut penser, ne peut atteindre au lyrisme noble et au pathétique, sans la propriété des termes qui permet de renfermer beaucoup d’idées en une simple alliance de mots. Maurice du Plessys, surtout dans ses vers descriptifs comme ceux du commencement de l’Hymne à Hermès, me semble avoir complètement reconquis ce style plein et vigoureux qui donne tant de prix à l’œuvre d’un Malherbe. Ajoutons qu’il veut remettre en honneur le conte à la manière de La Fontaine où le lyrisme le plus familier succède au ton rieur et badin. Et c’est bien là le désir d’un vrai poète qui n’enferme point la Muse dans l’enclos des « symboles » mais la laisse rire et s’ébattre dans le monde entier.

    Raymond de la Tailhède

    M. Raymond de la Tailhède n’a encore publié que quelques poèmes, et cependant ils révèlent une âme si noble de poète et un art si parfait qu’on ne peut le placer qu’au premier rang. « Ils débordent de fiertés et d’orgueils », disait déjà Jules Tellier de ses premiers essais. Le mouvement, l’enthousiasme, l’audace sûre de ses tours font de ses vers les plus magnifiques qui soient : Ronsard serait heureux de les consacrer de son nom. Notre seul regret est que M. de la Tailhède, avec un dédain bien compréhensible d’ailleurs, quand on songe au public prétendu lettré de ce temps, - se soit retiré dans son château de Marmande, écrivant pour lui seul, plus heureux de vivre avec les poètes de la Pléiade et son cher Cervantès qu’avec ses grossiers contemporains. La nature certainement est la meilleure inspiratrice, et nous ne pouvons blâmer cette hautaine solitude, mais nous serions heureux que le poète nous fît part plus souvent de ses œuvres, et songeât qu’au milieu de la foule indifférente, il compte un petit groupe de sincères admirateurs.

    Charles Maurras

    Un critique qui est à la fois un artiste, un philosophe et un passionné, un écrivain qui ne prend point les autres pour s’en faire un piédestal, mais pour leur en élever un ; un auteur qui aime lire, qui sait lire ; - n’est-ce pas, dans la démocratie littéraire de ce temps, un homme vraiment rare et qui semble même unique ? - Je ne sais pas de prose plus légère, plus ailée que la sienne. Charles Maurras a la grâce, l’ironie discrète, l’élégance et, - comme son maître Anatole France, - le goût qui ne force jamais le trait, et dit tout d’un mot. Lisez ses contes philosophiques, ses études sur Anatole France, Jean Moréas. C’est la façon d’écrire, - encore que rajeunie avec un sens exquis du moderne, - du La Fontaine des Amours de Psyché, du Fontenelle du Dialogue des Morts. Qui me disait donc qu’il n’y avait plus de tradition ? Les meilleurs et les plus originaux écrivains de cette époque sont justement des lecteurs assidus de nos classiques, sans que leur fidélité au passé les empêche d’innover, et mieux, plus sûrement que ces farouches destructeurs d’idoles, - toujours prêts à s’attaquer à des dieux. Ce serait cependant calomnier Charles Maurras de dire qu’il appartient à cette époque d’hommes médiocres ; il est au-dessus d’elle comme tous ceux dont la pensée demeurera. Pour moi, je le vois très bien dans cette académie platonicienne que fonda le grand Cosme de Médicis. D’ailleurs sa physionomie ardente, mais belle de calme force, rappelle absolument certains portraits des Uffizi. C’est qu’aussi, au point de vue intellectuel, Charles Maurras est moins un Français de nos contemporains qu’un de ces nobles florentins du XVe siècle, épris de la pensée et de l’art lumineux des Anciens.

    Jean Moréas

    Jean Moréas a renouvelé le chant pur des ancêtres ! C’est pourquoi je l’admire. Si quelques-uns, sous prétexte d’individualisme, renient toute la gloire du Passé et rejettent la lyre sainte que les anciens poètes se passaient de main en main, c’est en vérité qu’ils ne sont point de la famille. Ils peuvent aller chanter à l’écart : Sophocle, Virgile, Racine ne veulent point d’eux. Il y a des gens qui prêtent à Jean Moréas de l’orgueil, moi je dirais qu’il a de la piété. Condamner les œuvres déjà très belles de ses débuts par amour d’une beauté plus haute, voilà ce que ce poète a fait. Tandis que la plupart ont l’air de chercher des trésors dans une chambre obscure, Jean Moréas s’en va au soleil cueillir les fleurs des champs. Sa conception d’un poème dont chaque vers n’est pas seulement intéressant par lui-même, mais concourt à une harmonie d’ensemble, il l’a réalisée dans son admirable Pèlerin passionné, fort et gracieux tour à tour comme le savent être les maîtres, plein d’une inspiration noble et naturelle. Mais si Jean Moréas est fidèle aux anciens, c’est qu’il n’y a pas deux façons de concevoir l’art ; il ne les imite point pour cela, il reste lui-même et, par les sentiments qu’il exprime, il est moderne et bien plus que tel ou tel charlatan qui prend un costume bariolé ou un masque effrayant pour attirer les foules.

    Jules Renard

    On se place au-dessus de son temps, quand on est capable d’en voir les ridicules et d’en percer l’hypocrisie. Ainsi Jules Renard ne se mêle point à la foule des grotesques, gardant son poste d’observation, - au balcon, dirais-je. Il me semble que tout l’artificiel des âmes modernes, que ce soit celle de l’écornifleur, de Mme Vernetou ou du symboliste, a été surpris, fixé en des pages d’ironie par ce philosophe. Jules Renard dans les livres me donne une impression d’honnêteté. Tous ses petits chapitres sont composés et écrits. Il sait la valeur d’une description, d’un dialogue, d’un mot. Son style est fait. Il ne cherche point à vous en faire accroire, il ne vous livre point de la besogne négligée, sous prétexte de vous fournir de la passion plus sincère. Cet ensemble de petits chapitres forme une très grande œuvre. On est surpris en achevant la lecture d’un de ses livres de voir le monstre qui se dresse devant nous. Cette logique dans la création et dans l’exécution demeure le plus sûr moyen de nous émouvoir, le seul moyen littéraire en tout cas. Jules Renard est en effet un artiste. être artiste, ce n’est point chevaucher des nuages, interpeller la foudre et crier aux étoiles, c’est s’intéresser à chaque chose de la vie, et la faire sienne, en y mettant son amour ou sa haine ou son mépris, c’est la faire belle en la recomposant, non pour étonner et épouvanter les hommes, mais pour leur donner une noble jouissance.


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  • Hugues Rebell

    1867-1905

    par Xavier Soleil

    Georges Grassal de Choffat qui prit pour pseudonyme Hugues Rebell est né à Nantes le 27 octobre 1867, dans une famille bourgeoise de marins, armateurs et banquiers. Héritier, à la mort de son père, en 1887, d’une fortune importante, il s’installe à Paris et se consacre à la littérature, aux livres et aux voyages. C’est à Venise qu’il commença à écrire les poèmes de son premier livre important, Les Chants de la pluie et du soleil, ainsi que son premier roman, La Nichina, publiés respectivement en 1894 et 1896.

    Sa génération se cherchait alors en poésie, entre les derniers tenants du Symbolisme et les premiers adeptes de l’école romane que Moréas fondait en 1891 ; elle se cherchait également dans le roman avec Barrès - Un homme libre parut en 1889 et L’ Ennemi des lois en 1892 -, les derniers Maupassant, Jean Lorrain, mais surtout les premiers Bourget - Cruelle énigme, Mensonges - délicats miroirs d’une société déjà condamnée, mais aussi leçons quasi balzaciennes de morale sociale.

    Très tôt Hugues Rebell précise ses positions politiques : il est nationaliste et monarchiste. Dès 1894, il prend part aux grands débats de l’époque en publiant Union des Trois Aristocraties, - celles du nom, de l’argent et du talent -, proclamant haut et clair son vœu de « créer une hiérarchie, pour sauver le monde de la grande maladie démocratique, de cette grande fièvre populaire du commandement ».

    On pourra s’étonner qu’il ait préconisé une alliance entre trois « supériorités sociales » que rien ne semblait devoir rapprocher, mais, outre qu’une telle proposition n’était qu’un essai d’application des géniales visions d’Auguste Comte, on ne manquera pas de remarquer l’importance que, dans cette perspective, il attachait au rôle fédérateur de la monarchie. On trouve là comme un essai d’application de l’idée de décentralisation chère aux fédéralistes nationalistes de l’époque, mais aussi un début de réponse aux questions que posera plus tard Charles Maurras dans L’Avenir de l’intelligence dont le dernier chapitre semble tout entier inspiré des réflexions de Rebell.

    Ses articles du Soleil, journal royaliste, sont un modèle de clarté et d’intelligence politique dans un style à la fois classique et fougueux. Anatole France, Charles Maurras le tiennent en haute estime. En 1900, il répondra à l’Enquête sur la Monarchie une lettre qui commence ainsi :

    « Mon cher ami,

    Votre enquête sur la monarchie doit réjouir tous ceux qui voient dans le rétablissement de la royauté nationale l’unique moyen de sauver la France. Elle vient, comme la lumière, dissiper les brumes qui nous enveloppent et révéler notre réelle existence. »

    Et ceci qui, aujourd’hui, est d’une criante actualité :

    « Contrairement aux droits des pouvoirs absolus, les droits de la République commencent au seuil de chacun de nous. Elle sait bien qu’elle est trop anti-française pour gouverner sans une inquisition de tous les instants. Elle ne s’en cache même plus. »

    Tant par sa philosophie politique que par son inspiration poétique, Rebell apparaît comme un disciple de Nietzsche qu’il avait lu en Allemagne et dont, dès 1893, il publiait, dans la revue L’Ermitage, la traduction de quelque pages d’ Ainsi parlait Zarathoustra, le chapitre intitulé « De l’homme supérieur » dont voici un extrait :

    « Ayez aujourd’hui une bonne méfiance, hommes supérieurs ! hommes courageux ! hommes francs ! Et tenez secrètes vos raisons. Car cet aujourd’hui appartient à la populace. Ce que la populace n’a pas appris à croire sans raison, qui pourrait le renverser auprès d’elle par des raisons? Sur la place publique on persuade par des gestes. Mais les raisons rendent la populace méfiante. Et si la vérité a une fois remporté la victoire là-bas, demandez-vous alors avec une bonne méfiance : « Quelle grande erreur a combattu pour elle ? » Gardez-vous aussi des savants ! Ils vous haïssent, car ils sont stériles ! Ils ont des yeux froids et secs, devant eux tout oiseau est déplumé. Ceux-ci se vantent de ne pas mentir : mais l’incapacité de mentir est encore bien loin de l’amour de la vérité. Gardez-vous ! L’absence de fièvre est bien loin d’être de la connaissance ! Je ne crois pas aux esprits réfrigérés. Celui qui ne sait pas mentir, ne sait pas ce que c’est que la vérité. »

    Il n’est pas sans intérêt de souligner l’attirance de Hugues Rebell pour Frédéric Nietzsche, car Les Chants de la pluie et du soleil ont certainement trouvé chez le philosophe allemand une de leurs sources d’inspiration. Comme lui, Rebell exalte la force et la solitude des forts, la haine de la foule et des philosophies plus ou moins nébuleuses issues de la révolution, le mépris de la démocratie et de son impure cuisine. Comme son maître, il déteste le christianisme primitif et son succédané, le protestantisme. Ouvrir ce livre, écrira, quelques années plus tard Remy de Gourmont, « c’est tomber dans une mine où l’on puiserait longtemps sans l’appauvrir ». Et René Boylesve, dans l’admirable portrait qu’il lui consacra au lendemain de sa mort, notait qu’ « un grand nombre de ses Chants sont des cris de révolte contre l’universelle entreprise de nivellement, de vulgarisation et d’abaissement de la pensée ».

    Je ne m’étendrai pas sur les romans de Rebell. La Nichina, dédiée à Maurice Barrès, « en reconnaissance de ses merveilleuses pages sur la Venise de Tiepolo » fut appréciée des connaisseurs - René Boylesve, Lionel des Rieux, Rachilde, Jean Lorrain -, et bien accueillie du public. « Il ne conçut pas, écrivit plus tard René Boylesve, le projet d’artiste de composer un roman ; il donna une nouvelle forme à la conception sociale qu’il avait chantée dans les Chants de la pluie et du soleil ». Citons encore La Femme qui a connu l’Empereur (1901) et Les Nuits chaudes du Cap français. Vivants et originaux, écrits dans un style plein et fruité, ils sont d’une veine qui s’attache à décrire le côté sensuel de la passion, - voire du plaisir -, amoureux, veine dans laquelle s’illustraient déjà la plupart des romanciers de cette fin de siècle, dans le sillage de Maupassant.

    Hugues Rebell mourut le 5 mars 1905, à l’âge de 37 ans. Le Diable est à table, roman philosophique auquel il travaillait depuis vingt ans fut publié après sa mort.

    En 1926, la Librairie de France publia dans ses mensuels Cahiers d’Occident les Chants de la patrie et de l’exil, recueil poétique jumeau de ses premiers Chants, quelques pages littéraires groupées sous le titre Apothéoses tardives et enterrements prématurés, et surtout un choix important des ses chroniques du Soleil. Dans la préface qu’il donna à ce recueil, Auriant notait justement : « Haine, amour, mépris, c’est tout cela qui bouillonne dans chaque page de son œuvre : haine de la démocratie, amour de l’Art et de la Beauté, mépris de la foule et de ceux qui se déshonorent à la flatter. Rebell a mis davantage encore dans ses romans, mais peu de personnes s’en sont aperçues… » N’était-ce pas sa vie même ?


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  • Les ficelles de l'art contemporain

    par Samuel

    Après s’être ouvertement décrit comme un art révolutionnaire, c’est-à-dire un art de la table, mais rase, l’art contemporain s’accroche à l’art du passé, par l’entremise des conservateurs et commissaires qui, d’une part, ont pris la manie de considérer tout artiste du passé comme révolté, et, d’autre part, brouillent les pistes en présentant côte à côte les deux formes d’art.

    Les colonnes de Buren au Palais royal sont un exemple célèbre de ce parasitisme pandémique, qui consiste à contaminer un lieu de façon durable ou transitoire (l’année dernière, une monstruosité d’acier anéantissait la façade de l’hôtel Biron). Les musées sont touchés : à Orsay cela se nomme « correspondances ». Par exemple, actuellement, Bertrand Lavier, qui « recouvre des objets (voitures, armoires, réfrigérateurs) de larges aplats épais de peinture, laissant ces objets utilisables, œuvres qui sont l’objet lui-même et l’image de l’objet », est en correspondance avec La lecture de Manet.

    Autre exemple, Anthony Caro, sculpteur anglais, sommité internationale spécialisée en poutrelles peintes, a eu une rétrospective sur le site antique des marchés de Trajan à Rome en 1992 ; et, lui aussi, sa correspondance avec Manet à Orsay en 2005.

    Au Louvre, le mot choisi pour ce genre de manifestation est « contrepoint ». Cette année, jusqu’au 7 juillet, le plasticien belge Jan Fabre a carte blanche pour que s’établisse « un dialogue entre artistes du passé et artiste vivant ». D’un côté, donc, Van Eyck, Rubens, Rembrandt ; de l’autre, Jan Fabre, réputé pour ses mises en scènes où sexe, excrément et violence se mêlent harmonieusement. Ici, entre autres, deux autoportraits sculptés de l’artiste, l’un, le nez collé, saignant, contre un tableau de Van der Weyden (« une sorte de purification ») ; l’autre, sous les apparences d’un ver de terre géant rampant parmi des pierres tombales en vrac (photo). L’artiste clame son admiration pour les maîtres des écoles du Nord, qui, suivant lui, l’ont influencé.

    Cette affirmation est une ficelle, grosse mais solide, dont l’utilité est d’attraper le pigeon, qui, choqué par les œuvres de Jan Fabre, le trouve respectable malgré tout puisqu’il aime comme lui les maîtres hollandais ou flamands ; et ses œuvres gagnent en respectabilité aux yeux du pigeon. La présentation conjointe d’œuvres du passé et d’installations contemporaines a le même but : que le public croie à la continuité effective de la création. Cependant la différence de nature entre l’art contemporain et l’art traditionnel est telle que toute passerelle entre les deux n’est qu’artificielle : l’art traditionnel était contemplatif, l’art contemporain est iconoclaste. Il brise l’image pour qu’elle ne soit pas support de contemplation.

    L’art traditionnel, contemplatif, menait tout naturellement à l’art sacré. L’art contemporain s’en prend, tout aussi naturellement, au christianisme. Qu’il traite les images chrétiennes par la dérision ou l’agression, sa pente est au blasphème.

    La Croix est la cible par excellence. Un exemple tout récent, la dernière couverture du magazine Mouvement, « l’indisciplinaire des arts vivants » : un Mickey en croix, sur le thème : l’art, c’est sacré.

    Cette utilisation de Mickey est un blasphème, mais surtout un blasphème sans risque. En 2006, Claude Lévêque avait maladroitement associé un Mickey en néon à la phrase « Arbeit macht frei », référence à Auschwitz. Œuvre refusée par le Grand Palais, démêlés avec les associations de déportés… Cl. Lévêque avait naïvement cru qu’il pouvait jouer avec le tabou suprême.

      Sur la croix, ce Mickey est totalement inoffensif, car s’en prendre au christianisme, c’est s’attaquer à une minorité sans défense et non à un tabou. L’attaquant, lui, tout révolté qu’il se présente, représente la morale officielle.

    Quand ce n’est pas la croix, ce sont les valeurs chrétiennes qui sont attaquées. L’exposition Présumés innocents s’en prenait aux enfants

    3 ; l’exposition L’Infamille (actuellement à Metz) s’en prend à la famille avec les mêmes ingrédients – sexe et mort. La cave installée par M. Fritzl (Amstetten, Autriche) à l’usage de sa fille et de leur progéniture présente des similitudes troublantes avec les installations des expositions de ce genre. Ce point serait à creuser.

    Les artistes de L’Infamille sont censés, ici encore, nous proposer « un regard à rebours des conventions sociales » alors que leur regard est à rebours des valeurs chrétiennes que rejettent les conventions sociales. Parmi celles-ci figurent l’avortement, le divorce (pour rester dans la thématique des expositions susdites qui expriment justement uen haine à l’égard de la famille), auxquels s’ajoutera bientôt l’euthanasie. L’artiste allemand Gregor Schneider est dans la note : il veut exposer un mourant dans un musée. Le projet semble loufoque mais Gregor Schneider n’est pas n’importe qui : il a obtenu le Lion d’Or de la Biennale de Venise en 2001. Il appartient au système et diffuse sa culture.

     

    1 Cf. notre analyse « La vieille obsession », Lovendrin n°7, sept.-oct. 2005 ; « Racisme et blasphème autour de la Sainte Face », ibid., n°20, nov.-déc. 2007.

     2

    L’art contemporain, art officiel : « Un procès contemporain », Présent, 4 nov. 07.

     3

    L’analyse de l’exposition (Bordeaux, 2000) : « Présumés hypocrites », Présent du 3 nov. 07.

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