-
Par schwa1 le 22 Mai 2008 à 18:25
DIRECTION RELIGIEUSE
Diététique.
Les pigeons, victimes à venir du réchauffement climatique ? Cela ressort des propos de Maître Suprême Ching Hai, « humanitaire, artiste et enseignante spirituelle de renommée internationale ». Son message aux dirigeants du monde, « Je leur dirais dutiliser leur puissant pouvoir pour faire changer le mode alimentaire de la planète [ ] Dutiliser leur puissant pouvoir pour instaurer une nouvelle façon de salimenter sur cette planète, le végétarisme. » Bis repetita placent, et comme les mots « puissant pouvoir » semblent délectables. Donc, au menu, tofu, gluten et maïs, « aliments nutritifs sauvant des vies » et coupant lappétit démesuré des pollueurs. Quant aux gens du monde (traîtrise dun logiciel de traduction), Maître Suprême Ching Hai « les aime énormément ». Cest dailleurs son secret : « Soyez bon et en bonne santé. »Biblique.
Conscient que la longueur dun service religieux « barbant et inapproprié » rebute les fidèles, Mark Evans (Little Rock, Arkansas) a créé sa propre église « pour les sans-église» et mis au point un office qui ne dure pas plus de trente minutes. Au programme, « un message engageant, une musique de culte entraînante et un rituel créatif ». Une créativité, qui fera verdir plus dune équipe liturgique de chez nous ! Par contre, la spiritualité du message na rien de lesprit tiers-mondiste requis pour une bonne pastorale : « Guidé par un millionnaire », annonce notre Mark Evans, qui ne lest pas encore. Le millionnaire en question est Salomon. « Vous seriez émerveillé par son avis sur beaucoup de questions, votre profession, vos relations, votre santé, vos finances Ce que Salomon avait à dire concerne tout simplement le monde daujourdhui. » La clé de Salomon, clé du coffre?à part ça, Mark Evans est lauteur, avec son épouse, de louvrage Mariage gagnant : 7 choses que font les couples heureux pour le rester. Il propose diverses formations, parmi lesquelles je relève celles sur les « gens toxiques », ou comment apprendre à se comporter «avec les relations toxiques, les religions toxiques et les parents toxiques. »
DIRECTION ARTISTIQUE
Guidé.
Au Grand Palais, du 7 mai au 15 juin, le sculpteur américain Richard Serra présente « une installation que le visiteur découvre sous la forme dun paysage dacier à la fois radical et poétique, minimal et mouvementé. » Une uvre « épurée et majestueuse » qui « bouleverse le rapport du visiteur à lespace » (véritable scie de lart contemporain). Histoire que nul nerre ou nuse de sa jugeote, « une politique de médiation innovante et engagée » est instaurée grâce à des « médiateurs spécialisés », sortes de vigiles de lhistoire de lart, chargés d « accueillir et orienter gratuitement les visiteurs individuels dans un souci constant déchange et de dialogue. » Le public scolaire, « objet dune attention particulière », bénéficiera de visites adaptées, « en cohérence avec le socle commun des connaissances et les programmes ». Socle et uvre sont dignes lun de lautre.Azimuté.
Un lieu souvre dans le 18e, pour mener « des expériences autour des notions de corps, despace, de la relation public / privé. » Première tournée sur le thème du voyeurisme : Marianne Mains (de lENSA de Nancy) « développe une esthétique trashglamour Ses mises en scène très élaborées de jeunes filles rendues à la nature ou soumises à son bon vouloir sont autant de rêveries intrigantes » (photo) Géraldine Husson présente des « objets hybrides, proposition duniversrefuges, sensibles, psychiques et physiques sans considération de frontières. » Des thématiques sales et rebattues, de jeunes artistes à la remorques des Annette Messager, des Louise Bourgeois (à lhonneur au Centre Pompidou), des Sophie Calle (à lhonneur à la BnF).Désorienté.
Une galerie du Marais accueille les sculptures dElisabeth Ballet, « universelles car elles remettent en jeu les questions classiques de la sculpture ». Pourtant, rien que de très rabâché : «les questions du déplacement et de la circulation dans lespace, sur larticulation du dehors et du dedans, de louvert et du fermé...» Je vous passe les détails, mais sachez que « la sculpture maintient le spectateur à distance tout en lobligeant à une déambulation mentale. » Tout cela sent en effet le déambulateur.DIRECTION POLITIQUE
Coincé.
Lu dans Direct Matin du 8 avril : « La diffusion récente dune vidéo sadomasochiste qui met en scène Max Mosley, patron mondial du sport automobile, suscite des remous dans la F1. » Ce nest pourtant pas ce que vous croyez. Il nest pas reproché au sexagénaire lusage du fouet en compagnie de cinq jeunes femmes. « Lusage duniformes, de tenues de prisonniers et, surtout, de la langue allemande lors dun simulacre dinterrogatoire a fait sémouvoir nombre de personnalités du monde du sport automobile. » Indignation subséquente des organisations juives britanniques, qui ont rappelé des antécédents familiaux accablants : le père de Max Mosley avait fondé dans les années trente la British Union of Fascists. Archétype jungien ? Complexe freudien ? Max Mosley a réfuté « le caractère nazi de son échappée sexuelle » Les adeptes du triolisme révisionniste nont quà bien se tenir.
votre commentaire -
Par schwa1 le 22 Mai 2008 à 18:23
Lexicologie diocésaine
par Amédée Schwa
I. Avenir de lentreprise
Une toute récente publicité du groupe Suez frappe par sa ressemblance avec la campagne pour le synode qui a eu lieu en 2005 2007 dans le diocèse dAngers (1 & 2). Le slogan est le même, le logo aussi : personnage ou croix, cest tout un du point de vue graphique. Qui aurait dit que léglise dAnjou donnerait le ton en matière de communication ? Celle-ci était un des thèmes du synode. Suez partage également des valeurs avec le diocèse. Le laïus accompagnant la publicité rappelle des passages de la Charte synodale : diversité des cultures, écologie, action citoyenne Le grand groupe se démarque par sa politique de recrutement et par sa devise, « Vous apporter lessentiel de la vie ». Lune comme lautre seraient jugées agressives et intolérantes si les chrétiens se les appropriaient.
II. En ce temps-là je franchissais des portails
Lancien séminaire dAngers, devenu Centre diocésain en labsence de prêtres, est en cours de totale restructuration. Il arbore un portail flambant neuf. Portail ni roman, ni gothique, ni classique, ni rien. Portail à lemporte-pièce, tôle percée de mots indignes dêtre gravés dans lairain mais auxquels le vide convient. La technique répond à lintention. (photo 5)
Pour parler juste, cest un ensemble : le portail est accosté dune clôture, travaillée de la même façon. (photo 3) La première impression est celle dun fatras de mots, de répétitions difficilement comptables à cause de la variation de la taille des caractères (une police Courier New, à peu près). Il y a cependant une organisation. Comme on le constate sur la vue densemble (photo 3), on passe de gauche à droite dune disposition touffue à une dissémination. Un premier groupe de mots A est répété tel quel en B ; repris dans une disposition différente sur le portail proprement dit (C) ; la dernière partie (D) fait appel à une nouvelle série de mots ; le retour maçonné, où les mots sont en creux, présente une suite de mots nouveaux répétée quatre fois. (photo 4)
On dénombre sur la tôle près de quatre-vingt dix mots, classés comme suit (en respectant majuscules et minuscules) :
Le trio de tête est constitué de : Bonne nouvelle (18), PAIX (14), JOIE (13).
Viennent ensuite : PAROLE (9), partage (9), Dialogue (8).
En deux exemplaires : ACCUEIL, NOËL.
Une seule occurrence : Formation, ANIMATION, RASSEMBLEMENT, Rencontre, Etoile, amour, Vie, Lumière.
Sur le muret de béton, nous lisons : Respect (8), Ecoute (8), Ecrit (8), Eau (8), ROC (4) Ciel (4), Lumière (4).
Labsence de syntaxe est significative. Justifiée dans une devise, elle constitue précisément ici une logorrhée, un flux de mots à peine maîtrisé : les maîtres mots des panneaux qui fleurissent encore dans les sanctuaires, invention de Vatican II, supposés porter un message fort, donner un sens à la messe. Maintenant que ces messes, puisquelles furent de fort mauvais spectacles, se jouent à gradins vides, la vieille garde a souhaité pérenniser ce que les panneaux avaient dheureusement biodégradables, et communiquer à lhomme de la rue son lexique de base. Car le portail est lapplication des propos de Mgr Bruguès : « Notre message ne portera guère décho si lon ne perçoit pas que nous sommes heureux de vivre à notre époque. » (Charte du Synode) Doù le mot « joie » dans le peloton de tête, joie manifestée à loccasion par les gesticulations dun clergé en pleine danse de Saint-Guy (photo 6, lors dun rassemblement synodal). Notez combien le curé X, à cet instant précis, ressemble au personnage ectoplasme de la publicité Suez.
Il est incertain que les passants soient attirés par ce discours. Les mots ne démentent pas la tristesse incommensurable du bâtiment, enlaidi un peu plus par la pose dhuisseries modernes en matière de rénovation, le saccage des ouvertures révèle immédiatement le manque de goût. Ce défaut dil est confirmé par la pose toute récente, dans le hall du centre, dune sculpture de Guylaine Chaveton qui représente le Buisson ardent, où lEsprit (photo 8) nest quun esprit, un mort-vivant sorti dun film dhorreur de troisième rang.
votre commentaire -
Par schwa1 le 22 Mai 2008 à 18:17
Deux articles dHugues Rebell parus dans Le Soleil
Les Patricides glorifiés
Les premiers jours de septembre sont pour nous des anniversaires pleins de douleur. Ils appellent ces fantômes terribles des armées détruites, des champs de bataille inondés de sang, - le souvenir dune catastrophe sans exemple. Mais Sedan, avec ses entassements de cadavres, ses troupes débandées et folles, son entourage de villes en feu, est dune vision moins pénible que la tragédie du Quatre-Septembre, de la Commune et de la troisième République. Ici rien dhéroïque : le désastre a même quelque chose de ridicule, de burlesque, qui pourrait égayer un étranger indifférent aux maux de notre pays ; le destructeur prend des allures de pitre forain, de Robert Macaire. Cest lassassin devenu juge, gendarme, héritier de sa victime. Et Robert Macaire triomphe : nul nose dévoiler la supercherie.
Malgré les beaux livres de MM. Duquet et Arthur Chuquet, lhistoire de cette malheureuse époque reste enveloppée dombre. En effet, on néglige volontairement tout ce qui pourrait léclairer, je veux dire les révélations du principal acteur : le parti républicain. Sans disculper Napoléon III, il conviendrait de sattaquer au vrai criminel ; lempereur nest coupable que davoir laissé grandir le mal, de lavoir subi, den avoir été lhumble esclave, mais cette complicité timide ne doit pas faire oublier ceux qui ont préparé lattentat, qui lont accompli, qui en ont bénéficié. Cest lhabitude des orateurs républicains de flétrir les conservateurs qui, en pleine paix, en vue des guerres possibles, et par souci de la prospérité nationale, savisent de mettre en doute lexcellence du gouvernement actuel.
Ces orateurs ont la mémoire courte ; ils oublient que durant tout lEmpire ils ont souhaité la défaite de la France. Nous avons des témoignages qui ne sont point suspects, par exemple, celui de M. Darimon, lun des membres les plus actifs de lopposition libérale sous Napoléon III. « M. Jules Simon, dit-il, nest pas seulement un adversaire de la guerre ; le succès de nos armes lui cause un dépit profond, parce quil rehausse le prestige de lEmpire. » Ce sentiment nétait point particulier à M. Jules Simon. Tout le parti républicain qui nous fait aujourdhui la loi, avait cette horreur du succès militaire. « Guerre à lArmée ! » a été le cri de ralliement des humanitaires de lEmpire comme il devint plus tard le mot dordre des dreyfusistes.
M. Thiers, le fondateur de la République, a prudemment laissé dans loubli - et ses éditeurs nont pas eu meilleure mémoire le discours à la Chambre du 31 décembre 1867. Il sy élève contre les nouveaux projets de mobilisation, il refuse de croire que larmée prussienne soit aussi nombreuse quon le prétend. « Vous vous défiez beaucoup trop de votre pays, dit-il, et vous leffrayez. Il faut le rassurer. Nous avons une puissante armée. Et puis, nauriez-vous pas toujours deux ou trois mois pour organiser la garde nationale ? » Il a surtout pleine confiance dans « cette vive ardeur qui sallume dans tous les curs français au moment dune guerre. » Comment ne dormirait-on pas tranquille après cela ! Le discours de M. Thiers fut très applaudi. Lhumanitarisme était alors en grande faveur. Il trouvait des adeptes même auprès des généraux. Dans un livre quon devrait bien distribuer à tous nos députés socialistes et progressistes, Les entretiens de Bismarck, le secrétaire du chancelier nous montre le général Wimpffen parlant de la fraternité des peuples au moment de la capitulation de Sedan, alors que Bismarck gronde entre ses dents : « Balivernes ! balivernes ! » évidemment Wimpffen tenait là un discours de circonstance, mais plusieurs généraux pensaient réellement ce quil ne disait que des lèvres et par occasion. Dans toute cette guerre, ce nest point le courage des soldats qui fait défaut ; il y a des actes de bravoure admirables ; linfériorité du nombre même nest point la véritable cause de la défaite ; non, ce qui nous a menés à Sedan, cest le manque de foi de certains chefs. Le parti républicain avait accompli son uvre ; il avait détruit chez beaucoup lenthousiasme, la croyance, le feu qui donne la victoire. Ces manuvres mollement faites, ces marches et ces contre-marches, ces troupes qui arrivent en retard ou qui narrivent point, ces hésitations continuelles, tout cela indique bien que la guerre, la gloire, le succès sont devenus presque indifférents à ceux qui commandent. On sy intéresse comme à une partie de billard, et on laisse le hasard décider pour ou contre soi.
Et on ne croit pas plus au chef quà la guerre. Tout le monde commande et personne. LEmpereur, Lebuf, Bazaine, Mac-Mahon, Ducrot, Wimpffen sont généralissimes tour à tour. à qui obéir ? Cest ici quon voit limportance du chef, du Prince reconnu comme un maître respecté, dont on na pas à discuter les ordres ; et lon comprend pourquoi le général de Gallifet, avant dêtre ministre, disait que lidée dune République nest pas compatible avec celle dune forte puissance militaire. Imaginez que la guerre éclate aujourdhui. Qui commanderait ? Serait-ce le général André, si populaire ? Serait-ce M. Loubet, si expérimenté ? Serait-ce le général Brugère ? Seul le Prince, avec la force du commandement, quil tient de ses ancêtres, peut réellement imposer sa volonté.
Napoléon III navait pour se faire obéir que cette autorité personnelle qui ne résiste guère à la maladie, à lâge, à la mauvaise fortune. Il sentait si bien sa faiblesse devant lindifférence de ses généraux quil nosait plus donner un ordre, agir en son nom. Il semble alors quil nest plus que lombre de lui-même. Si réellement il eût été le représentant du pays, sil eût pensé avoir le droit de faire la paix, la France peut-être ne serait pas démembrée ; elle neût pas prolongé cinq mois une lutte inutile ; Paris neût pas connu les souffrances du siège et les destructions de la Commune. Bismarck la dit à Napoléon III, qui se plaignait des dures conditions quon imposait à son armée : « Si lEmpire était solidement établi, nous vous ferions des conditions moins onéreuses, et nous signerions la paix avec vous sans penser que demain elle sera violée ; on peut compter, en effet, sur la parole et la reconnaissance dun Prince, mais non pas sur celles dun peuple qui change chaque jour ses institutions et son gouvernement ».
Bismarck, comme Napoléon III, se doutait bien que la révolution, à la nouvelle de Sedan, allait éclater à Paris. Admirons encore une fois le patriotisme du parti républicain. Il attendait la défaite - non pas lirrémédiable que personne neût pu prévoir - mais une défaite quelconque pour renverser lEmpire et sinstaller à sa place. Le trouble que doit produire un changement de gouvernement dans létat, la difficulté dimproviser un ordre nouveau, rien de tout cela ne loccupait. Il ne songeait quà être maître, à goûter un peu au pouvoir, fût-ce comme Jean de Leyde, pour quelques semaines. La première tentative dinsurrection avait empêché le retour de lEmpereur à Paris, la réorganisation de larmée de Mac-Mahon ; le parti républicain avait ainsi condamné larmée impériale. Au quatre septembre, il acheva la ruine de la France. Il y eut alors un schisme dans le parti. Les uns tenaient pour le pouvoir immédiat, comme Gambetta ; les autres, comme Thiers, pour le pouvoir futur. On se souvient de la visite que Mérimée, mourant, fit, à la demande de lImpératrice, à ce destructeur de monarchies. Il implorait, son aide, il le priait duser de sa popularité pour établir un gouvernement fort qui pût sauver le pays. « Il ny a rien à faire », dit Thiers. Cela signifiait quil y avait trop à faire pour lui. Il voulait bien être le sauveur, mais lorsquil ny aurait plus rien à sauver. M. Thiers a été comme le modèle de tous nos républicains au pouvoir. Ils ont été les pilleurs dépaves du grand naufrage quils avaient préparé. Les années leur ont fait oublier le crime, et lor, les honneurs, les ont assurés de leur vertu.
Spéculateurs
Pour réaliser son rêve monstrueux : des hommes semblables, nayant ni fonctions particulières, ni devoirs différents, égaux en sottise et en impuissance, la démagogie essaie de modifier toutes nos façons de vivre ; elle travaille à sa tâche aujourdhui avec une ardeur féroce : il faut que tout se transforme, êtres et choses ; jamais ne sest montrée si insolemment la tyrannie du fanatisme qui ne veut pas tenir compte de luvre des siècles, de linstinct naturel des peuples, mais forcer, contredire, réformer toutes les inclinations de lexistence. Il suffit que Paris doive la plus grande part de sa beauté à la Royauté française pour que la démagogie ne veuille pas la lui pardonner. Dès maintenant, si ne sy oppose une autorité forte, par exemple, une ligue qui ne se contente pas de protestations et de discours, Paris est condamné ; la Commune naura été quun essai de lénorme destruction que la troisième République va achever, doucement, au milieu du consentement ou du moins du silence dun peuple où il y a des artistes, des historiens, des gens épris du passé, de la beauté, des simples enfin qui nont que des souvenirs, des habitudes, et sétonnent de ne plus se reconnaître dans lendroit même où ils sont nés.
Je ne fais point ici de « tartine » ; je ne prends point dattitude, et je nexagère rien. Je suis seulement plein de douleur et dindignation à la pensée que luvre folle de la démolition de Paris saccomplit avec une telle aisance et une telle rapidité, comme quelque chose de naturel, de nécessaire, quand, au contraire, on ne peut rien imaginer de plus insensé ni daussi extravagant dans la barbarie.
Les autres villes, par exemple une grande cité commerçante comme Londres, ont autant, sinon davantage, besoin, que Paris, de nombreuses voies de circulation ; mais parle-t-on chez nos voisins de mettre un tramway dans Hyde-Park, dabattre les arbres de Green-Park pour y faire une rue et de démolir Buckhingham-Palace sous prétexte quil nest pas dans lalignement et gêne le passage ? Les Anglais, sans être un peuple didéalistes, nestiment pas que lhumanité ne soit quun besoin de circulation. Or, nous, au contraire, nous en sommes là. On va sacrifier, comme on la déjà fait je ne sais combien de fois, un monument à une rue, et quel monument ? LInstitut seulement ! Il ny a aucune raison pour que bientôt le Palais-Royal, le Louvre, dont les guichets ne facilitent pas précisément la circulation, naient le même sort que lInstitut. Une sorte de manie destructive semble sêtre emparée de certains hommes, qui les pousse à tout ruiner. Les villes, je le sais bien, doivent se transformer comme notre existence, mais ces transformations hâtives et inutiles sont absolument inouïes et contraires à la nature. En saccageant ainsi notre passé nous ressemblons à ces sauvages qui assassinent leurs vieillards, même sils sont encore sains et robustes.
Des règlements de police et chez les cochers et les charretiers moins de cette routine qui les fait choisir certaines rues de préférence à dautres, dun trajet aussi court, parfois même plus rapide, il nen faudrait pas plus pour rendre aisée la circulation. Paris, surtout après la construction complète du Métropolitain, ne peut avoir aucun embarras à se mouvoir ; si on le persuade quil manque de rues, on le trompe.
Et de fait on a intérêt à le tromper. Nos politiciens démocrates, conseillers municipaux ou députés, tiennent à soccuper de grandes uvres : voter un budget qui ne soit pas trop chargé, supprimer des taxes ou ne pas en créer de nouvelles, à leur sens, cela est bien trop modeste. Au contraire, démolir et rebâtir Paris, quelle gloire !
Gloire dorée au surplus. Pourquoi serait-on politicien, dans une démagogie, si ce nest pour remplir sa bourse, pour faire des affaires ? Le politicien de la démocratie a toujours derrière lui le spéculateur pour lui montrer une affaire et lingénieur pour laccomplir sous sa direction. Ce sont les trois compères qui, aujourdhui, se chargent de bouleverser Paris, de ne pas laisser un souvenir de son histoire, une pierre de ses monuments. Ainsi dans cette horrible anarchie où nous vivons, cest la richesse que lesprit révolutionnaire a choisi comme agent de ses destructions ; cest la richesse qui démolit les palais, qui arrache les arbres des parcs, qui travaille à faire à lhumanité une vie laide, monotone, malsaine, odieuse ! Les intelligences sont à ce point confuses et obscurcies que les hommes sacharnent à leur perte en croyant tout sacrifier à leurs intérêts, et que dans ce moment les pires aveugles sont justement ceux qui se nomment pompeusement des spéculateurs, dun mot qui signifie contemplation haute, vue profonde, compréhension vaste.
Même en oubliant lart, lhistoire, ce qui donne à notre existence une joie et une fierté, en ne se plaçant quau point de vue de largent à gagner, est-ce un si bon calcul de prétendre changer la caractère dune ville, et de lui enlever tout ce qui fait la fortune de ses habitants ?
En même temps quon trace les nouvelles rues, sen vont les anciennes maisons, quelquefois beaucoup moins incommodes que les étroits logements que lon construit pour les petites et même les moyennes bourses ; les loyers saugmentent, et les Parisiens qui vivaient à Paris, de plus en plus gagneront la banlieue, les villes voisines. Une partie de Paris ressemblera au quartier de la Cité, à Londres ; on ny viendra que pour le travail et les affaires ; des maisons, bâties pour former une cinquantaine dappartements, devront se louer à des Compagnies, se loueront moins facilement, et par suite moins cher. Paris déserté de bonne heure, triste, sans promenades, sans rues pour les voitures, sillonné partout dhorribles tramways, ne sera plus le rendez-vous des grandes fortunes. Ce ne sera plus la ville du loisir, du luxe et de lart. Sera-ce la ville du commerce ? Mais tous ses commerçants et ses industriels travaillent précisément pour le loisir, pour le luxe et pour lart. On la bien vu à son Exposition organisée par des politiciens, des spéculateurs et des ingénieurs, à son exposition démocratique, doù lon avait voulu chasser le luxe et la beauté. Paris na pas fait ses frais.
Il est temps que la Monarchie, en rendant à la richesse ses droits, lui rende aussi ses devoirs et son utilité. Même ces traitants, ces agioteurs de lAncien Régime, que Lesage et Dancourt ont si cruellement fustigés, sils acquéraient mal leurs richesses, devaient les dépenser en uvres utiles. Aujourdhui la richesse se cache, comme un opprobre ; se sentant traitée en usurpatrice, elle oublie quel rôle bienfaisant elle doit jouer dans lhumanité ; il ne lui est plus permis que de se dépenser en secret, de spéculer et ainsi travaille-t-elle moins à ses intérêts du jour quà sa ruine de demain.
votre commentaire -
Par schwa1 le 22 Mai 2008 à 18:11
Hugues Rebell
Portraits décrivains
Maurice Barrès
Quand jai vu Nancy à lautomne, avec les jolies grilles dorées de la place Stanislas et les vastes frondaisons de son jardin, Nancy avec ses casernes et ses coquets musées, il ma semblé voir lâme de Barrès, fine, élégante, gracieuse, - ayant aussi ses profondeurs, ses orages.
On lappela fumiste, cest bientôt dit. Ce mot-là signifie : savoir sourire. Certes, il faut savoir sourire de beaucoup de choses, ou lon est un sot, il faut paraître sourire de beaucoup dautres ou lon est un maladroit. Mais on peut aimer et haïr et être un passionné entre quatre murs. Maurice Barrès est un écrivain ; il exprime les idées les plus délicates, les plus subtiles par des images justes et naturelles ; sa phrase est parée, chantante, mais dune coquetterie discrète, toute française et dancien régime. Il marche entouré des charmants fantômes quil a imaginés ou créés : Athéné, Bérénice, Claire, Marina.
Cest cette société sans doute qui le préserve, en ces contacts odieux auxquels loblige par ambition de tous les rôles et par dilettantisme, une âme plus vagabonde, capricieuse et énergique, sous des apparences de lassitude, que celle de lempereur Hadrien. Lorsque dans un journal, à côté de la prose dune Séverine, il nous donne quelques pensées sur lart ou la politique, je crois voir lun de ces croquis des grands artistes où le trait, encore que sommaire, est si juste quil recrée pour nous toute la réalité. De même, sil parle des réformes sociales auprès dun Thiviers ou dun Jaurès, il ne nous choque point. Pourtant lauteur socialiste ou anarchiste nous paraît pousser le dilettantisme trop loin. Le prince de Ligne coiffé dun bonnet phrygien ne nous étonnerait pas davantage. Maurice Barrès a plutôt lair dun grand dignitaire ecclésiastique du XVIIIe siècle que dun révolutionnaire. Georges Leconte disait : « Quand Barrès lève la main, je mattends à voir briller lanneau pastoral. »
René Boylesve
En cette époque dindifférence et de pose banale, comme je vais avec joie vers ceux qui subissent lenchantement de la vie. René Boylesve est lun de ces rares.
Felix qui potuit rerum cognoscere causas !
Heureux, dirais-je à mon tour, celui qui voit la beauté de tout ce qui lenvironne. Celui-là vraiment est un symboliste et un idéiste. LÂme de la nature ! lÂme des ruines ! LÂme de cette humanité fugitive au milieu de laquelle nous passons ! Avec elles sunissent ces grands hommes, nos saints à nous ! Chateaubriand, Byron, Vigny, Keats, Shelley. René Boylesve savance de même pour cette divine communion. Il nous dit la terreur et la joie que nous cause le spectacle de la montagne, comme aussi la volupté somptueuse et lorgueil de la Venise des Doges. à propos dun pastel de Point il recréera la grâce délicate et fine de la femme moderne, comme devant des statuettes de Tanagra il évoquera les joies des peuples morts. Mais passionné à la façon des antiques qui ne violèrent point la noblesse ni la simplicité naturelle, il ne gâte point ses sentiments par une expression exagérée et comme il ne sied point de livrer son âme aux marchands de ce siècle, il la pare et la déguise au besoin avec des ironies. Ainsi sexplique le beau sourire tranquille que je lui vois et qui me fait songer à certaines statues de Jean de Bologne. Ce sourire indique un esprit dominateur qui gouverne les mille impressions de la vie, soucieux avant tout de se créer une personnalité une et harmonieuse.
Maurice du Plessys
Les Anciens représentaient Minerve et les Muses souriantes. Nos modernes ne voient plus Erato que dans les cimetières, et pareille à lun de ces fantômes que se plaît à peindre Mme Jacquemin. Maurice du Plessys est allé trouver cette muse misérable, il la ramenée parmi les vivants, lui a rendu la joie, et peu à peu, en sa compagnie, ses joues se sont colorées et son corps a pris de nobles formes.
Les poèmes du Premier livre pastoral sont vraiment dune forte et belle venue. Parmi les poètes romans, Maurice du Plessys est le plus latin du groupe ; jentends par là quil possède, plus encore que le don rythmique, celui de lexpression énergique, de limage large et précise. Les mots qui, au XVIe siècle, avaient une signification déterminée, employés plus tard à contre-sens par de mauvais écrivains, nont plus aujourdhui quun sens fuyant, fort lâche, et cest pourquoi presque toute la poésie daujourdhui est si vague, consacrée uniquement à la sensation. Une poésie en effet ne peut penser, ne peut atteindre au lyrisme noble et au pathétique, sans la propriété des termes qui permet de renfermer beaucoup didées en une simple alliance de mots. Maurice du Plessys, surtout dans ses vers descriptifs comme ceux du commencement de lHymne à Hermès, me semble avoir complètement reconquis ce style plein et vigoureux qui donne tant de prix à luvre dun Malherbe. Ajoutons quil veut remettre en honneur le conte à la manière de La Fontaine où le lyrisme le plus familier succède au ton rieur et badin. Et cest bien là le désir dun vrai poète qui nenferme point la Muse dans lenclos des « symboles » mais la laisse rire et sébattre dans le monde entier.
Raymond de la Tailhède
M. Raymond de la Tailhède na encore publié que quelques poèmes, et cependant ils révèlent une âme si noble de poète et un art si parfait quon ne peut le placer quau premier rang. « Ils débordent de fiertés et dorgueils », disait déjà Jules Tellier de ses premiers essais. Le mouvement, lenthousiasme, laudace sûre de ses tours font de ses vers les plus magnifiques qui soient : Ronsard serait heureux de les consacrer de son nom. Notre seul regret est que M. de la Tailhède, avec un dédain bien compréhensible dailleurs, quand on songe au public prétendu lettré de ce temps, - se soit retiré dans son château de Marmande, écrivant pour lui seul, plus heureux de vivre avec les poètes de la Pléiade et son cher Cervantès quavec ses grossiers contemporains. La nature certainement est la meilleure inspiratrice, et nous ne pouvons blâmer cette hautaine solitude, mais nous serions heureux que le poète nous fît part plus souvent de ses uvres, et songeât quau milieu de la foule indifférente, il compte un petit groupe de sincères admirateurs.
Charles Maurras
Un critique qui est à la fois un artiste, un philosophe et un passionné, un écrivain qui ne prend point les autres pour sen faire un piédestal, mais pour leur en élever un ; un auteur qui aime lire, qui sait lire ; - nest-ce pas, dans la démocratie littéraire de ce temps, un homme vraiment rare et qui semble même unique ? - Je ne sais pas de prose plus légère, plus ailée que la sienne. Charles Maurras a la grâce, lironie discrète, lélégance et, - comme son maître Anatole France, - le goût qui ne force jamais le trait, et dit tout dun mot. Lisez ses contes philosophiques, ses études sur Anatole France, Jean Moréas. Cest la façon décrire, - encore que rajeunie avec un sens exquis du moderne, - du La Fontaine des Amours de Psyché, du Fontenelle du Dialogue des Morts. Qui me disait donc quil ny avait plus de tradition ? Les meilleurs et les plus originaux écrivains de cette époque sont justement des lecteurs assidus de nos classiques, sans que leur fidélité au passé les empêche dinnover, et mieux, plus sûrement que ces farouches destructeurs didoles, - toujours prêts à sattaquer à des dieux. Ce serait cependant calomnier Charles Maurras de dire quil appartient à cette époque dhommes médiocres ; il est au-dessus delle comme tous ceux dont la pensée demeurera. Pour moi, je le vois très bien dans cette académie platonicienne que fonda le grand Cosme de Médicis. Dailleurs sa physionomie ardente, mais belle de calme force, rappelle absolument certains portraits des Uffizi. Cest quaussi, au point de vue intellectuel, Charles Maurras est moins un Français de nos contemporains quun de ces nobles florentins du XVe siècle, épris de la pensée et de lart lumineux des Anciens.
Jean Moréas
Jean Moréas a renouvelé le chant pur des ancêtres ! Cest pourquoi je ladmire. Si quelques-uns, sous prétexte dindividualisme, renient toute la gloire du Passé et rejettent la lyre sainte que les anciens poètes se passaient de main en main, cest en vérité quils ne sont point de la famille. Ils peuvent aller chanter à lécart : Sophocle, Virgile, Racine ne veulent point deux. Il y a des gens qui prêtent à Jean Moréas de lorgueil, moi je dirais quil a de la piété. Condamner les uvres déjà très belles de ses débuts par amour dune beauté plus haute, voilà ce que ce poète a fait. Tandis que la plupart ont lair de chercher des trésors dans une chambre obscure, Jean Moréas sen va au soleil cueillir les fleurs des champs. Sa conception dun poème dont chaque vers nest pas seulement intéressant par lui-même, mais concourt à une harmonie densemble, il la réalisée dans son admirable Pèlerin passionné, fort et gracieux tour à tour comme le savent être les maîtres, plein dune inspiration noble et naturelle. Mais si Jean Moréas est fidèle aux anciens, cest quil ny a pas deux façons de concevoir lart ; il ne les imite point pour cela, il reste lui-même et, par les sentiments quil exprime, il est moderne et bien plus que tel ou tel charlatan qui prend un costume bariolé ou un masque effrayant pour attirer les foules.
Jules Renard
On se place au-dessus de son temps, quand on est capable den voir les ridicules et den percer lhypocrisie. Ainsi Jules Renard ne se mêle point à la foule des grotesques, gardant son poste dobservation, - au balcon, dirais-je. Il me semble que tout lartificiel des âmes modernes, que ce soit celle de lécornifleur, de Mme Vernetou ou du symboliste, a été surpris, fixé en des pages dironie par ce philosophe. Jules Renard dans les livres me donne une impression dhonnêteté. Tous ses petits chapitres sont composés et écrits. Il sait la valeur dune description, dun dialogue, dun mot. Son style est fait. Il ne cherche point à vous en faire accroire, il ne vous livre point de la besogne négligée, sous prétexte de vous fournir de la passion plus sincère. Cet ensemble de petits chapitres forme une très grande uvre. On est surpris en achevant la lecture dun de ses livres de voir le monstre qui se dresse devant nous. Cette logique dans la création et dans lexécution demeure le plus sûr moyen de nous émouvoir, le seul moyen littéraire en tout cas. Jules Renard est en effet un artiste. être artiste, ce nest point chevaucher des nuages, interpeller la foudre et crier aux étoiles, cest sintéresser à chaque chose de la vie, et la faire sienne, en y mettant son amour ou sa haine ou son mépris, cest la faire belle en la recomposant, non pour étonner et épouvanter les hommes, mais pour leur donner une noble jouissance.
votre commentaire -
Par schwa1 le 22 Mai 2008 à 18:08
Hugues Rebell
1867-1905
par Xavier Soleil
Georges Grassal de Choffat qui prit pour pseudonyme Hugues Rebell est né à Nantes le 27 octobre 1867, dans une famille bourgeoise de marins, armateurs et banquiers. Héritier, à la mort de son père, en 1887, dune fortune importante, il sinstalle à Paris et se consacre à la littérature, aux livres et aux voyages. Cest à Venise quil commença à écrire les poèmes de son premier livre important, Les Chants de la pluie et du soleil, ainsi que son premier roman, La Nichina, publiés respectivement en 1894 et 1896.
Sa génération se cherchait alors en poésie, entre les derniers tenants du Symbolisme et les premiers adeptes de lécole romane que Moréas fondait en 1891 ; elle se cherchait également dans le roman avec Barrès - Un homme libre parut en 1889 et L Ennemi des lois en 1892 -, les derniers Maupassant, Jean Lorrain, mais surtout les premiers Bourget - Cruelle énigme, Mensonges - délicats miroirs dune société déjà condamnée, mais aussi leçons quasi balzaciennes de morale sociale.
Très tôt Hugues Rebell précise ses positions politiques : il est nationaliste et monarchiste. Dès 1894, il prend part aux grands débats de lépoque en publiant Union des Trois Aristocraties, - celles du nom, de largent et du talent -, proclamant haut et clair son vu de « créer une hiérarchie, pour sauver le monde de la grande maladie démocratique, de cette grande fièvre populaire du commandement ».
On pourra sétonner quil ait préconisé une alliance entre trois « supériorités sociales » que rien ne semblait devoir rapprocher, mais, outre quune telle proposition nétait quun essai dapplication des géniales visions dAuguste Comte, on ne manquera pas de remarquer limportance que, dans cette perspective, il attachait au rôle fédérateur de la monarchie. On trouve là comme un essai dapplication de lidée de décentralisation chère aux fédéralistes nationalistes de lépoque, mais aussi un début de réponse aux questions que posera plus tard Charles Maurras dans LAvenir de lintelligence dont le dernier chapitre semble tout entier inspiré des réflexions de Rebell.
Ses articles du Soleil, journal royaliste, sont un modèle de clarté et dintelligence politique dans un style à la fois classique et fougueux. Anatole France, Charles Maurras le tiennent en haute estime. En 1900, il répondra à lEnquête sur la Monarchie une lettre qui commence ainsi :
« Mon cher ami,
Votre enquête sur la monarchie doit réjouir tous ceux qui voient dans le rétablissement de la royauté nationale lunique moyen de sauver la France. Elle vient, comme la lumière, dissiper les brumes qui nous enveloppent et révéler notre réelle existence. »
Et ceci qui, aujourdhui, est dune criante actualité :
« Contrairement aux droits des pouvoirs absolus, les droits de la République commencent au seuil de chacun de nous. Elle sait bien quelle est trop anti-française pour gouverner sans une inquisition de tous les instants. Elle ne sen cache même plus. »
Tant par sa philosophie politique que par son inspiration poétique, Rebell apparaît comme un disciple de Nietzsche quil avait lu en Allemagne et dont, dès 1893, il publiait, dans la revue LErmitage, la traduction de quelque pages d Ainsi parlait Zarathoustra, le chapitre intitulé « De lhomme supérieur » dont voici un extrait :
« Ayez aujourdhui une bonne méfiance, hommes supérieurs ! hommes courageux ! hommes francs ! Et tenez secrètes vos raisons. Car cet aujourdhui appartient à la populace. Ce que la populace na pas appris à croire sans raison, qui pourrait le renverser auprès delle par des raisons? Sur la place publique on persuade par des gestes. Mais les raisons rendent la populace méfiante. Et si la vérité a une fois remporté la victoire là-bas, demandez-vous alors avec une bonne méfiance : « Quelle grande erreur a combattu pour elle ? » Gardez-vous aussi des savants ! Ils vous haïssent, car ils sont stériles ! Ils ont des yeux froids et secs, devant eux tout oiseau est déplumé. Ceux-ci se vantent de ne pas mentir : mais lincapacité de mentir est encore bien loin de lamour de la vérité. Gardez-vous ! Labsence de fièvre est bien loin dêtre de la connaissance ! Je ne crois pas aux esprits réfrigérés. Celui qui ne sait pas mentir, ne sait pas ce que cest que la vérité. »
Il nest pas sans intérêt de souligner lattirance de Hugues Rebell pour Frédéric Nietzsche, car Les Chants de la pluie et du soleil ont certainement trouvé chez le philosophe allemand une de leurs sources dinspiration. Comme lui, Rebell exalte la force et la solitude des forts, la haine de la foule et des philosophies plus ou moins nébuleuses issues de la révolution, le mépris de la démocratie et de son impure cuisine. Comme son maître, il déteste le christianisme primitif et son succédané, le protestantisme. Ouvrir ce livre, écrira, quelques années plus tard Remy de Gourmont, « cest tomber dans une mine où lon puiserait longtemps sans lappauvrir ». Et René Boylesve, dans ladmirable portrait quil lui consacra au lendemain de sa mort, notait qu « un grand nombre de ses Chants sont des cris de révolte contre luniverselle entreprise de nivellement, de vulgarisation et dabaissement de la pensée ».
Je ne métendrai pas sur les romans de Rebell. La Nichina, dédiée à Maurice Barrès, « en reconnaissance de ses merveilleuses pages sur la Venise de Tiepolo » fut appréciée des connaisseurs - René Boylesve, Lionel des Rieux, Rachilde, Jean Lorrain -, et bien accueillie du public. « Il ne conçut pas, écrivit plus tard René Boylesve, le projet dartiste de composer un roman ; il donna une nouvelle forme à la conception sociale quil avait chantée dans les Chants de la pluie et du soleil ». Citons encore La Femme qui a connu lEmpereur (1901) et Les Nuits chaudes du Cap français. Vivants et originaux, écrits dans un style plein et fruité, ils sont dune veine qui sattache à décrire le côté sensuel de la passion, - voire du plaisir -, amoureux, veine dans laquelle sillustraient déjà la plupart des romanciers de cette fin de siècle, dans le sillage de Maupassant.
Hugues Rebell mourut le 5 mars 1905, à lâge de 37 ans. Le Diable est à table, roman philosophique auquel il travaillait depuis vingt ans fut publié après sa mort.
En 1926, la Librairie de France publia dans ses mensuels Cahiers dOccident les Chants de la patrie et de lexil, recueil poétique jumeau de ses premiers Chants, quelques pages littéraires groupées sous le titre Apothéoses tardives et enterrements prématurés, et surtout un choix important des ses chroniques du Soleil. Dans la préface quil donna à ce recueil, Auriant notait justement : « Haine, amour, mépris, cest tout cela qui bouillonne dans chaque page de son uvre : haine de la démocratie, amour de lArt et de la Beauté, mépris de la foule et de ceux qui se déshonorent à la flatter. Rebell a mis davantage encore dans ses romans, mais peu de personnes sen sont aperçues » Nétait-ce pas sa vie même ?
votre commentaire -
Par schwa1 le 22 Mai 2008 à 17:58
Les ficelles de l'art contemporain
par Samuel
Après sêtre ouvertement décrit comme un art révolutionnaire, cest-à-dire un art de la table, mais rase, lart contemporain saccroche à lart du passé, par lentremise des conservateurs et commissaires qui, dune part, ont pris la manie de considérer tout artiste du passé comme révolté, et, dautre part, brouillent les pistes en présentant côte à côte les deux formes dart.
Les colonnes de Buren au Palais royal sont un exemple célèbre de ce parasitisme pandémique, qui consiste à contaminer un lieu de façon durable ou transitoire (lannée dernière, une monstruosité dacier anéantissait la façade de lhôtel Biron). Les musées sont touchés : à Orsay cela se nomme « correspondances ». Par exemple, actuellement, Bertrand Lavier, qui « recouvre des objets (voitures, armoires, réfrigérateurs) de larges aplats épais de peinture, laissant ces objets utilisables, uvres qui sont lobjet lui-même et limage de lobjet », est en correspondance avec La lecture de Manet.
Autre exemple, Anthony Caro, sculpteur anglais, sommité internationale spécialisée en poutrelles peintes, a eu une rétrospective sur le site antique des marchés de Trajan à Rome en 1992 ; et, lui aussi, sa correspondance avec Manet à Orsay en 2005.
Au Louvre, le mot choisi pour ce genre de manifestation est « contrepoint ». Cette année, jusquau 7 juillet, le plasticien belge Jan Fabre a carte blanche pour que sétablisse « un dialogue entre artistes du passé et artiste vivant ». Dun côté, donc, Van Eyck, Rubens, Rembrandt ; de lautre, Jan Fabre, réputé pour ses mises en scènes où sexe, excrément et violence se mêlent harmonieusement. Ici, entre autres, deux autoportraits sculptés de lartiste, lun, le nez collé, saignant, contre un tableau de Van der Weyden (« une sorte de purification ») ; lautre, sous les apparences dun ver de terre géant rampant parmi des pierres tombales en vrac (photo). Lartiste clame son admiration pour les maîtres des écoles du Nord, qui, suivant lui, lont influencé.
Cette affirmation est une ficelle, grosse mais solide, dont lutilité est dattraper le pigeon, qui, choqué par les uvres de Jan Fabre, le trouve respectable malgré tout puisquil aime comme lui les maîtres hollandais ou flamands ; et ses uvres gagnent en respectabilité aux yeux du pigeon. La présentation conjointe duvres du passé et dinstallations contemporaines a le même but : que le public croie à la continuité effective de la création. Cependant la différence de nature entre lart contemporain et lart traditionnel est telle que toute passerelle entre les deux nest quartificielle : lart traditionnel était contemplatif, lart contemporain est iconoclaste. Il brise limage pour quelle ne soit pas support de contemplation.
Lart traditionnel, contemplatif, menait tout naturellement à lart sacré. Lart contemporain sen prend, tout aussi naturellement, au christianisme. Quil traite les images chrétiennes par la dérision ou lagression, sa pente est au blasphème.
1 La Croix est la cible par excellence. Un exemple tout récent, la dernière couverture du magazine Mouvement, « lindisciplinaire des arts vivants » : un Mickey en croix, sur le thème : lart, cest sacré.Cette utilisation de Mickey est un blasphème, mais surtout un blasphème sans risque. En 2006, Claude Lévêque avait maladroitement associé un Mickey en néon à la phrase « Arbeit macht frei », référence à Auschwitz. uvre refusée par le Grand Palais, démêlés avec les associations de déportés Cl. Lévêque avait naïvement cru quil pouvait jouer avec le tabou suprême.
Sur la croix, ce Mickey est totalement inoffensif, car sen prendre au christianisme, cest sattaquer à une minorité sans défense et non à un tabou. Lattaquant, lui, tout révolté quil se présente, représente la morale officielle.2Quand ce nest pas la croix, ce sont les valeurs chrétiennes qui sont attaquées. Lexposition Présumés innocents sen prenait aux enfants
3 ; lexposition LInfamille (actuellement à Metz) sen prend à la famille avec les mêmes ingrédients sexe et mort. La cave installée par M. Fritzl (Amstetten, Autriche) à lusage de sa fille et de leur progéniture présente des similitudes troublantes avec les installations des expositions de ce genre. Ce point serait à creuser.Les artistes de LInfamille sont censés, ici encore, nous proposer « un regard à rebours des conventions sociales » alors que leur regard est à rebours des valeurs chrétiennes que rejettent les conventions sociales. Parmi celles-ci figurent lavortement, le divorce (pour rester dans la thématique des expositions susdites qui expriment justement uen haine à légard de la famille), auxquels sajoutera bientôt leuthanasie. Lartiste allemand Gregor Schneider est dans la note : il veut exposer un mourant dans un musée. Le projet semble loufoque mais Gregor Schneider nest pas nimporte qui : il a obtenu le Lion dOr de la Biennale de Venise en 2001. Il appartient au système et diffuse sa culture.
2
Lart contemporain, art officiel : « Un procès contemporain », Présent, 4 nov. 07.3
Lanalyse de lexposition (Bordeaux, 2000) : « Présumés hypocrites », Présent du 3 nov. 07.
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique