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Bain et Miroir (II)
Le bain et le miroir (II)
Présent du 11 juillet 09
Au seizième siècle, la diffusion des recettes de cosmétiques et autres soins s’accroît, liée à l’imprimerie plus qu’à un réel progrès de leur élaboration. Traitant des « eaux artificielles » (distillées), des herbes, des pâtes (baumes), les livres s’appuient sur l’argument commercial du secret : « Recueil de plusieurs secrets très utiles, tant pour l’ornement que la santé du corps humain », ou « Secrets très excellents et admirables pour l’ornement et embellissement de la face et autres parties du corps… » Nostradamus publie lui-même en 1555 « diverses façons de fardements et senteurs pour illustrer et embellir la face ».
Les ustensiles de toilettes sont à la hauteur de ces recherches de beauté. Les miroirs se perfectionnent, ils deviennent plans et réfléchissent mieux. Les peintres en font un usage fréquent, compliquant l’image. Baguiers, aiguières, resplendissent. On arbore en sautoir un pendentif qui fait cure-dents et cure-oreille, ou une pomme de senteur, parfois fixée au chapelet. La pomme de senteur est un luxueux accessoire qui utilise or, argent, émeraude, rubis. Elle est d’origine anglaise, germanique. La pommes s’ouvre en quatre à huit quartiers qui chacun contiennent un parfum : rose, cannelle, angélique, etc. (illustrations). Les parfums, pense-t-on, préservent des épidémies, aussi l’objet n’est-il pas exclusivement féminin et intéresse-t-il l’hygiène publique : sur son portrait par Jacob Cornelisz (1474-1533), le bourgmestre et bailli Jen Gerritz van Egmond présente, entre pouce et index, une de ces pommes de senteur qu’une chaînette relie à son majeur.
Tel un objet dans un jeu de piste, le double peigne en ivoire hérité du Moyen Age est présent, à moitié caché parmi les ustensiles qui encombrent la table de toilette devant laquelle se tient une belle dame (peinture vers 1560, d’après Fr. Clouet ?). La dame à la toilette est un sujet qu’affectionne l’époque, sans qu’on en sache toujours le sens exact : portrait intimiste et raffiné ? Vanité ? Même incertitude pour une toile de Lavinia Fontana, où la dame présente les attributs ordinaires de la Prudence et de la Fidélité.
Les thèmes bibliques demeurent, en particulier celui de la chaste Suzanne : gravure d’après Lucas Penni par l’angevin René Boysvin, miniature d’un livre d’heures à l’usage de Rome, paire de médaillons émaillés (1581), l’un présentant le magistrat Jean Guénin assistant à la scène, l’autre sa femme, scène dont ils doivent tirer l’enseignement : fidélité de l’épouse, confiance de l’époux.
L’opposition entre le Moyen Age et la Renaissance, ainsi que le rappela Etienne Gilson, est en partie fausse : bien souvent, « le moderne est du médiéval que l’on n’a pas reconnu ». La Renaissance ne désigne point un réveil de la culture mais un regain d’intérêt pour l’Antiquité, regain qui ne doit pas dissimuler la continuité d’une époque à l’autre, du point de vue de la culture chrétienne et de celui du goût pour l’antique, goût que n’a pas ignoré le Moyen Age.
La forte influence de l’Antiquité se fait sentir dans les nombreuses « toilettes des dieux ». Celle de Vénus est la plus fréquente, écho des Aphrodite gréco-romaines. Jean de Bologne cisèle dans le bronze une jolie Vénus accroupie s’essuyant. De l’Ecole de Fontainebleau, une grande huile : Vénus se mire dans le miroir, entourée d’une servante et de Cupidon. On regrette l’anonymat de ce beau tableau. Nombreuses sont les gravures réalisées ici et là d’après Raphaël, d’après Primatice, d’après Lucas Penni, qui contribuent à diffuser l’italianisme. L’occasion de représenter le corps nu, dans un décor d’architecture idéale. Les gravures nordiques, elles, préfèrent de plus réalistes bains, parfois mixtes, souvent séparés (Albrecht Dürer, Virginis Solis).
Les bains dans la haute société se partagent. Pour imiter François 1er qui a fait construire des bains à Fontainebleau, le duc et pair de France Anne de Montmorency (1492-1567) demande à son architecte Jean Bullant une suite pour son château d’Ecouen. Le vestiaire et l’étuve connexe, qu’il faut imaginer meublés, ornés de tentures, montrent un magnifique appareillage, des voûtes recherchées à angles rentrants puis sortants ; celles du vestiaire retombent sur une colonne centrale ornée d’un chapiteau toscan d’un goût parfait. En descendant, on arrive à la salle de bain, édifiée en grand appareil, au voûtement recherché. Alors qu’à Fontainebleau la baignoire était creusée dans le sol, ici on disposait des baquets auprès de la grande cheminée. Cette suite est ouverte au public le temps de l’exposition.
Samuel
Le bain et le miroir, Soins du corps et cosmétiques à la Renaissance.
Jusqu’au 21 septembre 2009, Musée national de la Renaissance. Château d’Ecouen (Val d’Oise).
illustrations : Pomme de senteurs, Pays-Bas, vers 1610-1620, hauteur 4,2 cm © Rijksmuseum, Amsterdam
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