• Chopin, l'anniversaire

     

    L’Europe fête Chopin : l’anniversaire

     

    Présent du 10 avril 2010<o:p></o:p>

    Quelques malentendus dénaturent la réputation de Frédéric Chopin (1810-1849). Sa vie serait compliquée, dramatique et passionnelle – en un mot, « romantique ». Son œuvre, facile, avec des hurlements suivis de pamoisons – en un mot encore, « romantique ». Raisons d’aimer Chopin pour certains, de ne pas le supporter pour d’autres. En réalité sa vie est aussi plate que courte et son œuvre n’est facile qu’aux mains des interprètes qui font du rubato une langueur et de l’énergie une violence.<o:p></o:p>

    Jadis des faussaires prirent la peine de rédiger un faux journal, une fausse correspondance afin d’accréditer la légende du compositeur romantique. En 2010, Eve Ruggieri publie Un Amour impossible, comprenez : l’amour de Chopin pour Titus, le confident des jeunes années. Elle s’appuie – j’imagine – sur le ton de certaines lettres. Contresens, car à l’époque l’amitié entre hommes prend volontiers un ton passionné. La correspondance entre Liszt et Wagner en témoigne assez. <o:p></o:p>

    Alfred Cortot, profond connaisseur de l’œuvre qu’il a interprétée et commentée, comme de l’homme qu’il a étudié, avait déjà écarté la « version » dont Mme Ruggieri est aujourd’hui, très opportunément, l’écrivaine. Son ouvrage, Aspects de Chopin (Albin Michel, 1949, réédité cette année avec une préface d’Hélène Grimaud) et celui de Camille Bourniquel (collection Solfèges, Seuil, 1957, rééd. 1994) sont meilleurs que bien des biographies. On ne saurait se passer des souvenirs de Liszt, publiés en 1852. Quoique touffus, ils sont sympathiques et pertinents.<o:p></o:p>

    Qui n’a dans l’oreille des souvenirs d’enfance comme les Valses par Arthur Rubinstein (en disque vinyle), les Mazurkas par Sanson François (en cassette) ? Le bicentenaire est l’occasion d’enrichir sa discothèque. Des coffrets reprennent les interprétations historiques des susdits Cortot et Rubinstein, mais encore celles d’Horowitz, de Lupatti, etc. Certains interprètes sont meilleurs dans les Nocturnes, d’autres pour les Valses ; certains n’ont pas enregistré les Mazurkas, mais plusieurs fois les Etudes : il y a chez chacun de ces maîtres une richesse qui est éloignée de toute sensiblerie. Monuments qui ne doivent pas faire oublier d’autres enregistrements, de plus modestes récitals. Outre les concerts qui auront lieu cette année, deux expositions parisiennes ouvrent les portes du monde de Chopin.<o:p></o:p>

    Au musée de la Vie romantique

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    L’atelier d’Ary Scheffer reconstitue le milieu parisien où Chopin trouva une écoute amicale et fervente. La galerie de portraits ne manque pas d’être inégale. Les portraits par Scheffer, par Lehmann (Liszt et Marie d’Agoult) montrent que le romantisme sait être froid. Excepté lorsque Scheffer, secrètement amoureux, peint Pauline Viardot, sœur cadette de la Malibran. Moins belle qu’elle, mais aussi bonne cantatrice, c’est une amie du couple Chopin-Sand. On retient également un subtil lavis de Paul Delaroche : la comtesse Potocka au piano ; un beau dessin de Théodore Chassériau : la princesse Belgiojoso. Deux exilées, l’une polonaise, l’autre italienne, deux fidèles de la musique de Chopin.<o:p></o:p>

    Les médaillons de David d’Angers sont remarquables : Mlle Mars, Ary Scheffer, Liszt, Delacroix… De ce dernier, le clou est le portrait du compositeur, inachevé mais auquel rien ne saurait être ajouté (ill. 2, 1838). Le peintre, dans son journal, se montre captivé par la personnalité du compositeur. Soirées à Paris, séjours à Nohant, la même élégance vestimentaire et morale, la même exigence artistique les rapprochent. <o:p></o:p>

    Les hôtes de Nohant sont regroupés sur le charmant éventail peint par Auguste Charpentier (l’auteur du célèbre portrait de la romancière, quelle sinistre peinture). Chopin y figure en oiseau, sur le poing de la maîtresse de maison, en bergère. Auprès d’elle, un Delacroix hautain et un Liszt empressé. L’époque romantique aimait les portraits-charges. Chopin lui-même avait le goût de la pantomime et de la caricature gestuelle.<o:p></o:p>

    A l’époque romantique, les pianistes se font connaître lors de concerts, mais aussi dans les salons, le soir sur la mi-nuit. Chopin, paralysé par un trac difficilement surmonté et « handicapé » par un jeu ténu, est peu monté sur l’estrade. Il a préféré jouer devant des cercles plus intimes, aux lueurs des candélabres. L’heure de la Note bleue – ainsi disaient Sand et Delacroix –, ce moment où les mains de Chopin rendaient la grâce audible. <o:p></o:p>

    Les toiles du crépuscule « collent-elles » aux Nocturnes ? Il est rare que, contemporaines, peinture et musique s’ajustent précisément. Les expressionnistes allemands sont plus proches de Stravinsky que de Schönberg. La musique de Chopin correspond moins à la peinture de Charles Cuisin (1815-1839) qu’à certains paysages de Corot largement postérieurs comme cet Etang au boulot (Ville d’Avray), magiquement assourdi et argenté (1873).<o:p></o:p>

    La relation entre George Sand et Frédéric Chopin gardera toujours un côté incompréhensible. Les témoins s’étonnaient déjà de cette alliance presque contre-nature entre « Monsieur George » et « Mlle Chopin », traduisant par cette appellation le charme presque immatériel qui émanait du frêle musicien. Les gravures du temps laissent deviner ce charme (ill. 1). Les années passant, Chopin de plus en plus malade, cela devint une relation mère-fils. L’atmosphère de cette famille recomposée, réunie l’été à Nohant, alla s’alourdissant : le fils aîné, Maurice Sand, prit en grippe l’amant malade, tandis que Chopin prenait partie pour la fille cadette, Solange, contre sa mère, tout en blâmant son mariage avec le sculpteur Clésinger. On doit à ce dernier, personnage assez grossier, le moulage de la main de Chopin et son masque mortuaire – « Chopin mort ressemble à Pascal », note Bourniquel –, ainsi que le médiocre monument du Père-Lachaise.<o:p></o:p>

    Malgré tout, la période Sand correspond à une période intense et régulière d’écriture. Entre 1837 et 1847, Chopin compose avec bonheur l’essentiel des pièces maîtresses.<o:p></o:p>

    A la Cité de la musique<o:p></o:p>

    La Cité de la musique revient sur ce milieu parisien mondain et mélomane, et plante un autre décor : l’Atelier du compositeur. Place à la musique. On est conquis par le parcours, agrémenté d’audio-guides (compris dans le prix d’entrée) avec lesquels écouter les morceaux dont il est question, de nombreuses partitions autographes étant exposées. L’occasion d’entendre quelques enregistrements mythiques, Louis Diemer et Raoul Pugno (1903), Francis Planté (1928), Rachmaninov (1929)… <o:p></o:p>

    Dans les années 1830, Paris est « Pianopolis ». Les pianistes sont des célébrités, les virtuoses s’entend : Kalkbrenner, Herz, Hillel. Le public se conquiert par des courses échevelées sur le clavier. Les statues-charges de Dantan, uniques en leur genre, restituent ainsi un Thalberg à douze doigts, Liszt « à la chevelure » et « au sabre » (sabre remis lors d’un concert à Budapest et dont Paris ne manqua pas de se gausser), mais aussi Paganelli ou le violoncelliste Franchomme, secrétaire de Chopin dans les dernières années.<o:p></o:p>

    Les facteurs d’instruments se lient aux virtuoses, dans une forme de mécénat publicitaire. Erard est représenté par Liszt, Pleyel par Chopin. Celui-ci, à Paris, à Majorque, à Nohant ou à Londres, a obligatoirement un Pleyel dans son appartement. Le piano Erard est le piano de tous les jours, le Pleyel pour les heures d’inspiration.<o:p></o:p>

    Le jeu pianistique est l’objet de diverses tentatives de rationalisation. Herz met au point le dactylion, destiné à muscler les plus faibles doigts. Levacher d’Urclé invente un « appareil propre à faciliter l’exécution de la musique instrumentale, dit appareil orthopédique appliqué à la main de l’artiste ». En tant qu’exécutant et que professeur, Chopin est à l’opposé de ces tortures. Le doigté qu’il préconise tient compte de l’inégalité naturelle des doigts, qu’il préfère utiliser à des fins d’expressivité, plutôt que contrarier. Il y attache une grande importance, ajoutant le doigté au moment de la correction d’une épreuve de l’Etude en la mineur (opus 10 n°2). <o:p></o:p>

    D’un point de vue pianistique, Chopin a eu des élèves mais pas d’école. Les leçons qu’il donnait aux femmes de la bonne société (essentiellement) n’avaient pas vocation à former des concertistes : elles constituaient l’essentiel de ses ressources.<o:p></o:p>

    Le piano moderne doit-il tout à Liszt ou tout à Chopin ? Le premier l’a doté de capacités « symphoniques » ; le second a décuplé ses capacités expressives. Tous deux publient des séries d’Etudes qui réclament de la virtuosité. Celle de Chopin est moins tapageuse, ce qu’il cherchait était la justesse d’expression, la nuance mélodique et rythmique.<o:p></o:p>

    Le fameux rubato, Liszt le décrivait comme une « sorte de balancement accentué et prosodié », « temps dérobé, entrecoupé, mesure souple, abrupte et languissante à la fois, vacillante comme la flamme sous le souffle qui l’agite ». Il ne saurait être question de mollesse. La partition peut s’y prêter, l’interprétation la réfute. Sous les doigts de Cortot, Chopin sait être austère.<o:p></o:p>

    Parmi les partitions, une « mazourke » arrangée pour la voix par Pauline Viardot, sur des paroles de Louis Pomey, « Aime-moi ». Les mirlitons de l’époque plaqués sur une mélodie de Chopin ! Le pire et le meilleur du romantisme sur la même page. L’éditeur anglais, Wessel, n’était pas en reste, transformant les Nocturnes en « Murmures de la Seine » ou en « Zéphyrs », déguisant un Scherzo en « Banquet infernal ». Imbécile, escroc, fulmine Chopin qui n’aimait pas plus ses éditeurs français et allemand, rapaces régulièrement qualifiés de Juifs. <o:p></o:p>

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    Chopin se reconnaissait deux maîtres, Bach et Mozart. On devine, plus qu’on ne distingue, les linéaments qui lient son œuvre aux leurs. Le ton et l’écriture sont sans précédent. Ses contemporains, jusqu'aux plus dépourvus d’oreilles, comprenaient cela dès les premières notes. Franz Liszt insiste sur l’importance du Zal ! dans la vie et l’œuvre de Chopin. Le Zal !, concept polonais, « renferme toute l’échelle des sentiments que produit un regret intense, depuis le repentir jusqu’à la haine, fruits bénis ou empoisonnés de cette âcre racine. […] Et en vérité, le Zal ! colore toujours d’un reflet tantôt argenté, tantôt ardent, tout le faisceau des ouvrages de Chopin. »<o:p></o:p>

    L’exil a sa part dans ce regret. Né en Pologne d’un père lorrain qui s’était exilé à l’âge de 16 ans et avait coupé tout pont avec la France, Chopin fut accueilli à bras ouverts à Paris mais au fond se livra peu. L’amicale affection que lui vouent Liszt et Delacroix ne paraît pas avoir été réciproque. Il se lie plus volontiers avec les émigrés de son pays natal. Les Polonaises et les Mazurkas, les premières martiales et publiques, les secondes blessées et intimes – ce qu’il a composé de plus étonnant –, disent assez la patrie. Chopin à Paris, c’est Ovide sur les rives du Pont-Euxin. Ses Polonaises et ses Mazurkas, les Tristes et les Pontiques du poète banni. <o:p></o:p>

    Chopin est moins romantique par ses amours que par la cristallisation d’un ailleurs : sa jeunesse polonaise. Ce souvenir magnifié l’empêche, de façon récurrente, de goûter pleinement le lieu et la compagnie présents, la réalité. L’élève du Conservatoire de Varsovie, Constance Gladkowska, et sa fiancée d’un temps, Marie Wodzinska, appartiennent à ce Paradis perdu. Tout moment de spleen l’y reporte<o:p></o:p>

    Cependant, quand il séjourne en Angleterre et en Ecosse, ayant perdu le semblant de vie de famille qu’avait entretenu sa liaison avec George Sand, il est exilé de Paris. Il y rentre mourir. Comme est pénible ce daguerréotype, pris dans les dernières années (ill. 3, 1847 ?). Evanoui, le charme aérien, voici ce que dix années de maladie ont fait du jeune homme, désormais insupportable à son entourage par ses sautes d’humeur, mais qui en public dissimule ses énervements derrière une politesse scrupuleuse et sans faille. Après sa rupture avec George Sand, il ne compose plus, remâche son inaction.<o:p></o:p>

    L’agonie et la mort de Chopin sont franco-polonaises. Sa sœur est là, et la comtesse Potocka, l’abbé Jelowicki, le peintre Kwiatkowski qui dessine les deux profils mortuaires. La messe est une assemblée aristocratique. Tiennent les cordons du poêle le prince Czartovyski, le peintre Delacroix, le violoncelliste Franchomme et l’élève Gutmann.<o:p></o:p>

    Lors de son Audience générale du 3 mars dernier, le pape Benoît XVI a rappelé, en s’adressant à des pèlerins polonais, que Chopin est un fruit de l’Europe chrétienne, et un de ceux qui ont contribué à l’enrichir. Qu’il « rend plus proche de Dieu ». En effet, sur un mode profane, sa musique rappelle à chacun l’Exil qui est le nôtre, et l’Espérance du retour. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Chopin à Paris, l’atelier du compositeur. Jusqu’au 6 juin 2010, Cité de la musique.<o:p></o:p>

    Frédéric Chopin, La Note bleue. Jusqu’au 11 juillet 2010, Musée de la Vie romantique.<o:p></o:p>

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    illustrations : <o:p></o:p>

    1. Chopin par Pierre-Roch Vigneron – 1833 © BNF, Musique<o:p></o:p>

    2. Chopin par Delacroix – 1838 © Roger-Viollet<o:p></o:p>

    3. Portrait de Chopin (daguerréotype), Louis-Auguste Bisson – 1847 © Musée de la musique / Jean-Marc Anglès<o:p></o:p>

    4. Deuxième Scherzo en si bémol mineur, op. 31, Frédéric Chopin © BNF, Musique

     

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