• Au musée du Louvre

    Douceur du marbre

    Présent du 25/11/2006

     

     

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    Desiderio da Settignano est un sculpteur du Quattrocento florentin quelque peu méconnu. Mort jeune en 1464, il avait déployé pendant une quinzaine d’années une activité intense et appréciée. Deux églises de Florence en témoignent, Santa Croce avec le tombeau du chancelier Carlo Marsuppini, et San Lorenzo avec le tabernacle du Saint Sacrement, commandes mêlant architecture, décoration et sculpture. Le Louvre nous présente ces temps-ci vingt-cinq de ses œuvres (certaines avec des attributions incertaines), qui méritent un détour approfondi.

     

     

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    Sa production se partage en deux parties : la ronde-bosse et le bas-relief. La seule sculpture en pied, un Saint Jean-Baptiste, fut probablement commencée par Donatello et achevée par Da Settignano. Celui-ci a excellé dans les bustes : des femmes, un jeune homme, toujours de marbre, se présentent avec une grande simplicité, dignes sans sécheresse, quelques plissés indiquant l’habit. Une des pièces maîtresses, parallèle à cette série, est un bois doré et peint, qu’on crut longtemps portrait d’une Florentine mais qui s’est révélé être, après examen et nettoyage, une Sainte Constance, peut-être un chef reliquaire. Gothique par l’aspect immédiat et la technique, par le traitement du visage aussi, elle semble bien de la même main que les têtes de marbre. Le caractère charnière de l’époque se laisse voir dans cette réminiscence médiévale. Si L’enfant souriant (cat. n°9) s’apparente à la faute de goût – le sourire est, d’un point de vue plastique, toujours catastrophique puisqu’il casse les formes –, les deux autres bustes d’enfants sont habilement traités : l’artiste se sort avec brio du piège poupin, tout comme il s’acquitte habilement des rides et des chairs s’affaissant du bas-relief Profil d’homme lauré (Jules César ?), sans s’y complaire ni les laisser dégrader la fermeté de l’ensemble.

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    Ses nombreux autres bas-reliefs relèvent du stiacciato, du relief de très faible épaisseur. Il y déploie une virtuosité certaine mais jamais gratuite. On appréciera Jésus et Saint Jean-Baptiste enfants, ainsi que plusieurs Vierge à l’Enfant (photo), la plus réussie étant celle dite « Madone de Turin ». Une grande douceur émane des ses reliefs à peine prononcés, où les formes conduisent sans heurts la lumière : stil dolce, style doux, tel est le mouvement dont participe Desiderio. Cependant nulle morbidesse, nul abus de moelleux : la rigueur est de mise, et, si les plans paraissent fondus, aux endroits stratégiques la forme se dessine : on appréciera en particulier les drapés sobres, réduits aux plans essentiels, les mains fermement dessinées. Toute une manière subtile d’envisager le volume sans le négliger jamais, qui montre une réelle intelligence d’artiste.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Desiderio Da Settignano,

    Musée du Louvre, jusqu'au 22 janvier 2007

    Légende de la photo : Madone dite « Panciatichi », Florence, © Maria Brunori<o:p></o:p>


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  • Au musée d'Orsay

    Maurice Denis,

    un nabi mollet

    Présent du 18/11/2006

     

    Rapportant le célèbre précepte de Gauguin (l’arbre est vert ? mettez du vert), Maurice Denis le commente en ces termes : « Ainsi nous connûmes que toute œuvre d’art était une transposition, une caricature, l’équivalent passionné d’une sensation reçue. » Considérer comme caricatural ce qui pour Gauguin était essentiel indique que M. Denis, quoique bien intentionné, se méprit sur quelques points primordiaux de l’enseignement du maître. Autre méprise : il donne « l’émotion, la délectation » pour « l’objet essentiel de la peinture », faisant d’effets la fin ; sa sensibilité le portait à rechercher l’expression du sentiment, qu’il fût amoureux ou religieux. Les meilleurs patronages ne purent rien contre cette tendance : de même que, dans les contes de fées, celles-ci peuvent accorder des dons mais non changer du tout au tout la nature de l’enfançon, la nature propre du talent de M. Denis ne s’est pas accommodée des principes retrouvés dans d’épuisantes recherches par Gauguin et Van Gogh. Ni la virilité du trait de l’un, ni la mâle touche de l’autre n’ont été à sa portée. On peut le dire au vu de l’exposition du Musée d’Orsay, sa sensibilité apparaît plutôt féminine. Car le talent a un sexe indépendamment de l’artiste, pour preuve l’art autrement puissant de Suzanne Valadon ou de Mère Geneviève Gallois.<o:p></o:p>

    Un sentimentalisme dénué d’ironie gâche les toiles datant de ses fiançailles, au sentimentalisme fleur bleue (La Princesse dans la tour, 1894) ; dans les toiles religieuses sa foi se traduit par la volonté d’exprimer l’impalpable, d’où des figures blanches et fantomatiques (Mystère catholique, 1889 ; Procession pascale, 1891) qui, pour s’appeler « figures d’âme » n’en manquent pas moins, d’âme : la forme incarnée disparaît au profit du halo lumineux. Le cerne qui entoure les plages colorées dans le tableau renforce l’imprécision car, dénué de tension, il amollit les figures, les arbres, etc. (photo). Or du flou et du mou on ne tire rien de spirituel ni de sacré. L’inutilisation du drapé est révélatrice de son incompréhension des moyens : on sait quelle possibilité d’expression spirituelle il a offert à l’art chrétien. Les rares fois où Maurice Denis s’en sert, il est désastreux de mollesse : la figure du Verger des Vierges sages (1893) est médiocre.<o:p></o:p>

    Lorsqu’il imagine un « Laissez venir à moi les petits enfants » (1900) plus réaliste, il se perd dans un tableau descriptif où les intentions sont lourdes et dénuées de la fraîcheur qui conviendrait au sujet. Les grandes compositions décoratives ne convainquent guère plus lorsqu’elles se veulent « classiques », terme abusif car le classicisme est au contraire force et précision ; Gauguin, aussi loin du classicisme qu’il peut paraître à un regard rapide, en est, dans toutes ses audaces, très proche car toujours rigoureux formellement. L’ensemble de la décoration commandée par Ivan Morosov, L’histoire de Psyché (sept panneaux principaux) fait très daté. Une abondance de nus rose bonbon ne suffira jamais à exprimer la grâce ni l’amour. La bouffée d’air pur, dans la reconstitution présentée, vient des quatre statues de Maillol, autrement supérieures. Elles tombent à pic, en fin de visite, et rompent la monotonie d’une œuvre décevante de 1890 à la Guerre. Après 1914 et jusqu’à sa mort, Denis s’est consacré à la peinture murale, au vitrail, etc., dans le cadre des Ateliers d’Art sacré. Il a œuvré dans un certain nombre d’églises d’Ile-de-France qu’il faudrait visiter pour confirmer ou non le jugement sévère que je viens de porter.

    Samuel

    Maurice Denis, Musée d'Orsay, jusqu'au 21 janvier 2007

     légende de la photo : Les Arbres verts, 1893, Musée d’Orsay


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  • L'automne Rembrandt

    Présent du 11/11/2006

    Tandis que continuent l’exposition à la BNF rue de Richelieu (cf. Présent du 14 octobre) et celle de l’Institut néerlandais (Rembrandt et son entourage), deux nouvelles expositions achèvent de transformer cette saison en automne Rembrandt.<o:p></o:p>

    Au Petit Palais, les eaux-fortes du legs Dutuit montrent les limites de l’artiste. A l’aise dans le petit format (du timbre-poste à la carte à jouer), il se perd dans les projets plus ambitieux. Cela tient à la technique de l’eau-forte elle-même, qui ne permet le travail des grandes surfaces que par des hachures et des trames croisées : trop raide, le trait est froid, trop souple et négligé il donne l’impression de remplissage gribouillé. Le talent particulier de Rembrandt est aussi en cause : inspiré par des scènes vues, il semble incapable d’interpréter un sujet religieux sous un autre angle que psychologique. A des gravures travaillées telles que Le peseur d’or, Descente de Croix, ou aux portraits divers souvent trop poussés (j’excepte le Jeune homme à la toque de velours, aux très beaux noirs), on préfèrera les cinq études de gueux, croquis à l’eau-forte spontanés et vivants, au trait incisif, autrement supérieurs aux Mendiants recevant l’aumône, dont le côté apprêté et les lignes rondouillardes montrent combien s’éloigner de son génie propre est dommageable. Les paysages des années 1645 sont à compter parmi les pièces les plus sensibles : avec une économie de moyens (abandonnées, ici, les hachures si néfastes), l’artiste campe un paysage et une lumière en quelques traits et c’est avec bonheur qu’on laisse partir notre regard vers l’horizon évoqué.<o:p></o:p>

    L’impression est confirmée par les dessins exposés au Louvre : les croquis de Rembrandt, qu’ils soient à la plume, au pinceau, au crayon ou à la craie, révèlent la sûreté de son œil et de sa main à saisir le vif. La technique du trait le garde du piège du clair-obscur qui a si affaibli sa peinture. Tandis qu’une Annonciation ou d’autres scènes bibliques déçoivent par leur tonalité fausse, les paysages et les croquis de personnages se taillent la part la plus belle de notre admiration : ainsi en est-il de Vieillard debout, de Homme oriental debout, de l’Etude pour Saint Jérôme. Le dessin Intérieur avec Saskia au lit, mêlant encre, crayons et rehauts, plus abouti sans avoir rien perdu de sa fraîcheur, est d’une aisance merveilleuse. Côté animaux, un lion (photo), et surtout deux Oiseaux de paradis, à la plume et au lavis rehaussé de blanc, d’une modernité graphique frappante – le dessin est la plus intemporelle des techniques.

    Deux copies de dessins mogols (cat. 60 et 61), librement interprétés, au-delà d’être des curiosités, nous rappellent que le monde ancien n’était pas cloisonné et que la curiosité pour les autres cultures existait sans qu’on crût nécessaire de vanter le métissage. La nôtre, de culture, existe-t-elle encore ? Devant Disciples sur la route d’Emmaüs, j’ai écouté un dialogue navrant : « Ça existait déjà Emmaüs ? – Ah non, il doit s’agir d’autre chose. – Mais c’était qui Emmaüs ? – Je crois que c’était une ville où… qui… enfin, la route d’Emmaüs, quoi. »<o:p></o:p>

    Samuel

    Rembrandt, eaux-fortes, jusqu’au 14 janv. 2007, Musée du Petit Palais

     

    Rembrandt dessinateur, jusqu’au 8 janv. 2007, Musée du Louvre. On ne comprend pas pourquoi le Louvre présente parallèlement William Hogarth (le billet donne accès aux deux expositions) : après la pureté des dessins de l’un, le côté pain beurré de la peinture de l’autre est insoutenable.

    illustration (c) RMN


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  • Au musée de Cluny

    Eclats et reflets

    Présent du 04/11/2006

    Une exposition au Musée de Cluny, si modeste soit-elle, n’est jamais décevante. L’intérêt de l’exposition qui vient d’ouvrir, « Pinceaux de lumière – Du modèle au vitrail », est de présenter côte à côte des vitraux et des enluminures, des vitraux et des gravures, pour souligner le lien entre vitraux et images. C’est ainsi qu’on voit, du XIIe au XIVe, l’iconographie des enluminures se transcrire dans les vitraux, puis petit à petit les vitraux être marqués par l’aspect de la gravure jusqu’à en devenir la copie parfois conforme. A cette évolution iconographique correspond une évolution sociale : dans la première période les réalisations (enluminures ou vitraux) sont des commandes prestigieuses passées par les élites religieuses et seigneuriales, des « pièces uniques ». Dans la dernière, l’image se popularise par la gravure et ce sont les « bourgeois » qui achètent un verre à peine plus grand qu’un CD pour orner une fenêtre de leur logis.<o:p></o:p>

    Du XIIe au XVe, les maîtres verriers exécutent les projets des peintres adonnés par ailleurs à l’enluminure, d’où une affinité de coloris et de compositions. Quelques beaux vitraux sont présentés, en particulier, comme ce Miracle du pin, un épisode de la vie de saint Martin (voir ill.), provenant peut-être de l’abbaye de Gercy et datant des années 1230.<o:p></o:p>

    Une transition s’amorce au XVe : l’enluminure perd sa vigueur au profit de la gravure. Une beau vitrail de l’Annonciation (alsacien, vers 1460) témoigne de cette évolution : il est plus détaillé, plus dessiné, mais les masses demeurent par l’emploi de verres colorés très contrastés.<o:p></o:p>

    La dernière période (fin XVe-début XVIe) est illustrée par le rondel, ou griset : un verre rond, laissé transparent par endroits, teinté au jaune d’argent à d’autres, et nuancé de traits gris, qui s’insérait dans la partie supérieure et dormante d’une croisée. L’arrivée de ces ornements à usage domestique correspond à l’expansion de la peinture de chevalet qui se produit au même moment. Si les rondels témoignent de la réussite de la bourgeoisie, ils reflètent aussi sa piété : saints patrons, sujets bibliques, de nombreuses Vierges donnant le sein ; le profane n’est pas absent. Malgré le nom de vitrail qui leur est donné, ils n’ont plus grand-chose en commun avec les vitraux : le verre n’est plus matériau de réalisation, il n’est que support. Cependant le jeu contrasté de blanc et de jaune arbitré par des grisés leur confère un grand charme et sied parfaitement à leur rôle tant ornemental que dévot.<o:p></o:p>

    Un des morceaux les plus réussis à mon goût est le rondel représentant Sainte Eugénie, palmigère et encadrée d’un fraisier (symbole de la tentation qu’elle repoussa) et d’un œillet (symbole de ses fiançailles avec le Christ) – dont la vie est relatée dans la Légende dorée (voir ill.) : la sûreté du trait, la répartition des zones colorées en font un chef-d’œuvre. Tous les rondels n’ont pas cette qualité : le succès de ces ornements fut tel qu’ils devinrent l’objet de productions en série – ce qui se traduit toujours par une médiocrité. Quant à ceux qui transcrivent exactement une gravure, ils ont un intérêt iconographique plus qu’artistique, le cas le plus frappant étant celui d’un rondel reprenant scrupuleusement une gravure de Hans Wechtlin (Vierge à l’Enfant dans le jardin, vers 1510) : on touche du doigt l’absurdité technique puisque le verre n’est plus travaillé suivant ses qualités propres. C’est finalement le pinceau qui s’empare du vitrail au lieu de l’inspirer.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

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    Pinceaux de lumière – Du modèle au vitrail,

    Musée de Cluny, jusqu’au 15 janvier 2007


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  • Au musée Jacquemart-André

    Un âge d’or et d’argent

    Présent du 28/10/2006


    Les Thraces évoquent la colonne Trajane qui relate la victoire romaine sur les Gètes, une dynastie thrace, ou l’aventure de Spartacus, thrace déserteur de l’armée romaine : capturé et condamné à l’esclavage, il entraîna à sa suite les esclaves dans un soulèvement qui faillit coûter cher aux Romains. On a voulu en faire un marxiste ; il l’était dans la mesure où il sut exploiter des rancoeurs.<o:p></o:p>

    L’exposition « L’or des Thraces » au musée Jacquemart-André permet d’avoir une idée plus précise de ces tribus guerrières indo-européennes qui occupaient grosso modo le territoire de l’actuelle Bulgarie. Entourés de voisins variés (Grecs, Celtes, Scythes) qu’ils éblouirent de l’or rutilant de leurs harnais et de leurs armes, les Thraces transmirent, à l’occasion des guerres, leur savoir-faire en matière de métallurgie, mais aussi des mythes de la première importance : Dionysos et Orphée (pour ne citer que les principaux) sont arrivés en Grèce depuis chez eux. Que Dionysos ait fini par faire figure d’un paillard éméché ; que d’Orphée il ne soit guère resté que l’épisode de la perte d’Eurydice qui se prête si facilement à un mélo, rien de cela ne doit faire oublier le caractère sacré de ces mythes à l’origine, et d’une violence toute primitive. Ce que les décors de nombre de pièces exposées au musée Jacquemart-André suggèrent, c’est le culte de la Grande Déesse Mère, le sacrifice violent par démembrement, manière typique du Dionysos thrace (ainsi moururent Orphée, Diomède et maints personnages) ; c’est le sacrifice du Taureau de l’été dionysien lors du passage au Soleil hivernal apollinien ; c’est l’homme et le cheval associés dans des chasses initiatiques et des rituels. Rappelons que la lecture freudienne ou plus généralement psychanalytique des mythes n’est fondée sur rien de probant : les recherches archéologiques et les études aussi intuitives que savantes de Robert Graves ont montré leurs significations religieuses et historiques.<o:p></o:p>

    Les premières parures nous renvoient aux IIIe et IIe millénaires. Il est difficile de se projeter si loin ; en somme, cette époque est symétrique à la nôtre par rapport à une virtuelle Année Zéro. L’essentiel est ensuite des IV-IIIe siècles av. J. C., en quatre parties, chacune correspondant à une peuplade thrace : les Gètes, les Triballes (vaincu par Alexandre le Grand), les Besses et les Odryses. Ce sont divers gobelets et coupes, toute une vaisselle religieuse destinée à des libations ou simplement votive, ainsi que de rares éléments militaires, comme un casque en bronze avec applications d’argent, d’une réelle beauté plastique, ou une série d’appliques de harnais (cf. ill.). D’une manière générale, le travail de l’or et de l’argent est admirable, que la vaisselle ait été fondue ou travaillée à partir d’une plaque avec un décor en repoussoir.<o:p></o:p>

    Le visiteur n’a pas à craindre d’être dégoûté par trop de rhytons et de phiales : l’exposition est à taille humaine. Il est conseillé d’acheter, en même temps que le billet, le livret de visite (1,50 euro), bien commode à lire au fil des vitrines.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’or des Thraces

    Musée Jacquemart-André, jusqu’au 31 janv. 2007

    légende de l'illustration: Applique, 4e siècle av. J.-C., (c) NHM/HM Lovech/Rosen Kolev


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