• Forain (Jean-Louis)

    Au Petit Palais

    Forain, toute une époque

    Présent du 19 mars 2011

    Après Pelez, après De Nittis, encore une excellente exposition du Petit Palais consacrée à un artiste de second rang : un moraliste, Jean-Louis Forain. Né en 1852, mort en 1931, Forain appartient à la Belle Epoque et à sa Bohême, mais aussi à la Grande Guerre dans laquelle il s’engage avant de retrouver une jeunesse (qu’il n’avait pas perdue) pendant les Années folles.

    Mis à la porte de l’atelier de Carpeaux pour un incident dont il était innocent, mis à la porte de la maison familiale dans la foulée, Forain connaît à 17 ans la vache enragée et la Bohême, où il a pour parrains Verlaine et Rimbaud. Il habite trois mois avec ce dernier. De leur colocation, reste un portrait présumé du poète, des illustrations de poèmes. Puis Huysmans le pousse. Forain peint son portrait, signe les eaux-fortes de deux de ses livres, dont Marthe, histoire d’une fille (1879). (Plus tard, en 1900, c’est sous l’influence du romancier que Forain s’adonnera à la peinture religieuse, marginale dans son œuvre.)

    Forain se lie avec Manet et Degas, impressionnistes par la bande. Il expose au Salon des impressionnistes quatre fois, ce qui ne signifie pas qu’il l’est. Il reçoit, de l’époque, la couleur libérée, les cadrages audacieux, dus pour une part au japonisme. Femme à l’éventail illustre cette « modernité », l’influence de Degas, de Redon aussi. Pastel, huile, mais Forain utilise de préférence une technique assez libre et légère qui mêle crayon, aquarelle et gouache.

    Peintre de mœurs, Forain ne passe pas à côté de la prostitution et des maisons closes, thème omniprésent dans l’art et la littérature. Comme dans l’œuvre de Lautrec et Maupassant, nous voici devant les filles avec Le client. Cafés et restaurants sont d’autres lieux de rendez-vous, de rencontres, où les regards qui se croisent ne sont pas moins explicites.

    Forain décline principalement le thème de « l’abonné et la danseuse » : coulisses et loges du théâtre et de l’Opéra sont le terrain de ses observations, où il se glisse à la suite de Degas mais toujours en peintre de mœurs. L’abonné n’est pas autre chose qu’un veule jouisseur (Sur le plateau, 1912 ; Devant le décor ; Le dialogue). Fidèle aux éventails auxquels toute l’époque sacrifie, Forain y transpose ses scènes. Le plus réussi est la Soirée à l’Opéra (vers 1879), tant du point de vue de l’art que de la satire sociale.

    Chroniqueur, Forain s’intéresse aux effets qu’il peut tirer de l’éclairage au gaz (comme Chéret en ses affiches). Bientôt, ce seront les « Soirs de Paris ivres du gin / Et de l’électricité » et, dans les années vingt, les toiles rapidement brossées (« un tableau, pour être ragoûtant doit être terminé en esquisse ») enregistreront l’évolution de la condition féminine : les femmes prennent leur indépendance et l’homme, « l’abonné » est passif, à l’écart (Le repos des danseuses, Le champagne dans la loge).

    Si parisien, Forain, qu’en 1894 il décore le café Riche (non loin des locaux de Présent). On voit deux des quatre mosaïques sauvées de la destruction et dix cartons préparatoires. Le bal, le souper, la cycliste, les petites marchandes… Travaillée en à-plats, chaque composition est proche du style « affiche ».

    Dès 1876, l’artiste a pratiqué la caricature ; elle devient nettement politique à partir du scandale de Panama (1893), que suivront l’affaire des Fiches, l’affaire Dreyfus, les menées anarchistes, la loi de 1905, tandis qu’en toile de fond la misère et l’alcoolisme sont deux thèmes sociaux récurrents.

    Forain a été communard, il sera antidreyfusard dans la revue Pstt !… qu’il fonde avec Caran d’Ache, soutenu par Degas et Barrès. Autant sa virulence de caricaturiste est saluée – entre autres par Plantu, cette plante molle qui préface le catalogue –, autant elle est, dans le strict cadre de l'Affaire, requalifiée « excès particulièrement regrettables ». Forain « dérape », nous expliqua le commissaire de l’exposition, Mme Valdès-Forain, arrière-petite-fille de l’artiste. Arrachant ses vêtements et répandant de la cendre sur sa tête (je parle ici par images, jamais cela ne s’est vu lors d’une présentation à la presse), elle constata l’existence de « scènes à caractère antisémite » et justifia leur présence dans l’exposition par un souci d’exhaustivité : « rien n’est caché, même ces aspects désagréables ». Cette dame devrait rencontrer Alexandre Jardin et autres descendances renégates et repentantes.

    Peintre de guerre puisqu’à 62 ans Forain s’engage (La relève, aquarelle de 1915 dédicacée au général de Castelnau), peintre de nus (Le peintre et son modèle, 1923, pastel) et peintre de portraits (portrait de Marie de Régnier, de Jeannette « au col blanc »)… la place manque ici pour détailler les différentes facettes du talent de Jean-Louis Forain.

    Samuel

    Jean-Louis Forain, « La Comédie parisienne ».

    Jusqu’au 5 juin 2011, Petit Palais.

    illustration : Devant le décor, pastel, 49,5 x 60,5 cm. Dixon Gallery & Gardens, Memphis, Te, USA © Collection of the Dixon Gallery and Gardens, Museum purchase with funds provided by Brenda and Lester Crain, Hyde Family Foundations, Irene and Joe Orgill and the Rose Family Foundation, 1993.7.30


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