• La fosse très commune

    Nul de nos mornes impies n’aurait le courage de faire graver sur sa tombe l’équivalent de cette épitaphe grecque : « Ci-gît Timocréon de Rhodes, qui a beaucoup bu, beaucoup mangé et dit beaucoup de mal des hommes. » Ce cynisme affiché me gênerait moins que le gâtisme de la prose funéraire actuelle, prose idiote et fort inférieure à celle des tombeaux païens dont les épitaphes s’achevaient par cette simple prière : Sit tibi terra levis, que la terre te soit légère. Formule poétique, si pleine de compassion et de dignité ; si humaine. Elle existe chez d’autres païens, en Afrique de l’Ouest, où elle se fait formule de condoléances.[1] Tout paganisme pré-chrétien a une dignité naturelle ; le christianisme arrivant, cette dignité est accrue et transcendée ; mais s’il vient à se retirer, ou qu’on l’en retire, le paganisme obtenu – on le constate, puisque le phénomène se produit sous nos yeux – est sans aucune dignité : il n’y a plus qu’une religiosité vague qui laisse s’épanouir la vulgarité : vulgarité d’attitude, de pensée, d’ex- pression. Vulgarité qui n’est pas le propre d’une populace, mais le commun du peuple, des bourgeois, des artistes, des curés, des politiques. Il n’est que de regarder autour de soi. Voici comment le responsable du crématorium du cimetière des Joncherolles présente les salles omnicultes : « Lecteur CD, micro sans fil… Et quand le corps va partir, les deux portes en bois s’ouvrent automatiquement et on lance un jeu de lumières. » [2] Tout n’est-il pas dit ?<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    Vous promenant dans un cimetière, vous ne trouverez pas la tombe du suicidé décrite par le poète : « Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix ». Vous n’y trouverez ni lys ni croix, mais des fleurs en céramique [3] et toutes sortes de babioles en lieu et place de la croix. Il y a bien, épars, du religieux d’un point du vue thématique ; mais artistique, non. Croix informes, personnages « logotypés » en deux trois courbes sont clairement la version funéraire des ornements et décors liturgiques Vatican ii. De façon inattendue, les édicules néo-gothiques qui furent élevés en nombre à la fin du xixe et qui ont si mal vieillis, ont été remplacés par de petits édifices, appelés à se répandre, utilisant les matériaux de construction modernes (ill. p. 2) Hélas, on croit voir, de loin, une petite serre ou, pire, un abribus. En somme, il y aura peu de signes ostentatoires à ôter des cimetières le jour où… à moins qu’ils aillent croissant ?<o:p></o:p>

    Religieux ou non, cet art ne présente aucune qualité technique minimale. La sculpture n’est qu’une gravure médiocre dont les creux sont blanchis pour que ressorte un dessin minable sur un granit soit reconstitué soit si poli qu’il paraît vernis.

    <o:p></o:p>

    Pire, les motifs sont tirés de catalogue : un semblant de personnalisation est donné en les associant deux à deux. Voici des fleurs couplées à un cœur ; quelques tombes plus loin, les mêmes fleurs associées, cette fois, à un ovale (cf. ill. p. 4).<o:p></o:p>

    Sur ces affreuses dalles se multiplient les plaques votives. Le sentiment naturel qui nous fait nous adresser à nos morts est corrompu par une détestable manière de s’exprimer. Les plaques prêt-à-porter portent des inepties de ce style : <o:p></o:p>

    « Quelqu’un meurt, et c’est comme un silence qui hurle, mais s’il nous aidait à entendre la fragile musique de la vie. » <o:p></o:p>

    Ou bien : « Son souvenir est comme un livre bien-aimé qu’on lit sans cesse et qui n’est jamais refermé. » <o:p></o:p>

    Mais le souvenir n’est pas qu’un livre, <?xml:namespace prefix = v ns = "urn:schemas-microsoft-com:vml" /><v:shapetype id=_x0000_t202 path="m,l,21600r21600,l21600,xe" o:spt="202" coordsize="21600,21600"><v:stroke joinstyle="miter"></v:stroke><v:path o:connecttype="rect" gradientshapeok="t"></v:path></v:shapetype><v:shape id=_x0000_s1026 style="MARGIN-TOP: 495pt; Z-INDEX: 1; LEFT: 0px; MARGIN-LEFT: 162pt; WIDTH: 85.05pt; POSITION: absolute; HEIGHT: 198pt; TEXT-ALIGN: left; mso-position-horizontal-relative: margin; mso-position-vertical-relative: margin" stroked="f" o:allowoverlap="f" type="#_x0000_t202"><o:lock aspectratio="t" v:ext="edit"></o:lock><v:textbox style="mso-next-textbox: #_x0000_s1026"></v:textbox><?xml:namespace prefix = w ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:word" /><w:wrap anchory="margin" anchorx="margin"></w:wrap><w:anchorlock></w:anchorlock></v:shape>

     
    c’est aussi un rose, comme on sait : « Le souvenir est une rose au parfum discret, que chaque jour on arrose avec les larmes du regret. » <o:p></o:p>

    Pour ceux qu’un deuil inspire, les sociétés funéraires réalisent la plaque où s’inscrit la prose des endeuillés. On obtient des incipit sentimentaux : « Ma petite Mémère… » ou « Dors, Papy, dors… ». D’autres, suivant la tradition de l’épitaphe, écrivent la leur de leur vivant et nous

    laisse nous en régaler ensuite. La palme revient à ce texte : « Je suis seulement passé dans la pièce d’à côté. Je suis moi, vous êtes vous. » (voir ci-contre) Passer dans la pièce d’à côté ! On est loin de ce que souhaitait Boileau qui, dans le Discours sur le style des inscriptions, note que celles-ci doivent être rédigées en « style grave » et que, si le français est, sur ce point, plus difficile à manier que le latin, il faut éviter la pompe et le verbiage.<o:p></o:p>

    Pour ce qui est de l’iconographie, il convient de différencier les symboles des attributs. Les symboles les plus répétés sont le phare, le dauphin et le cygne. Libres à vous de vous livrer à une étude bachelardienne dans laquelle vous expliqueriez que le dauphin est signe d’eau ; le cygne, d’eau et d’air ; le phare, lui, des quatre éléments. Moi, je m’y refuse. Je me borne à constater que ces symboles suffisent à combler toutes les aspirations mystiques.

    <o:p></o:p>

    Les attributs se divisent en attributs professionnels ou de loisirs, mais il est parfois délicat, en l’absence de texte, de trancher. Les moyens de transport sont très représentés : moto, voiture de course, semi-remorque, locomotives. Un accordéon avec une portée, une batterie de casserole (odieux machisme que nous ne saurions cautionner), des cocotiers, une roulotte (à classer dans les symboles ?), une chaise sur laquelle sont posés un livre et des lunettes, un chien assis auprès… La liste est aussi étendue que les goûts de l’être humain. Retenons ce gros ours en peluche placé dans une boîte en verre sur une tombe (ill. p. 3). D’autres activités sont représentées par la figure humaine : couple de danseurs, et, très répandus, pêcheurs et joueurs de boules, loisirs innocents s’il en est. Quelques paysages paisibles, toits de village ou hautes montagnes, viennent confirmer <o:p></o:p>

    une aspiration à la paix – mais sous cette forme ?<o:p></o:p>

    Chacun complètera ce sombre tableau en se promenant dans n’importe quel cimetière. Ce qui a été mentionné ici est représentatif ; mais beaucoup d’autres horreurs, je le crains, restent à recenser.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

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    <o:p></o:p>



    [1] « Ala kà dugukolo sum’a kun », que la terre lui soit légère (en langue dioula).

    [2] Journal 20 minutes du 20 octobre 2004, p. 3.

    [3] Ou en plexiglace avec des incrustations de métal : telle est la nouvelle tendance, assez design.<o:p></o:p>



  • Commentaires

    1
    visiteur_ritiuo
    Mercredi 19 Mars 2008 à 09:45
    ne mettez pas vos famille ladedand
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