• Racisme et blasphème autour de la Sainte Face

    Racisme & blasphème

    autour de la Sainte Face

    Fin août à Sidney s’est élevée une disputatio lors d’un festival d’art sacré : Luke Sullivan exposait Le 4e secret de Fatima : une Vierge en burqa (ill. 1), et Priscilla Joyce Bracks une œuvre utilisant le principe de l’hologramme qui permettait de voir le visage du Christ se transformer en celui d’Oussama Ben Laden (ill. 2). Le Cardinal George Pell s’est interrogé sur la valeur du Prix Blake d’art sacré remis à l’occasion de ce festival dès lors qu’y sont proposées des œuvres blasphématoires et le Premier ministre a déploré l’offense faite à la foi de nombreux Australiens. Voilà du personnel politique et religieux aux antipodes du nôtre.

    Le clergé protestant, par contre, a un accent « évêque français » prononcé. Le Révérend Rod Pattenden, au nom du jury, a expliqué que l’artiste « avait interrogé l’idée qu’on peut avoir du bien absolu et du mal absolu » et a rappelé que le festival visait « à susciter le débat sur la spiritualité ». Sa spiritualité à lui, Rod Pattenden, la voici : « Montrer le Christ sous les traits d’un anglo-saxon blanc est malséant ; il devait davantage ressembler à Oussama ben Laden qu’à un Européen. » La spiritualité du révérend n’est pas piétiste, baptiste ou autre, elle est raciale, et même raciste.

    Elle rappelle une autre spiritualité protestante, celle des Rastas. « Alors que toutes les religions du monde enseignaient à leurs fidèles que leur Dieu était un être identifiable, un Dieu qui ressemblaient à eux, l’esclavagiste obligea le Noir à adopter la religion chrétienne. Il lui apprit à adorer un Dieu étranger qui avait les cheveux blonds, le visage pâle et les yeux bleus de son maître. » Malcolm X identifie l’esclavagisme à la christianisation, ce qui est historiquement faux, et pense comme le Révérend que cette représentation leucoderme est malséante. Le problème est que leur racisme à chacun est antagoniste. Car si un Christ saoudien est suspect aux yeux d’un Rasta, un Christ noir est une invraisemblance choquante pour un pasteur australien.

    Je ne sais pas si un Juif galiléen d’il y a deux mille ans ressemble à un Saoudien d’origine yéménite du vingt et unième siècle. De l’Australie, ça doit sembler kif kif. L’approche est en tout cas aussi malheureuse que ridicule. Dans le débat du Suaire de Turin, les défenseurs de l’authenticité voient un visage sémitique, les partisans du faux disent que le visage ne l’est pas du tout. étrange critère qui revient à la mode : désormais des historiens de l’art réexaminent les œuvres de Rembrandt pour judaïser ou déjudaïser certains portraits… (Ce n’est pas moi qui m’en félicite, mais le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme.)

    Une étude datant de 2001, déclarée scientifique, a donné un tout autre visage au Christ (ill. 3). Des experts britanniques l’ont « reconstitué » à partir de squelettes du premier siècle découverts à Jérusalem. Le visage est « large et basané, le nez proéminent, les cheveux courts, la barbe taillée ». Prudemment on ne concluait pas au sémitisme ou non de ce visage, mais il était précisé que « le résultat donne une image très différente de celle véhiculée depuis des siècles par l’église ». Les experts mettent le doigt sur l’essentiel : l’image obtenue est en effet très différente par sa vulgarité et l’impossibilité de prier devant.

    Pierre Nicole, dans ses célèbres Essais de Morale, s’est interrogé sur l’opportunité pour les personnes pieuses de se faire tirer le portrait (lettre XCIII). Ses réponses sont plus cul-cul que Grand Siècle, mais il n’aborde pas sottement la question des « portraits » du Christ. Le Voile d’édesse (un suaire dont on perd la trace en 1205) était une toile sur laquelle le Christ aurait imprimé son visage, l’artiste envoyé par le roi d’édesse n’ayant réussi à le peindre à cause de la lumière qui en émanait. Pour la Véronique (il existe de nombreuses reliques ainsi appelées), le Christ se serait laissé peindre à la demande d’un Prince de Perse. Mais au fond, reconnaît Pierre Nicole, on n’est aucunement assuré d’avoir le visage du Christ, et seraient-ce de vrais portraits que les empreintes manquent tout de même de netteté (on sait le rôle de la photographie, par le biais du négatif, dans la révélation du visage du Suaire).

    Si nous n’avons aucun portrait assuré du Christ, c’est parce que l’important est d’avoir en nous « son image invisible et spirituelle ». Le Christ ne nous ayant laissé aucune image de lui, explique Pierre Nicole, « il veut que nous soyons uniquement appliqués à considérer, à estimer, à désirer, à graver au fond de notre âme cette image invisible et spirituelle selon laquelle nous devons de plus en plus lui ressembler & nous rendre conformes à lui ». Les représentations sont un moyen de conversion. Or, quand l’image du Christ devient celle de Ben Laden, cet avatar choquant ne prédispose pas à la prière, l’empêche même : l’art contemporain joue là son rôle iconoclaste.

    Le Président de la Fédération australienne des Conseils islamiques a estimé que Jésus était ridiculisé par la comparaison avec Ben Laden. Il a trouvé, par contre, la Vierge en burqa inoffensive puisque représentée pudiquement. On mesure l’abîme qui peut séparer deux cultures. Les artistes chrétiens cherchent à exprimer la pureté de la Vierge par des moyens plastiques exigeants, alors que le recours à la burqa, qui n’est qu’un tour de cache-cache, satisfait un musulman. Cette Vierge en burqa a fait moins de bruit que le Ben Laden, elle n’en est pas moins très choquante.

    Incitation spirituelle et non représentation naturaliste soumise à une exactitude historique de vêtements, faciès ou couleur de peau, l’image chrétienne s’acclimate légitimement suivant les latitudes, ou se répand telle quelle, le catholicisme étant universel. J’espère avoir par cette rapide analyse contribué au débat spirituel souhaité par le Révérend Rod Pattenden.

    Samuel


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