• Au musée du Louvre

    L'Antiquité rêvée

    Présent du 15 janvier 2011

    Le lien entre l’art européen et l’art antique est complexe, d’autant que, suivant les époques, ce lien est une amarre, ou une bride, ou un ruban. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’Antiquité est invoquée avec force, mais ni la sculpture ni l’architecture n’en sont une resucée. La référence antique est plus alors la caution que se donne le classicisme français au moment de s’émanciper des arts italiens et flamands.

    Au XVIIIe siècle, le néoclassicisme est précédé d’une longue maturation qui débute vers 1720 en France et en Europe. Tandis que règne l’art rocaille, art de la courbe, art riant que protège la marquise de Pompadour, certains artistes mais aussi théoriciens cherchent d’autres repères, plus mâles. Or l’Antiquité est d’actualité. Les musées de papier (cf. Présent du 9 octobre) puis les fouilles d’Herculanum donnent une assise archéologique à l’idée de la supériorité artistique antique, développée par Winckelmann, par Caylus, supériorité que n’avait pas affirmée aussi fort le XVIIe ou que les artistes avaient eu assez de personnalité pour ne pas en être écrasés.

    L’honnête homme se taille dans le marbre, nouveau patricien : le comte de Nottingham par Rysbrack (1723), Philippe von Stosch par Bouchardon (1727). Edme Bouchardon (1698-1762) est le premier chez qui le refus de la rocaille est définitif. Signe des temps, l’artiste est conseillé par un « littéraire », Caylus. Son Amour taillant un arc dans la massue d’Hercule (1750) rebute le public qui ne retrouve pas son Cupidon dans cet éphèbe où s’associent naturalisme et idéalisme. La froideur du purisme est accentuée par le fini excessif : « Son travail se dévorait lui-même dans une absurde poursuite, au lieu de se renouveler par la diversité de ses objets dans la fraîcheur improvisée de la vie », commente Luc-Benoist (La sculpture française).

    On préfère Pajou (Anacréon, 1750), Pigalle (Mercure, 1744), voire Falconet (Pygmalion et Galatée, 1761) : ces artistes sont les plus équilibrés, entre un rocaille tempéré et une influence antique mesurée.

    Côté peinture, Vien est un représentant typique du goût antique (illustration). Poussin revient sur le devant de la scène : les peintres trouvent dans son œuvre une manière d’assimiler l’Antiquité. Son Testament d’Eudamidas, peint en 1644 et réapparu en 1757, influence aussi bien Greuze, Angelica Kauffmann, que Gavin Hamilton.

    Parallèlement, d’autres réponses au rocaille ont été proposées : on distingue néo-baroque, néo-maniérisme, sublime.

    Le néo-baroque puise son inspiration chez le Bernin et Cortone. On le constate dans une peinture de Fragonard (Corésus et Calirhoé, 1765), des sculptures de L.S. Adam et de Pajou, qui donnent deux Neptune très berniniens, le premier en 1737, le second plus apaisé mais baroque en 1767.

    Le néo-maniérisme s’alimente au XVIe siècle. Il est le fait d’artistes italiens, français et anglais séjournant à Rome. La Vénus marine de Deare, La Baigneuse d’Allegrain partagent avec le néoclassicisme la froideur.

    Le sublime, ou « gothic », est une réaction nordique, qui puise dans une Antiquité non plus lumineuse mais obscure des raisons de se libérer de l’emprise du classicisme français. Le sublime, ce sont les rêves et encore plus les cauchemars, les saints et encore plus les maudits. Le célèbre Cauchemar de Füssli (1783), le Titan foudroyé de Banks, la Sorcière de Laponie de Romney : en germe, un certain romantisme.

    En attendant, le rocaille a vécu : François Boucher a trop tiré sur la corde. Une toile de 1747, L’enlèvement d’Europe, explique qu’il ait lassé, voir écœuré : teintes mauves et roses louches, femmes peintes de chic, manières routinières, tout poussait les artistes à aller voir ailleurs. Lorsque la protectrice marquise de Pompadour meurt en 1773, le néoclassique – auquel aboutit un demi-siècle de recherches et que l’Empire prolongera – entre véritablement en scène.

    Jean-Baptiste II Lemoyne et surtout Houdon pratiquent le buste, véritable culte aux grands hommes : buste posthume de Montesquieu, buste de Diderot, de l’acteur Larive en Brutus, buste imaginaire d’Alexandre. Antonio Canova est l’héritier de Bouchardon (Psyché debout, 1789-1792) – la même correction froide désanime leurs œuvres – tandis que Joseph Chinard modèle une Phryné qui est un nu autrement plus chaud : la terre cuite ne congèle pas autant que le marbre.

    Arrive J.L. David, « un vrai Français en cela qu’il est toujours intelligible et dit nettement ce qu’il veut dire » (Louis Gillet). Le Serment des Horaces (1784) mérite d’être regardé avec des yeux neufs, comme sa Psyché abandonnée, inachevée, qui dans son désarroi brise la glace néoclassique et nous émeut.

    Samuel

    L’Antiquité rêvée – Innovations et résistances au XVIIIe siècle.

    Jusqu’au 14 février, musée du Louvre.

    illustration : Joseph-Marie Vien, La marchande d'amours, 1763 (Fontainebleau, Musée National du Château)


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  • Au musée du Louvre
    Un artiste génois<o:p></o:p>

    Présent du 8 janvier 2011<o:p></o:p>

    En 1528, la ville de Gênes rompt son lien avec François Ier et se place sous l’autorité de Charles Quint. La « République génoise » est gouvernée désormais par une oligarchie de douze membres. Un actif mécénat s’ensuit : l’élite rivalise d’embellissements et communique cette soif aux classes bourgeoises. Le terrain est tout préparé pour la carrière de Luca Cambiaso, alors enfant (il est né en 1527) et fils d’un peintre reconnu, Giovanni Cambiaso.<o:p></o:p>

    Cependant les mécènes ne s’adressent pas qu’aux peintres de la République : Les plus fortunés font évidemment appel aux artistes romains ou à ceux qui, passés par Rome, ont acquis la manière moderne, se sont mis à l’école de Raphaël et de Michel-Ange. Viennent ainsi œuvrer au Palazzo del Principe : Gerolamo da Treviso, Beccafumi, Perino del Vaga. Ce dernier, de l’atelier de Raphaël, tout comme Jules Romain à qui un évêque génois avait commandé quelques années auparavant une Lapidation de saint Etienne pour une des églises de la ville.<o:p></o:p>

    De Cambiaso père, reste peu d’œuvres. Les fresques d’une villa, des dessins qui se comptent à l’unité : une Galatée et une frise de Tritons et de Néréides. Science du lavis, habileté à développer les corps dans l’espace : Giovanni avait du talent et avait assimilé le passage des artistes étrangers. Ces caractéristiques se retrouveront chez son fils.<o:p></o:p>

    Celui-ci a considérablement dessiné. En quantité, d’abord : un biographe prétendra qu’il dessinait tant que sa femme et leur servante utilisaient ses feuilles pour allumer le feu, et qu’on doit à l’un de ses élèves d’en avoir sauvé un certain nombre de l’âtre vorace. En qualité, également, une qualité que la critique moderne a redéfinie, avec la coupe claire que cela impose : des 188 dessins autrefois recensés au Louvre sous son nom, elle n’en reconnaît que 26 de sa main. Le surplus s’explique par des copies d’élèves d’après le maître (exercice obligé, avec le dessin d’après l’antique, en Italie dans la seconde moitié du XVIe siècle), par des dessins d’élèves dans le style du maître, ou par des copies postérieures, car Luca Cambiaso a influencé l’école génoise jusque vers 1620.<o:p></o:p>

    L’influence de Michel-Ange se mesure dans un dessin de jeunesse, un Christ triomphant à l’équilibre mal assuré, un champion de la gonflette plus qu’un athlète et qu’un Christ : seul Michel Ange pouvait prétendre à fondre cet alliage. Le goût de Cambiaso avait encore à être formé. Deux architectes y ont concouru : Alessi et Castello, le second surtout, qui employa Cambiaso dans de nombreux chantiers génois et alentour (églises, palais, villas). Les silhouettes s’affinent et le trait gagne en rigueur.<o:p></o:p>

    Le meilleur trait de Cambiaso est une incision de graveur, une griffure sur le papier avec ses tensions et ses légèretés qui ne sont pas là en tant que paraphes mais indices graphiques de la forme – de même qu’une mélodie demande pour être expressive une intensité variable. (Parmi les rares équivalences entre les arts, existe cette similitude entre la ligne mélodique et la ligne graphique. Et rien n’explique mieux l’aberration d’un trait en fil de fer que son équivalent, difficile à envisager en dehors de musiciens dénués de tout sens musical, d’une mélodie où toutes les notes sortiraient avec la même intensité.) Saint Marc avec le lion, la Sibylle assise (illustration) constituent de bons exemples du talent de Cambiaso. La pose de la Sybille est d’une grande clarté, comme celle de l’Homme agenouillé, très ramassée.<o:p></o:p>

    A ce trait abstrait, Cambiaso substitue parfois une manière plus narrative, où il n’est pas moins bon (La fuite en Egypte).<o:p></o:p>

    Son trait parfois ne synthétise pas mais multiplie les décrochements, afin de rendre plus sensible les trois dimensions. Il en arrive à des dessins presque chinois (Bacchus ivre porté par deux hommes). Plus épuré, plus complexe aussi par des raccourcis justes et heureusement retenus en deçà de la bizarrerie, le dessin représentant Enée fuyant Troie avec sa famille est un chef-d’œuvre. Le trait, toujours incisif, prend parfois un tour anguleux qui, chez les suiveurs, deviendra caricatural et faux comme un dessin de manga (anonyme : Mercure s’apprêtant à trancher la tête d’Argus).<o:p></o:p>

    Les dessins de la maturité sont rares. Le trait est toujours subtil, mais adouci : Six angelots volant, esquisse d’un tableau pour l’Escurial (1581 – Cambiaso travailla pour Philippe II avant de se rendre à Madrid, où il résida deux ans et mourut en 1585).<o:p></o:p>

    Auparavant, à partir de 1560, l’utilisation du lavis avait contribué à adoucir sa manière. Il ne s’agissait pas d’un agrément, mais d’un apport réel, qui humanisait ce que le trait réel pouvait avoir de féroce : c’était le baume sur la griffure.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Luca Cambiaso, Maître de l’école génoise (1550-1620).

    Jusqu’au 7 février 2011, musée du Louvre.

    illustration : Luca Cambiaso, Sybille assise. Musée du Louvre © RMN / Thierry Le Mage<o:p></o:p>


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    Le Louvre<o:p></o:p>

    au temps des Lumières<o:p></o:p>

    Présent du 1er janvier 2011<o:p></o:p>

    Imaginez un palais inachevé, dont certaines parties n’ont pas été poussées plus avant que le gros œuvre, dépourvues de toitures, un domaine que de multiples constructions bancroches et pittoresques ont envahi, à telle enseigne qu’on ne distingue guère le mur palatial de la cloison populaire. Tel se présente le Louvre au XVIIIe siècle, un chantier à l’abandon où survit, au milieu d’agrégats parasitaires, la vague idée d’un projet royal.<o:p></o:p>

    (Il faut de plus se représenter le Louvre ainsi : à l’Est, la Cour carrée, prolongée par la Grande Galerie côté Seine, à l’extrémité ouest de laquelle se raccrochent les Tuileries ; et ni galerie symétrique au nord, ni place où caser une pyramide.)<o:p></o:p>

    Des tas de gens vivent et travaillent dans ce Louvre. Le roi concède à la haute noblesse des appartements ou des portions de terrain. Le duc de Nevers détient ainsi 780 m2 de constructions diverses. Par un usage qui remonte à Henri IV, des artistes sont logés et ont leur atelier : des graveurs, des peintres (La Tour, Chardin, Greuze), des sculpteurs (J.-B. Lemoyne, Pigalle, Falconnet). L’Académie de peinture et de sculpture siège au Louvre. Le contact avec le public a lieu lors du Salon, organisé à partir de 1737. Avec le Salon naît le compte rendu et la critique d’art, dont Diderot est alors le plus éminent représentant. Les salles pleines de tableaux ont fait l’objet de gravures, particulièrement de Saint-Aubin qui y revient année après année.<o:p></o:p>

    Les Bâtiments du roi octroient une multitude de « baraques », humbles boutiques et, dans des endroits plus choisis, des places de bouquinistes et de marchands d’estampes, activité attestée par des relevés et des peintures jusqu’au début du XIXe (illustration), depuis reléguée sur les quais.<o:p></o:p>

    Face à ce pullulement anarchique, l’esprit du temps présenta un projet de 75 boutiques (au pied de la Colonnade), toutes sur le même plan (projet anonyme, vers 1770). Combien le siècle a-t-il fait de projets concernant le Louvre ? Délaissé par le roi, le Louvre est en effet devenu l’objet d’une tentative, par la Ville, de le réintégrer au tissu urbain. Comment l’y coudre de façon rationnelle ? La pensée des Lumières se devine dans la critique de l’attitude royale et dans la réflexion sur un urbanisme plus utilitariste.<o:p></o:p>

    Louis XV tenta d’affirmer son intérêt pour la question en appelant de ses vœux la création d’une place royale (1748). Un certain « Legrand l’aîné » avait dans l’idée de l’ouvrir côté Colonnade, en rasant tout bonnement Saint-Germain-l’Auxerrois. Sous Louis XVI, l’abbé Lubersac, dit « l’abbé monuments » pour son imaginaire bâtisseur que desservaient ses lacunes en architecture, dessina une place où la statue équestre était remplacée par un obélisque, autour duquel s’organisait un espace où réunir le Roi et la Nation – nous étions en 1783. Un projet de 1790 rassemble au Louvre le Roi, l’Assemblée, la Ville et le Peuple.<o:p></o:p>

    A ces plans sur la comète politique s’ajoutent les projets d’intégrer l’Opéra royal et la Bibliothèque. Avec les Académies, le Louvre aurait alors regroupé les organes des sciences et des arts, dans une unité « encyclopédiste ».<o:p></o:p>

    Qu’en fut-il concrètement ? Marigny, le petit frère de la Pompadour, remarquable directeur des Bâtiments du roi, entreprit en 1755 le dégagement du terre-plein de la Colonnade et le dégagement et l’achèvement de la Cour carrée (un dessin de Blondel et Saint-Aubin la montre encombrée de vieilles constructions assaillies par les échafaudages).<o:p></o:p>

    Son successeur, le comte d’Angiviller – placé là par Turgot qui disposait aux postes-clés ses amis éclairés – a donné l’impulsion à l’idée d’un Louvre musée, voulant rendre accessibles les collections royales au public, jusque là plutôt réservées aux élèves de l’Académie.<o:p></o:p>

    Angiviller charge Soufflot de réfléchir aux questions de sécurité (matériaux ignifugés) et d’éclairage. Les débats sont intenses et n’aboutissent à rien. Les projets de Wailly et d’Hubert Robert, deux des premiers conservateurs du Louvre pendant la Révolution, seront repris par Percier et Fontaine sous l’Empire. Les esquisses de 1795 de Robert, Projet pour la Grande Galerie et La Grande Galerie en ruine, sont enlevées et constituent de remarquables simulations.<o:p></o:p>

    Sous la Révolution, les Tuileries à leur tour sont soumises à des projets de remaniement, car le Roi et sa famille jugent malcommode la distribution des appartements. Un plan de 1790 renseigne sur les modifications envisagées. On note que la salle de spectacle doit devenir une chapelle, sur un plan analogue à celle de Versailles. La situation se dégradant, le chantier n’avait pas commencé lorsque les Tuileries furent prises, le 10 août 1792.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Le Louvre au temps des Lumières, 1750-1792.

    Jusqu’au 7 février 2011, Musée du Louvre.

    illustration : P.-A. Demachy, Guichet du Louvre côté est : les magasins d’estampes, 1791 © RMN / Christian Jean<o:p></o:p>


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    À l’École des Beaux-Arts

    L’architecte Garnier
    (1825-1898)

    Présent du 25 décembre 2010

    Peu d’édifices portent le nom de leur architecte. Sauf erreur, Paris ne compte que la Tour Eiffel et l’Opéra Garnier. La tour a assuré la gloire à Eiffel. L’opéra n’a pas rendu ce service à Garnier, dont ni la vie, ni la personnalité, ni même les autres constructions ne sont connues.

    L’Ecole des Beaux-Arts revient sur celui qui fut son élève de 1842 à 1848. Quelques travaux sont exposés : des projets pour un phare à structure métallique, pour un hôtel balnéaire, pour une sacristie. Deux étapes : le plan et l’élévation. Le sujet « Un conservatoire des Arts et Métiers » fut donné au concours pour le prix de Rome en 1848, que Charles Garnier remporta.

    Pensionnaire de la Villa Médicis de 1849 à 1854, il en profite pour découvrir l’Italie, ainsi que la Grèce et Constantinople. Les « envois de Rome », ces travaux que les pensionnaires envoyaient en France afin que les professeurs suivissent les progrès, consistent en relevés de monuments (basilique Saint-Pierre), de peintures (fresques de Pompéi, fresques étrusques de Tarquinia), de sculptures. Egalement, en relevés de monuments antiques ruinés qu’accompagne une proposition de restitution (temple de Vesta à Rome ; de Jupiter à Egine).

    A côté de ces devoirs, Garnier pratique l’aquarelle pour le plaisir. Les costumes orientaux lui parlent. Il rapporte du voyage de 1852 des aquarelles représentant des Grecs, hommes et femmes, des Turcs, des juives de Constantinople, un récureur de chibouque – un métier, croyez-moi, qui n’a pas de code de désignation dans les ordinateurs du Pôle Emploi.

    Au retour d’Italie, comme c’est humain, Garnier fit une grosse dépression. Puis il commença sa carrière parisienne. Ses premières affectations : sous-inspecteur pour la restauration de la tour Saint-Jacques, qui alors perdait ses gargouilles, puis inspecteur des travaux des barrières, zones mythiques de l’urbanisme parisien !

    En 1860 est lancé le concours de l’Opéra. La voie du concours était une première et un tour de passe-passe : il s’agissait d’écarter Rohault de Fleury, architecte ordinaire de l'Opéra à qui revenait de droit le chantier, pour confier celui-ci au favori du couple impérial, Viollet-le-Duc. 171 participants entrèrent en lice. Le projet de Charles Garnier fut vainqueur au second tour et Viollet-le-Duc se retrouva Jospin comme devant.

    La première pierre fut posée en juillet 1862 et l’inauguration eut lieu en janvier 1875. Pour ce chantier énorme, Garnier dirige son agence avec fermeté et bonne humeur. La masse de travail est colossale. Plans, dessins à l’encre ou en couleurs, s’accumulent. Dallages, colonnades, ornements, modénatures… Tout est supervisé par le patron. Les peintres et sculpteurs amis sont embauchés. Les maquettes en plâtre des principaux morceaux de sculptures sont exposées : allégories de l’Harmonie et de la Poésie (Charles Cordier), du Drame et de la Musique (Gabriel-Jules Thomas), l’Apollon d’Aimé Millet et, bien évidemment, la Danse de Carpeaux.

    Le numéro du Trombinoscope consacré à Charles Garnier, paru le mois même de l’inauguration de l’Opéra, juge que « ce ne sera guère que dans trente ans, quand la pluie, la fumée et la poussière auront recouvert d’une teinte noire et uniforme cette énorme pièce montée en sucre d’orge, angélique, jujube, amandes, chocolat, pistaches, abricots confits et gelée de groseilles, que l’on pourra vraiment juger de son effet ». Description amusée de cette accumulation d’éléments antiques, Renaissance et baroques.

    L’Opéra, considéré comme réussi, vaudra à Charles Garnier des commandes multiples, le casino de Monte-Carlo, le théâtre Marigny, les Bouffes Parisiens, l’Observatoire de Nice. Sans compter les immeubles et demeures particulières, et, éphémère monument, le catafalque dressé sous l’Arc de Triomphe lors des funérailles de Victor Hugo (31 mai 1885).

    Proche, par son passage aux Beaux-Arts et son séjour romain, de nombreux artistes, Garnier a été portraituré par Bouguereau, par Bénouville, par Baudry, par Carpeaux. Il a aussi été caricaturé : le XIXe a tant aimé les portraits-charges ! Celui dessiné par Nadar est tout à fait réussi.

    Garnier lui-même a pratiqué la caricature tout au long de sa carrière. Quelques dessins évoquent la vie à la Villa Médicis, avec ses anecdotes magnifiées (un duel entre Cabanel et Tourny alors que deux autres peintres s’enivrent, indifférents), mais aussi, bien plus tard, les séances à l’Institut où Garnier ne manque pas de saisir d’un trait les vieillards assoupis.
    Samuel
     
    Un architecte pour un empire. Jusqu’au 9 janvier 2011, ENSBA, 13 rue Malaquais, Paris VIe.

    L’œil et la plume : caricatures de Charles Garnier. Jusqu’au 30 janvier 2011, ENSBA, 14 rue Bonaparte, Paris VIe.

    illustration : Charles Garnier, Vue de trois-quarts du nouvel opéra, printemps 1862, encre et aquarelle, 82 x 154 cm © BMO

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    Au Petit Palais<o:p></o:p>

    De Nittis, peintre<o:p></o:p>

    Présent du 18 décembre 2010
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    Giuseppe De Nittis ? Un nom qui apparaît dans le Journal des Goncourt, dans la liste des peintres participant à la première exposition impressionniste. Le Petit Palais, en le présentant, permet de poursuivre la confrontation de carrières et parcours artistiques entre 1865 et 1885, après Monet (Présent du 13 novembre) et Gérôme (11 décembre).<o:p></o:p>

    De Nittis naît en 1846 dans les Pouilles. Entré aux Beaux-Arts de Naples en 1861, il en est renvoyé pour indiscipline en 1863. Il fonde alors l’Ecole de Resina avec quelques peintres : on délaisse la sèche peinture d’histoire pour le plein air. Des paysages étirés, découpés en bande de ciel, de terre et d’eau (Sur les rives de l’Ofanto, 1867), marqués par une grande sensibilité lumineuse : études exclusives de nuées (huile sur bois), études de vagues tempétueuses, de reflets argentés dans le golfe de Naples.<o:p></o:p>

    En 1867, il découvre Paris, où il revient, s’installe et se marie en 1868. (Son épouse, née Léontine Gravelle, devenue veuve en 1884, publiera une flopée de romans et de contes, certains sous le pseudonyme d’Olivier Chantal. Leur fils Jacques, médecin, restera lié au monde littéraire et artistique, publiera des vers dans diverses revues.) Giuseppe De Nittis fait la connaissance d’Adolphe Goupil qui devient son marchand, de son gendre Gérôme, de Meissonnier, mais aussi des Goncourt (portrait d’Edmond plus tardif, 1881, devant sa bibliothèque, grand pastel), de Caillebotte, Degas, Manet… <o:p></o:p>

    La guerre de 1870 le fait retourner en Italie. C’est là, notablement, qu’en 1872 il « croque » l’éruption du Vésuve. Le panache de fumée, plusieurs fois étudié, est grandiose, menaçant par sa masse et sa coloration. Les photos du panache de l’Eyjafjöll, lors de l’éruption de l’année dernière, laissent assez deviner l’intérêt que peut y prendre un peintre déjà attiré par les nuages plus habituels. La critique moderne voit volontiers dans ces études de nuages volcaniques des pressentiments abstraits ; demandez donc à Pline l’Ancien le degré d’abstraction d’une éruption du Vésuve…<o:p></o:p>

    En 1873, De Nittis revient définitivement en France. Ses contacts avec les impressionnistes, on les mesure dans ces « femmes au jardin » qui se multiplient. Sa participation à la première exposition impressionniste (1874) ne signifie, relativement au mouvement, pas grand-chose. Le noyau impressionniste invita de nombreux peintres à se joindre à lui, y compris des peintres acceptés au Salon officiel, ce qui était le cas de De Nittis, afin de ne pas donner à l’exposition du groupe l’apparence d’un nouveau « Salon des Refusés ». Renoir, chargé de l’accrochage, fut d’ailleurs si embêté pour accrocher le tableau de De Nittis parmi les autres qu’il le laissa de côté. Ce n’est qu’après le début de l’exposition qu’on lui trouva une place, expliquera De Nittis, « en mauvaise lumière, et quand la presse et les premiers visiteurs furent passés. Je ne m’en fâchai pas et n’en éprouvai nul ennui. Seulement, je dis en riant : –– c’est une leçon. Je ne recommencerai pas » (les Notes et souvenirs du peintre ont été publiés en 1895).<o:p></o:p>

    Plus qu’en peintre de campagne, c’est en peintre parisien que De Nittis s’épanouit, avec le même goût que, peu après, Pierre-Jacques Pelletier. Même affinité pour l’atmosphère pluvieuse, les gris innombrables, les rehauts colorés et les reflets que laisse l’averse après son passage (La parfumerie Violet), les luminosités diffuses ou précises qu’on attrape en bord de Seine. Dans ces climats vécus, un Paris reste, celui des ruines des Tuileries (1882) ou du chantier de l’extrémité ouest du Louvre (La place des Pyramides, 1875). <o:p></o:p>

    De Nittis s’est rendu plusieurs fois en Angleterre. Pour un banquier il peint une série de toiles de rues londoniennes, quelque peu convenues (La National Gallery à Londres, 1877), où le peintre se montre sensible à l’animation de la capitale (Piccadilly, promenade hivernale) et toujours aux ciels chargés. Dans des toiles moins commerciales (Westminster, 1878), il est marqué par Whistler et Monet.<o:p></o:p>

    De Nittis a été par ailleurs le peintre des élégances parisiennes, au Bois, aux courses à Auteuil, dans le salon de la princesse Mathilde, fréquenté par la noblesse autant que par les artistes et les écrivains. Il est plus profond lorsqu’il se montre touché par l’élégance japonaise. A ranger parmi les collectionneurs les plus importants d’une époque qui en comptait beaucoup, De Nittis pratique l’aquarelle sur soie sur laquelle il peint, véritable nippon, des chauves-souris, des chrysanthèmes et des bambous. Les paravents apparaissent dans certaines compositions. Le Kimono couleur orange (une de ses dernières toiles), révèle la maîtrise de sa touche qui anime des zones colorées subtilement variées : le pinceau ne décrit pas, il suggère.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Giuseppe De Nittis (1846-1884) – La modernité élégante.

    Jusqu’au 16 janvier 2011, Petit Palais.

    illustration : Le kimono orange © Fotostudio Rapuzzi, Brescia<o:p></o:p>


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