• Au musée du Louvre

    Louis de Boullogne,

    dessinateur

    Présent du 30 avril 2011

    Les dessins de Louis de Boullogne – papier bleu, rehauts blancs – sont à voir au Louvre. On ne saurait parler de ce peintre sans mentionner sa famille : « l’habileté du pinceau s’y est succédée de père en fils ; elle ne faisait que changer de main », écrivit Dézalier d’Argenville.

    Louis Boullogne (1609-1674), peintre, eut quatre enfants peintres qui tous furent reçus à l’Académie, à la fondation de laquelle il avait participé en 1648 : deux filles, Madeleine et Geneviève – elles font partie de la quinzaine d’académiciennes des XVIIe-XVIIIe siècles – ; deux garçons, Bon et Louis.

    Bon Boullogne (1649-1717) fut un peintre virtuose, capable de pasticher Rembrandt, Poussin, le Guide, etc., et de tromper les connaisseurs. Son œuvre ne se résume pas à cela. Parmi les commandes importantes qui lui furent passées, figurent les décors de l’escalier du château de Versailles, d’une partie de la chapelle, et de deux chapelles des Invalides (celle de Saint Jérôme et celle de Saint Ambroise).

    Le cadet, Louis (1654-1733) fut surnommé « le Jeune » pour le différencier de son père et de son frère, jusqu’à son anoblissement en 1724 : la particule permit de le distinguer. Sa carrière est parallèle à celle de Bon. Premier prix de l’Académie en 1673, il passe comme lui cinq ans à Rome (1675-1679). On le trouve retenu pour les mêmes chantiers. Il ira plus loin, devenant premier peintre du roi et directeur de l’Académie.

    A une époque où la peinture religieuse s’essoufflait ou dégénérait, les frères Boullogne y mirent, plus que d’autres, le talent au service de la foi. Bernard Dorival attribue cela à l’orientation religieuse : les artistes issus de familles jansénistes « apportèrent à l’exécution de leurs œuvres sacrées un respect émouvant » (La peinture française, 1946). Les dessins de Louis confirment cela et grâce à eux nous suivons l’artiste dans les lieux prestigieux qu’il a décorés.

    Au château de Versailles, il peignit la chapelle de la Vierge (1702-1709) : l’Annonciation, l’Assomption, les Vertus et les Litanies. L’étude d’ensemble des principales peintures est complétée par des études de détails, pratique de laquelle il ne se départit jamais : l’ange Gabriel, par exemple, est l’objet de plusieurs dessins. Le plus poussé est magnifique, tant du point de vue du drapé que de la lumière (illustration).

    Robert de Cotte lui commanda deux tableaux pour le chœur de Notre-Dame de Paris : la Présentation au temple, le Repos pendant la fuite en Egypte (cette dernière au musée d’Arras). Un remarquable dessin, un jeune homme tenant un encensoir, se rapporte au premier ; au second, un visage d’ange et un jeune homme tenant une corbeille : ce personnage n’est qu’à l’arrière-plan mais est l’objet d’une étude sérieuse.

    Louis de Boullogne avait déjà vu un de ses tableaux entrer à Notre-Dame (où des tableaux de son père l’avaient précédé) : la confrérie des Orfèvres l’avait choisi pour réaliser le May de 1685. On appelait ainsi le tableau qu’elle offrait chaque mois de mai à la cathédrale de Paris (coutume qui tombera en désuétude au début du XVIIIe siècle). On en voit l’esquisse, mise au carreau. Le tableau, le Christ et le centenier, est au musée des Beaux-Arts d’Arras.

    La vie de saint Augustin a été traitée deux fois par Louis. Les Augustins déchaussés (les « Petits-Pères ») lui commandèrent un Baptême et une Ordination pour leur réfectoire de la place des Victoires ; puis le peintre réalisa le décor de la chapelle des Invalides consacrée à ce Père. Parmi les dessins préparatoires, on remarque un jeune sous-diacre portant un livre : l’attention de l’artiste s’est portée sur la manche plissée.

    Grand peintre religieux, Louis de Boullogne a aussi peint des tableaux de chevalets, profanes. A Rambouillet, son frère et lui peignirent des dessus-de-porte, Louis deux scènes représentant Diane, à la chasse et au repos (1707, Beaux-Arts de Tours). Il se montre grand dessinateur de nu. Les deux suivantes endormies, celle qui s’essuie le pied, une femme allongée de dos… Le dessin est d’une grande rigueur.

    D’autres dessins, qui correspondent aussi à des peintures, annoncent le style galant qui se répandra dans le siècle  : Mars et Vénus (1712, musée de Berlin), les muses qui n’ont rien de mythologique mais mignonnes et gracieuses : Erato, Thalie, (1715, musée de Niort).

    Les dessins de Louis de Boullogne, pour la plupart, sont réalisés sur papier gris ou bleu, avec des rehauts blancs (gouache ou craie). Nous en avons cité quelques-uns, bien d’autres sont de qualité : études de mains, de pieds, de visages… La recherche de la forme est poussée, le trait est ferme. La recherche d’une correction extrême qui, parfois, ne va pas sans froideur. C’est le défaut d’une qualité.

    Samuel

    Louis de Boullogne, premier peintre du roi.

    Jusqu’au 6 juin 2011, musée du Louvre.

    illustration : Etude de détail pour l’ange Gabriel © RMN / Thierry Ollivier.


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  • Mauvaises ondes

    Bellanger sauvé par le capital

    La mobilisation pour maintenir le directeur de Skyrock à son poste a payé (voir Présent du 15 avril). Payé, c’est le mot : le Crédit Agricole a fait affaire avec Axa et Pierre Bellanger.

    L’annonce de la mise à l’écart du PDG historique de la radio avait vu s’allier les « jeunes » (auditeurs, rappeurs) et les « vieux » de l’UMPS (Lang, Hollande, Mitterrand, Boutin…). Et tous de chanter en chœur un hymne à la diversité culturelle. A ces savetiers, manquait un financier, ce sera Jean-Paul Chifflet. Le directeur du Crédit Agricole, « touché » et « impressionné » par le mouvement, s’engage « pour que Pierre Bellanger puisse continuer son œuvre » – une œuvre essentiellement démoralisatrice et anti-nationale. Il a également vanté les « valeurs » de cet homme, condamné l’an dernier pour corruption de mineurs.

    Quand un banquier parle de « valeurs », il sait de quoi il parle. La banque, dans un communiqué, a annoncé vouloir « préserver tout ce qui fait l’esprit de Skyrock » (à savoir la liberté d’expression et la musique urbaine, pas agricole), mais également « développer » le groupe. Le montage est le suivant. Le Crédit Agricole et Bellanger créent une société dont celui-ci sera majoritaire à 51 %, laquelle société contrôlera le groupe Skyrock à 60 %, tandis qu’Axa Private Equity gardera 40 %.

    Jack Lang avait dénoncé les capitalistes qui en voulaient à « l’identité » de la radio. Il suffisait de trouver de bons capitalistes. En réalité, l’identité de Skyrock est aussi profondément capitaliste en sous-main qu’elle est libertaire au micro. Le groupe a toujours été l’objet de montages capitalistiques complexes et Pierre Bellanger n’a eu qu’à s’en féliciter.

    Lorsqu’en 1999 il faillit être débarqué par Morgan Grenfell qui entrait au capital, ce fut le Conseil supérieur de l’Audiovisuel lui-même qui exigea des repreneurs le maintien de l’équipe de direction « et en particulier de son président ». Cette protection, une parmi toutes, révèle le caractère factice des crises qui ont de temps en temps opposé Skyrock au CSA sur des points de « morale », de même que cette affaire montre combien cette radio appartient au système politico-culturel, qui veille sur elle avec soin.

    Martin Schwa

    Article extrait de Présent n° 7338
    du Vendredi 29 avril 2011

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  • Au musée d’Orsay

    Manet, un maître à part

    Présent du 23 avril 2011

     

    Edouard Manet (1832-1883) est un peintre difficile. Le monde académique, la planète critique et l’univers confraternel des ateliers même n’ont pas toujours su le cerner. Tantôt on lui a donné la casquette de l’école réaliste, tantôt celle de l’impressionnisme. Casquette à carreaux, casquette à pont, même si Manet a groupé autour de lui à la fin des années 1860, au café Guerbois entre Clichy et Batignolles, Zola, Bracquemond, Bazille, Fantin, Renoir et Degas et d’autres, il a toujours refusé le couvre-chef.

    Comme il y a une littérature de lettré, sa peinture est celle d’un homme qui pense aux maîtres – Degas, avec qui il avait nombre de points communs sauf celui-là, le lui a reproché. Les chefs-d’œuvre du passé éclairent en partie les siens. Le monde académique ne sut pas reconnaître la part profondément traditionnelle de sa peinture, peut-être parce que le passé y était décanté, mais aussi parce que la peinture officielle, contrairement à ce qu’elle prétendait, était tout sauf traditionnelle : elle était routinière.

    L’histoire a minimisé la formation de Manet dans l’atelier de Thomas Couture. Qu’il ait passé six ans (1850-1856) chez un peintre académique, ne cadrait pas avec l’idée que le modernisme se fait de la carrière d’un « révolutionnaire ». L’académisme de Couture est d’ailleurs relatif. Le maître l’était en paroles, moins pinceau en main. Un portrait dans un musée lituanien, une femme en chemisier blanc, me l’avait laissé penser. J’ai retrouvé la façon franche de traiter le vêtement dans une esquisse de détail pour sa grande toile de l’Enrôlement des volontaires de 1792, un homme vu de dos, en fait juste une chemise blanche et une besace. Il y a de la décision là-dedans.

    Le musée d’Orsay rend à Couture ce que Manet lui doit. Une série de portraits, parmi lesquels Prince S.T. (1852), le plus réussi, explique ceux des débuts de Manet. Couture a tendance à perdre son modèle dans le modelé trop détaillé, Manet, tout en reprenant l’éclairage du visage et le fond neutre, donne au visage plus d’unité, par un modelé moins dispersé (Portrait d’homme, 1855-1856). Quelques années plus tard, deux portraits en pied, deux garçonnets (Le petit Lange et Le jeune garçon à l’épée, 1861-1862), constituent deux chefs-d’œuvre. La force concentrée de Manet lui permet de laisser inachevé son tableau : au petit Lange, il manque un bras, mais qui s’en apercevra ? L’inachèvement laisse voir sa manière d’ébaucher : des jus montés peu à peu jusqu’à l’opacité.

    Ces deux toiles se rattachent à l’art de Couture, ainsi qu’aux maîtres que Manet étudie attentivement, en particulier Velasquez. Il copie, à Florence, l’autoportrait du vieux Titien. Au Louvre, la Barque de Dante de Delacroix, lequel en ces années finit sa vie (1863), isolé, sans savoir qu’il est, pour la jeune génération, la référence.

    La carrière de Manet va connaître des refus au Salon, des acceptations qui feront bondir la critique. En 1863, Manet doit exposer Le déjeuner sur l’herbe au Salon des Refusés. Cette composition s’inspire du Concert pastoral alors attribué à Giorgione (désormais au Titien). La femme nue est son modèle Victorine Meurent, qui pose aussi pour Le Fifre, merveilleux tableau dans le prolongement des tableaux de garçonnets, refusé en 1866. C’est elle aussi, l’Olympia du tableau accepté au Salon de 1865, qui scandalisa la critique. Là encore, le sujet était nourri de références magistrales : La Vénus d’Urbin du Titien, que Manet avait copiée, la Maja desnuda de Goya. La sienne fut jugée fort indécente, quand on acceptait des indécences bien plus grandes ! La critique acceptait toute indécence du moment qu’elle fût peinte de façon académique. « L’indécence » du tableau de Manet réside dans le traitement du nu sans le réalisme abâtardi d’idéalisme, sans les lècheries de pinceau suggestives, sans le fondu douceâtre que l’académisme estimait essentiels à la représentation du nu féminin. Son Olympia est une forme picturale – une très belle étude à la sanguine le confirme – non un fantasme rendu vaporeusement acceptable.

    Au même Salon, Manet exposait un Christ insulté par les soldats. L’artiste montrait qu’il se conformait aux genres reconnus. Il a peint d’autres toiles religieuses : le Christ aux anges, un Moine en prières (où se devine Zurbaran). Des toiles fortes, mais le regard du Christ insulté n’est pas à la hauteur. On croit plus aux soldats. Que manque-t-il à cet art pour être vraiment religieux ?

    A la fin des années 1860, Manet se rapproche des impressionnistes. Ou ceux-ci se rapprochent de lui. Il a un train d’avance : il a déjà exposé, fait parler de lui. Certaines peintures prendront un « air » impressionniste. La Seine à Argenteuil (1874) a le ton local, mais deux figures sur la rive, même discrètes, dépassent le strict paysage. Ce sont aussi les figures de Sur la plage (1873), la femme concentrée dans la lecture, l’homme perdu dans ses pensées, qui donnent un sens autre que paysager au tableau. De ce Manet-là, les personnages intériorisés sur la plage ou ailleurs, en annoncent d’autres, ceux de Gauguin – « Degas, Manet, pour qui j’ai une admiration sans bornes », écrira-t-il de Tahiti au critique Fontainas en 1899.

    Parmi les impressionnistes, Berthe Morisot fut certainement la plus proche de Manet. Elle fut à partir de 1868 son modèle, et son élève. Elle est la femme assise dans la grande toile du Balcon, aux côtés de deux autres personnes (inspirée par une toile de Goya). Son beau visage est fermé, mais s’ouvre un brin dans le portrait « au bouquet de violettes ». Berthe fut-elle amoureuse de Manet ? A lire certains courriers adressés à sa mère, qui l’accompagnait dans les premiers temps qu’elle posait, on le pressent. Elle observe l’humeur de Manet, son travail, et ne cache pas son dépit lorsqu’une autre élève et modèle, Eva Gonzalès, débarque et approche trop près de « son » peintre. Manet avait épousé en 1863 Suzanne Leenhoff, le professeur de piano de ses frères, et Berthe Morisot épousera un de ceux-ci, Eugène Manet, en 1874.

    1874 est d’abord l’année du premier Salon impressionniste. Berthe y exposa, Manet non. La bande y vit, sinon une trahison, du moins la crainte d’un opportuniste encore attaché au système officiel. Théophile Gautier, dès 1845, avait dénoncé « ces lâches outrages » que le jury du sacro-saint Salon se permettait à l’égard des artistes qui ne répondaient pas à ses critères. Le jeu pervers de l’acceptation ou du refus des tableaux ne lui avait pas échappé (article du 11 mars 1845). Manet ne fera pas sienne cette analyse. Il croit à l’honnêteté intellectuelle du jury et pense inutile de chercher une reconnaissance autre qu’officielle, convaincu qu’un peintre doué doit finir par emporter le morceau. Il acceptait de soumettre ses toiles au jury. Naïveté éloignée de l’attitude d’un Cézanne qui, lui, présentait ses tableaux pour le « plaisir » de voir le jury se choquer (le plaisir de la démonstration).

    La palette de Manet continue de s’éclaircir, de s’alléger. La toile intitulée Au père Lathuille (1879) est fraîche, décidée, savamment construite. Attablés, un gandin se heurte à la moue d’une pimbêche, déconvenue qu’à l’arrière-plan un garçon, blanchi sous le plateau, constate, désabusé.

    A partir de 1875, les portraits, hélas, prennent une allure mondaine, comme celui du peintre Carolus-Duran, celui du journaliste et critique d’art Albert Wolff, à l’air satisfait (il « s’opposa à l’antisémitisme et aux peintres impressionnistes » dit, d’un ton d’épitaphe, Wikipedia), et encore ceux de son ami Antonin Proust. Mais le portrait de Clemenceau rattrape cette faiblesse. Campé comme une borne, le personnage ne passe pas inaperçu. Celui de Mallarmé est plus intimiste, l’homme est, comme Baudelaire du temps de leur jeunesse, l’autre poète lié au peintre par une belle amitié.

    Les natures mortes de Manet ont eu beaucoup de succès au XXe siècle. Elles ont parfois éclipsé d’autres tableaux. Manet en eût été surpris, car il respectait la hiérarchie des genres. Ses natures mortes sont d’une telle qualité qu’elles relativisent cette hiérarchie, voire la nient. L’asperge est connue, le citron aussi ; les poissons sur la nappe peuvent rebuter mais attardez-vous à la manière du peintre d’en rendre l’écaille et la forme, d’un pinceau courant, et ils seront un sujet pas moins acceptable qu’une coupe de fruits. L’attention aux choses, qui est le tout de la nature morte, ne surprend pas chez Manet. Il en a inclus dans plusieurs grands tableaux, les livres du portrait de Zola, le pique-nique du Déjeuner sur l’herbe, le bouquet d’Olympia.

    Samuel

    Manet, inventeur du Moderne. Jusqu’au 3 juillet 2011, musée d’Orsay.

    illustration: Le petit Lange. © Staatliche Kunsthalle Karlsruhe. Au père Lathuille. © Collection du Musée des Beaux-Arts de Tournai, Belgique. Berthe Morisot au bouquet de violettes. © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt


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  • Intégration : tout fonctionne

    Le Haut Conseil à l’intégration (HCI) a rendu public un rapport qui conclut à la bonne marche de l’intégration à la française. Le HCI contredit ainsi le président de la République, qui avait déclaré en novembre de l’année dernière : « Le système d’intégration français est en panne, tout le monde le voit bien. »

    Le rapport a été remis à François Fillon par Patrick Gaubert, président du HCI. Avant d’être à ce poste, Patrick Gaubert a été membre du cabinet de Charles Pasqua (chargé de la coordination de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie), président de la Licra. Et auparavant, docteur en chirurgie dentaire. Le Premier ministre pouvait donc le croire sur parole lorsqu’il lui a assuré que l’intégration à la française, « ça marche ».

    Portant sur les politiques d’intégration menées depuis 20 ans, le rapport a étudié les indicateurs tangibles que sont l’obtention de diplômes à la deuxième génération, la mobilité sociale, les mariages mixtes – le Français de souche qui se convertit pour épouser la beurette de son cœur est en effet en bonne voie de s’intégrer. La sécurité ne figure pas parmi les indicateurs tangibles. Patrick Weil, professeur d’université, est « d’accord avec ce constat », il juge que « l’intégration fonctionne mieux ici qu’ailleurs ». Quel est cet ailleurs, dans l’idée d’un spécialiste de l’immigration ? Lampedusa, peut-être.

    Tout ne va pas si bien, proteste France Terre d’Asile, organisation non gouvernementale dont la raison sociale dispense d’en dire plus sur ses activités. Elle trouve le rapport du HCI plein de « banalités » et d’« idées reçues » et dénonce une politique d’intégration défavorable et contraignante.

    Patrick Gaubert admet qu’« il y a des ratés », liés à une immigration mal maîtrisée (ah bon ?) et à une surconcentration des immigrés dans certaines régions, Paca, Rhônes-Alpes et Ile-de-France. Là où résident les immigrés, là s’installent les immigrés suivants, ces ghettos communautaires nuisent à l’intégration. Pour contrer cette fatalité, le HCI recommande l’application du principe de mixité sociale, une scie aux dents émoussées. Il propose aussi de lier l’obtention d’une carte de séjour au lieu de résidence. En s’installant dans une région autre qu’une des trois susdites, l’immigré obtiendrait plus rapidement un visa. Ainsi seraient diluées les concentrations de populations immigrées, si visibles, elles se distribueraient harmonieusement sur le territoire français. L’homogénéité hexagonale donnerait à la France une apparence lisse et honnête du meilleur effet. Et les trafiquants d’attestations de résidence s’en donneraient à cœur joie.

    L’intégration fonctionne, cela est corroboré par un recul des actes racistes et antisémites en 2010. Le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), présenté mardi, l’affirme après décompte. Il s’inquiète cependant de ce qui ne se décompte pas. « La tolérance recule, les sentiments xénophobes se diffusent (…) alors que perdure l’image de l’étranger parasite ». Les Français font même un lien entre immigration et insécurité. Dans de prochains rapports, le HCI, la CNCDH pourraient s’interroger sur la raison de ce lien ?

    MARTIN SCHWA

    Présent du n° 7330
    du Samedi 16 avril 2011


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  • Au musée d’Orsay

    Ballade préraphaélite

    Présent du 16 avril 2011

    En 1848, trois peintres anglais fondent la Confrérie préraphaélite : Millais, Hunt et Rossetti. Démarche proche de celle des Nazaréens allemands, il s’agit de se dégager de l’idéal raphaélesque, plus exactement de l’aspect conventionnel qu’il a pris dans la pratique académique victorienne. Un désir de primitivisme ? Ce désir, s’il exista, fut contrecarré par le recours au réel, judicieuse réponse à l’idéalisme qui devint, mal comprise, un réalisme stérile. L’influence de la photographie, récemment mise au point (1839), ne fut pas pour rien dans ce dévoiement. Les photographes furent, autour des préraphaélites, presque plus nombreux que les poètes et les écrivains.

    Leur influence est particulièrement forte sur les paysagistes. La photographie enregistrait les masses et, en y regardant de plus près, les détails aussi. Rien de tel en peinture, où les masses sont prépondérantes et où les détails sont suggérés ou sacrifiés. Fascinés par ce qui était propre au médium photographique, les peintres s’y laissèrent prendre. Ils détaillèrent à outrance. Ils confondirent l’attention à la nature avec sa reproduction serve.

    Théophile Gautier, dans son feuilleton concernant l’Exposition universelle de 1855, trouve du bon chez Millais et Hunt, et relève la faiblesse du concept. Il devine, dans une telle vision, la lentille plus que l’œil : « il arrive que les détails prennent cette importance exagérée que le microscope donne aux objets, et qu’un brin d’herbe attire autant l’œil qu’un arbre ».

    Ce défaut rédhibitoire est accentué par l’utilisation, toujours dans un souci de vérité, d’un ton local rapidement irréel à force de tourner au vert jaune, une teinte à vous dégoûter des légumes. La même teinte – on ne saurait parler d’harmonie – se retrouve dans les différentes toiles de John William Inchbold, et chez un autre peintre : Charles Allston Collins. D’Inchbold, il n’y a guère que Le manoir hanté qui se sauve par sa fraîcheur, ce tableau étant l’un des premiers : le détaillisme n’est pas encore principe, les teintes sont encore soumises à la pensée.

    Les photographes demandèrent à la peinture du pittoresque, mais cela était moins grave que la confusion des techniques. C’est donc à eux que l’on demandera de bons paysages. Jennings (La roche de Dargle, avec un peintre au travail), Sinclair (Givre dans un parc), White (Le pont de Lledr).

    Ils hésitèrent, pour ce qui est du portrait, entre la netteté et le flou. Les photographies de Lady Clementina Hawarden sont nettes et contrastées (Photographic Study, étude pour laquelle posa sa fille). David Wilkie Wynfield opta pour une mise au point plus diffuse. On lui doit de remarquables portraits, simples (le peintre Watts), ou costumés car les préraphaélites aimaient les mises en scènes littéraires : Hunt en costume Renaissance, Millais en Dante.

    Julia Margaret Cameron (née en 1815 à Calcutta, morte en 1879 à Ceylan) partagea sa vie entre l’Inde et l’Angleterre où, de 1863 à 1875, elle réalisa des portraits d’une force extraordinaire. Artistes et jeunes femmes de son entourage passent devant l’objectif, par lequel elle s’entend à donner aux volumes des visages une présence rare, non sans évanescence parfois (illustration). Elle aussi met en scène des textes de Shakespeare, de Milton, de Tennyson – son voisin sur l’île de Wight. Son portrait de celui-ci est à comparer avec celui qu’en donne Watts, tout comme celui de Iago pour lequel pose un modèle italien, lui aussi peint par Watts.

    Côté peinture, on admire également La robe de soie bleue, ambitieux tableau de Dante Gabriel Rossetti, pour lequel a posé Jane Morris. Le charisme du modèle n’est-il pas pour beaucoup dans la réussite de cette peinture ? Rossetti fit poser Jane Morris de 1865 à 1882 (date de sa mort à lui). Cela ne les empêcha pas d’être amants. Il la fit également poser pour des photographies, indiquant les poses et conduisant le travail de John Parsons, photographe. (Delacroix fit de même pour des études d’académie, en collaboration avec Eugène Durieu.) Cela donne treize photographies où elle pose dans le jardin de Rossetti, habillée d’une robe non corseté dessinée par elle-même. Avec une once d’étrangeté, un air lointain et farouche tout à fait captivants, sa beauté est solide, sans rien de ce que les muses préraphaélites peuvent avoir de caricaturalement chlorotique.

    La photographie préraphaélite, bien supérieure à la peinture ? John Ruskin, dont on voit une superbe étude de roches et de fougères, et qui s’était fait le chantre du mouvement, n’aurait pas aimé constater cela. Autre leçon de l’exposition, la prééminence de deux femmes. Un modèle, Jane Morris. Une photographe, Julia Margaret Cameron.

    Samuel

    Une ballade d’amour et de mort :

    Photographie préraphaélite en Grande-Bretagne, 1848-1875.

    Jusqu’au 29 mai 2011, musée d’Orsay.

     

    illustration : Julia Margaret Cameron, Maud, 1875 © Musée d'Orsay (dist. RMN) / Patrice Schmidt

     

     

     

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