• Un truc dans l’œil de la Joconde

    Inflammation médiatique : la Joconde serait un homme ! Un chercheur italien aurait trouvé, cachés dans les yeux, un L et un S, comme Leonardo et Salai – ce dernier, un de ses apprentis et amant. Une trouvaille réfutée par le Louvre, qui explique que les microscopiques craquelures de la couche picturale suffisent à expliquer cette lecture. Les désœuvrés chercheront-ils, dans ce regard, les alphabets latin, hébreux et runique, ad libitum ? En 1919, Marcel Duchamp avait affublé la Joconde des lettres L.H.O.O.Q. L’initiative était moins bête : elle avait la franchise inutile du dadaïsme.

    L’hypothèse que la Joconde soit un homme, présentée comme nouvelle par des médias incultes, est assez ancienne. Plus qu’incultes, les médias promeuvent surtout Giton et compagnie, voire la gender theory : quelle belle application culturelle du libre choix de l’identité sexuelle, vue comme une option elle aussi culturelle.

    Sans compter les innombrables délires ésotériques qu’éveille la Joconde dans les esprits brumeux, les suggestions d’identification du modèle s’accumulent : portrait de Salai ? autoportrait travesti ? portrait de la mère de l’artiste ou de Catherine Sforza ? Un chercheur analyse le portrait comme celui d’une indigne prostituée, un autre comme celui d’une respectable femme enceinte… Dans ce débat, qui accouche, sinon – d’idées peu viables – les cerveaux de tous les Dan Brown au petit pied ?

    Hypothèse audacieuse, hétérosexuelle : et si la Joconde était le portrait de Lisa del Giocondo ?

    Martin Schwa

    Présent du 11 février 2011


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  • À la Pinacothèque

    Écoles et tableaux

    Présent du 12 février 2011

    La Pinacothèque de Paris ouvre une page nouvelle de son existence, avec la constitution d’une collection permanente, clairement hétéroclite pour rompre avec ce que peut avoir de pesant la présentation muséale courante, encyclopédique. Nous reviendrons sur cette collection. Cette « naissance d’un musée » est parrainée par un choix tiré de deux collections, celles des Romanov et des Esterhazy, qui ont donné naissance, la première au musée de l’Ermitage, la seconde au musée des beaux-arts de Budapest. Ce qui suit n’est qu’un survol (1).

    Ecole du Nord (XVIIe). – Deux tableaux de Philips Wouverman (R) : L’assaut de la forteresse et Havre maritime, caractéristiques de sa manière, groupes de personnages qui s’inscrivent sans disparate dans le paysage, le tout traité avec des transitions qui ne tombent jamais à la mollesse. Les personnages se regardent aussi pour eux-mêmes. Wouverman était un timide qui se fit rouler par les marchands. De plus chargé de famille, il fut contraint de produire beaucoup, sans jamais négliger le faire.

    Un tout autre caractère, Jan Steen. Son père l’établit brasseur afin qu’il pût peindre sans considérations commerciales. C’était sans compter sur la faiblesse de Jan Steen, qui s’adonna à la boisson, fit faillite et s’établit cabaretier, pour mieux boire son fonds. Quand l’argent manquait, il peignait, vendait, et replongeait dans ses tonneaux. L’inspiration s’évente comme un fond de bière. Si Le contrat de mariage (R) est acceptable, Une joyeuse rigolade (E, une vingtaine d’années plus tard) se range dans ce que les scènes de genre nordiques présentent de plus bas.

    D’une tout autre qualité, Gabriel Metsu (Le malade et le médecin, et plus encore Le petit-déjeuner, R), Téniers le Jeune : son Chirurgien (E) mêle à la scène de genre les qualités d’une nature morte. On vérifie dans les détails ce qu’en dit Descamps : « Il saisissait les reflets si à propos, que les formes qu’il a voulu représenter se trouvent terminées avec quelques touches qui tiennent lieu de beaucoup d’ouvrage. »

    Avec un très beau portrait de jeune femme, Jan Mieuse Molanaer (E) nous met au défi d’échapper à un regard magnifique.

    Ecole italienne (XVIe, XVIIe). –Michele Desubleo, dit Fiammingo, était comme son nom l’indique originaire des Flandres. Il est italien d’adoption. De son David avec la tête de Goliath (E), on retient la tête de David : encore un regard remarquablement saisi, juvénile, qui n’a rien perdu d’innocence en tuant un méchant. Desubleo passa par l’atelier de Guido Reni, sans y attraper la froideur léchée qui émane d’une toile comme David et Abigaïl (E) – en exceptant la femme qui nous regarde, dans le coin à droite : un troisième regard…

    Remontons dans le temps : les peintres Marco Basaiti, Bernardino Luini, sont encore assez gothiques. Raphaël, né comme eux dans les années 1470-1480, l’est encore relativement au début du XVIe : la « Madone Esterhazy » est inachevée (les masses sont en place), ce qui lui donne une légèreté, à ajouter au fait qu’elle est encore une tempera sur bois. La sensibilité est retenue. Une Madone à l’Enfant (avec saint Joseph et saint Jean-Baptiste) de Giulio di Pietro di Simone (R) fait la transition avec le XVIe siècle avancé, où le Tintoret (Les Pèlerins d’Emmaüs, E), Véronèse (Autoportrait, R ; Christ en croix, E), le Titien (Christ Tout-puissant, R) représentent le triomphe d’une peinture consciente de son génie mais moins spirituelle.

    Ecole française (XVIIe, XVIIIe). – La collection Esterhazy fournit du La Hyre, du Champaigne ; et du Lorrain, une villa dans la campagne romaine, au premier plan un berger passe son troupeau à gué. Quelle science ! Rien d’appuyé, le classicisme n’est pas l’académisme, ce que confirme un Poussin : Vénus, faune et putti (R). Tel est le titre, énumératif à défaut d’identifier le sujet (lutte de l’amour sublime et de l’amour charnel ?). L’alliance entre un dessin rigoureux, mental, et une couleur chaude, charnelle, repousse loin la querelle ultérieure des poussinistes et des rubénistes. Seul Gauguin saura réaliser le même accord. Il donnera à ses vahinés la même qualité formelle que cette Vénus, nu magnifique.

    Au XVIIIe, Lancret et Pater (R) suivent Watteau. Ce n’est plus la tristesse de Watteau mais la tristesse de le voir suivi dans des parcs et des concerts où lui seul avait su pénétrer. Mais voilà une heureuse surprise : un jeune homme chapeauté, par Greuze (R, illustration). Un Greuze de la jeunesse (vers 1750), d’avant le mélo et l’inspiration moralo-libertine. Un portrait vivement brossé, aux ombres limpides ; un quatrième regard.

    Samuel

    (1) Commodément, nous ne séparerons pas les deux (R : Romanov ; E : Esterhazy).

    Les Esterhazy, princes collectionneurs. – Les Romanov, tsars collectionneurs.

    Jusqu’au 29 mai 2011, Pinacothèque de Paris

    Prolongation jusqu'au 15 septembre 2011

    illustration : Jean-Baptiste Greuze, Portrait de jeune homme au chapeau© Musée de l’Ermitage. Photo de Pavel Demidov. Exposition en association avec le musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg


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  • Au musée du Louvre

    Fantômes et rictus

    Présent du 5 février 2011

    Deux petites expositions, la première par la taille (une pièce de 30 m2, dans le département des Arts graphiques), la seconde par l’intérêt.

    Revenez-y

    La place des revenants dans l’image européenne est considérable. Enluminures ou films, le fantôme y est comme chez lui.

    Au Bas Moyen Age, la danse macabre rend populaire la figure du squelette plus ou moins décharné, les intestins à l’air. Finement travaillée et vigoureuse, une très belle gravure sur bois de 1493 illustre un poème de Hartmann Schedel, l’auteur des Chroniques de Nuremberg. La Mort est louée, qui allège nos fardeaux : « Sans toi et ton supplice, la vie serait une prison perpétuelle » (Te sine supplicium, vita est carcer perennis).

    Non moins populaire fut le Dit des trois morts et des trois vifs, dans lequel des cadavres apostrophent des jeunes gens comblés par la vie et les avertissent de la décomposition prochaine (dessin de Jacopo Bellini, XVe).

    Les lavis de Daniel Rabel, créateur des costumes du Ballet du château de Bicêtre, restituent la première et la seconde entrée « des Fantosmes » (illustration) – Bicêtre passait pour hanté. Le ballet mêlant le grotesque et le fabuleux fut donné au Louvre le 8 mars 1632. Corneille en avait écrit le prologue.

    Au XIXe, les revenants sont plutôt littéraires. Ingres illustre le songe d’Ossian, Girodet le songe d’Enée ; Delacroix, Hamlet.

    Les « plaques mécanisées pour un spectacle de fantasmagorie » sont des pièces très originales. Le principe remonte au dernier tiers du XVIIIe. Peintes en couleurs sur verre, les images étaient projetées par une lanterne magique et mises en scène avec sons, fumées… Celles-ci datent du début du XIXe et servaient comme récréation au séminaire de Dignes. Voici un magicien aux têtes changeantes ; un squelette dont un bras est articulé ; une tête ailée dont les ailes sont mobiles ; et ce qui paraît être les profils d’Henri IV et de Marie-Antoinette.

    A côté de ces plaques, les photographies spirites américaines (vers 1900) sont bien pâles. Elles utilisent diverses techniques de montage pour suggérer les visions du médium.

    Les passionnés liront la Dissertation sur les vampires, les revenants en corps, les excommuniés, les oupires ou vampires, les brucolaques, etc., écrite par Dom Augustin Calmet et parue en 1751. Les esprits forts reprochèrent l’ouvrage à ce bénédictin érudit, qui dans sa soif de tout expliquer n’avait pas jugé futile ce thème risqué. La dissertation forme un catalogue d’idées de scénarios, de l’enterrement vivant (cf. Edgar Poe) aux signes donnés post mortem (cf. Villiers de l’Isle-Adam), en passant par toutes les histoires de vampires moraves, hongrois et polonais, déclinés en innombrables Dracula par la postérité. « De ce que les morts reviennent quelquefois, il serait imprudent de conclure qu’ils reviennent toujours. » (Chapitre XXXIX.)

    Soupe à la grimace

    La courte carrière de F.X. Messerschmidt (1736-1783) étonne. Portraitiste viennois, il réalise des portraits officiels (l’impératrice Marie-Thérèse, bronze doré, 1760), des portraits privés. Les bustes sont marqués par l’esthétique néoclassique (cf. « L’Antiquité rêvée », Présent du 15 janvier).

    Les troubles psychiques qui se font jour dès les années 1770 nuisent à sa réputation. Les commanditaires se détournent. C’est alors qu’il commence les « têtes de caractères » (illustration). En 1774, il est écarté de l’Académie. Il quitte Vienne pour Munich, avant de s’installer à Presbourg. Il y vivote en continuant ses têtes métalliques.

    Ces têtes sont énigmatiques. Les titres de convention ont été donnés par un exposant qui en avait acquis un grand nombre auprès du frère de Messerschmidt, après la mort de celui-ci. L’homme au noble cœur, Un vieux soldat grincheux, L’homme renfrogné, Homme souffrant de constipation… Les traits outrés, grimaçants, n’évoquent rien de précis, en tout cas rien sur quoi l’on ait envie de s’attarder.

    Intérêt pour la physiognomonie, pour les recherches de Mesmer, esthétique à situer dans la veine sublime qui bouscule la théorie néoclassique d’un beau figé, voilà des explications avancées. D’autres plus obscures : le refus de la sexualité, que décèlent les psychanalystes ; la lutte de l’artiste contre les esprits qui, confia-t-il, lui tiraillaient le bas-ventre et les cuisses – à ces esprits on préfère les revenants, moins tordus.

    Peu importe, dirons-nous. Devant ces têtes convulsives, les titres n’étant pas authentiques, on joue à en trouver de nouveaux : celle-ci, c’est un « Homme devant une assiette de broccolis » ; celle-là, un « Célibataire essayant de plier un drap-housse » ; cette autre, « Jérôme Bourbon pensant à Marine Le Pen ».

    Samuel

    Revenants. Images, figures et récits du retour des morts. Jusqu’au 14 mars 2011.

    Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783). Jusqu’au 25 avril 2011.

    illustrations : Daniel Rabel, Première entrée des fantômes, quatre figures, 1632. © Louvre / RMN

    F.X. Messerschmidt, L’homme de mauvaise humeur © 2010 Musée du Louvre / Pierre Philibert


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  • Carrière des commissaires européens

    Lobbying et indemnités

    Le système des indemnités cumulables versées aux anciens commissaires européens est l’objet de critiques de la part d’eurodéputés de couleurs politiques diverses. Parmi ceux-ci, la conservatrice allemande Ingeborg Grässle est la moins satisfaite de l’état actuel des choses.

    Un commissaire européen en exercice touche au moins 20 000 euros par mois (on comprend leur attachement à cette monnaie), dont il perçoit, une fois son mandat terminé, de 40 à 65 % durant trois ans, cumulés avec son nouveau salaire. Cette indemnité est destinée à faciliter sa « réinsertion professionnelle » (cf. l’article d’Olivier Figueras, Présent du 28 nov. 2009), réinsertion qui ne doit pourtant pas s’accompagner des tracasseries que rencontre le citoyen lambda : propositions de stage ubuesque, petites annonces déprimantes, entretiens inutiles…

    L’ex-commissaire peut retrouver une responsabilité politique ou obtenir un poste dans le privé. L’Italien Franco Frattini est devenu ministre des Affaires étrangères, le Français Jacques Barrot membre du Conseil constitutionnel. Problème, relève Ingeborg Grässle, puisque, touchant des indemnités, ils sont « doublement payés par le contribuable ». Pour les employés du privé, le problème ne se pose pas en termes financiers mais éthiques : les anciens commissaires voient souvent stipulée dans leur contrat l’obligation de pratiquer le lobbying auprès de la Commission européenne. Sans remettre en cause leurs compétences, l’embauche n’a peut-être que cette raison. L’ancien commissaire en charge du Marché intérieur, Charlie McCreevy, est désormais administrateur chez Ryanair : il doit effectuer au moins deux visites par an à la Commission européenne – et pas pour prendre des nouvelles de la santé des uns et des autres, évidemment.

    Une réforme du « code de conduite » des commissaires européens sera discutée la semaine prochaine, mais le projet comporte encore trop de « zones d’ombre » aux yeux de Mme Grässle. Pour éviter tout soupçon de conflit d’intérêts, une interdiction de lobbying d’une durée de 18 mois est proposée ; mais la Commission ne propose pas de réforme du système d’indemnités transitoires, estimant n’en avoir pas le pouvoir. Une discrétion, une retenue, tout à son honneur.

    Martin Schwa

    Présent du 5 février 2011


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  • Des saucisses halal « frelatées »

    Scandale au rayon frais ! Le 14 janvier, un laboratoire nantais met en évidence, dans des saucisses de volaille de marque Knacki Herta certifiées halal, de l’ADN de porc. De l’ADN, pas de quoi tartiner, mais là n’est pas la question : le sujet est sensible. Nestlé, propriétaire de Herta, procède à une contre-expertise qui conclut à l’absence d’ADN. (Quel rebondissement ! On n’avait pas vu cela depuis l’affaire Drossard-Montand.) Malgré tout, le groupe suspend la fabrication des dites saucisses et les magasins Casino les retirent des rayons. Les consommateurs musulmans, largement dragués par ces grandes marques et par combien d’autres, avalent difficilement le chapelet.

    Le porte-parole de Nestlé-France reconnaît que le groupe « est pris dans un débat sur la certification halal » – il est surtout pris en flagrant délit de négligence, tout comme l’organisme certificateur, qui n’est autre que la Mosquée de Paris. Celle-ci se défend, on lui en veut, on jette le discrédit sur le halal. L’islamophobie rôde.

    En fait c’est le blog Al-Kanz, spécialisé dans la question, qui reproche à la mosquée de Paris et à Nestlé leur légèreté. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la Société française de contrôle de viande halal (SFCVH) laisse l’industriel faire sa petite cuisine, elle se contente de tamponner (et, ne l’oublions pas, de toucher une taxe, dix centimes d’euro par kilo à peu près). Que, par commodité agro-alimentaire, du porc se retrouve dans des produits halal, est plausible.

    Voici ce qu’écrit le rédacteur d’Al-Kanz : « La SFCVH-Mosquée de Paris ne salarie pas de contrôleurs et en laisse le soin à l’industriel, juge et partie. C’est précisément pour cette raison que Nestlé, comme Fleury Michon, comme Zakia Halal, etc., a choisi cet organisme de certification. Une certification sans contrôle c’est le rêve. » Cet incident sera-t-il le moyen de parvenir à une normalisation, d’obtenir une certification halal estampillée « République française » ? Craignons-le.

    Al-Kanz continue : « Précisons que ce qui arrive à Nestlé ne relève pas de la boulette. Le directeur France du Département ethnique a été maintes fois mis en garde. » Nestlé a donc un « Département ethnique » (le 9-3 ?), dont le directeur a été mis en garde – charitablement ? et par qui ? Jusqu’à présent, il n’en avait fait qu’à sa tête. Gageons qu’à l’avenir il sera plus à l’écoute de sa clientèle, et tout disposé à ne pas métisser la saucisse.

    Martin Schwa

    Présent du 4 février 2011


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