• Sculpture champenoise

    A Troyes

    Le Beau XVIe

    Présent du 5 septembre 09

    Une centaine de sculptures champenoises du seizième siècle occupe l’église Saint-Jean-au-Marché, à Troyes, rassemblées en une Sainte Conversation à laquelle nous pouvons assister, comme les petits commanditaires muets et agenouillés dans l’art ancien.

    Après un fécond treizième siècle, l’art champenois pâtit de la guerre de Cent ans puis de celle qui oppose Louis XI à Charles le Téméraire. Le retour de la paix provoque une reprise du négoce (Troyes est une étape sur la route des Flandres et de l’Italie), accompagnée d’une belle production artistique que la seule activité commerciale n’explique pas. Des artistes et des croyants sont nécessaires.

    Les statues de saints sont nombreuses, elles suivent l’iconographie traditionnelle. Toute une légende dorée en bois peint, parfois en pierre. Saint Eloi à la forge, saint Roch au bubon pestifère, saint Mammès et ses intestins qu’il retient de la main (on l’invoquait pour les maux de ventre et les grossesses difficiles), saint Juvin et ses cochons. Art accessible à tous par le costume, par l’outil, alliant souvent à la simplicité de moyens une grande rigueur plastique.

    Plus pittoresque, dans la veine populaire, un gigantesque saint Christophe porte le Christ sur ses épaules. C’est une sculpture d’origine flamande. Car Troyes voit passer les artistes flamands qui sont nombreux depuis longtemps à descendre vers Lyon, Avignon et Rome. On attribue à Nicolas Haslin le Flamand une Visitation proche par sa préciosité des sculptures de l’atelier local dit « de Saint-Léger ». Plus qu’un atelier, c’est une tendance : des saintes aux visages ronds et souriants, richement vêtues, parées telles les jeunes bourgeoises : saint Marguerite et son dragon, sainte Barbe et sa tour. Cette tour n’est pas moins bien traitée que la sainte. Les détails architecturaux, plus ou moins fantaisistes, abondent. Celle de Villeloup mêle gothique et Renaissance. Des Vierges à l’Enfant appartiennent au même courant précieux. Si séduisantes soient-elles, ces sculptures promènent l’œil de détail en détail : le personnage y disparaît.

    Aux aspects aimables de la piété s’ajoute la profondeur de la dévotion pour la Passion. Les œuvres sont fortes, nombreux Ecce homo et Christ aux liens. Celui de Saint-Nigier sort du lot, puissant sans être athlétique, tragique sans être abattu. Sa qualité émerveillait Emile Mâle.

    Le XVe siècle a Enguerrand de Quarton et sa Piéta de Villeneuve-lès-Avignon ; le XVIe, la Mise au tombeau de l’église de Chaource d’un maître anonyme qui est peut-être Jacques Bachot, documenté par les archives. Ici il est représenté par une très noble Piéta (illustration), où se retrouvent les caractéristiques de la Mise au tombeau, de la sainte Marthe (Troyes, église de la Madeleine), de la Déposition de Villeneuve-l’Archevêque (Yonne) : drapés francs, visages féminins d’une intensité supérieure ; une forme tendue, une extrême retenue du pathétique. Le Maître sera imité dans la région mais cette forme pleine d’intériorité ne sera jamais égalée. Son activité se situe entre 1510 et 1530, il n’est presque plus gothique et ignore l’art Renaissance qui commence à se répandre.

    En effet les artistes locaux partis travailler à Fontainebleau et sur les autres chantiers royaux, en rapportent l’art nouveau. Les bas-reliefs de Jacques Juliot, ouvragés dans l’albâtre (retable de la Passion, de la Vie de la Vierge), sont italianisants. On note certains personnages empruntés au Parmesan, certaines têtes d’empereurs romains. Les attitudes se veulent individualisées grâce à une gestuelle variée ; moyen superficiel, cela ne va pas sans donner une impression d’agitation.

    Le maître d’œuvre italien de François Ier, le Primatice, abbé comandataire de Saint-Martin de Troyes, obtient des chantiers dans la région. Son collaborateur Dominique Florentin (1501-1571), né en Toscane, s’installe à Troyes dans les années 1540 et s’y marie. Il introduit le maniérisme : une grâce affectée, un drapé crémeux, des corps élongés achevés par une petite tête inclinée. La donne change radicalement : Saint Joseph n’est plus un artisan du pays mais, costume et visage, un centurion. Les personnages de la Foi et de la Charité ne sont plus de gentes champenoises mais des dames romaines quelque peu lointaines. De telles figures devaient paraître étrangères au peuple.

    L’art suppose des choix : aussi le maniérisme, si dans l’air du temps soit-il, peut se refuser sciemment. Pierre Jacques, sculpteur rémois mort en 1596, fait le voyage à Rome. La BnF conserve l’album de dessins qu’il y fit, d’après l’antique (consultable sur <gallica.bnf.fr>). Son Christ en croix est austère et viril. Il n’a rien de maniériste, ni dans la pose ni dans la taille. Il rejoint la forte tradition champenoise.

    Samuel

    Le Beau XVIe, Chefs-d’œuvre de la Sculpture en Champagne.

    Jusqu’au 25 octobre 2009, église Saint-Jean-au-Marché, Troyes (Aube).

    illustration : Maître de Chaource, Piéta, Bayel (Aube) © Schwa Ltd


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