• Théophile Bra intra muros et in situ

    Théophile Bra intra muros & in situ

    L'exposition, au Musée de la Vie romantique (jusqu’au 10 juin), des dessins hallucinés de Théophile Bra est bancale, car le sculpteur est réduit aux images nées de ses délires. J’ai eu l’occasion de le regretter dans un compte-rendu (Présent du 17 mars dernier). Comme les regrets sont sources d’insomnie et que le sommeil est précieux, je suis parti à la recherche des œuvres de Th. Bra intra muros.

    La tâche n’est pas aisée. Les listes sont imparfaites, et même en les croisant (celle de M.-Cl. Sabouret donnée dans le dossier de presse et celle de Jacques de Caso dans l’édition de L’évangile rouge) on n’obtient pas l’exhaustif ; de plus on se heurte aux aléas du réel - telle sculpture déplacée, disparue, continue d’être mentionnée sans rectification-, à la difficulté de trouver où exactement se situe la sculpture qu’on cherche. Voici le résultat de ce jeu de piste que j’ai mené pour vous. (Je suis l’ordre chronologique.)

    1822. – Allégorie de l’Infanterie, pierre, Arc de triomphe de l’étoile (écoinçons de l’arc, petit côté, face à l’avenue de Wagram). (photos 4, 5 & 6)

    La Guerre et la Victoire,

    pierre, Palais du Louvre, cour carrée, œil-de-bœuf à l’angle nord-ouest. (photos 1, 2 & 3) Les œils-de-bœuf de cette partie n’ont été sculptées qu’au XIXe, par divers artistes. Tous s’inspirent des allégories sculptées par Jean Goujon dans la partie ancienne de la cour carrée, d’où ces plissés caractéristiques.

    1823. – Saint Pierre et saint Paul, église Saint-Louis en l’Isle, chœur. (photos 7, 8 & 9) On appréciera la prestance de saint Pierre et l’effet de masse du drapé, en particulier de dos et de côté par le déambulatoire.

    1826. – Buste du Dr Béclard, bronze, Père Lachaise, division 8. (photo 12)

    1831. – Buste de Benjamin Constant, bronze, Père Lachaise, division 29. (photo 11) Th. Bra a bien connu B. Constant ; le personnage, plein de morgue, n’est pas flatté. La même année, Th. Bra réalisa de lui une statue en pied (musée de la Chartreuse, Douai).

    1835 (?). – Monument au docteur Broussais, bronze signalé (par M. Cl. Sabouret) dans la chapelle de l’Hôpital du Val-de-Grâce. En réalité l’œuvre est située dans l’école du Val-de-Grâce et n’est pas accessible au public; le bronze est daté de 1840. On y retrouve l’aspect massif et vigoureux constaté dans le Saint-Pierre. (photo 14)

    1836. – Sainte Amélie, marbre, église La Madeleine, autel latéral est. éclairée de façon déplorable, en contre-plongée, elle prend un air fantomatique qui ne sied pas à une reine sainte. Que fabrique la fabrique ?

    1842. – Ange gardien, pierre, église La Madeleine, extrémité nord du péristyle ouest. (photos 10 & 13) Cette sculpture a un air gracile qui surprend de la part de Th. Bra.

    Revenons à L’évangile rouge. Intéressante est l’inquiétude – brièvement mentionnée – relative à la situation de l’art et de l’artiste dans la société du XIXe. Après avoir énuméré les causes qui allaient provoquer sa crise, sur lesquelles je ne reviens pas, il continue : «à cela venaient se joindre des dégoûts pour mon art dont je n’entrevoyais pas l’utilité présente ; en effet, de nos jours les beaux-arts ne sont plus guère que des professions industrielles où chacun espère trouver les occasions de faire fortune» (p.35) ; «je fus un moment de chercher une autre profession. Je venais d’achever des travaux presque nuls sous l’intérêt moral ; j’étais fatigué et me préparais cependant à entreprendre l’image du Christ ; et passant en revue les fonctions de l’art chez les différents peuples, […] j’en conclus défavorablement pour mon siècle ; là où l’art statuaire ne peut pas s’exercer dans la haute région du sentiment religieux, il ne peut y avoir ni grandeur ni valeur» (p. 43). Et de conclure : «je n’ai que faire à façonner des figures qui ne me vaudront du public que la plus froide indifférence.» (ibid.)

    Il s’agit là du premier indice d’un mal-être qui va se répandre et demeure jusqu’à aujourd’hui : nulle raison qu’il disparaisse tant que, sans statut social, l’artiste sent peser sur lui le sentiment de son inutilité. Henri Charlier, abordant la question dans Couperin, reproche aux Romantiques une complaisance pour leur mal-être et une vision erronée de la vocation artistique : «On s’est habitué de nos jours à considérer les dons artistiques comme tout à fait exceptionnels et le romantisme les a tenus comme une fatalité malheureuse s’abattant sur un pauvre homme.» (Chap. II) Il faudra un jour cesser d’accabler les Romantiques. Il est clair que leur malaise sur ce point précis de la position de l’artiste dans la société était légitime. Il était normal qu’ils en vinssent à considérer le talent comme une malédiction à partir du moment que ce talent était considéré comme asocial. C’est même plutôt sain, et signe qu’ils ne souhaitaient pas autre chose que leur inclusion dans la vie sociale. Plus malsaine est l’habitude acquise de considérer comme normale une situation fausse.

    Samuel

    Retrouvez toutes nos photos

    des oeuvres de Théophile Bra

    dans lovendrin n°17.


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