In memoriam Clotilde Devillers (1956-2008)
Présent du 10 janvier 09<o:p></o:p>
Le Barroux apparaît sur une pochade d’Yves Brayer (1). La reproduction est une vignette mais aisément reconnaissable est le village vu de la plaine, village où Clotilde Devillers a vécu et travaillé une quinzaine d’années, avant de s’installer à Caromb avec son mari Olivier Dupont. C’était un Barroux où les rues n’étaient identifiées par aucune plaque, où l’eau ne coulait pas aux fontaines, où la municipalité semblait incarnée par un unique cantonnier ; un Barroux où il n’y avait ni salon de thé ni supérette, juste l’épicerie de Paulette qui étiquetait malencontreusement le prix sur la date limite de consommation et dont le chat, « Jauni », cueillait d’une langue précieuse le sel du jambon disposé sur la trancheuse. C’est le Barroux que j’ai connu et auquel le souvenir de Clotilde Devillers est à jamais lié.<o:p></o:p>
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Alors qu’elle était étudiante aux Beaux Arts de Lille, elle assista à une conférence d’Albert Gérard donnée pour le MJCF. Elle connaissait déjà L’Art et la Pensée d’Henri Charlier – Clotilde se souvenait avec émotion de la lecture de ce formidable outil de stimulation intellectuelle, « chef-d’œuvre de l’esprit » disait Bernard Bouts – mais ne parvenait pas à concilier la profondeur de cet ouvrage avec l’enseignement qu’elle recevait aux Beaux Arts, avec l’inanité des travaux donnés et la philosophie de l’art sous-jacente. Elle prit des cours de dessin avec A. Gérard, et en 1980 ils fondèrent l’Atelier de la Sainte-Espérance qui ne tarda pas à déménager au Barroux avec membres et bagages, après que plusieurs séjours consacrés par Albert à peindre la fresque de la crypte de Sainte-Madeleine leur eurent révélé ces paysages picturaux que la fondation de Dom Gérard rendait encore plus attirants.<o:p></o:p>
Désormais la créativité de Clotilde Devillers devait se déployer dans le domaine de l’art religieux. Outre les nombreuses commandes d’ordre privé, les bannières peintes pour les chapitres des pèlerinages de Chartres, les dessins d’habits liturgiques (ensuite brodés par Sabine Delmaire) étaient plus que de simples commandes à ses yeux : l’expression de sa foi en la communion des saints, de sa fidélité à la messe traditionnelle pour laquelle les ornements ne pouvaient qu’être beaux. L’association de sauvegarde des oratoires fit appel à elle pour réhabiliter certains de ces petits monuments, afin que ces niches, témoignage de la piété populaire, l’équivalent des calvaires de l’Ouest, soient de nouveau habitées d’images. Sa participation en tant qu’illustratrice aux catéchismes et autres manuels conçus par l’association Transmettre à l’usage des familles confrontées à la pénurie de catéchistes relève du même engagement, engagement discret et pacifique de l’artiste dans son atelier.<o:p></o:p>
La présence sur le territoire communal des deux monastères bénédictins lui occasionna de plus importants travaux. (A titre anecdotique, je revois Clotilde rire – avec le bon sens familial – de ce que des Dan Brown locaux ou des gnosomanes croyaient avoir découvert : que l’Atelier de la Sainte-Espérance, Sainte-Madeleine et N.-D. de l’Annonciation étaient sur la carte les sommets d’un triangle isocèle, indice ésotérique évident.) Chez les Frères, Clotilde a décoré le cul-de-four de l’abbatiale et l’oratoire du Père Abbé. Elle a également peint dans l’aile de l’hôtellerie les Noces de Cana provençales dont les familles qui ont pris un goûter dans cette pièce se souviennent, ainsi que les retraitants qui y ont bu leur café après laudes (ill.2). Ces Noces de Cana sont une des plus belles peintures de Clotilde, pour la composition, les coloris, pour la justesse des attitudes et la joie fraîche qui en émane.<o:p></o:p>
Pour les Sœurs, elle a sculpté les chapiteaux du cloître sur le thème des Litanies de la Sainte Vierge. Ensemble conséquent (quatre-vingts chapiteaux), que les échéances de chantier ne lui permirent pas de mener avec toute la sérénité qu’un tel travail exigeait. Œuvres cloîtrées, mais nous sommes quelques uns à avoir pu admirer les jeux du soleil dans les reliefs de la pierre. L’édification de l’abbatiale a requis sa participation aux vitraux, au buffet de l’orgue… Ces travaux la montrent moins préoccupée par la forme que marquée par une recherche de l’à-plat par la ligne à la façon d’un Matisse. (Signalons que d’autres femmes-artistes ont travaillé au monastère de l’Annonciation : Isabelle Quilton pour un portail à tympan sculpté sis derrière la clôture, Marie-Agnès Mathieu pour la mosaïque au sol du sanctuaire.) La dernière œuvre importante de Clotilde, La Visitation (2008, ill. 3), composée de trois toiles peintes, a été réalisée pour un des parloirs du monastère. On constate une évolution par rapport aux Noces de Cana : plus de dépouillement, une place accordée à de grandes plages colorées.<o:p></o:p>
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Extérieurement adossée au rocher et à une autre maison grosse et carrée, la maison de Clotilde Devillers au Barroux était une modeste boîte verticale fermée par un versant de tuiles, devant laquelle elle soignait un citronnier en pot, surveillant la croissance « des citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide ». Intérieurement, la pièce du bas, dotée d’une puissante cheminée, pourvue d’un puits fermé par une trappe de pierre sur laquelle était gravé un verset de psaume, se prolongeait par une pièce troglodyte creusée dans la roche qui supporte la terrasse du château ; une échelle de meunier donnait accès à la pièce du haut. Habitat qui tenait de la grotte érémitique et du perchoir poétique. Ayant prêté à Clotilde Les Lettres à un jeune poète, je reçus en retour L’Art et la Grâce de Dom Clément Jacob, opuscule sur lequel elle écrivit : « On dirait le complément chrétien à Rilke. Qu’en penses-tu ? » Ce trait est caractéristique d’une femme qui ne perdait jamais de vue l’essentiel et y rapportait tout.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
(1) N°3206 du catalogue raisonné, cf. Présent du 27 décembre.<o:p></o:p>
Nombreuses photographies d'oeuvres de Cl. Devillers à cette adresse.
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