Maurice Denis,
un nabi mollet
Présent du 18/11/2006
Rapportant le célèbre précepte de Gauguin (l’arbre est vert ? mettez du vert), Maurice Denis le commente en ces termes : « Ainsi nous connûmes que toute œuvre d’art était une transposition, une caricature, l’équivalent passionné d’une sensation reçue. » Considérer comme caricatural ce qui pour Gauguin était essentiel indique que M. Denis, quoique bien intentionné, se méprit sur quelques points primordiaux de l’enseignement du maître. Autre méprise : il donne « l’émotion, la délectation » pour « l’objet essentiel de la peinture », faisant d’effets la fin ; sa sensibilité le portait à rechercher l’expression du sentiment, qu’il fût amoureux ou religieux. Les meilleurs patronages ne purent rien contre cette tendance : de même que, dans les contes de fées, celles-ci peuvent accorder des dons mais non changer du tout au tout la nature de l’enfançon, la nature propre du talent de M. Denis ne s’est pas accommodée des principes retrouvés dans d’épuisantes recherches par Gauguin et Van Gogh. Ni la virilité du trait de l’un, ni la mâle touche de l’autre n’ont été à sa portée. On peut le dire au vu de l’exposition du Musée d’Orsay, sa sensibilité apparaît plutôt féminine. Car le talent a un sexe indépendamment de l’artiste, pour preuve l’art autrement puissant de Suzanne Valadon ou de Mère Geneviève Gallois.<o:p></o:p>
Un sentimentalisme dénué d’ironie gâche les toiles datant de ses fiançailles, au sentimentalisme fleur bleue (La Princesse dans la tour, 1894) ; dans les toiles religieuses sa foi se traduit par la volonté d’exprimer l’impalpable, d’où des figures blanches et fantomatiques (Mystère catholique, 1889 ; Procession pascale, 1891) qui, pour s’appeler « figures d’âme » n’en manquent pas moins, d’âme : la forme incarnée disparaît au profit du halo lumineux. Le cerne qui entoure les plages colorées dans le tableau renforce l’imprécision car, dénué de tension, il amollit les figures, les arbres, etc. (photo). Or du flou et du mou on ne tire rien de spirituel ni de sacré. L’inutilisation du drapé est révélatrice de son incompréhension des moyens : on sait quelle possibilité d’expression spirituelle il a offert à l’art chrétien. Les rares fois où Maurice Denis s’en sert, il est désastreux de mollesse : la figure du Verger des Vierges sages (1893) est médiocre.<o:p></o:p>
Lorsqu’il imagine un « Laissez venir à moi les petits enfants » (1900) plus réaliste, il se perd dans un tableau descriptif où les intentions sont lourdes et dénuées de la fraîcheur qui conviendrait au sujet. Les grandes compositions décoratives ne convainquent guère plus lorsqu’elles se veulent « classiques », terme abusif car le classicisme est au contraire force et précision ; Gauguin, aussi loin du classicisme qu’il peut paraître à un regard rapide, en est, dans toutes ses audaces, très proche car toujours rigoureux formellement. L’ensemble de la décoration commandée par Ivan Morosov, L’histoire de Psyché (sept panneaux principaux) fait très daté. Une abondance de nus rose bonbon ne suffira jamais à exprimer la grâce ni l’amour. La bouffée d’air pur, dans la reconstitution présentée, vient des quatre statues de Maillol, autrement supérieures. Elles tombent à pic, en fin de visite, et rompent la monotonie d’une œuvre décevante de 1890 à la Guerre. Après 1914 et jusqu’à sa mort, Denis s’est consacré à la peinture murale, au vitrail, etc., dans le cadre des Ateliers d’Art sacré. Il a œuvré dans un certain nombre d’églises d’Ile-de-France qu’il faudrait visiter pour confirmer ou non le jugement sévère que je viens de porter.
Samuel
Maurice Denis, Musée d'Orsay, jusqu'au 21 janvier 2007
légende de la photo : Les Arbres verts, 1893, Musée d’Orsay