Au musée Jacquemart-André<o:p></o:p>
Fragonard
peintre d’histoires<o:p></o:p>
Présent du 10 novembre 07<o:p></o:p>
Jéroboam sacrifiant aux idoles permit à Fragonard (1732-1806) de remporter le Grand Prix de l’Académie en 1752, après quatre années d’apprentissage chez Chardin puis chez Boucher. Le talent du peintre est déjà défini : touche fluide, fonds pastels... et rien de religieux dans le traitement du sujet, l’intérêt dramatique est privilégié. <st1:personname productid="La Bible">La Bible</st1:personname> considérée comme réserve de sujets, Fragonard n’en a pas abusé, ayant rapidement quitté la carrière publique et ses thèmes prestigieux pour une activité axée sur les commandes privées. Il sera plus à l’aise, plus dans son élément, en s’intéressant aux histoires de la littérature profane.<o:p></o:p>
Marmontel (Annette et Lubin), Saint-Lambert (Sarah Th…), Mme de Genlis (Les Veillées du château, « cours de morale à l’usage des enfants »), auteurs contemporains de faible envergure inspirent à Fragonard des œuvres sans grande portée. Il n’y a guère, qui sortent du lot, que les dessins illustrant un conte du chevalier de Boufflers, <st1:personname productid="La Reine">La Reine</st1:personname> de Golconde, où sont racontées les amours du séducteur Saint-Phar et de la petite laitière Aline.<o:p></o:p>
Une laitière antérieure, Perrette, a inspiré au peintre un tableau fort célèbre, plus proche, par son interprétation, des Contes que des Fables. Ces Contes et Nouvelles de <st1:personname productid="La Fontaine">La Fontaine</st1:personname> sont des textes dignes du talent de Fragonard. Le mélange de licence et d’humour lui correspond. Le stade de l’illustration est dépassée : véritables accompagnements du texte, les dessins constituent une œuvre parallèle, la transcription plastique du texte.<o:p></o:p>
Cette capacité à s’approprier le récit éclate dans sa lecture des romans de chevalerie. Si une toile s’inspire du Tasse (Renaud entre dans la forêt enchantée, 1762), l’essentiel des dessins est tiré de l’Orlando furioso et Don Quichotte.<o:p></o:p>
Des seize premiers chants de l’Orlando furioso, ouvrage de l’Arioste (1474-1533), Fragonard ne sélectionne pas moins de 180 épisodes. Héros et héroïnes s’aiment, chrétiens et païens se battent, dans la parfaite invraisemblance du genre : il y a un hippogriffe, un bouclier magique, des monstres ; la fille de l’Empereur de Chine se prénomme Angélique et le chevalier sarrasin, Roger (invraisemblance… ou anticipation ? « Les prénoms ont été changés », comme dit la presse pour les faits divers sensibles). <o:p></o:p>
Accordé au rythme fougueux du récit, le trait tourbillonne. Les mésaventures d’Olympe, abandonnée par son amant, donnent des dessins extraordinaires de violence désespérée. Le trait ne se calme que dans les passages où l’amour est heureux (« Alcine rejoint Roger dans sa chambre »).<o:p></o:p>
Cette capacité d’adaptation du dessin au récit, non pas asservissement au littéral mais correspondance à l’esprit du texte se retrouve dans la trentaine de dessins de Don Quichotte. Le trait ne tourbillonne plus : il est sec, cruel comme les leçons qu’infligent la réalité au fou qui prétend, en dépit d’elle, vivre son destin de chevalier. Le ton comique du roman donne un graphisme étonnamment moderne, presque de bande dessinée.<o:p></o:p>
Aux chapitres V et VI, le curé Pedro Perez, le barbier Nicolas et la nièce de l’hidalgo décident de visiter la bibliothèque de celui-ci pour en retirer les néfastes récits de chevalerie qui ont obscurci sa raison (dessin n°65 du catalogue). A la discussion littéraire, puisqu’il faut établir quels livres seront brûlés, s’oppose la hâte de la nièce disposée à tout balancer au feu sans examen. Ce chapitre VI est un des plus drôles. Tandis que le curé et le barbier discutent chaque titre, on voit les bouquins condamnés passer par la fenêtre et s’empiler dans la basse-cour en attente de l’autodafé. <o:p></o:p>
Pour plus de sûreté, on s’avise de murer la bibliothèque (chapitre VII). Don Quichotte, perplexe, en cherche l’entrée. La gouvernante lui dit que le diable a emporté la pièce, la nièce que c’est le fait d’un enchanteur, ce que Don Quichotte croit plus volontiers. Le dessin de Fragonard (n°66) où l’on voit Don Quichotte palper le mur et se retourner perplexe vers sa nièce qui joue la comédie, tandis qu’un chien lui renifle les bas, est un grand moment, tout comme celui où il s’apprête à éprouver avec son épée la résistance de son casque, préalablement complété d’une pièce de carton (dessin n°63). Le casque n’ayant pas résisté à l’examen, il le renforça de bandes de fer « et, sans vouloir faire sur lui de nouvelles expériences, il le tint pour un casque à visière de la plus fine trempe. » (chap. I)<o:p></o:p>
Plus qu’un simple goût pour la littérature, Fragonard montre une profonde compréhension des textes. Il se les approprie, et de son imagination, non limitée mais décuplée, sort une deuxième œuvre, œuvre à part entière. Les portraits d’écrivains, de penseurs, dits « figures de fantaisie », sont un autre aspect de son intérêt, en tant que peintre, pour ceux dont le talent s’exprime par les mots.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Fragonard, les plaisirs d’un siècle,<o:p></o:p>
jusqu’au 13 janvier 2008, Musée Jacquemart-André<o:p></o:p>
Illustration : Roger aveugle l’orque, collection privée<o:p></o:p>