Hugues Rebell
Portraits décrivains
Maurice Barrès
Quand jai vu Nancy à lautomne, avec les jolies grilles dorées de la place Stanislas et les vastes frondaisons de son jardin, Nancy avec ses casernes et ses coquets musées, il ma semblé voir lâme de Barrès, fine, élégante, gracieuse, - ayant aussi ses profondeurs, ses orages.
On lappela fumiste, cest bientôt dit. Ce mot-là signifie : savoir sourire. Certes, il faut savoir sourire de beaucoup de choses, ou lon est un sot, il faut paraître sourire de beaucoup dautres ou lon est un maladroit. Mais on peut aimer et haïr et être un passionné entre quatre murs. Maurice Barrès est un écrivain ; il exprime les idées les plus délicates, les plus subtiles par des images justes et naturelles ; sa phrase est parée, chantante, mais dune coquetterie discrète, toute française et dancien régime. Il marche entouré des charmants fantômes quil a imaginés ou créés : Athéné, Bérénice, Claire, Marina.
Cest cette société sans doute qui le préserve, en ces contacts odieux auxquels loblige par ambition de tous les rôles et par dilettantisme, une âme plus vagabonde, capricieuse et énergique, sous des apparences de lassitude, que celle de lempereur Hadrien. Lorsque dans un journal, à côté de la prose dune Séverine, il nous donne quelques pensées sur lart ou la politique, je crois voir lun de ces croquis des grands artistes où le trait, encore que sommaire, est si juste quil recrée pour nous toute la réalité. De même, sil parle des réformes sociales auprès dun Thiviers ou dun Jaurès, il ne nous choque point. Pourtant lauteur socialiste ou anarchiste nous paraît pousser le dilettantisme trop loin. Le prince de Ligne coiffé dun bonnet phrygien ne nous étonnerait pas davantage. Maurice Barrès a plutôt lair dun grand dignitaire ecclésiastique du XVIIIe siècle que dun révolutionnaire. Georges Leconte disait : « Quand Barrès lève la main, je mattends à voir briller lanneau pastoral. »
René Boylesve
En cette époque dindifférence et de pose banale, comme je vais avec joie vers ceux qui subissent lenchantement de la vie. René Boylesve est lun de ces rares.
Felix qui potuit rerum cognoscere causas !
Heureux, dirais-je à mon tour, celui qui voit la beauté de tout ce qui lenvironne. Celui-là vraiment est un symboliste et un idéiste. LÂme de la nature ! lÂme des ruines ! LÂme de cette humanité fugitive au milieu de laquelle nous passons ! Avec elles sunissent ces grands hommes, nos saints à nous ! Chateaubriand, Byron, Vigny, Keats, Shelley. René Boylesve savance de même pour cette divine communion. Il nous dit la terreur et la joie que nous cause le spectacle de la montagne, comme aussi la volupté somptueuse et lorgueil de la Venise des Doges. à propos dun pastel de Point il recréera la grâce délicate et fine de la femme moderne, comme devant des statuettes de Tanagra il évoquera les joies des peuples morts. Mais passionné à la façon des antiques qui ne violèrent point la noblesse ni la simplicité naturelle, il ne gâte point ses sentiments par une expression exagérée et comme il ne sied point de livrer son âme aux marchands de ce siècle, il la pare et la déguise au besoin avec des ironies. Ainsi sexplique le beau sourire tranquille que je lui vois et qui me fait songer à certaines statues de Jean de Bologne. Ce sourire indique un esprit dominateur qui gouverne les mille impressions de la vie, soucieux avant tout de se créer une personnalité une et harmonieuse.
Maurice du Plessys
Les Anciens représentaient Minerve et les Muses souriantes. Nos modernes ne voient plus Erato que dans les cimetières, et pareille à lun de ces fantômes que se plaît à peindre Mme Jacquemin. Maurice du Plessys est allé trouver cette muse misérable, il la ramenée parmi les vivants, lui a rendu la joie, et peu à peu, en sa compagnie, ses joues se sont colorées et son corps a pris de nobles formes.
Les poèmes du Premier livre pastoral sont vraiment dune forte et belle venue. Parmi les poètes romans, Maurice du Plessys est le plus latin du groupe ; jentends par là quil possède, plus encore que le don rythmique, celui de lexpression énergique, de limage large et précise. Les mots qui, au XVIe siècle, avaient une signification déterminée, employés plus tard à contre-sens par de mauvais écrivains, nont plus aujourdhui quun sens fuyant, fort lâche, et cest pourquoi presque toute la poésie daujourdhui est si vague, consacrée uniquement à la sensation. Une poésie en effet ne peut penser, ne peut atteindre au lyrisme noble et au pathétique, sans la propriété des termes qui permet de renfermer beaucoup didées en une simple alliance de mots. Maurice du Plessys, surtout dans ses vers descriptifs comme ceux du commencement de lHymne à Hermès, me semble avoir complètement reconquis ce style plein et vigoureux qui donne tant de prix à luvre dun Malherbe. Ajoutons quil veut remettre en honneur le conte à la manière de La Fontaine où le lyrisme le plus familier succède au ton rieur et badin. Et cest bien là le désir dun vrai poète qui nenferme point la Muse dans lenclos des « symboles » mais la laisse rire et sébattre dans le monde entier.
Raymond de la Tailhède
M. Raymond de la Tailhède na encore publié que quelques poèmes, et cependant ils révèlent une âme si noble de poète et un art si parfait quon ne peut le placer quau premier rang. « Ils débordent de fiertés et dorgueils », disait déjà Jules Tellier de ses premiers essais. Le mouvement, lenthousiasme, laudace sûre de ses tours font de ses vers les plus magnifiques qui soient : Ronsard serait heureux de les consacrer de son nom. Notre seul regret est que M. de la Tailhède, avec un dédain bien compréhensible dailleurs, quand on songe au public prétendu lettré de ce temps, - se soit retiré dans son château de Marmande, écrivant pour lui seul, plus heureux de vivre avec les poètes de la Pléiade et son cher Cervantès quavec ses grossiers contemporains. La nature certainement est la meilleure inspiratrice, et nous ne pouvons blâmer cette hautaine solitude, mais nous serions heureux que le poète nous fît part plus souvent de ses uvres, et songeât quau milieu de la foule indifférente, il compte un petit groupe de sincères admirateurs.
Charles Maurras
Un critique qui est à la fois un artiste, un philosophe et un passionné, un écrivain qui ne prend point les autres pour sen faire un piédestal, mais pour leur en élever un ; un auteur qui aime lire, qui sait lire ; - nest-ce pas, dans la démocratie littéraire de ce temps, un homme vraiment rare et qui semble même unique ? - Je ne sais pas de prose plus légère, plus ailée que la sienne. Charles Maurras a la grâce, lironie discrète, lélégance et, - comme son maître Anatole France, - le goût qui ne force jamais le trait, et dit tout dun mot. Lisez ses contes philosophiques, ses études sur Anatole France, Jean Moréas. Cest la façon décrire, - encore que rajeunie avec un sens exquis du moderne, - du La Fontaine des Amours de Psyché, du Fontenelle du Dialogue des Morts. Qui me disait donc quil ny avait plus de tradition ? Les meilleurs et les plus originaux écrivains de cette époque sont justement des lecteurs assidus de nos classiques, sans que leur fidélité au passé les empêche dinnover, et mieux, plus sûrement que ces farouches destructeurs didoles, - toujours prêts à sattaquer à des dieux. Ce serait cependant calomnier Charles Maurras de dire quil appartient à cette époque dhommes médiocres ; il est au-dessus delle comme tous ceux dont la pensée demeurera. Pour moi, je le vois très bien dans cette académie platonicienne que fonda le grand Cosme de Médicis. Dailleurs sa physionomie ardente, mais belle de calme force, rappelle absolument certains portraits des Uffizi. Cest quaussi, au point de vue intellectuel, Charles Maurras est moins un Français de nos contemporains quun de ces nobles florentins du XVe siècle, épris de la pensée et de lart lumineux des Anciens.
Jean Moréas
Jean Moréas a renouvelé le chant pur des ancêtres ! Cest pourquoi je ladmire. Si quelques-uns, sous prétexte dindividualisme, renient toute la gloire du Passé et rejettent la lyre sainte que les anciens poètes se passaient de main en main, cest en vérité quils ne sont point de la famille. Ils peuvent aller chanter à lécart : Sophocle, Virgile, Racine ne veulent point deux. Il y a des gens qui prêtent à Jean Moréas de lorgueil, moi je dirais quil a de la piété. Condamner les uvres déjà très belles de ses débuts par amour dune beauté plus haute, voilà ce que ce poète a fait. Tandis que la plupart ont lair de chercher des trésors dans une chambre obscure, Jean Moréas sen va au soleil cueillir les fleurs des champs. Sa conception dun poème dont chaque vers nest pas seulement intéressant par lui-même, mais concourt à une harmonie densemble, il la réalisée dans son admirable Pèlerin passionné, fort et gracieux tour à tour comme le savent être les maîtres, plein dune inspiration noble et naturelle. Mais si Jean Moréas est fidèle aux anciens, cest quil ny a pas deux façons de concevoir lart ; il ne les imite point pour cela, il reste lui-même et, par les sentiments quil exprime, il est moderne et bien plus que tel ou tel charlatan qui prend un costume bariolé ou un masque effrayant pour attirer les foules.
Jules Renard
On se place au-dessus de son temps, quand on est capable den voir les ridicules et den percer lhypocrisie. Ainsi Jules Renard ne se mêle point à la foule des grotesques, gardant son poste dobservation, - au balcon, dirais-je. Il me semble que tout lartificiel des âmes modernes, que ce soit celle de lécornifleur, de Mme Vernetou ou du symboliste, a été surpris, fixé en des pages dironie par ce philosophe. Jules Renard dans les livres me donne une impression dhonnêteté. Tous ses petits chapitres sont composés et écrits. Il sait la valeur dune description, dun dialogue, dun mot. Son style est fait. Il ne cherche point à vous en faire accroire, il ne vous livre point de la besogne négligée, sous prétexte de vous fournir de la passion plus sincère. Cet ensemble de petits chapitres forme une très grande uvre. On est surpris en achevant la lecture dun de ses livres de voir le monstre qui se dresse devant nous. Cette logique dans la création et dans lexécution demeure le plus sûr moyen de nous émouvoir, le seul moyen littéraire en tout cas. Jules Renard est en effet un artiste. être artiste, ce nest point chevaucher des nuages, interpeller la foudre et crier aux étoiles, cest sintéresser à chaque chose de la vie, et la faire sienne, en y mettant son amour ou sa haine ou son mépris, cest la faire belle en la recomposant, non pour étonner et épouvanter les hommes, mais pour leur donner une noble jouissance.