Les ficelles de l'art contemporain
par Samuel
Après sêtre ouvertement décrit comme un art révolutionnaire, cest-à-dire un art de la table, mais rase, lart contemporain saccroche à lart du passé, par lentremise des conservateurs et commissaires qui, dune part, ont pris la manie de considérer tout artiste du passé comme révolté, et, dautre part, brouillent les pistes en présentant côte à côte les deux formes dart.
Les colonnes de Buren au Palais royal sont un exemple célèbre de ce parasitisme pandémique, qui consiste à contaminer un lieu de façon durable ou transitoire (lannée dernière, une monstruosité dacier anéantissait la façade de lhôtel Biron). Les musées sont touchés : à Orsay cela se nomme « correspondances ». Par exemple, actuellement, Bertrand Lavier, qui « recouvre des objets (voitures, armoires, réfrigérateurs) de larges aplats épais de peinture, laissant ces objets utilisables, uvres qui sont lobjet lui-même et limage de lobjet », est en correspondance avec La lecture de Manet.
Autre exemple, Anthony Caro, sculpteur anglais, sommité internationale spécialisée en poutrelles peintes, a eu une rétrospective sur le site antique des marchés de Trajan à Rome en 1992 ; et, lui aussi, sa correspondance avec Manet à Orsay en 2005.
Au Louvre, le mot choisi pour ce genre de manifestation est « contrepoint ». Cette année, jusquau 7 juillet, le plasticien belge Jan Fabre a carte blanche pour que sétablisse « un dialogue entre artistes du passé et artiste vivant ». Dun côté, donc, Van Eyck, Rubens, Rembrandt ; de lautre, Jan Fabre, réputé pour ses mises en scènes où sexe, excrément et violence se mêlent harmonieusement. Ici, entre autres, deux autoportraits sculptés de lartiste, lun, le nez collé, saignant, contre un tableau de Van der Weyden (« une sorte de purification ») ; lautre, sous les apparences dun ver de terre géant rampant parmi des pierres tombales en vrac (photo). Lartiste clame son admiration pour les maîtres des écoles du Nord, qui, suivant lui, lont influencé.
Cette affirmation est une ficelle, grosse mais solide, dont lutilité est dattraper le pigeon, qui, choqué par les uvres de Jan Fabre, le trouve respectable malgré tout puisquil aime comme lui les maîtres hollandais ou flamands ; et ses uvres gagnent en respectabilité aux yeux du pigeon. La présentation conjointe duvres du passé et dinstallations contemporaines a le même but : que le public croie à la continuité effective de la création. Cependant la différence de nature entre lart contemporain et lart traditionnel est telle que toute passerelle entre les deux nest quartificielle : lart traditionnel était contemplatif, lart contemporain est iconoclaste. Il brise limage pour quelle ne soit pas support de contemplation.
Lart traditionnel, contemplatif, menait tout naturellement à lart sacré. Lart contemporain sen prend, tout aussi naturellement, au christianisme. Quil traite les images chrétiennes par la dérision ou lagression, sa pente est au blasphème.
1 La Croix est la cible par excellence. Un exemple tout récent, la dernière couverture du magazine Mouvement, « lindisciplinaire des arts vivants » : un Mickey en croix, sur le thème : lart, cest sacré.Cette utilisation de Mickey est un blasphème, mais surtout un blasphème sans risque. En 2006, Claude Lévêque avait maladroitement associé un Mickey en néon à la phrase « Arbeit macht frei », référence à Auschwitz. uvre refusée par le Grand Palais, démêlés avec les associations de déportés Cl. Lévêque avait naïvement cru quil pouvait jouer avec le tabou suprême.
Sur la croix, ce Mickey est totalement inoffensif, car sen prendre au christianisme, cest sattaquer à une minorité sans défense et non à un tabou. Lattaquant, lui, tout révolté quil se présente, représente la morale officielle.2Quand ce nest pas la croix, ce sont les valeurs chrétiennes qui sont attaquées. Lexposition Présumés innocents sen prenait aux enfants
3 ; lexposition LInfamille (actuellement à Metz) sen prend à la famille avec les mêmes ingrédients sexe et mort. La cave installée par M. Fritzl (Amstetten, Autriche) à lusage de sa fille et de leur progéniture présente des similitudes troublantes avec les installations des expositions de ce genre. Ce point serait à creuser.Les artistes de LInfamille sont censés, ici encore, nous proposer « un regard à rebours des conventions sociales » alors que leur regard est à rebours des valeurs chrétiennes que rejettent les conventions sociales. Parmi celles-ci figurent lavortement, le divorce (pour rester dans la thématique des expositions susdites qui expriment justement uen haine à légard de la famille), auxquels sajoutera bientôt leuthanasie. Lartiste allemand Gregor Schneider est dans la note : il veut exposer un mourant dans un musée. Le projet semble loufoque mais Gregor Schneider nest pas nimporte qui : il a obtenu le Lion dOr de la Biennale de Venise en 2001. Il appartient au système et diffuse sa culture.
1 Cf. notre analyse « La vieille obsession », Lovendrin n°7, sept.-oct. 2005 ; « Racisme et blasphème autour de la Sainte Face », ibid., n°20, nov.-déc. 2007.
2
Lart contemporain, art officiel : « Un procès contemporain », Présent, 4 nov. 07.3
Lanalyse de lexposition (Bordeaux, 2000) : « Présumés hypocrites », Présent du 3 nov. 07.