Au musée de l’Ile-de-France
Les marbres de Letourneur
Présent du 22 août 09
René Letourneur (1898-1990), entré aux Beaux Arts de Paris en 1916, obtient le Prix de Rome en 1926. Il regarde de près, lors de son séjour italien, les marbres antiques et Renaissance, ceux de Michel-Ange surtout.
Les commandes publiques le sollicitent régulièrement tout au long de sa carrière : bas-reliefs et médaillons du théâtre Jean-Vilar de Suresnes (1934) ; monuments aux morts d’Alençon (une Victoire au sommet d’un glaive de dix mètres, 1953-1954) ; rondes bosses pour le pont du Pecq (La Seine, l’Oise, 1962-1964) ; et tant d’autres choses, à Lille, Lorient, Albi, etc., sur des façades, des places publiques, dans des écoles – ces dernières favorisées par le 1% institué en 1951 exclusivement pour les bâtiments de l’Education nationale.
A partir des années soixante-dix, l’Etat se détourne des Prix de Rome et s’ouvre à des artistes plus révolutionnaires – effet de Mai 68. L’extension, en 1978, du 1% à toutes les commandes publiques, le choix exclusif de plasticiens ont installé çà et là dans le paysage urbain des poutrelles tordues et des crottes bétonneuses, au détriment de cette figure humaine que R. Letourneur aimait tant, qu’il a toujours choisie pour répondre aux commandes, publiques comme privées : souvent des allégories, des hommes politiques parfois : le monument à Jaurès (Albi), l’exotique monument à Simon Bolivar (Quito, Equateur). Au total, peu d’art religieux, on compte un haut relief (Notre-Dame des Victoires, Lorient), un tympan (chapelle de l’hôpital d’Albi), une Vierge à l’Enfant, c’est à peu près tout.
Confronté à la rupture avant-gardiste, René Letourneur se replie dans son atelier de Fontenay-aux-Roses et se consacre au corps féminin, « bizarre et émouvant ». Cette sculpture sera pour l’essentiel celle du marbre, pratiquée en taille directe.
La taille directe ! Le XIXe l’a ignorée, l’artiste laissant à des praticiens le soin de tailler le caillou par la mise au point, c’est-à-dire par un acte purement mécanique, impersonnel. « La taille directe n’exclut pas de prendre des mesures, elle est contre la machine ou le compas reproduisant très exactement le modèle, écrivait Letourneur. Michel-Ange partait d’une modèle, très étudié, de 40 à 50 centimètres de hauteur, pour passer directement à l’exécution, quelle que soit la taille définitive. Cela a le double avantage de permettre le contrôle de son ensemble en faisant le modèle et de ne pas répéter son travail en l’exécutant. » (La Sculpture française contemporaine, 1944).
L’approche de R. Letourneur est semblable à celle des sculpteurs de sa génération, qui ont cherché l’accord du mur et de la statuaire, l’expression par la taille directe : Henri Bouchard, Carlo Sarrabezolles, Alfred Janniot, Raymond Delamare, artistes évoqués lors de conférences en mai dernier à Sceaux, auxquels il faut ajouter, puisqu’il est encore laissé à l’écart, Henri Charlier, ou Léon Séverac.
Si des traits Art Déco se devinent, la statuaire féminine de Letourneur est fortement marquée par celle de Maillol (1868-1944), poses, dessin des visages, rotondité de la forme. Cette rondeur n’est qu’apparente chez Maillol, dont les sculptures ne laissent rien à désirer quant au travail des plans ; chez Letourneur, les plans semblent moins rigoureusement définis. Ou est-ce ce fichu marbre qui noie le regard ? Ce marbre blanc, poli, repoli, est une aberration, puisque les plans s’éclairant les uns les autres par réverbération, la forme est absorbée dans une luminosité générale. Les bronzes et les pierres calcaires parlent de façon plus cohérente : la lumière, en grande partie absorbée, éclaire chaque plan avec l’intensité juste.
Letourneur aime que la figure garde la pesanteur de la pierre, l’aspect massif du bloc dont elle est issue. Certaines œuvres, plus que d’autres, conservent la forme du bloc : L’Aube et Le Crépuscule en sont un bon exemple (illustration), la pose étant à la fois conçue et ramassée. Il ne viendrait pas à l’esprit du sculpteur qu’une Idée gesticulât. L’œuvre de la maturité, Les Trois Figures (1974-1978), s’annonce elle aussi issue d’une masse : le sculpteur refuse la prouesse technique qui simulerait la juxtaposition de trois personnages, il extrait un groupe de sa gangue, sans trop le refouiller.
Les nus de Letourneur ne vont pas sans répétition. Est-ce poursuite d’une Idée fondamentale ou reprise d’une unique Idée faute de mieux, je ne sais. Ses dessins, brillants, séduisants, correspondent à sa sculpture, avec le même reproche. « Dessiner, c’est suggérer, c’est exprimer une forme par un trait qui contient le volume dans l’espace, dont l’expression s’avance ou fuit selon l’idée de la profondeur que l’on s’en fait. »
Samuel
L’atelier du sculpteur René Letourneur.
Jusqu’au 3 novembre 2009, Musée de l’Ile-de-France (Parc de Sceaux, 92).
illustration : R. Letourneur, Le Crépuscule (1949-1950), Parc de Sceaux © Schwa Ltd