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Lovendrin, l'actualité des expos parisiennes!

Métrique et Prosodie

La poésie est bien mal en point, depuis plus d’un demi-siècle. Non qu’on n’en veuille plus : on en veut, comme le montre le succès de quelques chanteurs français de variété, chez qui la poésie, fatiguée, semble être en villégiature. On trouve chez tel ou tel, des traits poétiques qui, sans atteindre des sommets, gardent une authenticité et un charme certains, lesquels charme et authenticité font cruellement défaut aux poètes professionnels, qui tournent à vide, ayant fait du contournement un maniérisme dont ils ne se dépêtrent point. René Char – tu aurais mieux fait de partir, René Char ! –, que son passé de résistant a élevé au rang de prince des poètes, reste le meilleur exemple d’obscurantisme :

pour l’abondance

de larme répandue

du haut

en bas

par le bas au plus haut trop grande foi

par jeu vie perdu

de soif

mourir par abondant défaut

Je m’égare : il me revient que, sous cette orthographe et disposition typographique contemporaine, se cache en fait un quatrain de Nostradamus :

Pour l’abondance de larme respandue,

Du haut en bas par le bas au plus haut :

Trop grande foy par ieu vie perdue,

De soif mourir par abondant defaut.

(Centurie VIII, C)

Nostradamus prophétisait en vers, nos poètes versifient des obscurités. La filiation s’établit aisément par les romantiques qui ont fait du poète un prophète (celui-ci parlait encore clair), et par Rimbaud qui en fit un voyant pas toujours lumineux ; Mallarmé accrût l’obscurité. Nous en sommes aux poseurs de devinettes sur la route de Thèbes.

Ne désespérons pas. Le xviiie eut aussi son désert. Sûrement qu’en ce moment deux trois poètes inconnus écrivent les vers qui nous réjouiront demain. Quant à la poésie, qui était ainsi vêtue du temps d’André Chénier :

L’amiante et la soie, en un tissu divin,

Répandaient autour d’elle une robe flottante

(Bucolique)

victime de la loi contre l’amiante et grande pudique, elle s’est retirée dans ses appartements. Quand reviendra-t-elle ? Dans quels atours de quel couturier ? Ce sera en tout cas une belle surprise. Alors rentreront dans le néant tous ces « poèmes » qui ne sont rien, suivant ce que disait déjà le bienheureux Raymond Lulle : «Les écrits inintelligibles sont comme s’ils n’avaient jamais été écrits.»1 

I.

Qu’on ne sache pas profiter de la poésie déjà chantée est autrement plus grave que cette éclipse. Quel massacre ! On ampute allègrement les vers de tel ou tel pied en ne tenant pas compte de la diérèse et du e muet, sans entendre que cela claudique. Vulcain dansant… Or la poésie est avant tout une question de rythme. D’après la définition donnée par Edgar Poe, elle est « une création de beauté par le rythme », définition générale, valable pour toute langue, précise et sûre, contrairement à tant d’autres qui se crurent obligées d’être nébuleuses parce que la poésie a quelque chose de céleste. Ce principe du rythme est la base de toute réflexion sur la poésie. Pour avoir méconnu ce principe (les traités de versification courants consacrent grosso modo un paragraphe à la prosodie et le reste du livre à répertorier les vers, les strophes et les licences – ce sont des catalogues et non des traités), nos Modernes ont appelé archaïsmes des procédés intimement liés à l’expression du rythme.

Le français, comme toute langue, a son rythme propre, qui naît de la succession de syllabes accentuées et non-accentuées (temps forts, temps faibles). L’accent tonique en français se pose sur la dernière syllabe prononcée du mot. Cette accentuation vient de l’évolution des mots latins, qui se répartissaient en trois catégories suivant leur accentuation,

1. mots oxytons : les mots d’une syllabe. L’accent reste sur cette unique syllabe en français. Ex : sal, sel.

2. mots paroxytons, accentués sur l’avant-dernière syllabe. La dernière syllabe a disparu et la syllabe accentuée est devenue finale. Ex : bonitate, bonté.

3. mots proparoxytons, accentués sur l’antépénultième. La réduction syllabique aboutit au placement final de la syllabe accentuée. Ex : opera, œuvre.

Cet accent tonique sur la dernière syllabe est la clé de la poésie française.

L’initiation à la poésie devrait passer par cette prise de conscience de l’accent tonique. Apprendre à « mettre le ton » est bien ; « entendre l’accent » devrait être enseigné dès que possible.

*

Cependant, dans un groupe de mot formant grammaticalement un tout, la tendance est d’accentuer le dernier mot du groupe, les accents des mots précédents disparaissant. Comparez : la maison est belle et la belle maison ! L’accent n’est donc pas fixe : la poésie va abondamment jouer de cette variabilité. Bien sûr, la suppression des accents ne peut se faire que si le nombre de syllabes concernées est restreint, car –on revient au principe – la phrase a besoin d’accents. Ainsi « belle » sera accentué si on ajoute une syllabe à ce même groupe nominal : la très belle maison ! Cette obligation d’avoir des accents nous permet de poser comme loi que quatre syllabes peuvent se contenter d’un seul accent final, alors que cinq et plus demandent un second accent intérieur, qui sera légèrement plus faible que le final. Le même phénomène se constate pour les mots de plus de quatre syllabes. Quelques exemples chez Chrétien de Troyes :

Felenessemant s’antr’espruevent

(Yvain, v. 835)

Par sa longueur, ce mot réclame un second accent : un accent intérieur, comme pour un groupe de mots. Le mécanisme est le même. Il semble qu’il puisse recevoir cet accent indifféremment sur la deuxième ou troisième syllabe (felenessemant ou felenessemant) ; cependant, si on replace le vers dans son contexte, la première solution est la bonne :

Et sor les piz, et sor les hanches,

essaient les espees blanches.

Felenessemant s’antr’espruevent.

Il semble que l’accent se porte sur le deuxième pied du vers par mimétisme avec le vers précédent, nous constaterons cette tendance dans d’autres cas. Dans la même œuvre on rencontre des mots de six syllabes :

Et vos m’an savrïez6
  mal gré

si vos recorrocerïez

et m’en remenacerïez. (vv.

1687-1688)

À l’époque de la Renaissance, on se méfie de ces mots ; l’exemple de quelques mots grecs et latins inutilisables en vers à cause de leur structure prosodique a pu influencer cette méfiance.

lisez l'intégralité de l'essai d'Amédée Schwa dans lovendrin n°14

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