Au musée du Louvre
Fantômes et rictus
Présent du 5 février 2011
Deux petites expositions, la première par la taille (une pièce de 30 m2, dans le département des Arts graphiques), la seconde par l’intérêt.
La place des revenants dans l’image européenne est considérable. Enluminures ou films, le fantôme y est comme chez lui.
Au Bas Moyen Age, la danse macabre rend populaire la figure du squelette plus ou moins décharné, les intestins à l’air. Finement travaillée et vigoureuse, une très belle gravure sur bois de 1493 illustre un poème de Hartmann Schedel, l’auteur des Chroniques de Nuremberg. La Mort est louée, qui allège nos fardeaux : « Sans toi et ton supplice, la vie serait une prison perpétuelle » (Te sine supplicium, vita est carcer perennis).
Non moins populaire fut le Dit des trois morts et des trois vifs, dans lequel des cadavres apostrophent des jeunes gens comblés par la vie et les avertissent de la décomposition prochaine (dessin de Jacopo Bellini, XVe).
Les lavis de Daniel Rabel, créateur des costumes du Ballet du château de Bicêtre, restituent la première et la seconde entrée « des Fantosmes » (illustration) – Bicêtre passait pour hanté. Le ballet mêlant le grotesque et le fabuleux fut donné au Louvre le 8 mars 1632. Corneille en avait écrit le prologue.
Au XIXe, les revenants sont plutôt littéraires. Ingres illustre le songe d’Ossian, Girodet le songe d’Enée ; Delacroix, Hamlet.
Les « plaques mécanisées pour un spectacle de fantasmagorie » sont des pièces très originales. Le principe remonte au dernier tiers du XVIIIe. Peintes en couleurs sur verre, les images étaient projetées par une lanterne magique et mises en scène avec sons, fumées… Celles-ci datent du début du XIXe et servaient comme récréation au séminaire de Dignes. Voici un magicien aux têtes changeantes ; un squelette dont un bras est articulé ; une tête ailée dont les ailes sont mobiles ; et ce qui paraît être les profils d’Henri IV et de Marie-Antoinette.
A côté de ces plaques, les photographies spirites américaines (vers 1900) sont bien pâles. Elles utilisent diverses techniques de montage pour suggérer les visions du médium.
Les passionnés liront la Dissertation sur les vampires, les revenants en corps, les excommuniés, les oupires ou vampires, les brucolaques, etc., écrite par Dom Augustin Calmet et parue en 1751. Les esprits forts reprochèrent l’ouvrage à ce bénédictin érudit, qui dans sa soif de tout expliquer n’avait pas jugé futile ce thème risqué. La dissertation forme un catalogue d’idées de scénarios, de l’enterrement vivant (cf. Edgar Poe) aux signes donnés post mortem (cf. Villiers de l’Isle-Adam), en passant par toutes les histoires de vampires moraves, hongrois et polonais, déclinés en innombrables Dracula par la postérité. « De ce que les morts reviennent quelquefois, il serait imprudent de conclure qu’ils reviennent toujours. » (Chapitre XXXIX.)
La courte carrière de F.X. Messerschmidt (1736-1783) étonne. Portraitiste viennois, il réalise des portraits officiels (l’impératrice Marie-Thérèse, bronze doré, 1760), des portraits privés. Les bustes sont marqués par l’esthétique néoclassique (cf. « L’Antiquité rêvée », Présent du 15 janvier).
Les troubles psychiques qui se font jour dès les années 1770 nuisent à sa réputation. Les commanditaires se détournent. C’est alors qu’il commence les « têtes de caractères » (illustration). En 1774, il est écarté de l’Académie. Il quitte Vienne pour Munich, avant de s’installer à Presbourg. Il y vivote en continuant ses têtes métalliques.
Ces têtes sont énigmatiques. Les titres de convention ont été donnés par un exposant qui en avait acquis un grand nombre auprès du frère de Messerschmidt, après la mort de celui-ci. L’homme au noble cœur, Un vieux soldat grincheux, L’homme renfrogné, Homme souffrant de constipation… Les traits outrés, grimaçants, n’évoquent rien de précis, en tout cas rien sur quoi l’on ait envie de s’attarder.
Intérêt pour la physiognomonie, pour les recherches de Mesmer, esthétique à situer dans la veine sublime qui bouscule la théorie néoclassique d’un beau figé, voilà des explications avancées. D’autres plus obscures : le refus de la sexualité, que décèlent les psychanalystes ; la lutte de l’artiste contre les esprits qui, confia-t-il, lui tiraillaient le bas-ventre et les cuisses – à ces esprits on préfère les revenants, moins tordus.
Peu importe, dirons-nous. Devant ces têtes convulsives, les titres n’étant pas authentiques, on joue à en trouver de nouveaux : celle-ci, c’est un « Homme devant une assiette de broccolis » ; celle-là, un « Célibataire essayant de plier un drap-housse » ; cette autre, « Jérôme Bourbon pensant à Marine Le Pen ».
Samuel
Revenants. Images, figures et récits du retour des morts. Jusqu’au 14 mars 2011.
Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783). Jusqu’au 25 avril 2011.
illustrations : Daniel Rabel, Première entrée des fantômes, quatre figures, 1632. © Louvre / RMN
F.X. Messerschmidt, L’homme de mauvaise humeur © 2010 Musée du Louvre / Pierre Philibert