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Lovendrin, l'actualité des expos parisiennes!

Venise

Au musée du Louvre

Beautés vénitiennes

Présent du 3 octobre 09

De passage à Venise en 1739, le Président de Brosses écrit à un ami : « Nous ne songeons jamais à déjeuner, Sainte-Palaye et moi, sans nous être au préalable mis quatre tableaux du Titien et deux plafonds de Paul Véronèse sur la conscience. Pour ceux du Tintoret, il ne faut pas songer à les épuiser : il fallait que cet homme-là eût una furia da diavolo. »

Les trois noms du XVIe siècle vénitien forment un beau podium qui ne s’est pas constitué sans rivalités. Quand Véronèse arrive à Venise en 1553, il a 25 ans. Face à lui, Titien, 63 ans, est le maître mais Tintoret, 35 ans, ne cache pas son ambition de le supplanter. Des commanditaires à foison, des commandes publiques soumises à concours : la concurrence est ouverte. Nul, pas même Titien, ne peut s’estimer définitivement au faîte de la gloire.

Chacun se présente avec sa formation et son style. Titien garde de Bellini et de Giorgione le goût des compositions lisibles, mais au fil des ans son art a gagné en nervosité. Tintoret est marqué par le maniérisme : des couleurs cassées par de noir et de blanc, des poses expressives voire outrées, une touche lâchée jusque – parfois – la veulerie. Véronèse est son contraire, décoratif, coloriste, toujours digne. Il acquiert du Titien l’abandon qui lui fait souvent défaut.

Titien, par son talent, est la référence. La barre est haute : le portrait de Paul III (1543, illustration), celui du doge Francesco Venier (1554-1556) ne sont pas flattés ; dépouillés de tout sentiment, ils sont l’image d’hommes en qui le pouvoir s’est incarné, les desséchant mais les haussant. Le coloris du camail papal est inquiétant mais son regard est direct. Le portrait de l’amiral Sebastiano Venier peint par Tintoret (1571) dérive du portrait du doge, mais il est plus convenu qu’observé : l’amiral pose en homme de guerre. Quand il peint les reflets sur l’armure, le Tintoret a l’intention de montrer la supériorité de la peinture sur la sculpture. Déterminer l’art le plus élevé est une question vaine, mais l’époque se la posait, par souci de hiérarchisation. A se demander quel art est le mieux à même de reproduire le réel, les artistes rabaissaient singulièrement l’art en général ; dans la pratique heureusement l’inspiration les menait beaucoup plus loin que la visée initiale. Les peintres déploient donc leur savoir-faire pour rendre les reflets sur le métal, sur le miroir, dans l’eau. Le Tintoret fait se refléter, avec les déformations voulues, une figure dans une armure ; Véronèse peint un magnifique Saint Menna en cuirasse aux vifs accents lumineux(1560). Quant au Titien, il n’a rien à prouver, ayant dès les années 1530 représenté Della Rovere dans une magnifique armure aux reflets blancs et verts.

Le miroir est féminin. Titien et Véronèse l’utilisent pour leurs Vénus respectives (1555), le Tintoret pour sa Suzanne (id., une composition trop compliquée). Le nu est leur domaine. La Danaé du Titien est accompagnée d’un Cupidon (version 1545), d’une maquerelle (version 1554). Il peint deux Tarquin et Lucrèce en 1570, la seconde plus dépouillée. Titien est un travailleur jamais satisfait. Tintoret, quand il reprend ces thèmes, ne lui arrive pas à la cheville. Les peintres sont nettement moins inspirés par les Patriciennes. Habillées, sans armure ni miroir, elles ont moins d’éclat. L’une avec son chasse-mouche (Titien, 1560), l’autre avec son mouchoir (Véronèse, 1570), elles sont plus mémères que muses.

La peinture religieuse révèle les mêmes qualités, trahit les mêmes défauts. Le Repas d’Emmaüs du Titien est dépouillé, baigné dans une paisible atmosphère (1534). A gauche, le jeune serviteur, le disciple et l’aubergiste forment un groupe remarquable, qui a plus de consistance que le Christ. Constat identique dans la toile de Véronèse, très mondaine (1555). Profanes jusqu’à la moelle, les Vénitiens peinent à exprimer la foi. Il faut l’humanité des personnages pour les mettre à l’aise. Bassano, Titien, Tintoret et Véronèse peignent chacun un Saint Jérôme pénitent entre 1560 et 1580. C’est une figure imposée, avec sa pose, ses accessoires, mais quelles conceptions différentes, du monde, de la peinture !

Plus que des rivalités, la concurrence a provoqué une émulation entre les artistes, dont le prestige social, au XVIe siècle, s’est singulièrement affermi – n’oublions pas qu’un jour Charles-Quint se baissa pour ramasser un pinceau du Titien. Les artistes se peignent eux-mêmes et s’entre-peignent. Les autoportraits du Tintoret, jeune (1546) puis vieux (1588), sont beaux mais le feu de l’œil jeune fait place à un étonnant regard vide. L’autoportrait de Titien en vieillard à la calotte est une merveille d’autorité et de noblesse (1562).

Samuel

Titien, Tintoret, Véronèse : Rivalités à Venise.

Jusqu’au 4 janvier 2010, Musée du Louvre.

illustration : Titien, Portrait de Paul III © Erich Lessing, Vienne

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