A titre récréatif, voici la présentation dun manuel scolaire davant toute réforme : Les élémens ou premières instructions de la jeunesse, par Etienne de Blégny, Expert Juré écrivain pour les Vérifications des écritures contestées (à Paris au Palais, Chez Guillaume Cavelier, dans la Grand-Salle, du côté de la cour des Aides, à lécu de France & à la Palme, M.DCC.XII.) La première édition date de 1691; Les éléments seront réédités en 1702, 1705 (portant par erreur la date de 1605), 1712 (lédition que nous avons sous les yeux), 1735, 1751 («revue, corrigée et considérablement augmentée»).
Lauteur est le frère de Nicolas de Blégny, beaucoup mieux connu: chirurgien ordinaire de la Reine en 1678, médecin ordinaire du Roi en 1687, on lui doit divers ouvrages comme Lart de guérir les maladies vénériennes, expliqué par les principes de la nature et de la mécanique (Paris, 1673), Histoire anatomique dun enfant qui a demeuré vingt-cinq ans dans le ventre de sa mère (Paris, 1679); il fut un pionnier en sintéressant aux propriétés curatives des boissons exotiques, doù cet ouvrage: Le bon usage de thé, du café et du chocolat, pour la préservation et la guérison des maladies (Lyon, 1687). Voyez la notice du Dictionnaire des sciences médicales, Panckoucke, Paris, 1820.
Mais revenons à louvrage détienne de Blégny. Après une épître dédicatoire aux pères de famille et un avis aux jeunes gens, cest la graphie qui est envisagée, avec cette partie intitulée La bonne métode décrire. Lauteur signale quil est nécessaire, pour cet apprentissage, davoir un maître habile, de bons modèles et «une heureuse disposition en la personne de celui qui apprend, ou à son défaut beaucoup dapplication, détude & dexercice.» La tenue de la plume est expliquée, ainsi que la manière de former et lier les lettres. Limportance de la qualité des fournitures est précisée: il faut bon papier, bonne plume, bonne encre. Celle-ci lest «lorsquelle a une noirceur belle & lustreuse, quelle est coulante, & quelle na ni graisse ni épaisseur.»
Il donne alors une recette de fabrication de lencre tout à fait typique des vieilles préparations quon trouve dans les manuels à lusage des peintres: complexité des opérations, durée des processus, produits semblant sortis dun livre de magie... Certains des termes employés appartiennent dailleurs autant au vocabulaire des alchimistes quà celui des artisans.
Manière de faire la bonne encre.
Elle se fait en mettant infuser une livre de bonnes noix de galle concassées dans quatre pintes de bière, de cidre ou de vin blanc, mesure de Paris, pendant deux ou trois jours ; & ce sur des cendres chaudes, les remuant deux ou trois fois chaque jour. Cela fait il faut passer au travers dun linge cette infusion, qui se doit trouver réduite environ à deux pintes & chopine, laquelle après être passée on remet ensuite dans le pot où elle était après lavoir lavé, avec six onces de gomme dArabie, cassée & réduite en poudre, une demi livre de couperose de Hongrie ; & une once de vitriol Romain, laissant fondre doucement le tout dans cette infusion, qui doit se remettre sur les cendres chaudes pendant vingt-quatre heures, durant lesquelles on doit souvent remuer la gomme avec un bâton, crainte quau lieu de se fondre & de se lier à leau de galle, elle ne sattache au fond du pot. Cela fait, lencre est achevée. Il est bon de la laisser reposer quelque temps avant de sen servir.
Ce secret de faire de bonne encre doit être plus avantageux aux personnes de la Campagne, quà celles de Paris, où lon en trouve aisément de bonne qui coûte peu davantage que le prix auquel elle revient en se faisant, & qui est dautant meilleure, que les Marchands qui en font débit en ont souvent de la nouvelle ; qui pour cela est toujours meilleure que celle quil y a longtemps qui est faite, quelque bonne façon quon lui ait donnée.
Eclaircissements: la noix de galle est le fruit de la galle du chêne; la gomme dArabie est notre gomme arabique (qui porte aujourdhui le nom moins poétique de E414 - cest un gélifiant et un épaississant); la couperose de Hongrie, ou vitriol de Hongrie, ou couperose bleue, est le sulfate de cuivre; le vitriol romain, ou couperose verte, est le sulfate de fer.
Les pages les plus belles forment un cahier à la suite de La bonne métode décrire : « Nouveaux exemplaires décriture dune beauté singulière écrits par Estienne de Blégny Me écrivain à Paris, Juré expert établi pour vérifier les écritures, et gravés par C. A. Beroy ». Leur maîtrise explique que ce cahier fut vendu parfois séparément du reste de louvrage. En pleine page se développent des paraphes habiles, au centre desquels un dessin à la plume, constitué lui aussi de paraphes, témoigne de la virtuosité et de linvention de lauteur. Ce sont des animaux, parfois tirés des fables (le Renard et le Bouc) ; des anges, une Vierge allaitant ; des thèmes héraldiques (aigle navré, aigle éployé) ; etc. Nous reproduisons lintégralité de ces figures calligraphiques.
Elles sont suivies de deux textes à recopier: Instructions morales dun Père à son Fils et Règles de la Civilité, savoureux manuel de savoir-vivre; nous ne résistons pas au plaisir de le transcrire in extenso (cf. infra, pp. 10-11). On quitte alors la graphie pour aborder lorthographe: Les règles de lortografe conformes au bon usage ; y sont expliquées lorthographe naturelle (ce qui sécrit comme cela se prononce) et lorthographe dusage, dont dépend la conjugaison, doù une partie Bescherelle; vient ensuite une liste dhomonymes («Manière décrire correctement divers mots qui aïans une même ou presque semblable expression, ont néanmoins une différente signification, qui se distingue par une différente orthographe.») suivie dun répertoire orthographique. En 1667, é. de Blégny avait déjà publié Lortografe françoise ou lunique métode contenant les règles quil est nécessaire de savoir pour écrire correctement.
Pas de grammaire, mais des modèles dactes et de courriers: Formulaire de petits Actes « qui se font ordinairement sous signatures privées, mis en ce Livre, non seulement pour aprendre à les écrire correctement, & se disposer à bien écrire ceux qui seront de plus longue suite, mais encore afin quen aïant apris la forme, on puisse sen servir au besoin »), et Petit essai de lettres convenables à de jeunes gens . « Les Lettres sont des Discours écrits qui senvoïent aux personnes absentes. [ ] Les Lettres sécrivent aux personnes auxquelles on doit le plus de respect ; & les Billets à ceux envers lesquels on croit pouvoir agir avec plus de familiarité, moins de cérémonie. »
Louvrage sachève par Laritmétique facile: les quatre opérations, avec mise en situation dans des exemples (principalement des conversions en sols, livres, deniers; en muids, setiers et boisseaux, etc.).
Retrouvez l'intégralité des dessins d'Etienne de Blégny dans lovendrin n°16.