Au musée Dapper
Esprits sculptés
Présent du 2 décembre 2006
En matière d’art africain, le musée Dapper est une élégante et honnête alternative à la montre idéologique du musée du Quai Branly. Cette maison discrète, « espace d’arts et de cultures pour l’Afrique, les Caraïbes et leurs diasporas », apporte un grand soin à ses expositions. Cependant, « Gabon, présence des esprits » se divise en deux parties bien distinctes qu’il eût été plus judicieux de distribuer autrement : les objets usuels, à l’étage, eussent été une bonne introduction, sur le mode familier, aux figures des reliquaires plus impressionnantes du rez-de-chaussée. La disposition retenue provoque dès l’abord une vive émotion, laquelle, grimpés les escaliers, fait place à une simple curiosité profane. Je propose donc au visiteur de traverser les premières pièces pour commencer par le premier étage. Là-haut, haches, couteaux, soufflets de forge, pipes, cloches, trompes, cuillers et chasse-mouches sont remarquables autant par les connaissances artisanales qu’ils requièrent que par la sculpture qui les orne. Ce sont de longs couteaux dont le pommeau est une tête ; des cuillers au manche décoré d’un nœud d’entrelacs, d’une figure assise, etc. Quelques masques aussi, durs, maussades : ceux des sociétés secrètes qui exerçaient la justice (parfois poussée, on peut le croire, jusqu’à l’exaction).<o:p></o:p>
Redescendons : d’un esprit tout autre sont les sculptures qui accompagnaient les reliquaires consacrés aux ancêtres. Il ne s’agit plus de justice, mais de ce qui serait, pour nous Occidentaux, la conjonction d’une piété filiale inconditionnelle et du culte des saints le plus entier, à des fins commémoratives et apotropaïques. Cinq ou six reliquaires sont présentés complets, la partie ornementale fichée dans une sorte de sac, de bourse, où étaient mêlés, de façon variable, terre, os d’ancêtres, dents d’animaux, monnaies, etc. Cet agrégat magique illustre à sa manière le retour à la poussière et la croyance en une autre vie.<o:p></o:p>
La majorité des pièces ont été séparées de la partie reliquaire et c’est en sculptures indépendantes qu’elles s’offrent à nous. Trois groupes se distinguent : les figures géométriques, déroutantes faces plates en forme de pelle ; les figures stylisées, très répétitives et ne se distinguant que par des variations dans l’ornementation du métal recouvrant une âme de bois ; les figures de l’ethnie Fang, en bois, avec lesquelles le mot sculpture prend tout son sens : l’éclairage discret, évoquant la pénombre d’une case, met en valeur sans brutalité le net emboîtement des volumes faciaux ou corporels, dont la force n’exclut pas la douceur. Ces rondes bosses appellent un regard circulaire : certains trois quarts et, plus encore, certains profils sont d’une majesté et d’une grâce que seul le grand art atteint (pièces 108a, b, et 119). Parler d’art primitif est déplacé ici, tout autant que parler d’art premier (les promoteurs de cette appellation ignorent, je pense, qu’Henri Pourrat la créa pour désigner les artisanats régionaux). La dénomination art nègre, longtemps employée, était encore la plus juste, tant elle correspondait à la spécificité de l’art d’Afrique noire ; mais sa caducité n’est pas niable et la Halde, qui veille sur nous comme une mère, n’hésiterait pas à émender les écrits de Césaire ou Senghor.<o:p></o:p>
Des masques de danseur de l’ethnie Punu, utilisés lors de cérémonies diverses, complètent cette belle galerie ; avec moins de présence que les figures de reliquaire, ces faces scarifiées, blanchies au kaolin, colorées çà et là de noir et de rouge, surmontées de belles masses coiffées, restent de grande qualité ; les profils, un fois de plus, attirent l’attention (n°32).<o:p></o:p>
Regrettables, en sortant, sont les œuvres de la Gabonaise Myriam Minhidou, qui « se livre à une interrogation quasi-obsessionnelle sur le corps fragmenté » et dont les sculptures « créent des univers de transgression ». Le musée Dapper sacrifie là au goût et au jargon du jour. On se sent infiniment moins proche de cet art moderne tout en fragmentation, obsession, rupture et autres illusoires « quêtes de la liberté » que de l’art africain traditionnel, accessible (malgré l’éloignement) par sa beauté et par la piété qu’il exprime.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Gabon, présence des esprits,
jusqu’au 22 juillet 2007, musée Dapper
illustration: Tête de reliquaire Fang, photo Hugues Dubois
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