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Lovendrin, l'actualité des expos parisiennes!

Le Nombre d'Or

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Il<o:p></o:p>

 y a la Règle d’Or ; l’histoire de Boucle d’Or ; L’Âne, roman d’Apulée, devenu L’Âne d’or parce que c’est un bon livre et qu’il a longtemps enrichi les libraires ; la Légende des Saints, devenu la Légende dorée pour les mêmes raisons. Et il y a le Nombre d’Or, parfois nommé Section dorée ou divine proportion.<o:p></o:p>

Le nombre d’or est ce rapport entre longueur a et largeur b tel que a/b = (a + b)/a, ce qui revient à a/b = (1+5)/2. Un rectangle construit sur ce nombre a les proportions que voici :<o:p></o:p>

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D’où est tiré ce rapport ? « Depuis l’Antiquité, on considère qu’un rectangle a des proportions parfaites si, lorsqu’on enlève un carré, le rectangle restant a les mêmes proportions que le rectangle initial. »[1] Comprenez que dans la figure ci-dessous, le petit rectangle C a les mêmes proportions que le grand rectangle A si on enlève à celui-ci le carré B. Les rectangles A et C sont construits sur le Nombre d’Or.<o:p></o:p>

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A<o:p></o:p>

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B<o:p></o:p>

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C<o:p></o:p>

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J’admets qu’il y a là quelque chose de satisfaisant du point de vue géométrique. La question est de savoir si on doit considérer ces proportions également satisfaisantes dans le domaine de l’esthétique. Certains historiens de l’art, certains architectes le pensent, qui ne jurent que par le nombre d’or et qui expliquent tout par lui : les pyramides égyptiennes, les temples grecs, les cathédrales médiévales… D’autres vous retrouvent le nombre d’or partout dans un tableau. Une abondante littérature existe en sa faveur, écrite par des gens persuadés que circule d’initiés en initiés ce secret de beauté<o:p></o:p>

Ce besoin de se référer et, plus, de se conformer à un nombre ne révèle-t-il pas une grande anxiété, la crainte de ne pas avoir dans son propre œil ou sa propre oreille l’outil apte à juger et estimer ? Outil que l’artiste forme avec le temps, à force de jauger d’un point de vue quantitatif, certes, mais surtout qualitatif. Or utiliser le nombre d’or, c’est passer d’une considération quantitative à une conclusion qualitative : il y a erreur d’aiguillage. Aulu-Gelle rapporte que Varron s’était astreint à placer une césure à tel endroit précis de ses vers, non pour une raison rythmique mais « pour une raison tirée de la géométrie »[2] (ratione quadam geometrica). C’est le même abus, appliqué  à la poésie.<o:p></o:p>

J’ai devant les yeux une étude intitulée Nombre d’or, nature et œuvre humaine[3]. Les exemples tirés de la nature (coquilles diverses, cœur de chardon…) sont parlants et la présence du nombre d’or y est indubitable. Cela n’a rien de surprenant, la rigueur géométrique de ces choses étant manifeste. L’analyse déraille lorsque l’auteur crée un squelette de cheval idéal au nombre d’or d’après des types de chevaux existants. Puis il s’intéresse aux visages, trouve du nombre d’or partout mais note que, tout de même,
son étude est « plus anthropométrique qu’ar- tistique » : il touche un point crucial mais n’y reviendra pas. En passant il se réjouit que Laetitia Casta soit, elle aussi, au nombre d’or ; du moins l’a-t-il lu dans le Figaro Magazine, qu’il qualifie de « revue sérieuse ». <o:p></o:p>

L’œuvre humaine, maintenant : méga- lithes, abbayes cisterciennes, rosace du xive, tout cela est beau et hautement spirituel parce que construit sur le nombre d’or. Un artiste a sa place ici, Rémi Damiens,  qu’on voit « à la recherche de formes avec son compas de proportion » car pour lui « la divine pro- portion n’est pas qu’un nombre, c’est une philosophie. » La sculpture donnée en exemple ne donne pas une haute idée de l’apport artistique du nombre d’or.<o:p></o:p>

Combien l’esprit dans lequel une œuvre a été conçue a plus d’importance ! Des œuvres de petite taille peuvent avoir un caractère monumental (ainsi en est-il de nombreuses statuettes égyptiennes), quand de gigan- tesques sculptures n’ont pas plus de présence qu’un petit caillou[4]. De plus, pour beaucoup d’œuvres sinon toutes, la taille de création est primordiale : Charles Cordier a modelé de très-estimables bustes grandeur nature qui ont été ensuite soumis au procédé de réduction, devenant des bibelots[5] ; les proportions pourtant étaient rigoureusement gardées, preuve qu’elles ne sont pas tout. <o:p></o:p>

En architecture, la référence à un module (ou pas) va de soi. Le module est la mesure de base qu’on retrouve dans tout l’édifice, multiplié ou divisé. L’architecture grecque prenait comme module le rayon de la colonne à sa partie inférieure. Ce module était multiplié pour déterminer la hauteur de la colonne et subdivisé pour déterminer « les hauteurs et les saillies de chaque moulure »[6]. L’utilisation du module est facteur d’unité, évidemment ; à ce titre, elle est fort estimable. Mais l’unité n’est pas tout, et des tas de choses sont belles sans être astreintes à un module. Un bâtiment peut être fort laid et construit sur un module : la récente église Notre-dame de l’Arche d’Alliance (Paris xve), est conçue sur un pas de x mètres. Cela ne l’empêche pas d’être déplorable du point de vue de l’architecture religieuse.<o:p></o:p>

S’agissant des églises médiévales, on a déterminé pour certaines sur quel module elles étaient basées : l’abbatiale de Saint-Denis est construite sur un module de 0,325m. Ce nombre n’a rien de magique, c’est le pied parisien.  Régine Pernoud, à qui j’emprunte ces précisions, note que les architectes médiévaux utilisent en général des proportions élémentaires de un à deux, un à trois, et que, si le nombre d’or « peut être retrouvé dans le plan de la cathédrale de Reims », les constructions géométriques restent simples et « n’ont rien à voir avec les systèmes numériques étouffants édifiés de nos jours par certains commentateurs. »[7]<o:p></o:p>

Les architectes médiévaux avaient en réalité un solide sens du concret. Ils ont toujours eut à cœur de bâtir à taille humaine. L’abbatiale de Fontfroide est une exception, qui écrase l’homme par des socles démesurément hauts. Henri Focillon fait cette remarque au sujet de la particularité de Fontfroide : « Ainsi, entre le pavement et les bases, s’établit une sorte de puissante zone abstraite, des socles nus qui semblent n’avoir pour fonction que de hausser tout le système, toute l’église dans les airs. »[8]<o:p></o:p>

Zone abstraite révélatrice d’un changement de mentalité : car pourquoi hausser l’église dans les airs ? « Voilà le malheur : cet art gothique qui veut monter, qui aspire à une légèreté quasi-aérienne, pourquoi veut-il s’élever autant puisque Dieu lui-même est présent sur l’autel ? », notait Henri Charlier[9], mettant le doigt sur ce qui distingue l’esprit roman de l’esprit gothique. À Saint-Pierre de Rome, l’aberration (l’oubli du module réel de tout bâtiment : l’être humain) deviendra système : basilique pour paroissiens cyclopéens, pour bigotes de concours.<o:p></o:p>

Robert Chalavoux nous apprend que Fontfroide est « un dosage de rectangles d’or et de rectangles dont les proportions longueur sur largeur = 1, 414 (qui est le rapport du côté d’un carré à sa diagonale) ». C’est beaucoup de précisions mathématiques pour une abbaye qui présente, on l’a vu, une dispro- portion flagrante, d’un effet malheureux. <o:p></o:p>

Faut-il rejeter toute théorie explicative de l’harmonieux par les mathématiques ? Poésie et raison sont souvent considérées comme antinomiques. Adolescent, celui qui aime la littérature est porté à mépriser les mathématiques ; ce fut mon cas, jusqu’à ce que, post baccam, dégagé des cours de maths, je m’aperçoive que cette matière me manquait. Art et raison ne s’opposent pas, mais la correspondance entre eux, si elle existe, il ne nous est point donné de la saisir. Peut-être nous apparaîtra-t-elle dans son évidence quand nous serons renseignés sur tout ou presque – autant que nous l’aurons mérité – ; la réalité terrestre est que l’artiste qui astreint son art aux mathématiques est ipso facto perdu. Albert Gleizes s’empêtra dans les spéculations géométriques : s’acharnant sur les concepts de translation (déplacement des plans), de rotation (inclinaison des plans autour d’un point focal), concepts intéressant l’ornemental plus que la peinture, il oublia que ce n’est pas la composition qui régit la forme, mais la forme qui ordonne la composition. Il passa à côté de ce qu’il cherchait et fut contraint d’intituler des toiles « support de méditation » ou « toile pour la contemplation » pour pallier le manque. L’illustration ci-après parle d’elle-même.

Notre auteur du Nombre d’or, nature et œuvre humaine finit par se poser cette question : « les cartes de crédit sont-elle au nombre d’or ? » Il fallait y penser. Sa réponse : « Presque, elles ont en trop 2/100e de leur largeur… mais à l’œil c’est acceptable. » Qu’une carte de crédit ait autant de spiritualité qu’une abbaye cistercienne, on ne s’y attendait pas. Le plus gênant est qu’il s’accommode de 2/100e de différence, tout comme il s’accommode (au début de l’ouvrage) d’un calcul approximatif du nombre d’or en comptant des enjambées. Face à la mystique pythagoricienne des sectateurs du nombre d’or, le bon sens est, comme souvent, efficace. Le rapport (1+5)/2 donne un nombre approchant 1,618. Ce n’est pas un nombre entier. Autant le mathématicien peut le manier sans difficulté sous sa forme (1+5)/2, autant l’architecte dans ses plans, et encore plus le tailleur de pierre et le maçon sur le chantier, doivent utiliser un nombre rond (à 10-3). Concrètement ne peut être utilisé qu’un nombre approché : on conçoit ce qu’un « nombre d’or imparfait » a d’absurde.<o:p></o:p>

Samuel<o:p></o:p>



[1] Lucien Chambadal, Calcul pratique, Paris, 1983, p.188.<o:p></o:p>

[2] Nuits attiques, xviii, 15.<o:p></o:p>

[3] Par Robert Chalavoux, Marseille, 2001.<o:p></o:p>

[4] Voyez le Mont Rushmore où sont sculptées les visages de quatre présidents américains, de dix-huit mètres de haut.<o:p></o:p>

[5] À des fins commerciales. Le bourgeois xixe aimait les petits machins tirés en série : il en tirait une satisfaction mécénale à peu de frais. L’art de Carpeaux ne s’en releva pas.<o:p></o:p>

[6] Nouveau manuel d’architecture, par Toussaint de Sens, Encyclopédie Roret, 1857, tome 1, pp. 6-7.<o:p></o:p>

[7] Régine Pernoud, « Comment on construisait une église », in Histoire générale des églises de France, ouvrage collectif, Robert Laffont, 1966, p. 159.<o:p></o:p>

[8] Art d’Occident, Paris, 1938, livre ii, chap. i : « Le premier art gothique », section iii.<o:p></o:p>

[9] « Théologie d’une église romane », in Racines n°3, p. 92, juillet 1994. <o:p></o:p>


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