[...] Quel sens donner à cette série de modillons ? À certains dentre eux pourraient correspondre des péchés : le chien se grattant, la paresse ; la grenouille, la luxure ; lhomme à barbe bifide, le mensonge ; lhomme qui mange, la gourmandise ; lhomme précipité la tête en bas, lorgueil ; la tête 7, lenvie ; le dragon, la colère. Ce nest pas la liste des péchés capitaux : le mensonge nen fait pas partie, il y manque lavarice. Les modillons 1, 8, 10, sont, à mon avis, purement décoratifs ; lénigme du n°3 nest pas résolu.
Relisant la vie de saint Pierre dans la Légende dorée, je maperçois que les chapiteaux 4 à 7 conviennent à différents épisodes de lhistoire. Simon le Magicien, dans sa volonté de nuire à saint Pierre et de la faire condamner, faisait sa cour à Néron. « Et un jour quil était près de Néron, ainsi que le raconte le pape Léon, sa figure changeait subitement daspect, de sorte quil avait lair tantôt dun vieillard, et tantôt dun jeune homme. Ce que voyant, Néron crut quil était le fils de Dieu. » Les modillons 5 et 7 illustreraient cela, avec, à chaque fois, lindication qui dénonce le mal : la barbe bifide, signale le mensonge (saint Pierre traite Simon de menteur à une autre occasion) ; le port de tête tors et le regard malsain indiquent la perversité.
Le modillon 6 raconterait la mort de Simon le Magicien : il se mit à voler, mais saint Pierre commanda aux anges de Satan de le lâcher : « Et aussitôt Simon tomba, et, sétant fracassé la tête, il expira.»
La grenouille du modillon 4 ferait allusion à la folie qui sempara de Néron après quil eut fait exécuter saint Pierre et saint Paul : comme il voulait concevoir un enfant et éprouver les douleurs de lenfantement, ses médecins lui firent avaler une grenouille sans quil le sût, grenouille qui crût dans son ventre et quil finit par vomir, croyant accoucher. Les quatre modillons centraux raconteraient donc la déconfiture des ennemis de saint Pierre.
On maccordera que cette interprétation est fort ingénieuse ; mais je ny crois pas
moi-même. Une fois lidée venue, il est facile de faire dire beaucoup à ces sculptures, beaucoup plus ou « beaucoup autre » que ce quelles signifient. La lecture hermétique en est la preuve extrême.
Nous touchons là à la question de linterprétation. La lecture symbolique des sculptures romanes va de soi pour beaucoup de gens. Les favorables au « tout a un sens » se réclament ordinairement dÉmile Mâle, plus par ouï-dire que par lecture : car Émile Mâle lui-même, dans son prodigieux travail de lecture et dinterprétation des uvres médiévales, a posé les limites que le bon sens et lanalyse définissent : certaines sculptures ne sont quornementales (sinon saint Bernard les eût-il blâmées?) : « il est devenu évident que les monstres des chapiteaux, - à quelques exceptions près,- nont aucun sens. Ils nétaient pas destinés à instruire, mais à plaire. » De même, si les artistes ont parfois donné un sens symbolique à la flore ou à la faune, ils les ont aussi regardées pour leur intérêt plastique. [...]
L'intégralité de cet article de Samuel dans lovendrin n°8.