• Caricatures

    Au musée Louis Senlecq

    Lithos moqueuses

    Présent du 2 juillet 2011

    Daumier, Gavarni, Rops, ce trio méritait d’être réuni. Ils le sont à L’Isle-Adam, non loin de Valmondois où Daumier a terminé sa vie. Gavarni (1804-1866) et Daumier (1808-1879) sont de la même génération, Rops est de la suivante (1833-1898) : quand il naît ses aînés sont en plein coup de feu contre Louis-Philippe.

    Ils n’ont pas été « politiques » dès le début. Gavarni est entré à La Mode, Daumier à La Silhouette, journal culturel ; mais La Mode, après s’être occupée de tournures vestimentaires, prit une tournure nettement politique et La Silhouette devint d’opposition. Daumier et Gavarni devinrent confrères à La Caricature, premier titre de la presse satirique. La censure, active à partir de 1835, les détourne de la politique et les oriente vers l’étude de mœurs. Les mœurs sont-elles apolitiques ? L’effet d’une censure établie, officielle, est d’affiner l’expression de ceux qu’elle veut brider. Elle les contraint à formuler leurs idées plus finement : ce sera vrai pour les légendes des lithographies, encore plus pour les dessins : dans une trogne, un habit, une silhouette, l’abonné lira une intention. (Là est la faiblesse de la censure. L’auto-censure, relisons Jules Monnerot, est bien plus efficace et se trahit par les facilités d’un langage avili.)

    Les bourgeois ont été la cible préférée des caricaturistes. Il serait outré d’y voir du marxisme. Ils ne sont pas opposés aux ouvriers mais aux artistes, plus pour incompatibilité d’humeurs que par rivalité de classe. La lutte est plus morale, intellectuelle, que sociale : « Le bourgeois est celui qui ne pense pas », dira Léon Bloy. L’artiste s’oppose au bourgeois – le poète à l’épicier, chez Balzac, à « Monsieur Prudhomme » dans un sonnet de Verlaine. Un diptyque de Gavarni exprime l’opposition. Un bourgeois type, légende : « Ne lui parlez pas des artistes » ; un artiste type, légende : « Ne lui parlez par des bourgeois ! » Daumier écoute les bourgeois attablés à la buvette du Salon (1864) : « Et toi, qu’est-ce que tu trouves de meilleur au Salon cette année ? –– La bière. » Les caricaturistes n’épargnent pas plus les artistes, dont ils sont. Leurs enthousiasmes factices ou démesurés, leurs vies moutonnières et caféistes offrent autant de prises à la dérision que les existences bourgeoises.

    Entre l’artiste et le bourgeois passe la femme entretenue qu’on désigne d’après le quartier de Notre-Dame de Lorette, qu’elles habitèrent nombreuses. La Lorette fait payer le bourgeois et, peu soucieuse des contraintes sociales, se lie avec l’artiste et l’étudiant, deux milieux irréguliers.

    Le grand talent de Daumier, de Gavarni est d’individualiser chaque personnage tout en en faisant un « type » identifiable. Il est vrai que l’habillement était socialement différencié au XIXe siècle, l’uniformisation vestimentaire que nous connaissons change la donne.

    L’étude des mœurs conjugales renouvelle de vieux écrits comme les Quinze Joies du mariage (XVe siècle). Quatre siècles plus tard, l’homme est toujours l’inférieur, le malmené, mais parfois il le cherche. L’épouse menace d’une chaise un époux grêle (illustration) : « Ah tu dis que tu passes la nuit à ton Bureau ! et tu vas à Musard, avec des Gourgandines !… » (Musard : un bal célèbre.) Gavarni, dans une planche de l’album Politique de femmes, montre la femme étranglant le mari dont la poche du manteau ne dissimule par une bouteille de rouge ; chez Rops, une matrone jaillit nue et charnue du lit conjugal pour étrangler l’époux en tenue de soirée : Passé minuit. L’égalité homme femme existe cependant. Une légende de Daumier, « 6 mois de mariage. La sympathie est le lien des âmes », illustre un couple près de l’âtre, bâillant à s’en décrocher la mâchoire.

    Félicien Rops pratique la lithographie mais pour certaines caricatures il mélange crayon, pierre noire, aquarelle. Il fréquente dans sa jeunesse les milieux du futur réalisme belge (Charles De Groux, Constantin Meunier…), mais son réalisme se transmue en caricature. Il fonde en 1856, du nom du personnage populaire de Till l’espiègle, l’Uylenspiegel, « journal des ébats artistiques et littéraires », ceci pour se moquer du Journal des débats… qui à Paris soutient Napoléon III. Rops reprend à son compte les thèmes traités par Daumier et Gavarni, il subit leur influence mais rapidement on le reconnaît comme leur égal, même à Paris où il s’installe en 1874.

    L’huile de Daumier intitulée Le Peintre n’est pas un autoportrait. Gavarni a fait le sien en lithographie, distingué et lointain (1843), Rops s’est dessiné dans son atelier avec son modèle (1878) : absente la dérision, demeure la pénétrante observation qui est le fond de la caricature.

    Samuel

    Pour rire ! L’invention de la silhouette. Jusqu’au 18 septembre 2011,

    Musée Louis Senlecq – 95290 L’Isle-Adam.

    illustration : Honoré Daumier, planche de l’album Mœurs conjugales, 1840, lithographie © Ecole nationale des beaux-arts, Paris.


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