-
Par schwa1 le 4 Juin 2006 à 15:16
Avertissement Pourquoi présenter des extraits de la traduction dun ouvrage religieux ? Rien de ce qui est médiéval ne saurait être étranger à une revue qui porte le doux nom de lovendrin ; la traduction ressortit à lart littéraire, témoins saint Jérôme et Valery Larbaud. Faudrait-il une troisième bonne raison de présenter ce texte aujourdhui, son actualité en serait une. Mais laissons la parole au traducteur. La Rédaction<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
C<o:p></o:p>
est en 1171 que Jean, abbé de Sainte-Marie du Transtévère à Rome, écrivit son traité De vera pace contra schisma sedis apostolicae : il sagissait daider les fidèles à retrouver la paix intérieure au milieu des dissensions. Un schisme sétait produit en 1159, occasionné par les rivalités entre la papauté et Frédéric 1er Barberousse. À la mort dAdrien iv, des cardinaux avaient élu Alexandre iii, mais les cardinaux favorables à lempereur avaient élu Victor iv. Le pontificat dAlexandre iii dura vingt-deux ans ; trois anti-papes se succédèrent, Victor iv, Pascal iii et Calixte iii. La position politique de lempereur saffaiblissant, Calixte finit par se soumettre à Alexandre iii en 1178. Dans ces conditions difficiles, Alexandre iii fut un bon pape, théologien, grand juriste ; notons quil canonisa Thomas Becket et saint Bernard.<o:p></o:p>
Une fois la crise résolue, le bon droit dAlexandre iii est évident ; en pleine crise, ça létait beaucoup moins, et on comprend que labbé Jean ait voulu, pieusement, aider dautres chrétiens. Son ouvrage cependant fut semble-t-il peu diffusé et peu lu ; il fut exhumé et publié en 1938 par Dom Wilmart, érudit bénédictin paléographe[1]. Mais quel était lavenir dun texte latin paru dans une revue spécialisée juste avant guerre, et vingt ans avant la mise au rencard du fonds ancien de la chrétienté ? <o:p></o:p>
Ce texte qui navait pas davenir a maintenant une actualité, du fait de la similitude des situations et par lintemporalité de son argumentation.<o:p></o:p>
Nous ne vivons pas entre un pape et un anti-pape, mais, comme les fidèles des années 1160, nous ne savons plus vraiment où est lautorité : les évêques refusent de paître les brebis ; la papauté se flagelle elle-même au gré de ses déplacements. Qui plus est, labbé Jean, au delà du schisme à deux têtes proprement dit, envisage les dissensions dans lÉglise en général. Que ne dirait-il pas aujourdhui ? Au lieu de deux partis, combien en dénombrerait-il ? Modernistes, traditionalistes, charismatiques, sédévacantistes, tout ce beau monde se scindant, se subdivisant en diverses tendances et factions, dans des subtilités que les historiens auront du mal à débrouiller <o:p></o:p>
Lintemporalité des propos de labbé Jean accroît leur actualité. Sil rappelle quil y a un schisme entre Alexandre et Calixte, il ne se préoccupe nullement de savoir lequel est dans son bon droit, ni comment on pourrait clore le schisme dun point de vue politique ou canonique. Nous ignorons qui, des deux papes, avait sa préférence : son objectivité est parfaite, il prêche dexemple. Dans ce traité totalement détaché des événements, le propos est dordre spirituel. Nous pouvons donc faire nôtres sans difficulté ses conseils : pour commencer, que chacun veille sur son cur.<o:p></o:p>
Le livre I : De la garde du cur (De custodia cordis) Après avoir fait un parallèle entre lincertitude du salut de Salomon et lincertitude liée au schisme (qui est le vrai pape ?), labbé Jean entreprend une étude au cas par cas de différents épisodes bibliques pour démontrer que personne nest coupable de prendre parti pour les bons ou les méchants dans une dispute ou une guerre, quelle soit familiale, politique ou religieuse : ce qui importe est lintention avec laquelle on agit. La conclusion est certaine : personne ne sest trouvé perdu ou sauvé pour avoir soutenu un parti ou sy être opposé (xxxiv). Quittant le terrain biblique, il approfondit la question avec un exemple tiré de lhistoire de lÉglise, se reportant au schisme de 498 où une partie des cardinaux élut Symmaque tandis que lautre (celle des partisans de la réconciliation avec Byzance) élut Laurent, avant que celui-ci ne se désiste quelques années plus tard. Mais ce qui intéresse labbé Jean nest pas tant le schisme que lattitude dun diacre en cette occasion. Voici les chap. xxxv à xli.<o:p></o:p>
xxxv. De Pascase, diacre de la Sainte Église romaine<o:p></o:p>
Le saint homme Pascase, diacre de la Sainte Église romaine, dont le bienheureux pape Grégoire fait mention dans ses Dialogues (i, iv, chap. 40 & 41), na-t-il pas été sauvé, lui qui sopposa, je ne dis pas à un parti, mais à tous, seul et jusquà sa mort ? Le bienheureux Grégoire écrit de lui que « dans la dispute qui survint entre Symmaque et Laurent, dispute exacerbée par le zèle des fidèles, il vota pour lélection de Laurent au pontificat ; vaincu par lunanimité de tous, il persista cependant dans son idée jusquau jour de sa mort, aimant et préférant celui que par vote lassemblée des évêques navait pas voulu à sa tête. » Et pour que tu nailles pas penser que Pascase, au jour ou à lheure de sa mort, aurait reconnu sa faute comme un pénitent, le bienheureux Grégoire ajoute aussitôt, parlant de cette faute, que Pascase « ne crut pas quil y avait faute et, pour cette raison, ne leffaça point par des pleurs. » Pour ce seul péché, son âme apparut non comme perdue mais comme devant être purifiée, assignée aux peines, quelle évita grâce aux prières du bienheureux Germain de Capoue. Quoi ? Y a-t-il un péché plus grand que de sopposer à lÉglise entière, elle contre qui les Portes de lEnfer ne prévaudront pas ? Pourrais-je dire que ce saint homme ne sest pas du tout opposé à lÉglise, lui qui, après avoir été vaincu par lunanimité de tous, persistant seul dans son idée, ne voulut pas céder à lÉglise ? Mais, parce que son intention était non contre lÉglise mais en faveur de lÉglise, il mérita dobtenir lindulgence après sa mort. Le bienheureux Grégoire latteste : « Parce quil avait péché non par malice mais par ignorance, il put être purifié du péché après sa mort. » Tu vois que sa conscience ne lui fut pas suffisante dans la mesure où il ne prit pas soin de la considération du prochain. Sil en avait pris soin, il ne se serait pas ainsi opposé à lÉglise entière. Pourquoi, selon les mots de lapôtre, sa liberté sera-t-elle jugée par une autre conscience ? (cf. I Co 10,29) Voilà la réponse de cet apôtre : « Ne donnez scandale ni aux Juifs, ni aux Grecs, ni à lÉglise de Dieu, tout comme moi je mefforce de faire à tous en tout. » (I Co 10,32) Pascase encourut-il le châtiment pour sêtre opposé à Symmaque ? Non. Mais, parce quil sétait opposé en mal, dune certaine manière, il présuma beaucoup de la sécurité de sa conscience. Il encourut le danger dune offense, parce quil avait moins fait attention à la conscience de ses prochains. Personne ne doit être sûr de la pureté de sa conscience à moins de se voir en accord dans le Seigneur avec les fils de lÉglise. Et en effet une conscience nest pas sans tourment, dans la sécurité de sa propre solitude, si elle ne reçoit aucune joie de la communauté sociale de la Charité. Pascase pécha par ignorance et il obtint après sa mort leffacement de son péché.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xxxvi. Que Pascase et le bienheureux Paul péchèrent non par malice mais par ignorance<o:p></o:p>
Et est-ce que Paul lui-même ne pécha pas par ignorance, quand il persécuta lÉglise de Dieu ? (cf. I Co 15,9) Vraiment, sil était mort dans ce péché-là, il naurait pas mérité dêtre purifié après sa mort. Cependant, bien que Paul ait grandement péché contre lÉglise, il obtint un juste pardon parce quil navait pas péché par malice mais par ignorance, comme il lécrit lui-même à Timothée : « Moi, naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur, il ma été fait miséricorde parce que jagissais par ignorance. » (I Tm 1,13) Paul obtint la miséricorde avant sa mort, parce que cela convenait ainsi ; Pascase fut purifié après sa mort, parce que cela était possible dans son cas : il avait péché moins gravement. Tous deux avaient péché non par malice mais par ignorance. Non par malice, parce quils nourrissaient une bonne conscience. Est-ce quen effet Pascase ne nourrissait pas une bonne conscience, lui à qui le bienheureux pape Grégoire rendit un témoignage aussi insigne ? « Ce fut un homme, dit-il, dune sainteté remarquable, toujours pratiquant les uvres daumônes, honorant les pauvres et se méprisant lui-même » (Cf. Dial., op. cit) ; et encore : « Un homme possédé par le démon toucha la dalmatique de ce défunt et, aussitôt, en fut délivré ». Paul eut toujours la même conscience en persécutant lÉglise, il le montre lui-même. Voilà ce quil écrit à Timothée : « Je rends grâce à Dieu que je sers, comme mes ancêtres, avec une conscience pure. » (II Tm 1, 3) De même aux Philippiens : « Quant au zèle, un persécuteur de lÉglise ; quant à la justice que peut donner la loi, un homme irréprochable. » (Ph 3,6) De même dans les Actes des apôtres on rapporte quil parla ainsi devant le conseil des Juifs et des grands prêtres : « Frères, cest tout à fait en bonne conscience que je me suis conduit devant Dieu jusquà ce jour. » (Ac 23,1) Vois quelle valeur a une bonne conscience devant Dieu : grâce à elle Paul obtint miséricorde de son vivant et Pascase le pardon une fois défunt. Aucun des deux cependant nobtint miséricorde sans châtiment, puisque tous deux avaient enfreint la règle de la Charité. Paul, de son vivant, fut jeté à terre et aveuglé par une force divine venue du ciel ; Pascase fut envoyé après sa mort dans le lieu des châtiments. Ainsi leur bonne conscience ne leur suffit-elle pas, qui était tombée dans lerreur de lignorance parce quelle sétait opposée à lopinion charitable du prochain.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xxxvii. Que le bienheureux Paul pécha plus que Pascase<o:p></o:p>
Pourquoi Paul, sil était mort en persécutant lÉglise, naurait-il jamais obtenu le pardon, alors que Pascase, qui avait persisté à être contre lÉglise, mérita dobtenir le pardon après sa mort ? Nest-ce pas parce que Paul sopposa à lÉglise et à sa principale cause, tandis que Pascase, en sopposant à lÉglise, soutint totalement la cause de lÉglise ? La principale cause de lÉglise, cest le Christ, contre qui Paul, avant quil ne soit converti, luttait avec une telle énergie que pour ce seul nom il sefforçait de persécuter lÉglise. Pascase, lui, se montra toujours fidèle au Christ et ne contredit jamais lÉglise sur un article de la foi chrétienne. Car, même sil sopposa au pontificat de Symmaque, le pontificat de Symmaque ne fut jamais la cause principale de lÉglise. Il est évident que lÉglise ne vient pas du pontife, mais le pontife de lÉglise. Le Christ ne vient pas de lÉglise, mais lÉglise vient du Christ, comme Ève vient dAdam. Lapôtre dit ainsi aux Corinthiens : « Ce nest pas lhomme, bien sûr, qui a été créé pour la femme, mais la femme pour lhomme. » (cf. Co 11,9) Le Christ est principalement la cause de lÉglise ; lÉglise est la cause du pontife, parce que le pontife est consacré pour lÉglise. Comme le dit lapôtre aux Hébreux, « Tout grand prêtre, pris dentre les hommes, est établi pour les hommes. » (He 5,1)<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xxxviii. Que lhomme peut être sauvé sans le pontife romain<o:p></o:p>
Le pontife romain, en tant quévêque du premier Siège, celui de saint Pierre, ou mieux en tant que vicaire du Christ, se trouve-t-il être la principale cause de lÉglise de sorte quaucun fils de lÉglise ne puisse être sauvé sans lui ? Que se passerait-il si, à la mort du pontife, lordination ou lélection de son successeur était différée ? Est-ce que, tant que lÉglise romaine serait privée de pontife, personne ne pourrait être sauvé ? Est-ce que personne ne pourrait devenir fils de lÉglise ? Qui oserait dire cela à moins dêtre ignare, puisque aucun prêtre ne mentionne le pontife romain à ceux qui viennent à la foi ? Tu dis quil est fait mention du pontife romain lorsque tu déclares croire à lEsprit Saint et à la Sainte Église catholique ; mais qui est-ce quon appelle pontife romain, sinon un membre de lÉglise, même si cest lévêque du premier Siège ou le pape de lÉglise universelle ? Nes-tu pas toi aussi membre de lÉglise ? Tu ne vas pourtant pas aller arracher à quelquun une déclaration de foi en toi ou en un autre chrétien ! La mention de lÉglise sadresse-t-elle plus au pontife romain quà saint Pierre ou saint Paul, pour quon professe quon croit moins à Pierre ou à Paul quau pontife romain ? Non, loin cette idée de lesprit des fidèles, suivant laquelle on professerait croire en Pierre, en Paul ou en nimporte quel homme pur, alors quil nous faut croire, par une ferme déclaration, à lEsprit Saint et à la Sainte Église catholique. Nous ne croyons pas en saint Pierre, et nous croirions au pontife romain ? Est-ce que, pour reprendre ce que Paul dit aux Corinthiens (cf. I Co 1,3), le pontife romain a été crucifié pour nous, ou sommes-nous baptisés au nom du pontife romain ? Bien sûr que non !<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xxxix. Que Pascase pécha plus en sopposant à lÉglise quà Symmaque<o:p></o:p>
Il fut juste que Pascase, ce saint homme, nait pas encouru la damnation éternelle, bien quil ait été pris à sopposer au pontife romain. Il était attaché à la tête, cest à dire au Christ, pratiquant dans sa foi de grandes uvres daumônes, honorant les pauvres et se méprisant lui-même. Il fut juste aussi néanmoins quil ait été puni pour un temps après sa mort, lui qui sopposa avant sa mort au pontife romain seul contre tous, et qui ne craignit pas, croyant en lui-même, de perdurer dans sa décision jusquau jour de sa mort. En effet, qui parmi les hommes doit être honoré plus que le pontife romain, qui parmi toutes les personnes de lÉglise présente obtient la prééminence particulière du premier Siège ? Bien quil faille croire, sans aucun doute, que ce saint homme ait subi ce châtiment plus parce quil ne céda point à lunanimité que parce quil sopposa, par hasard, au pontife romain. Puisquil est primordial que lunanimité de lÉglise soit toujours recherchée dans lélec- tion du pontife, on ne concède par aucune loi ni aucune raison quun très saint homme puisse devenir pontife sil fait lunanimité contre lui.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xl. Que, dans lincertitude de ce schisme, le jugement est réservé<o:p></o:p>
Réfléchissons avec grand soin et, dans cette réflexion, veillons sur notre cur plus que sur toute chose, (cf. Prov 4, 23) de crainte de juger trop vite, à loccasion de ce schisme, ceux qui sopposent à un parti de même taille, ou plus petit, ou même plus grand mais non envers et contre tous, même si lhomme dont on vient de parler sopposa non à un parti mais envers et contre tous jusquà la fin de sa vie et cependant, grâce au pardon, mérita le nom éternel de sainteté. Donc veille sur ton cur plus que sur toute chose, intérieurement et extérieurement. Intérieurement, pour savoir quel parti prendre dans ce schisme et ce que tu dois réprouver, en ce qui te concerne. Extérieurement, pour ne pas condamner ceux que tu auras vu ou entendu agir contre ta décision, tant ta position est incertaine. Tu dis connaître parfaitement dans ce schisme le parti légitime et le pontife romain légitime, et quil ny a dans ton esprit aucune incertitude. Tu affirmes même que, si tu agissais autrement, tu serais blâmé par ta conscience et aussi par les serviteurs de la foi ; mais voilà que ton prochain soppose à toi qui dis de telles choses, par cette réponse ferme : « Tu prends les ténèbres pour la lumière et la lumière pour les ténèbres, puisque le parti que tu encourages nest pas le bon mais le mauvais, et quil nest pas pontife mais schismatique celui que tu croyais tel. » Son parti à lui est le bon, son pontife est le bon, il est digne, et il affirme cela avec la pureté de sa conscience et le témoignage des serviteurs de la foi.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xli. Quil en est de même pour Apollo et Paul et pour Alexandre et Calixte : ils ne sont rien<o:p></o:p>
Vraiment, pour moi, il ny a rien dautre à écrire contre les graines de contempteurs que ce que lapôtre écrit aux Corinthiens : « Je vous en conjure, frères, par le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, ayez tous même sentiment ; quil ny ait point parmi vous de schismes. Jentends par là que chacun de vous dit : « Moi je suis pour Paul. » - « Et moi pour Apollo. » - « Et moi pour Céphas. » - « Et moi pour le Christ. » Le Christ est-il divisé ? Serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou bien serait-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » (I Co 1, 10,12-13) Toi tu dis de la même manière : « Moi je suis pour Alexandre. » Celui-là dit : « Moi pour Calixte. » Mais est-ce que Calixte, ou Alexandre, a été crucifié pour toi ? As-tu été baptisé au nom dAlexandre ou de Calixte ? Dans la même épître, lapôtre ajoute : « Du moment quil y a parmi vous jalousie et discorde, nêtes-vous pas charnels et votre conduite nest-elle pas toute humaine ? Quest-ce donc quApollo ? Et quest-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez embrassé la foi. » (I Co 3, 3, 5) On pourrait dire de même : « Quest-ce que Calixte ? Quest-ce quAlexandre ? Les serviteurs par qui vous avez eu la foi. Alexandre nest rien, sil a planté, Calixte non plus, sil a arrosé : car cest Dieu qui donne la croissance. » (cf. I Co 3, 6 sq.) Si ni Calixte ni Alexandre ne représentent quelque chose, soutenir ou sopposer à lun ou aux deux nest rien : ce qui compte, cest lobservation des commandements de Dieu. Selon les paroles que répète lapôtre aux Corinthiens : « La circoncision nest rien, rien non plus lincirconcision ; ce qui compte cest dobserver les commandements de Dieu » (I Co 7,19), nous, nous pouvons dire : « Sopposer à Alexandre ou à Calixte nest rien, soutenir Alexandre ou Calixte nest rien, limportant cest lobservation des commandements de Dieu. »<o:p></o:p>
L'abbé Jean étudie ensuite les trois ennemis fauteurs de schisme : le monde, la chair et le diable, et indique comment sen protéger : à laide de la sagesse céleste. Finalement, que chacun garde en son cur la justice, la paix et la joie dans lEsprit Saint : cest ainsi quon se protège du schisme et quon passe de la mort à la vie. Le livre ii : De lamour fraternel (De amore fraternitatis) Labbé Jean définit ce quest lamour fraternel ; aimer son frère est la seule façon de demeurer dans la joie ; il ne faut donc pas sattrister du schisme, et observer, quand le résultat dune élection est incertain, lexemple de Joseph et Mathias : celui-ci fut élu apôtre en remplacement de Judas, Joseph fut écarté : les chap. ix à xxvi montrent tout ce quon peut tirer de cet exemple, quon soit candidat, électeur, ou membre inférieur sans pouvoir de décision mais appelé à consentir à lélection (cest-à-dire à lapprouver). Cela nécessite de renoncer à sa volonté propre, qui est toute concupiscence, laquelle se détaille en volupté, avarice et vaine gloire ; et de suivre la volonté divine. Labbé Jean, malgré quelques digressions, revient toujours à lélection de Joseph et Mathias. Bref, personne dans le schisme nest dispensé de la charité fraternelle, mais cette charité doit être ordonnée. Nous donnons la fin du livre ii, chap. lxvi à lxxii.<o:p></o:p>
lxvi. De lunanimité, de la prière et du consensus ; de la perception de lEsprit Saint
Tu nauras pas la vertu dunanimité si tu ne pries pas Dieu avec amour et persévérance ; cette persévérance à prier ne se réalise pas par une application laborieuse et continue à la prière, mais par une bonne volonté infatigable envers le Seigneur. Les fidèles de lÉglise primitive persévéraient unanimement dans la prière de sorte quils faisaient toute chose bonne par charité, toujours unis à Dieu par la volonté de lesprit. (cf. Ac 1, 14) Nous avons dit plus haut que quatre choses doivent être imités chez ces fidèles : lunanimité de la charité, la persévérance dans la prière, le consensus lors de lélection et la réception de lEsprit Saint. Nous avons parlé de lunanimité de la charité, et on nen parlera jamais assez ; mais, au sujet de la persévérance dans la prière, du consentement à lélection et de la perception de lEsprit Saint, et contre lunanimité du présent schisme, il faut dire à chacun de senflammer, en ce temps, pour la volonté de prière, dautant plus quon ne sait pas avec certitude qui a obtenu lélection au Siège apostolique, en attendant la paix à venir par la grâce de lEsprit Saint.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
lxvii. De la fin de ce schisme, lorsque lEsprit Saint descendra violemment, donnant la paix à lÉglise<o:p></o:p>
Est-ce que quelquun se montre assez lâche et mou dans la foi pour ne pas détester le danger du présent schisme et pour ne pas attendre la paix dans lÉglise ? Et vraiment, pour que cette paix arrive, la présence du même Esprit sera aussi nécessaire que lorsquelle se montra sur lÉglise primitive en langues de feu répandues. (cf. Ac 2, 3) Et il ny aura pas un bruit moins soudain lors de lirruption de cette paix, de cet Esprit qui viendra du ciel avec violence, que celui qui se fit alors, quand il remplit toute la maison de la primitive Église, quon estime avoir été au nombre denviron cent vingt personnes. (cf. Ac 1, 15) Cet allié-ci remplit létroitesse dune unique maison ; celui-là remplira létendue du monde entier. Là lEsprit Saint illumina du feu de plusieurs langues un cénacle ; ici le même Esprit éclairera la monde entier dune unique lumière de paix. Là environ cent vingt personnes reçurent le Paraclet ; ici ce sera une foule sans nombre qui recevra sa consolation. Alors lEsprit Saint distribua des dons de langues variées, comme des semences puissantes ; dans la concorde et la paix, le même Esprit Saint unira toutes les langues et tous les peuples, comme une moisson fertile. Alors une seule cité, Jérusalem, fut frappée de stupeur en voyant les charismes de lEsprit Saint quelle admira ; à la grâce de cette paix qui viendra rapidement et partout, de lorient à loccident et du sud au nord, cest toute lÉglise qui exultera en même temps dans le même Esprit.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
lxviii. De la prière et de la protection du consensus, et que lÉglise présente est plus aidée que lÉglise primitive<o:p></o:p>
En ce qui nous concerne, combien faut-il faire preuve de pureté dans la prière persévérante et de sincérité dans le consentement prudent à lélection ! Cest ainsi que nous serons jugés dignes et proches dune telle paix, si désirée, qui viendra de la plénitude céleste de lEsprit Saint, avec une abondante miséricorde et impétuosité. Cette heureuse foule de cent vingt personnes environ neut pas encore la plénitude de notre société ecclésiale ; mais nous, à lavènement de cette paix désirable, nous serons associés à tous ces participants de la charité. Nous, nous ne les aidions pas encore dans leur persévérance à la prière et aux uvres ; eux ne cessent de nous aider nuit et jour. Nous, puisque nous nexistions pas encore, nous ne souhaitions absolument pas leur bien ; eux désirent notre bien et notre paix beaucoup plus que nous et plus ardemment, et ils luttent contre nos ennemis avec les armes de la vertu invaincue. Ils tapportent deux instruments pour le salut : leur exemple qui tinstruit et leur protection qui tassiste. Par ce quils firent en cette vie, ils tappellent à prier assidûment. Mais maintenant dans la gloire céleste ils tinvitent à encore plus de persévérance dans la prière, en priant sans cesse pour toi.<o:p></o:p>
lxix. Comment on doit consentir et progresser entre les deux partis de ce schisme<o:p></o:p>
Mais que dirais-je du consentement à lélection, alors que, quand les électeurs sont divisés par un schisme odieux, ils offrent la coupe de mort à leurs consentants ? Lapôtre dit de telles personnes aux Romains : « Connaissant bien pourtant le verdict de Dieu qui déclare dignes de mort les auteurs de pareilles actions, non seulement ils les font, mais ils approuvent encore ceux qui les commettent. » (Rm 1, 32) Tu répliqueras : « Que faudra-t-il faire, dans le cas de cette division, si ceux qui consentent aux mauvais sont dignes de mort ? Entre ces deux pontifes, à savoir Alexandre et Calixte, je nose mopposer vu que le jugement est incertain ; mais le schisme est certain, et je ne dois pas y consentir. » Mais si tu acceptais de marcher dans le chemin de la charité ordonnée, tu pourrais savoir aisément ce quil faut faire dans ce domaine. Aime chacun de ces deux pontifes et leurs partisans, dans la mesure où ils sont hommes et chrétiens ; mais dans la mesure où tu connaîtrais liniquité manifeste et le schisme de lun ou des deux, ne les approuve pas, oppose-toi à eux tout en demeurant dans ta vocation à la charité. De même, si tu avais des doutes à leur sujet, ne juge pas, mais tais-toi ; fais valoir le bien manifeste que tu verrais en eux. Quiconque des deux aurait pouvoir sur toi, obéis-lui fidèlement, soumis avec crainte, sans cependant te heurter violemment à personne ; car, comme le dit lapôtre aux Romains, « celui qui résiste à lautorité se rebelle contre lordre établi par Dieu. » (Rm 13, 2)<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
lxx. Quon doit obéir aux puissances et même aux maîtres infidèles<o:p></o:p>
Et ne dis pas quil faut obéir seulement à un pouvoir juste, cest-à-dire à un maître fidèle, alors que toute puissance vient de Dieu (cf. Rm 13, 1) ; mais imite le patriarche Joseph vis-à-vis de Pharaon (cf. Gn 39), et le prophète Daniel vis-à-vis de Nabuchodonosor et Balthazar (cf. Dn 2, 48 ; 5, 29). Ils servirent fidèlement ces maîtres dici-bas et infidèles, noffensant Dieu en rien, par une bonne intention, et obtenant la plénitude de grâce par de bonnes actions. Cest ce quenseigne le bienheureux Pierre dans sa première lettre : « Vous les domestiques, soyez soumis à vos maîtres, avec une profonde crainte, non seulement aux bons et aux bienveillants, mais aussi aux difficiles. Car cest une grâce que de supporter par égard pour Dieu des peines que lon souffre injustement. » (I P 18, 19) Le bienheureux Paul, dans presque toutes ses épîtres, enseigne la même chose. Il dit par exemple aux Colossiens : « Obéissez en tout à vos maîtres dici-bas, non dune obéissance toute extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais en simplicité de cur, par crainte du Seigneur. Quel que soit votre travail, faites-le avec âme, comme pour le Seigneur et non pour des hommes, sachant que le Seigneur vous récompensera. » (Col 3, 22-24)<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
lxxi. De ladoration due à un pape injuste, et que la puissance temporelle, même dun chef inique, est juste<o:p></o:p>
Tu diras : « Voilà que moi je sais que cet homme qui a pouvoir sur moi se dit pape et pontife injustement. Comment donc lado- rerais-je à la place du Christ, baisant ses pieds, lui dont je connais pertinemment liniquité ? » Mais une chose est de supporter, par lordonnancement de Dieu, en restant dans ta vocation, une autre est duvrer par toi-même et volontairement. En effet Dieu, qui ne regarde pas les uvres des corps mais lintention des curs, de même quil a recommandé lamour du prochain comme seul commandement, de même cherche dans ce précepte de charité toujours le plus grand profit, et cest pourquoi il enseigne par les prophètes et les apôtres que les puissances doivent être honorées supérieurement parmi les hommes, puisquil en résulte un plus grand profit, quand est établi que beaucoup honorent une unique puissance. Même si celui qui a tout pouvoir sur toi est un impie, ton obéissance et ton service lui sont montrés utilement, et même si sa volonté est injuste sa puissance est reconnue juste parce quil ny a pas de puissance sinon donnée par Dieu. Et comme celui qui résiste à lautorité se rebelle contre lordre établi par Dieu, de même celui qui obéit à lautorité obéit à lordre établi par Dieu.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
lxxii. Comment Dieu doit être adoré et lhomme révéré<o:p></o:p>
Vois comment il te convient dobéir à cet inique qui a pouvoir sur toi, et même de le révérer en ladorant. Rends à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu (cf. Mt 22, 21) : sois obéissant de corps, extérieurement, à la puissance ; et dâme, intérieurement, à Dieu. Il est dun grand profit dobéir à la puissance, même dun homme inique, et de sacquitter de la servitude qui lui est due par lhomme extérieur tout entier. Tu progresses ainsi dans linnocence, et tu télèves un peu chaque jour dans la paix et le bien. Tu donnes à tous lexemple de la sainte humilité, tu ne cherches pas ton intérêt (cf. I Cor 13, 5), tu fais aux hommes ce que tu veux quils te fassent, tu consens à la divine volonté et tu observes les droits propres à la république. On lit quAbraham adora un peuple infidèle, et que Jacob à cause dÉsaü fit de même : cest parce que, tant quils nétaient pas contraints à renier ou à offenser le vrai Dieu, ni à adorer de faux dieux, ils auraient offensé la justice elle-même, qui nest autre que Dieu, sils navaient pas honoré ceux à qui Dieu avait confié la puissance sur eux. Il est en effet écrit (cf. Gn 23,2,6,7) que, Sarah étant morte, comme les fils de Hèt lui avaient promis une de leurs propres tombes, « Abraham se leva et sinclina devant les gens du pays ». De Jacob il est écrit semblablement (cf. Gn 33, 1,3) que, voyant venir Ésaü, « passant devant lui il se prosterna sept fois à terre avant daborder son frère. » Tu constates quil faut montrer de la révérence et la servitude à légard des puissants, justes comme injustes. Fais la même chose, si tu cherches à observer la règle de dilection. <o:p></o:p>
Cependant, sois mis en garde avec inquiétude contre le risque de faire quelque chose contre Dieu dans ta servitude ou par crainte dun homme, ou de préférer le gain dune rétribution terrestre à la récompense céleste, par intention. On parle de « servitude » en latin de la même manière pour Dieu et pour lhomme ; mais en grec il y a différents mots pour ces deux servitudes : la servitude à Dieu est dite « latrie », la servitude à lhomme, « dulie », et pour la même raison sont appelés idolâtres ceux qui vouent aux idoles cette servitude quils devraient vouer à Dieu. Apprends quon nhonore pas de la même façon Dieu et les hommes. Adore Dieu en lui soumettant totalement ton esprit dans une dévotion très humble et en croyant quIl est lui-même le Principe et la Fin de tout bien. Honore les hommes autant que le demande une justice raisonnable, et souviens-toi quon doit les honorer par une inclinaison de la tête ou une génuflexion pour leur manifester corporellement la révérence accoutumée, non pour leur adresser spirituellement lhonneur quon doit à la divinité. Cest ainsi que vraiment ton esprit sera en paix, tant que tu ne quitteras pas le chemin de la dilection fraternelle et que tu tefforceras au culte de Dieu par un effort absolu de la faculté propre, Dieu quil convient dadorer en esprit et en vérité, comme tu le verras au livre suivant.<o:p></o:p>
<o:p>
</o:p>Le livre iii : Du culte de Dieu (De cultu Dei) À chaque livre nous nous élevons : partis de nous-mêmes (livre i), nous passons par le prochain (livre ii) pour arriver à Dieu (livre iii). Alors que le diable est division, Dieu est unité ; si par le schisme on adore le diable, cest par la foi et la charité quon adore Dieu. La foi nest difficile que pour ceux qui acceptent à contre cur les commandements, elle est aisée pour le juste ; « de même, pour les malades qui vomissent le vin, boire est pénible et très triste, au point quils le disent insipide, alors que pour les gens bien portants cest par nature une activité bien agréable et attrayante. » (xiii) Mais la charité, elle, nest-elle pas difficile à pratiquer ?<o:p></o:p>
xv. De la facilité de la charité, même envers les ennemis, et combien elle enrichit<o:p></o:p>
Tu es daccord avec moi que cette foi est aisée ; mais peut-être affirmeras-tu quil est très difficile dagir avec charité, surtout quand il sagit daimer ses ennemis. Si tu nas pas peur de dire cela, cest sans aucun doute que tu es encore tourmenté par lanxiété de lesprit de ce monde. Quoi de jamais plus léger que la charité, quel amour peut être plus doux, alors quil porte en lui une telle béatitude quil récompense toujours lesprit quil remplit et quil ne souffre pas que rien manque à sa récompense ? Enfin, comme le dit le bienheureux Léon, si éloquent, « il ne faut pas chercher une plus grande récompense que cet amour même ; en effet, la charité est tellement de Dieu que Dieu lui-même est charité. » (Sermon xcii, §3) Il ne faut donc chercher aucune récompense bien plus grande que cette charité-là, parce quelle est le souverain bien, ayant en soi tout ce quil faut et offrant en soi aux autres les dons de la grâce. Est-ce que quelquun safflige jamais ou sattriste de se conduire vis-à-vis dun ami ou dun ennemi avec un pieux sentiment de charité ? Au sujet des amis, il est clair quon éprouve la joie et lagrément dêtre avec eux principalement grâce à la charité ; pour un ennemi, il faut dire que la charité, par laquelle on aime non seulement un ami mais aussi un ennemi, doit être comprise comme étant cet Esprit Saint dans lequel « ceux qui adorent Dieu doivent ladorer en esprit et en vérité. » (Jn 4, 24) Il faut donc aimer son ennemi, parce quil en naît deux biens. Quand tu laimes et que tu cherches non seulement à ne pas lui nuire mais en plus à lui être utile, primo tu es rempli tout entier dans ta conscience de labondance de la douceur divine, secundo, la douceur de ta grâce modère son amertume, lui qui auparavant te tourmentait par ses persécutions ; ainsi, ou il en sera moins blessé, ou il jouira complètement du salut. Vois avec quelle facilité et quelle surabondance de douceurs saccomplira lamour dun ennemi ! Puisque plusieurs biens sensuivent, par lesquels le diable est vaincu, Dieu est honoré en vérité très pieusement, et on obtient en grande partie la paix de Dieu qui dépasse toute sensation même ici-bas (cf. Ph 4, 7), de façon plus délectable que ce quon peut exprimer. De là vient que lamour vrai apporte plus à celui qui aime quà celui qui est aimé. Est-ce quune mère, lorsquelle fait du bien à un fils aimé, ne se réjouit pas plus que le fils lui-même ? De même, celui qui est offensé est moins tourmenté par lamertume de la haine, que celui qui hait. Loffensé peut être consolé ; loffenseur, lui, a en retour une blessure incurable dans sa conscience qui le ronge. Tu apprendras à dépasser lamour maternel par lamour spirituel et intérieur ; car une mère souvent, en aimant, risque de tomber dans un inconsolable affliction, alors que celui qui aime spirituellement se réjouit même dans la tristesse, ayant dès ici-bas en lui le Saint Esprit consolateur.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xvi. Quon jouit de Dieu dès ici-bas, et plus à lavenir<o:p></o:p>
En effet, Dieu, plus doux que toutes choses, qui est réellement le Dieu des choses actuelles comme des choses futures, a dispensé labondance de ses grâces dans lEsprit Saint de façon à permettre à ceux qui lhonorent den jouir dès ici-bas, comme un père pour ses fils, ainsi quil nous la été promis, témoin Isaïe qui dit : « Est-ce quune mère peut oublier son enfant et ne pas saffliger du fils sorti de son sein ? Et si elle loubliait, moi je ne toublierais pas, dit le Seigneur. » (Is 49, 15) Pour ne pas que tu aies une pensée amère au sujet de Dieu ni que tu ailles croire que quelque chose te manquera, à toi qui lhonores et le crains, Dieu lui-même, très bienveillant, te conduit par linstrument de son psalmiste, toi qui as besoin dêtre choyé. Tu trouves ainsi dans le psaume : « Goûtez et voyez comme est doux le Seigneur. » (Ps 33, 9) Ainsi, tayant assuré de sa douceur, il tinvite au culte dune crainte filiale, pour que tu sentes que rien ne te manque : « Craignez, le Seigneur, vous tous ses saints, parce que rien ne manque à ceux qui le craignent. » (Ps 33, 10) Et vraiment, si tu crains ton Dieu comme un fils très aimant craint son père ou sa mère très cléments, ce Dieu qui est tout partout et présent partout dès maintenant, layant en personne et sentant que rien ne te manque, comme un fils de bon caractère, tu exulteras toujours de ses sentiments paternels et maternels et dans le futur, comme un homme, devenu plus pleinement frère du Christ, tu recevras la perfection héréditaire de son royaume éternel. Tout cela te sera donné, non par la difficulté de quelque servitude matérielle, ni par quelque joug pesant, ni par la lourdeur de quelque charge mais par la seule grâce de ta bonne volonté, qui, comme on la dit, abonde dans la foi qui opère par la charité, et qui augmente ses joies non seulement en temps de prospérité et de paix, mais même en cas dadversité et de schisme, selon ce que dit lapôtre aux Romains : « Nous nous glorifions de la gloire des enfants de Dieu, non seulement dans lEspérance, mais aussi dans les tribulations. » (Rm 5, 2-3)<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xvii. De la liberté du salut dans lÉglise du Christ, en temps de schisme comme de paix<o:p></o:p>
Tu dis vouloir, dans la foi qui opère par la charité, et honorer Dieu avec la meilleure volonté, et ladorer en esprit et en vérité de toutes tes forces, mais tu ajoutes que le présent schisme du siège apostolique mène ton esprit à lincertitude et à une telle confusion que tu ne peux pas maintenant librement connaître la voie du salut dans lÉglise, qui souffre dans ses fondations dune scission : elle est divisée en deux parties qui ne cessent de sanathématiser lune lautre. Mais pourquoi, sous couvert de schisme, tôtes-tu la liberté du salut, alors que lapôtre dit dans la seconde épître aux Corinthiens : « Où est lEsprit du Seigneur, là est la liberté » ? (II Co 3, 17) Mais quel est cet esprit ? Est-ce que cest lesprit de ce monde, qui a pour habitude dasservir, par la tyrannie de la haine, ceux qui mentent en disant quils sont lÉglise du Christ ? Certainement pas ! L « Église », si on peut sexprimer ainsi, de ceux qui se haïssent les uns les autres, nest pas libre, mais seulement esclave ; alors que lÉglise du Christ, où quelle aille, peut sembler esclave, mais elle est toujours libre, elle qui est notre mère. (cf. Gal 4, 26) Lapôtre dit ainsi aux Galates : « Cest pourquoi, frères, nous ne sommes pas les fils dune esclave, mais dune femme libre : par cette liberté, le Christ nous a libérés » (Ga 5, 31) ; et aux Éphésiens : « Cest une Église glorieuse, sans tache ni ride ni quoi que ce soit de ce genre. » (Ep 5, 27) Donc, en temps de paix comme en temps de schisme, lÉglise du Christ est toujours glorieuse, et elle na ni tache ni ride, non seulement dans la mesure où elle se réjouit de la liberté de sa naissance, mais encore dans la mesure où, libérée après la servitude, elle exulte par le privilège de la grâce. Elle est la seule qui adore Dieu en esprit et vérité, qui est libre dans le Christ, de toute corruption de schisme et de péché. L « Église » de ceux qui se haïssent les uns les autres, si on peut sexprimer ainsi, est la servante des pécheurs, dans laquelle, en temps de schisme comme de paix, les haines fratricides et les impuretés charnelles ne cessent de pulluler, les actes du seul vieil homme étant en elle malmenés par lesprit de ce monde. Le schisme est dans les seuls iniques et dans ceux qui se haïssent les uns les autres : lÉglise du Christ nest pas blessée en souffrant cela, mais elle sen sert, car, ne marchant pas selon la chair mais selon lesprit, elle transforme la mortification de la chair en bien. Ceux qui se haïssent les uns les autres ne marchent pas selon lesprit, mais selon la chair, et ils ne craignent pas déteindre en eux lesprit, se grevant dans les persécutions contre autrui. Comme le dit dans son épître le bienheureux apôtre Jude, frère de Jacques, ceux qui « travestissent la grâce de notre Dieu en luxure, ceux qui sont mécontents, coléreux, marchant selon leurs désirs » (Jude 4, 16), en ceux-là assurément il ny a pas lesprit du Seigneur, et ils manquent du privilège de la liberté.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xviii. Que seuls les pécheurs sont liés ou déliés, pas les justes<o:p></o:p>
Tout comme ces dispositions terrestres dépendent de manière visible de la puissance sacrée de Pierre et ses successeurs, cette contrainte est ratifiée au ciel auprès de la divinité invisible, de sorte que, tant que ceux qui sont signalés dans leur sujétion sont liés du nud de lautorité apostolique en dehors des limites de lÉglise immaculée, ils sont dans limpossibilité de nuire, liés visiblement, et quils peuvent être salutairement déliés, convertis par une pieuse volonté. Par ailleurs cette discipline de ligature ou de dénouement na pas été instaurée pour ceux qui ont la liberté de lesprit de Dieu, puisque, comme lexplique Paul dans la première épître qui enseigne Timothée, « la loi na pas été faite pour le juste mais pour les pécheurs. » (I Tm 1, 9)<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xix. Quil ne faut pas cesser dobserver les commandements de Dieu à cause des douteuses excommunications données par Alexandre et Calixte<o:p></o:p>
Alors, toi qui observes la foi qui opère par la charité, ne cherchant à nuire à personne et essayant, autant que possible, dêtre utile à tous dans le Christ, ne téloigne pas du culte et des commandements de Dieu à cause de ces excommunications douteuses ; mais persévère toujours plus dans lamour de Dieu et du prochain. Assurément, comme le dit lapôtre dans la seconde épître à Timothée, « Dieu ne nous a pas donné lesprit de crainte, mais lesprit de vertu, damour et de sobriété » (II Tm 1, 7). Que les excommunications de Calixte et dAlexandre soient douteuses, tu pourras le comprendre par la liberté du culte divin. Puisque en effet le culte de Dieu ne se rapporte quà la seule règle de lamour, comment ne serait pas douteuse, ou lexcommunication dAlexandre contre Calixte, ou celle de Calixte contre Alexandre, tant que le pouvoir de lun sur lautre nest encore aucunement certain ? Bien que peut-être la dilection mutuelle soit en eux en ce qui concerne la conscience propre, elle ne lest pas en ce qui concerne lopinion publique : dans le parti dAlexandre, on fait la réputation à Calixte et aux siens dentretenir la haine et de ne pas marcher dans un esprit damour ; on dit la même chose dans le parti de Calixte au sujet dAlexandre et les siens ; ainsi, dans les deux camps, on augmente le mal dû au schisme actuel. Puisquil apparaît, par ces assertions identiques, que sur ce point ni Calixte ni Alexandre na mauvaise conscience, tant quaucun des deux ne reconnaît dans le Christ quil offense lautre, qui pourrait encore les juger, si ce nest Dieu seul et son Église universelle, qui marche non selon la chair mais selon lEsprit ? Tant quil ny a pas décision certaine à leur sujet, il faut tenir leurs excommunications pour douteuses. La légitimité de chaque parti est si profondément niée quil ne reste rien à chacun de la puissance ecclésiastique qui elle-même nest pas le salut mais seulement un remède en vue du<o:p></o:p>
salut éternel.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xx. Que le pouvoir de lier ou délier est un remède, non le salut lui-même<o:p></o:p>
Loin de toi lidée que la puissance de lier ou délier soit le salut éternel (cf. Mt 16, 19 ; 18, 18), alors que sont innombrables ceux qui, ne détenant pas cette puissance, se réjouissent de léternité du salut chrétien ! Ils sont nombreux aussi, ceux qui ont eu cette puissance de lier et délier, et qui ne pourtant ne connaissent pas le salut éternel. Car la puissance de lier et délier nest pas le salut des justes mais un remède pour les pécheurs, qui est donné autant par des hommes justes quinjustes, puisquelle se réfère à la loi de Dieu, non à la grâce. « Le salut des justes vient du Seigneur » (Ps 36, 39), comme le chante le psalmiste ; le salut, indépendant du pouvoir des hommes, ne peut dépendre dune sentence de servitude éternelle.<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
xxi. Quaucune excommunication ne nuit à lhomme spirituel, alors quune bénédiction nuit à lhomme charnel<o:p></o:p>
Si donc tu étais juste, si tu marchais non selon la chair mais selon lesprit, tu ne craindrais aucune excommunication venue des hommes. Car, selon cette phrase de lapôtre aux Romains, « vous navez pas reçu lesprit de servitude dans la crainte, mais lesprit de ladoption des fils, par lequel nous clamons : Abba, père. » (Rm 8, 15) Et, quil ne soit pas certain de posséder le pouvoir dexcom-munication ou quil le possède en toute certitude, celui qui rend à ton sujet des sentences spirituelles, tu ne dois pas craindre son jugement pour une raison servile puisque lui sera davantage jugé par toi, comme le dit Paul dans la première épître aux Corinthiens : « Lhomme spirituel, dit-il, juge de tout et ne relève lui-même du jugement de personne. » (I Co 2, 15) Au contraire, si tu vivais selon la chair, si tu étais agité par les désirs de lesprit de ce monde, si tu avais un esprit de haine, que son pouvoir soit douteux ou certain, sil tabsolvait et te bénissait de tous les agréments de sa charge, tu ne serais pas moins lié et maudit dans le ciel : tu le serais encore plus, toi lingrat qui reçois tant de faveurs dans ce monde.<o:p></o:p>
Toujours dans le souci dêtre explicite (« de crainte que ce que nous avons dit nobscurcisse une intelligence pas assez prudente », xxiii), lauteur va expliquer les notions dhomme charnel et spirituel, dÉglise noir et belle, en quoi consiste le pouvoir de lier et délier, tout cela constituant les chap. xxiv à xliii. Pour finir on en arrive à cette notion essentielle : le schisme et lhérésie sont « imputables à celui qui se trompe non avec humilité mais avec orgueil » (xlviii) et labbé Jean conclut avec le chap. lii, appelant encore une fois à la prudence : « parce quil faut tourner en meilleure part ce qui est douteux, ne porte pas un jugement de condamnation téméraire sur ce qui est caché » ; et appelant à la charité qui doit sappliquer « aux bons et aux mauvais, aux amis et aux ennemis, aux bénis et aux maudits, à ceux qui sont dans lunion comme aux excommuniés. » Puis il prend congé du lecteur :
<o:p>
</o:p>Tant que tu te réjouiras du présent avec un esprit égal, et du futur avec une espérance glorieuse, ton cur et ta chair exulteront dans le Dieu vivant (cf. Ps 83, 2), et, vraiment confiant, dans une prière pressante et familière, plein dexpérience, tu te délecteras de chanter au Seigneur avec le psalmiste : « Grande paix pour ceux qui aiment ton nom, Seigneur, et il ny a pas pour eux de scandale. » (Ps 118, 165) Ayant achevé cet opuscule par la seule grâce de Dieu, je pense devoir avertir tous mes lecteurs dêtre indulgents sil y a dans ce que jai dit, par hasard, quelque chose de répréhensible, nayant recherché que le profit du salut et de la paix éternelle. Je les prie de ne pas tarder à me corriger, moi qui suis franchement prêt à être corrigé de tout ce qui doit lêtre suivant la foi et la raison catholiques. Bien que cet opuscule de bonne volonté soit peut-être corrigible sur quelque point, je sais cependant en qui jai mis ma foi, et jai la conviction (cf. II Tt 1, 12) que personne ne peut corriger cette bonne volonté par laquelle jai désiré dans lhumilité du Christ être corrigé, partout où je me trouve devoir lêtre.<o:p></o:p><o:p>
</o:p>Le traducteur peut faire siennes ces dernières phrases. Il a achevé son travail ; les extraits donnés ici représentent à peine plus de 1/10 de lensemble. Selon lui, ce qui a été résumé à grands traits mérite lattention dune lecture intégrale. Au tour dun éditeur soucieux de bien uvrer (à savoir : publier le texte dans des conditions honnêtes), à son tour de se manifester. <o:p></o:p>
Nous avons besoin de la sagesse de labbé Jean, peut-être plus quà son époque, car, tout bien pesé, existe une différence majeure entre la crise de lÉglise quil a connue et celle que nous vivons aujourdhui : Alexandre et Calixte étaient « en désaccord pour une question de préséance temporelle » mais ils étaient parfaitement unis « en ce qui concerne la foi du Christ » (iii, l) ; nous, catholiques, sommes en désaccord pour des questions de dogmes et de liturgie (ces deux domaines étant liés), puisque depuis des décennies se dessine une nouvelle religion qui na plus grand-chose à voir avec la religion quon disait jadis catholique. Cest dire si notre doute et notre douleur ont des raisons dêtre plus aigus encore que ceux des contemporains de labbé Jean.<o:p></o:p>
Amédée Schwa<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
<o:p> </o:p><o:p> </o:p>
<o:p> </o:p>
[Les illustrations de ce numéro sont les pentures des portes de Notre-dame de Paris, dont la première pierre a été posée en 1163 par le pape Alexandre iii, lAlexandre auquel fait allusion notre auteur. Le pape sétait réfugié à Sens, où il resta jusquen 1165, ce qui explique son activité en Île de France à cette époque.]
[1] De vera pace contra schisma sedis apostolicae, opusculum quod anno mclxxi Romae conscripsit Iohannes abbas S. Mariae trans Tiberim, Edidit Adnotavit Indicibus instruxit D. Andreas Wilmart, O.S.B., Lateranum Nova series An. IV N. 2, Facultas theologica pontificii athenai lateranensis, Romae, mcmxxxviii.<o:p></o:p>
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique