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Par schwa1 le 12 Janvier 2008 à 17:46Idées & Langages
par G. Lindenberger
RELIGIEUX
Créatif.
- Les équipes liturgiques du diocèse de Nevers sont pleines dinventivité. Leur dernière création sintitule Remise des Actes en la fête du Christ-Roi, sorte de mystère dont la première a eu lieu le dimanche 25 novembre. Cette saynète demande la fabrication dun tombeau (photo ci-dessous, toute ressemblance avec autre chose serait pure maladresse) et du matériel tel quun narrateur, des enfants et des corbeilles (sic). Après différentes péripéties narratives, voici «un groupe denfants, debout tête baissée, regroupés en cercle devant lautel. Ils redressent la tête et les bras lentement vers le ciel [adaptation de la salutation au soeil des yogis?] en tenant dans leurs mains une flamme très colorée sur laquelle est écrit: «Vous serez mes témoins.» à loffertoire défile «une procession des offrandes avec des paniers contenant les Actes des Apôtres.» On peut, au moment du Notre Père, «faire venir les personnes dorigine étrangère autour de lautel, pour réciter ensemble, chacun dans sa langue, cette prière, sans oublier la langue des signes.» Certains gestes dhonneur à lattention des liturgistes sont-ils possibles?Vital. -
Le synode du diocèse dAngers sest achevé. La charte rédigée par Mgr Bruguès reprend les huit principes dégagés lors des concertations, avec les décisions afférentes. Entre autres bêtises, les chrétiens sont appelés à relever «les défis propres à notre époque, clairement identifiés: la mondialisation et la protection de lenvironnement.» La mondialisation «devrait favoriser lémergence dune conscience universelle où lemporteraient la solidarité internationale et le respect de létranger.» En ce qui concerne les jeunes, «deux valeurs éducatives ont été privilégiées: léducation affective et sexuelle, et lapprentissage de la vie en équipe». Lévêque prend sur lui dy ajouter «la formation à lintériorité et à la vie spirituelle». On voudrait ne pas rire...Symbolique. -
Une installation au pied de lautel de Savennières (49): sparterie ethnique, cierges, poteries, cailloux, ces derniers sont-ils des supports de méditation façon bouddhisme tibétain?Utile. -
Une prière «Pour transmettre ta Parole, Seigneur», éditée par les uvres Pontificales Missionnaires (dont le logo en rappelle un autre) : «Ouvre mes yeux, quils ne voient plus des enfants noirs, jaunes ou blancs, mais des enfants du monde. Ouvre mes oreilles, quelles nentendent plus langlais, le chinois ou le français, mais la langue de lamitié...» Dernier verset: «Ouvre mon intelligence...», une sorte de miracle.
SOCIAL
Banal.
- Le bulletin municipal du 4e arr. (Centre Ville n°50) est consacré à «létranger, le voisin, lautre». Dominique Bertinotti, notre maire, «se félicite dappartenirà un arrondissement qui est la confluence dorigines, dinspirations et de choix de vie différents...» La maire PS parle comme un curé.Mineur
. - Pour une fois, le terme jeune nest pas usurpé: "Arrêté à 8 ans pour cambriolage" (dans 20 minutes du 12 novembre). "Les policiers ont interpelé jeudi deux très jeunes frères, âgés de 8 et 13 ans, soupçonnés davoir cambriolé une école primaire de Versailles." Le plus drôle est quils nont pas été appréhendés après enquête, mais après avoir caillassé des policiers...Métissé. -
Lu dans Matinplus du 3 décembre lhistoire de Jacques S., dont la fille a été kidnappée par sa grand-mère algérienne. "Bien que lenfant soit de nationalité exlusivement française, sa grand-mère estime quelle "appartient" à lAlgérie, pays musulman." Une brave femme, certainement, victime de préjugés, car la France, après tout... Son gendre en reste tout songeur, lui qui "sétait converti à lislam en 2001 pour épouser Farah B."
INTELLECTUEL
Littéraire. -
Un titre : Le Bestiaire des Animaux. Et la faune zoologique, dans tout ça?Philosophique
- Dans le gratuit Paru Vendu du 8 nov., un article sur le Feng Shui, sagesse chinoise qui «enseigne une méthode ancestrale afin datteindre la plénitude physique, morale et intellectuelle en agissant sur laménagement de notre lieu de vie.» Mazette. Un exemple? «Selon les principes du Feng Shui, la cuisine est associée à la nourriture.» Moment de sapience.Artistique.
- Un programme dArt Thérapie. Le stage Intuition, Inspiration permet de "rétablir par résonance le lien intime entre le corps & lesprit, la capacité originelle dêtre à chaque instant dans lici-maintenant dune conscience unifiée"... Le stage Traces & empreintes a pour objectif de "déposer le Lourd, lAncien pour les apaiser, transformer notre réalité en signes qui font Sens, accueillir le Silence, le Vide pour faire le Plein." Un Plein à 900 euros par stage, voilà qui a du Sens.
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Par schwa1 le 12 Janvier 2008 à 17:40
Hiérarchie d'un sanctuaire roman,
Saint-Rémy-la-Varenne,
par Samuel
De nombreux abonnés se sont inquiétés quil soit moins question dart roman dans notre bulletin, depuis quelque temps. Que la présente étude les rassure et quils sachent quil en viendra dautres.
Léglise de Saint-Rémy-la-Varenne sur les bords de Loire faisait partie à lorigine dun prieuré dépendant de labbaye Saint-Aubin dAngers, prieuré qui a été récemment profondément rénové. Elle est de nos jours église communale, appartenant au nombre des « églises accueillantes en Anjou » (heureuse initiative diocésaine) et comme telle fermée en hiver. Je voulais y passer encore une fois au cours de la rédaction de cette étude, début décembre. Léglise était fermée. Un lambeau dinformation, affiche délavée, remontait à 2004. Dans le premier bar, ma demande des clefs éveilla langoisse des consommateurs, qui buvaient leur retraite et nos cotisations sociales. Le patron du second, fort sympathique, à qui je demandais où était la mairie dans lespoir que les clefs y fussent à disposition, commença à mexpliquer la séparation de léglise et de létat. La porte de la mairie à laquelle je frappai après vérification des horaires douverture ne souvrit point. Nest-ce pas désolant ?
I. Architecture
Les informations sur léglise sont succinctes. La brève notice que lui consacre Anjou roman indique la partie inférieure des murs de la nef date du XIe, le beau chevet du XIIe, partie qui retiendra notre attention : « Le chur est très profond et se développe sur deux travées. Il est voûté en berceau brisé sur doubleaux. [ ] Les fenêtres [de labside] sont percées au fond dun riche ébrasement composé, de lextérieur vers lintérieur, dun cintre non mouluré, et de deux archivoltes dont les angles sont amortis en boudin, ces trois éléments étant reçus par autant de colonnettes. » 1 (ill. 1 & 2)
Trois particularités manquent à cette description. A) Les appuis inférieurs des baies sont à redan (en marches descalier). B) La hiérarchie de lensemble nest pas soulignée : les trois baies de labside sont rassemblées par une arcature retombant sur des colonnes, vient ensuite, pour chacune, un arc à boudin retombant sur une colonnette et enfin un arc nu retombant sur une colonnette identique. (ill. 3) C) Les quatre colonnes ont été amputées de leur tiers inférieur. Désormais appuyées sur un culot fort laid, elles montaient nécessairement de fond, donnant la note verticale dun ensemble pour le reste très horizontal trop à cause de ce remaniement malheureux, qui affecte aussi les colonnes dentrée de labside. (ill. 2 & 3)
Les origines et loriginalité du sanctuaire de Saint-Rémy-la-Varenne apparaissent lorsquon le rapproche dautres églises des bords de Loire angevins, en amont et en aval. A) Les absidioles du transept de Fontevraud ont trois baies reliées par une arcature et des appuis à redan. B) Les absidioles de Cunault et labside de Savennières (ill. 4) présentent des baies reliées par une arcature principale, chacune ayant des colonnettes comme piédroit. Cunault, Savennières et Saint-Rémy-la-Varenne ont une voûte absidale moins élevé que la voûte du chur, le passage du chur à labisde se faisant par un rétrécissement que signale une colonne. C) Labside de Brion présente une arcature principale retombant sur des colonnes géminées (parti pris dans cette église de géminer les supports principaux), puis deux arcs retombant sur des colonnettes de même diamètre formant piédroit (ill. 5). [...]
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illustré de 22 photographies exclusives
dans lovendrin 21.
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Par schwa1 le 12 Janvier 2008 à 17:35
Remarques sur la langue de Courbet
par Amédée Schwa
L'importante exposition Courbet au Grand Palais
(qui se termine le 28 janvier prochain) nous a suggéré de relire sa correspondance, volumineuse puisque lensemble des lettres conservées représente plus de six cents pages.1 Elles vont de fin 1837, alors que Gustave, âgé de dix-huit ans, entre au collège de Besançon, à 1877 huit jours avant sa mort en Suisse.Dun style très vivant, les lettres de Courbet appellent des remarques dordre lexical essentiellement.2
I. Mots non signalés par léditeur.
a.- « il a fallu pour ne pas rester sans feu tout lhiver que chaque élève donne une quarantaine de sous pour faire acheter du bois, amodier des fourneaux et payer le feutier. » (p. 18, à ses parents, oct.-nov. 1837) : « amodier » signifie louer mais semploie ordinairement pour une terre ou une mine. Le terme de « feutier » est utilisé pour désigner le sacristain chargé des cierges dans un sanctuaire (encore en usage à Lourdes, par exemple), mais semployait aussi pour désigner lhomme chargé du chauffage dans un établissement.
b.-« Elle na quà dire à mon père daller lui chercher du papier à Besançon et un gypseur fera le reste » (p. 64, à ses parents, août 1846) : terme suisse signifiant « plâtrier, tapissier », proche du français « gypsier » : ouvrier plâtrier.
g.- « Le pauvre malheureux Thomas a succombé sous le brutisme du jury, chose singulière, le tribunal était pour lui, et moins réac que le jury. » (p. 91, à Max Buchon, mai 1850) Cest Vallès qui, en 1848, a lancé labréviation « réac ». Quant à brutisme, cest un mot créé par Saint-Simon (1825), signifiant : « conception mécanique des phénomènes utilisés notamment par Espinas pour illustrer sa thèse cartésienne des animaux-machines ». Sapplique ici à la bêtise automatique des jurés ?
d.- « je me prosterne à tes genoux, ma vieille gonze, mais réponds-moi aussitôt que tu le pourras car il faut que jécrive à Francfort. » (p. 124, à Louis Français, février 1855) On a gardé le féminin gonzesse, fait sur le mot gonze servant au masculin et au féminin (de litalien gonzo, individu stupide).
e.- « je ne sais sil a peur des communalistes ? » (p. 407, à J. Castagnary, mars 1872). Doublet de « communard ». Le mot semploie aujourdhui pour désigner lidéologie ayant abouti à la Commune.
II. Mots signalés par [?], [sic] ou en italiques.
a.- « Jen reviens maintenant à ce platisson de Jean-Pierre Coulet. » (p. 61, à ses parents, avril 1846) : terme dépréciatif, ce Coulet étant un menteur et un emprunteur. Origine inconnue.
b.- « Cest au contraire un triomphe qui saccommode fort peu avec les racontottes que tu me fais. » (p. 145, à son père, juin-juillet 1858). En franc-comtois « racontote» a le sens de petite histoire, avec la nuance, dans la phrase de Courbet, de « racontars ».
d.- « il serait bon dacheter à Pommey cette longaine de terrain » (p. 153, à ses parents, septembre 1859) Pour « longueur » ?
e.- Faisant linventaire de son atelier dOrnans, Courbet mentionne toiles et meubles : « une baignoire, une rondotte, une garniture de chambre de moire antique pompadour » (p. 401, à sa famille, janvier 1872). Une rondotte (mot jurassien) désigne une grande bassine. En ancien français, « rondote : petit cuveau ».
h.- « Je nai pas perdu mon temps, jai déjà gagné la cude que je fais à Maisières. » (p. 411, à ses surs, juillet 1872). Une « cude » est une bêtise3 . La phrase de Courbet peut se comprendre ainsi : jai déjà rattrapé la bêtise que j [ai] fait à Maisières (avoir porté des seaux deau pour éteindre un incendie, ce qui lui occasionna des problèmes de foie et lempêcha de peindre).
q.- « Jai pour le moment plus de 50 tableaux de commandés et de toutes parts on se tire ma peinture à la potenaille. » (p. 436, à J. Castagnary, mars 1873) Lexpression se comprend delle-même ; le terme « potenaille » désigne une carotte (« patenaille » est un terme de la Suisse romande et de la Savoie ; ancien français pastenaille, panais).
i.- « Je me suis escoffé contre une porte à demi ouverte, la tête a frappé » (p. 535, à sa famille, août 1877) à rapprocher de « escoffier » : tuer.
Hors lexique, se rencontre par trois fois (pp. 18, 20 &22) un étonnant passé composé du verbe être avec lauxiliaire être : « Les élèves sont bien plus malins quà Ornans. Ils sont tous agaceurs, taquins, et ne cherchent quà jouer de mauvaises farces. Pour moi jen suis été exempt » ; « Je suis été touché de la lettre que vous mavez écrite. » ; « Je suis été très content de ce que ma filleule ma écrit une si belle lettre. »
Cette construction surprenante ma dérouté jusquà ce que je la trouve chez Agrippa dAubigné. Dans Les Aventures du Baron de Faeneste (écrites vers 1615), uvre médiocre dont lintérêt réside surtout dans sa langue étrange (à base de patois gascon), on trouve (je modernise la graphie) :
« Oh que voilà de beaux fruits : sont-ils du jardin où nous sommes été promenés ? » 4
« Si Père Gontier fût été cru, la Cour fût été excommuniée. » (p. 83)
La Grammaire de la langue française du XVIe siècle5 (p. 120) enregistre ce fait chez Nicolas de Troyes, Noël du Faye, Maurice Scève. Pour ce dernier il sagirait dun italianisme, pour les autres dune tournure populaire. Elle survivait dans le Jura au XIXe, la preuve Courbet ; les trois occurrences datent de ses toutes premières lettres, lorsquil passe de la campagne (Ornans) à la ville (Besançon). Il sen corrige ensuite totalement.
Terminons par une expression imagée. Ayant eu la visite dun intermédiaire chargé de réconciliation politique, Courbet, pour «envoyer paître», écrit : « Jai envoyé lambassadeur sur le cul du four. » (p. 404, à sa sur, mars 1872).
1
Correspondance de Courbet, Texte établi et présenté par Petra Ten-Doesschate Chu, Flammarion, 1996 (The University of Chicago, 1992).2
Nos outils ont été les suivants : le Dictionnaire des mots rares et précieux, le Dictionnaire franc-comtois mis en ligne par lassociation Cancoillotte.net, le Lexique de lancien français par Fr. Godefroy, le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, le site donomastique savoyarde et romande de Henry Sluter.3
Existent aussi cudet (curieux un peu niais) et cudot (qui fait des bêtises par gloriole)4
P. 58 de lédition de Gaston de Raimes, Flammarion, 1895.5
Par Georges Gougenheim, Picard, 1974, rééd. 1994.
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Par schwa1 le 12 Janvier 2008 à 17:30
Les Trésors de Claude Farrère
par Xavier Soleil
Frédéric-Charles Bargone alias Claude Farrère est né à Lyon le 27 avril 1876. Fils dun colonel dinfanterie coloniale, il entre en 1894 à lÉcole Navale ; à la sortie de lécole, il est affecté à lescadre du Levant où il sera, pendant deux ans, sous les ordres du commandant Julien Viaud - autrement dit Pierre Loti - à qui il vouera, par la suite, une affection, voire un culte, sans bornes.
Pierre Loti était né à Rochefort en 1850. Il était un officier de marine et, surtout, un écrivain déjà mythique, lorsque Farrère, jeune aspirant, le retrouve en 1903 comme pacha du Vautour, principal stationnaire de France à Constantinople. Azyadé, Le Roman dun Spahi, Trois journées de guerre en Annam, qui lui valut dêtre mis en disponibilité par le gouvernement de Jules Ferry, Pêcheur dIslande, Les Derniers jours de Pékin, ont fait de lui le héros de toute une génération
1 ; cest en 1891, à quarante et un ans, quil a été élu à lAcadémie française contre émile Zola, de dix ans son aîné.Pour comprendre cette époque où le cosmopolitisme du xviii
e siècle navait pas encore entièrement disparu, il est nécessaire douvrir un atlas historique et de constater, par exemple, que, de 1792 à 1877, date du traité de Berlin, et malgré de nombreux soubresauts, la Turquie dEurope occupait une superficie sensiblement équivalente à celle de lAutriche-Hongrie.La lecture de lavant-propos de Lextraordinaire aventure dAchmet Pacha Djemaleddine pirate, amiral, grand dEspagne et marquis, avec six autres singulières histoires, livre publié par Farrère en 1921 permettrait peut-être dexpliquer lengouement de toute une partie de cette génération pour la Turquie. Bien sûr, il y avait eu Loti ! Mais que des hommes aussi différents que notre officier de marine écrivain, édouard Herriot, Anatole de Monzie, Paul de Cassagnac aient vu dans la défaite turque face à la Grèce, soutenue par lAngleterre, « un recul de la civilisation » mérite dêtre souligné.
Les raisons exposées sont très claires, mais il est difficile non pas de les comprendre, ni mê- me de les accepter, mais de les transposer hors de leur contexte historique : alors le peuple turc considérait la France «comme lunique nation qui fut toujours son alliée contre tous ses ennemis successifs, depuis le temps de François Ier jusquau temps de Napoléon III Dans tout le Proche-Orient, ajoute Farrère, les intérêts français sont liés, et mieux que liés : mêlés, enchevêtrés, confondus, avec les intérêts turcs. Chaque pas perdu par la Turquie fut toujours un pas perdu par la France. Chaque progrès des Bulgares, des Serbes ou des Grecs fut un recul pour nous Français. » Lalliance allemande, en 1914, fut, pour la Turquie, une alliance contre-nature. Nen fut-il pas de même pour la France de lalliance russe ?
2.
Claude Farrère a écrit et publié ses Souvenirs en 1953, mais avant douvrir ce charmant ouvrage, il convient de glaner quelques pages intéressantes dans le recueil quil a consacré à lauteur de Madame Chrysanthème et de Propos dExil. « Ni Corneille, ni Musset, ni Hugo, ni Flaubert, avoue-t-il, ne mont laissé daussi despotiques sensations. »
« Chacun sait, écrit-il, quautrefois édouard Lockroy, au temps quil commençait de ruiner la marine française en simaginant la rajeunir, avait mis à la retraite un certain nombre de bons marins, dont Loti. Le Conseil détat cassa cette imbécillité illégale. » (note du 20 septembre 1903). Et, quelques pages plus loin : « Depuis fort longtemps sévit sur la marine française un ministre qui sappelle Camille Pelletan. Et, certes, la marine française nen nest plus à compter ceux de ses ministres qui furent totalement incapables. Mais je nai connu personne encore qui dépassât Camille Pelletan en incapacité. » (note du 25 février 1904).
Deux ans avant sa mort, en 1921, Pierre Loti recevait un émouvant témoignage de reconnaissance des autorités turques, et Claude Farrère, qui lassistait à cette occasion note : « La Turquie, pour Loti, cest la jeunesse dabord, cest lamour ensuite, cest la patrie, enfin la seconde patrie, sans doute, mais tellement meurtrie, et avec tant diniquité quelle est devenue la première. Ainsi les hommes justes se révoltent désespérément contre linjustice. Et Loti, juste entre les plus justes, sest révolté jusquà en mourir. Ce nest pas sa vieillesse qui le tue; il na pas soixante-douze ans; et, tant que la guerre dura, il sest battu, et la fatigue glissait sur lui comme sur les jeunes hommes. Mais, la victoire remportée, ce grand cur, qui avait cru lutter pour le droit contre la force, sest écroulé tout à coup de voir la force, ni plus ni moins que jadis, primer le droit, et Wilson, et Lloyd George, et dautres, épargnant la forte Allemagne pour fouler la faible Autriche et la faible Turquie, faire ni plus ni moins comme avait fait Bismarck. »
3.
Evoquant, dans ses Souvenirs, lécriture de La Bataille, Farrère remarque quil sagit dun roman « entièrement inventé » dont il a forgé les personnages « de toutes pièces. Je craignais même, ajoute-t-il, ayant écrit les Civilisés, lHomme qui assassina et Mademoiselle Dax, jeune fille, en copiant des êtres vivants, que la Bataille noffrit au public quun texte artificiel et froid. Car, à proprement parler, le seul personnage que javais copié daprès nature était le Japon ». Or, trente ans après la publication de ce livre, en 1938, lauteur est abordé dans une rue de Tokyo « par un Japonais fort élégant, qui me salua bien bas, avant de maborder en ces termes :
- Jai lhonneur de parler à monsieur Claude Farrère? Je suis monsieur Yorisaka, le vrai, le vivant.
Et comme je me confondais en excuses pour avoir ainsi abusé, sans le savoir, dun nom véritable, il me répondit avec vivacité :
- Aucune excuse, Monsieur ! Je viens au contraire vous remercier au nom de tous ceux qui portent mon nom, davoir choisi pour votre livre ce nom, le nôtre ; pour montrer au public dEurope ce quest un véritable gentilhomme japonais. Merci donc ! »
Et Farrère de conclure : « Je nétais donc pas oublié au Japon. Non plus que lHomme qui assassina ne fut oublié en Turquie. Dans les deux pays, la population entière me garde une reconnaissance profonde, à mon avis fort exagérée, car je navais fait que dire la vérité sur les Turcs comme sur les Nippons. Il est vrai que la Turquie et le Japon avaient subi de lEurope les plus cruelles injustices et jétais peut-être le premier, après Loti (pour la Turquie) à redresser lopinion universelle ».
Quel retour sur lui-même ou quel sentiment de modestie lui fit rédiger lenvoi manuscrit que nous avons trouvé sur le faux-titre dun exemplaire de lédition illustrée de La Bataille et dont voici le texte :
pour Pascal Marzotti, ce roman, le quatrième de ceux que jai écrits. Javais trente-deux ans. ça été un très grand succès. On dut tirer à peu près un million dexemplaires. Et pourtant, il ny a là-dedans ni sincérité, ni émotion. Il y a le Japon, et encore ! un Japon assez conventionnel. Page 170, jai écrit que les Japonais étaient asiatiques. Cest faux. Ils sont océaniens En toute sympathie.
Claude Farrère, 1945
Nul na mieux défini cette uvre qui a les dimensions dune tragédie que le maréchal Juin dans sa réponse au discours de réception à lAcadémie du successeur de Farrère, Henri Troyat : une « admirable fresque où lon ne voit que des ressorts tendus par une interrogation anxieuse sur le destin de la Patrie, et des personnages hors série qui savent se décider et se sacrifier tout en demeurant profondément humains ». Et le maréchal dajouter, continuant son analyse par un éloge appuyé : « Tout Claude Farrère est dans cette individualisation du courage généreux et désintéressé chez des êtres dexception. Et cest bien par ce côté que son uvre a séduit et enflammé en France des légions de futurs combattants avant lheure des grands holocaustes, prolongeant ainsi sur le plan de lénergie individuelle leffort entrepris par Barrès sur celui de lénergie nationale ». [...]
Lisez l'intégralité de cet article dans lovendrin n°21.
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