• <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Il<o:p></o:p>

     y a la Règle d’Or ; l’histoire de Boucle d’Or ; L’Âne, roman d’Apulée, devenu L’Âne d’or parce que c’est un bon livre et qu’il a longtemps enrichi les libraires ; la Légende des Saints, devenu la Légende dorée pour les mêmes raisons. Et il y a le Nombre d’Or, parfois nommé Section dorée ou divine proportion.<o:p></o:p>

    Le nombre d’or est ce rapport entre longueur a et largeur b tel que a/b = (a + b)/a, ce qui revient à a/b = (1+5)/2. Un rectangle construit sur ce nombre a les proportions que voici :<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

    D’où est tiré ce rapport ? « Depuis l’Antiquité, on considère qu’un rectangle a des proportions parfaites si, lorsqu’on enlève un carré, le rectangle restant a les mêmes proportions que le rectangle initial. »[1] Comprenez que dans la figure ci-dessous, le petit rectangle C a les mêmes proportions que le grand rectangle A si on enlève à celui-ci le carré B. Les rectangles A et C sont construits sur le Nombre d’Or.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    A<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    B<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    C<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    J’admets qu’il y a là quelque chose de satisfaisant du point de vue géométrique. La question est de savoir si on doit considérer ces proportions également satisfaisantes dans le domaine de l’esthétique. Certains historiens de l’art, certains architectes le pensent, qui ne jurent que par le nombre d’or et qui expliquent tout par lui : les pyramides égyptiennes, les temples grecs, les cathédrales médiévales… D’autres vous retrouvent le nombre d’or partout dans un tableau. Une abondante littérature existe en sa faveur, écrite par des gens persuadés que circule d’initiés en initiés ce secret de beauté<o:p></o:p>

    Ce besoin de se référer et, plus, de se conformer à un nombre ne révèle-t-il pas une grande anxiété, la crainte de ne pas avoir dans son propre œil ou sa propre oreille l’outil apte à juger et estimer ? Outil que l’artiste forme avec le temps, à force de jauger d’un point de vue quantitatif, certes, mais surtout qualitatif. Or utiliser le nombre d’or, c’est passer d’une considération quantitative à une conclusion qualitative : il y a erreur d’aiguillage. Aulu-Gelle rapporte que Varron s’était astreint à placer une césure à tel endroit précis de ses vers, non pour une raison rythmique mais « pour une raison tirée de la géométrie »[2] (ratione quadam geometrica). C’est le même abus, appliqué  à la poésie.<o:p></o:p>

    J’ai devant les yeux une étude intitulée Nombre d’or, nature et œuvre humaine[3]. Les exemples tirés de la nature (coquilles diverses, cœur de chardon…) sont parlants et la présence du nombre d’or y est indubitable. Cela n’a rien de surprenant, la rigueur géométrique de ces choses étant manifeste. L’analyse déraille lorsque l’auteur crée un squelette de cheval idéal au nombre d’or d’après des types de chevaux existants. Puis il s’intéresse aux visages, trouve du nombre d’or partout mais note que, tout de même,
    son étude est « plus anthropométrique qu’ar- tistique » : il touche un point crucial mais n’y reviendra pas. En passant il se réjouit que Laetitia Casta soit, elle aussi, au nombre d’or ; du moins l’a-t-il lu dans le Figaro Magazine, qu’il qualifie de « revue sérieuse ». <o:p></o:p>

    L’œuvre humaine, maintenant : méga- lithes, abbayes cisterciennes, rosace du xive, tout cela est beau et hautement spirituel parce que construit sur le nombre d’or. Un artiste a sa place ici, Rémi Damiens,  qu’on voit « à la recherche de formes avec son compas de proportion » car pour lui « la divine pro- portion n’est pas qu’un nombre, c’est une philosophie. » La sculpture donnée en exemple ne donne pas une haute idée de l’apport artistique du nombre d’or.<o:p></o:p>

    Combien l’esprit dans lequel une œuvre a été conçue a plus d’importance ! Des œuvres de petite taille peuvent avoir un caractère monumental (ainsi en est-il de nombreuses statuettes égyptiennes), quand de gigan- tesques sculptures n’ont pas plus de présence qu’un petit caillou[4]. De plus, pour beaucoup d’œuvres sinon toutes, la taille de création est primordiale : Charles Cordier a modelé de très-estimables bustes grandeur nature qui ont été ensuite soumis au procédé de réduction, devenant des bibelots[5] ; les proportions pourtant étaient rigoureusement gardées, preuve qu’elles ne sont pas tout. <o:p></o:p>

    En architecture, la référence à un module (ou pas) va de soi. Le module est la mesure de base qu’on retrouve dans tout l’édifice, multiplié ou divisé. L’architecture grecque prenait comme module le rayon de la colonne à sa partie inférieure. Ce module était multiplié pour déterminer la hauteur de la colonne et subdivisé pour déterminer « les hauteurs et les saillies de chaque moulure »[6]. L’utilisation du module est facteur d’unité, évidemment ; à ce titre, elle est fort estimable. Mais l’unité n’est pas tout, et des tas de choses sont belles sans être astreintes à un module. Un bâtiment peut être fort laid et construit sur un module : la récente église Notre-dame de l’Arche d’Alliance (Paris xve), est conçue sur un pas de x mètres. Cela ne l’empêche pas d’être déplorable du point de vue de l’architecture religieuse.<o:p></o:p>

    S’agissant des églises médiévales, on a déterminé pour certaines sur quel module elles étaient basées : l’abbatiale de Saint-Denis est construite sur un module de 0,325m. Ce nombre n’a rien de magique, c’est le pied parisien.  Régine Pernoud, à qui j’emprunte ces précisions, note que les architectes médiévaux utilisent en général des proportions élémentaires de un à deux, un à trois, et que, si le nombre d’or « peut être retrouvé dans le plan de la cathédrale de Reims », les constructions géométriques restent simples et « n’ont rien à voir avec les systèmes numériques étouffants édifiés de nos jours par certains commentateurs. »[7]<o:p></o:p>

    Les architectes médiévaux avaient en réalité un solide sens du concret. Ils ont toujours eut à cœur de bâtir à taille humaine. L’abbatiale de Fontfroide est une exception, qui écrase l’homme par des socles démesurément hauts. Henri Focillon fait cette remarque au sujet de la particularité de Fontfroide : « Ainsi, entre le pavement et les bases, s’établit une sorte de puissante zone abstraite, des socles nus qui semblent n’avoir pour fonction que de hausser tout le système, toute l’église dans les airs. »[8]<o:p></o:p>

    Zone abstraite révélatrice d’un changement de mentalité : car pourquoi hausser l’église dans les airs ? « Voilà le malheur : cet art gothique qui veut monter, qui aspire à une légèreté quasi-aérienne, pourquoi veut-il s’élever autant puisque Dieu lui-même est présent sur l’autel ? », notait Henri Charlier[9], mettant le doigt sur ce qui distingue l’esprit roman de l’esprit gothique. À Saint-Pierre de Rome, l’aberration (l’oubli du module réel de tout bâtiment : l’être humain) deviendra système : basilique pour paroissiens cyclopéens, pour bigotes de concours.<o:p></o:p>

    Robert Chalavoux nous apprend que Fontfroide est « un dosage de rectangles d’or et de rectangles dont les proportions longueur sur largeur = 1, 414 (qui est le rapport du côté d’un carré à sa diagonale) ». C’est beaucoup de précisions mathématiques pour une abbaye qui présente, on l’a vu, une dispro- portion flagrante, d’un effet malheureux. <o:p></o:p>

    Faut-il rejeter toute théorie explicative de l’harmonieux par les mathématiques ? Poésie et raison sont souvent considérées comme antinomiques. Adolescent, celui qui aime la littérature est porté à mépriser les mathématiques ; ce fut mon cas, jusqu’à ce que, post baccam, dégagé des cours de maths, je m’aperçoive que cette matière me manquait. Art et raison ne s’opposent pas, mais la correspondance entre eux, si elle existe, il ne nous est point donné de la saisir. Peut-être nous apparaîtra-t-elle dans son évidence quand nous serons renseignés sur tout ou presque – autant que nous l’aurons mérité – ; la réalité terrestre est que l’artiste qui astreint son art aux mathématiques est ipso facto perdu. Albert Gleizes s’empêtra dans les spéculations géométriques : s’acharnant sur les concepts de translation (déplacement des plans), de rotation (inclinaison des plans autour d’un point focal), concepts intéressant l’ornemental plus que la peinture, il oublia que ce n’est pas la composition qui régit la forme, mais la forme qui ordonne la composition. Il passa à côté de ce qu’il cherchait et fut contraint d’intituler des toiles « support de méditation » ou « toile pour la contemplation » pour pallier le manque. L’illustration ci-après parle d’elle-même.

    Notre auteur du Nombre d’or, nature et œuvre humaine finit par se poser cette question : « les cartes de crédit sont-elle au nombre d’or ? » Il fallait y penser. Sa réponse : « Presque, elles ont en trop 2/100e de leur largeur… mais à l’œil c’est acceptable. » Qu’une carte de crédit ait autant de spiritualité qu’une abbaye cistercienne, on ne s’y attendait pas. Le plus gênant est qu’il s’accommode de 2/100e de différence, tout comme il s’accommode (au début de l’ouvrage) d’un calcul approximatif du nombre d’or en comptant des enjambées. Face à la mystique pythagoricienne des sectateurs du nombre d’or, le bon sens est, comme souvent, efficace. Le rapport (1+5)/2 donne un nombre approchant 1,618. Ce n’est pas un nombre entier. Autant le mathématicien peut le manier sans difficulté sous sa forme (1+5)/2, autant l’architecte dans ses plans, et encore plus le tailleur de pierre et le maçon sur le chantier, doivent utiliser un nombre rond (à 10-3). Concrètement ne peut être utilisé qu’un nombre approché : on conçoit ce qu’un « nombre d’or imparfait » a d’absurde.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>



    [1] Lucien Chambadal, Calcul pratique, Paris, 1983, p.188.<o:p></o:p>

    [2] Nuits attiques, xviii, 15.<o:p></o:p>

    [3] Par Robert Chalavoux, Marseille, 2001.<o:p></o:p>

    [4] Voyez le Mont Rushmore où sont sculptées les visages de quatre présidents américains, de dix-huit mètres de haut.<o:p></o:p>

    [5] À des fins commerciales. Le bourgeois xixe aimait les petits machins tirés en série : il en tirait une satisfaction mécénale à peu de frais. L’art de Carpeaux ne s’en releva pas.<o:p></o:p>

    [6] Nouveau manuel d’architecture, par Toussaint de Sens, Encyclopédie Roret, 1857, tome 1, pp. 6-7.<o:p></o:p>

    [7] Régine Pernoud, « Comment on construisait une église », in Histoire générale des églises de France, ouvrage collectif, Robert Laffont, 1966, p. 159.<o:p></o:p>

    [8] Art d’Occident, Paris, 1938, livre ii, chap. i : « Le premier art gothique », section iii.<o:p></o:p>

    [9] « Théologie d’une église romane », in Racines n°3, p. 92, juillet 1994. <o:p></o:p>



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  • des visiteurs<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    L<o:p></o:p>

    ors de l’exposition Barnes au musée d’Orsay (en 1993, me semble-t-il), exposition qui présentait la très-complète collection de ce docteur, je fis la queue deux heures et demi dans un froid prononcé et sous la neige. La joie de voir les toiles rares l’emportait sur le désagrément du climat. Au cours de la visite, cependant, je fus amené à me demander ce qui avait poussé certains visiteurs à affronter l’hiver, car l’amour de l’art n’était pas, à l’évidence, ce qui les avait menés là. Devant un nu ovale de Van Gogh, un père expliqua à son jeune fils que c’était « mal peint exprès ». (On me rapporte qu’on put lire semblable appréciation sur le livre d’or de l’exposition Vuillard au Grand Palais : « C’est moche exprès. ») <o:p></o:p>

    Il faut croire que les nus stimulent les imbéciles : toujours chez Barnes, devant un magnifique grand nu de Modigliani, un visiteur, montrant de l’index l’ombre de la raie des fesses, déclara à ses amis : « Celle-là, elle est mal torchée. » J’ai honte de rapporter cette double grossièreté, et de langage, et de pensée – la première étant bénigne, d’ailleurs, par rapport à la seconde – mais elle est si significative ! Rien ni personne ne forçait ces gens à voir cette exposition, sauf peut-être que c’était une grande exposition. À ce titre, elle avait bénéficié d’une réclame réitérée jusque dans les pages les plus culturelles des magazines télé, devenant ainsi un événement obligatoire pour les personnes les moins concernées.<o:p></o:p>

    Les gens instruits peuvent avoir des sorties surprenantes. Lors d’une expo- sition de gravures de Corot à la Bibliothèque Nationale, j’entendis un vieux monsieur à serviette dire à un deuxième vieux monsieur à serviette : « Mais enfin ! Bracquemond était un graveur néo-platonicien ! » Perspectives infinies…<o:p></o:p>

    Plus redoutables que n’importe quels visiteurs isolés sont les groupes. Une douzaine de femmes se cultivant sous l’autorité d’une maîtresse-guide compro- mettent sans effort votre visite. À vous de ruser pour éviter leur attroupement inerte devant telle toile et surtout, surtout ! mettez tout en œuvre pour ne pas entendre un seul mot de la guide. Il y a une chance que ce soit plat, un risque que ce soit une horreur. J’ai entendu, à l’exposition « Gauguin et Pont-Aven » (au Luxembourg), une guidesse expliquer avec un sourire entendu que « Gauguin aimait les petites filles. » Maudit soit-elle.<o:p></o:p>

    On va dire que je m’en prends aux dames – encore ! Ma chronique sur les bas-bleus dans le numéro de septembre m’a valu des lettres ulcérées, la plupart de femmes qui n’étaient pas visées mais s’y sont reconnues. En réalité je ne fais que souligner la détestable oisiveté à laquelle les femmes sont soumises dans notre société sexiste : car si les méchants mâles les laissaient travailler, elles n’encom- breraient pas les salles de musées. Cela m’amène à un deuxième sujet.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    des censeurs<o:p></o:p>

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    D<o:p></o:p>

    ésormais vous serez passibles d’un an de prison et d’une forte amende lorsque vous utiliserez des termes sexistes ou homophobes ; je dis : vous, car moi je n’en utilise jamais, comme bien vous pensez. Remarquons, en passant, que considérer pédé comme une insulte revient à reconnaître qu’être chevalier de la manchette est une tare… (J’emprunte cette jolie expression à Jean-Jacques.) Mais je ne sais pas si le législateur et les obsédés censeurs voient si loin. J’aurais plutôt tendance à penser que leurs vues sont singulièrement bornées. Pour éviter cette malheureuse conséquence, allons au delà de cette loi timorée : obligeons tout un chacun à utiliser ces termes comme compliments. Que p***, s***, et autre c***, ainsi que t*** et p***, soient pris de façon laudative. On dira par exemple à la personne qui tient la porte devant nous : « Vous êtes une belle tantouse. » - en guise de louange. Si cette personne le prenait mal, elle serait poursuivie pour homophobie. Hélas, je sais que ma proposition sera jugée irrecevable, elle est trop audacieuse. Dommage, on se serait amusé un peu.<o:p></o:p>

    G. Lindenberger<o:p></o:p>


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  • C. F. Ramuz,<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    Éléments Bibliographiques<o:p></o:p>

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    Les œuvres complètes de Charles Ferdinand Ramuz parurent en vingt volumes à Lausanne en 1940 (du vivant de l’auteur). Les écrits de Ramuz furent souvent publiés d’abord en revue ; nous ne donnons ici que les parutions en librairie des ouvrages principaux.<o:p></o:p>

    1903 – Le Petit Village, poème en prose<o:p></o:p>

    1905 – Aline<o:p></o:p>

    1906 – La Grande Guerre de Sondrebond, poème<o:p></o:p>

    1908 – Le Village dans la Montagne<o:p></o:p>

    1909 – Jean-Luc persécuté<o:p></o:p>

    1911 – Aimé Pache, peintre vaudois<o:p></o:p>

    1913 –Vie de Samuel Belet<o:p></o:p>

    1914 – Adieu à beaucoup de Personnages<o:p></o:p>

    1916 – Les Grands Moments du xixe siècle français (en art et en littérature)<o:p></o:p>

    1917 – Le Règne de l’Esprit malin<o:p></o:p>

    1921 – Salutations paysannes<o:p></o:p>

    1923 – Il rencontre Henry-Louis Mermod, qui devient son principal éditeur.<o:p></o:p>

    1924 – La Guérison des Maladies<o:p></o:p>

    1926 – La Grande Peur dans la Montagne<o:p></o:p>

    1928 – La Beauté sur la Terre<o:p></o:p>

    1929 – Six Cahiers (notes et remarques diverses)<o:p></o:p>

    1932 – Adam et Ève<o:p></o:p>

    1934 – Derborence<o:p></o:p>

    1936 – La Suisse romande<o:p></o:p>

    1937 – Si le soleil ne revenait pas<o:p></o:p>

    1938 – Paris, notes d’un Vaudois<o:p></o:p>

    1939 – Découverte du monde<o:p></o:p>

    1942 – La Guerre aux papiers<o:p></o:p>

    Mentionnons le journal de Ramuz (1896-1942) et les déchirantes dernières pages de 1942-1947, parues en 1949. Nous rappelons les quatre essais significatifs : Raison d’être (1926), Taille de l’Homme (1933), Questions (1935) et Besoin de grandeur (1937). La biographie de référence reste celle de Georges Duplain (C. F. Ramuz, une biographie, Éditions 24 heures, 1991). <o:p></o:p>

    A. G.<o:p></o:p>


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  • S<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    i modestement que ce soit, évoquer la figure de C. F. Ramuz me paraît bien audacieux de ma part. Son œuvre est si vaste en même temps qu’essentielle ! Je la crois unique dans le monde littéraire qui n’est pas à proprement parler le sien, car elle offre de grandes similitudes avec l’univers pictural auquel la nature même de son art la configure. Enfin elle se situe au centre de la destinée humaine, du drame humain.<o:p></o:p>

    « Une seule chose est sûre, c’est qu’on est posé les uns à côté des autres, et puis c’est tout. Une seule chose est sûre, c’est qu’on doit mourir. Une seule chose est sûre, c’est qu’on est tout seul pour vivre, c’est qu’on est tout seul pour mourir. »[1]<o:p></o:p>

    « Je ne peux être heureux que méta- physiquement. »[2]<o:p></o:p>

    Ce qui m’unit à Ramuz est d’ordre intérieur. Je ne puis au mieux que relater mon approche de ses écrits, exprimer ce qu’ils furent pour moi et ce qu’ils demeurent en moi.<o:p></o:p>

    Dès les années trente, j’avais entendu parler de lui par notre maître André Charlier, et lorsque je lus La Grande Peur dans la Montagne, ce fut une révélation. Lire à quinze ans ce grave récit, c’est entrer dans un autre univers, non qu’il fût étranger au nôtre, mais simplement au delà. Charles Journet, qui admirait Ramuz et l’affectionnait, écrit fort bien qu’ « il ne faut aller aux choses qu’en regardant l’au-delà des choses… La lumière des choses est au delà des choses. » C’est ainsi que j’entrais, pour ne plus le quitter, dans cet univers ramuzien qui est l’illumination du nôtre, où « le miracle est dans le quotidien ».[3]<o:p></o:p>

    Oui, l’œuvre de Ramuz appartient plus à la peinture qu’à la littérature. Encore faut-il préciser que ce monde de l’image où il évolue, et qu’il suscite, ne s’enferme jamais dans la description à la manière d’un Balzac, d’un Flaubert ou même d’un Proust. Son image est de l’ordre de la parabole. Elle est métaphysique.<o:p></o:p>

    Je ne puis m’empêcher de noter ici ce que André Charlier écrivait dans sa jeunesse au sujet de la création, tant cela me paraît éclairer l’œuvre de Ramuz.<o:p></o:p>

    « Produire est évidemment la seule excuse de cette vie. [Il est à remarquer que dès son enfance Ramuz éprouva la nécessité de s’exprimer pour être.] À quoi bon Seigneur, cet esprit que vous m’avez donné, si ce n’est pour créer ? Cet esprit est fait à l’image du vôtre. Votre Esprit est l’Esprit Créateur par excellence en qui est contenu l’essence même des choses. Notre esprit est fait, lui aussi, pour créer. Mais au lieu de saisir les choses dans leur essence, il ne les saisit que dans leurs rapports sensibles, et son œuvre est justement de faire jaillir, d’un rapport choisi à dessein, l’éclair de réalité qui doit nous guider dans les ténèbres. »<o:p></o:p>

    Ce rapport, qui établit les choses dans leur réalité substantielle, me semble être précisément l’objet du long et patient effort de Ramuz.<o:p></o:p>

    « Toutes mes joies, dit-il, ont été dans le rapport de moi qui suis, non à ce que j’ai eu, mais à ce qui est. L’homme est né pour la contemplation ! Tous mes bonheurs sont venus de là. Avoir n’est rien, être est tout. Être parmi ce qui est… »[4]<o:p></o:p>

    « Ne cherchons pas tout d’abord à comprendre : cherchons seulement à sentir. »[5] Il faut sentir pour voir et non savoir pour sentir.<o:p></o:p>

    D’où cet admirable apophtegme : « Connaître ce n’est point démonter, ni expliquer, c’est accéder à la vision, mais pour voir il faut participer, c’est dur apprentissage. » Quel mystique ne ferait pas siennes ces paroles ?<o:p></o:p>

    À l’approche de la mort, rassemblant le peu de forces qui lui restait, il note encore dans son journal, le 26 janvier 1947 : « Continuer à ne jamais rien expliquer : c’est le centre, mais je m’y tiens d’instinct, quoi qu’il puisse m’en coûter. »[6]<o:p></o:p>

    La participation aux choses est le fondement de l’œuvre de Ramuz, et la rigoureuse adéquation du mot à la chose qu’il désigne constitue son art, dont il me semble qu’on ne connaisse pas d’équivalent.<o:p></o:p>

    la participation – Oui, le miracle est bien dans le quotidien. Ramuz le voit et il en vit. Ce mot éclaire le mieux sa personne et son œuvre, lesquelles s’identifient. Elles sont comme une même chose, non que l’écrivain se raconte, ce qui les séparerait au contraire. Il ne s’agit pas d’égotisme mais d’intériorité, une communion avec les choses qui l’entourent, si profonde qu’il y discerne l’élémentaire avec cette extraordinaire intuition de l’être qui l’anime.<o:p></o:p>

    « La plupart des gens, écrit-il, jugent qu’un spectacle est d’autant plus poétique que les sens y sont moins intéressés. Ce sont des nominalistes ; ils se méfient de leur sens, comme n’étant propre qu’à les tromper.<o:p></o:p>

    Leur « poésie » ne commence pas pour eux avec le commencement de leur personne ; elle ne commence à vrai dire que là où leur personne prend fin. Elle n’est pas dans le contact aussi direct que possible avec l’objet ; elle est dans la suppression de tout contact avec l’objet. »[7]<o:p></o:p>

    Aussi affirme-t-il : « Je n’ai jamais douté des choses, ni de leurs leçons. Elles existent en dehors de moi, d’où leur solidarité, et c’est leur permanence que je révère. Il ne faut pas les regarder, il faut les voir. Et cette vue est d’autant plus pertinente qu’elle est instantanée, car c’est de cette instantanéité même que naît l’image, et l’image est le premier contact ou n’est pas. Mais cette image étant en nous, c’est à elle à présent qu’il importe de « ressembler », par l’expression qu’on en tire. »[8]<o:p></o:p>

    La spontanéité est une des grandes constantes de l’art.<o:p></o:p>

    Au jeune visiteur Pierre Vaney qui, avec bien d’autres, se rendait à la Muette, Ramuz conseille : « Attachez-vous aux choses, sachez les voir (et non les regarder) ; ces choses auxquelles les vieux tiennent tant qu’on dit que c’est de l’avarice. Mais il faut toujours, et c’est l’essentiel, y découvrir quelque chose de nouveau. Il faut éviter que les actes coutumiers nous arrachent à la vie, et par là nous empêchent de voir et de sentir. »[9] André Charlier aimait à dire que « la règle la plus importante de la vie spirituelle est de sans cesse rafraîchir le regard que nous devons porter sur les choses essentielles. »<o:p></o:p>

    L’ordre de la vision est le premier. Ramuz exprime la vérité des choses, en posant un regard neuf sur elles, les pénétrant jusqu’à leur être même. « Le vrai étonnement est celui qu’on ressent devant l’élémentaire : on ne voyage qu’en profondeur. »[10] C’est la leçon même du peintre Paul Gauguin ; constatant « l’abominable erreur du naturalisme », il affirmait : « Dans notre misère actuelle, il n’y a de salut possible que par le retour raisonné et franc au principe. » De son côté Charlier voulait « arracher au monde le principe de sa vie profonde ». <o:p></o:p>

    Ce fut l’inébranlable effort de Ramuz en ses récits comme en ses essais. « L’homme use le monde par habitude : l’artiste répare l’usure. »[11] « Retrouver l’innocence. »[12]<o:p></o:p>

    le mot – De cette nécessaire participation aux choses est né le style de Ramuz. Lorsqu’il tente de définir une poétique, il note : « Avec les mots de tout le monde dire des choses nouvelles. »[13]<o:p></o:p>

    Il est étonnant de rapprocher cette définition de celle que Cennino Cennini – encore un peintre – donne de son art : « C’est un art que l’on désigne par le mot peindre… il veut trouver des choses nouvelles cachées sous les formes connues de la nature. » Tout l’art de Ramuz est dans cette recherche incessante et jamais dévoyée du « mot vivant parce que vrai »[14]… « Trouver le mot, le sentir vivre : et il vous bouge entre les doigts comme un poisson qui sort de l’eau. »[15]<o:p></o:p>

    Ainsi Ramuz fut conduit à une véritable révolution spirituelle – disons plutôt rénovation du verbe en tant que tel. Fait unique dans la littérature où on assiste aujourd’hui à une désaffectation du mot. Il n’est le plus souvent qu’une coquille vide, ou encore « comme une espèce de monnaie usée dont on ne distingue plus l’effigie et qu’on donne à la place des choses » ainsi que le disait André Charlier. Dans La Grande Peur dans la Montagne on trouve ceci : « Quand on ne peut pas les voir, c’est comme la pipe, les mots eux non plus n’ont point de goût. »[16]<o:p></o:p>

    Sous la plume de Ramuz peu de mots, mais ils se juxtaposent ou se répondent en une correspondance qui unit les hommes, la nature et toutes choses, à la manière de la couleur pure chez les impressionnistes, à tel point que d’aucuns ont vu dans le style de Ramuz une équivalence avec cette école de peinture. En fait si l’on peut établir un rapport entre l’emploi de la couleur des uns et celui du mot chez l’écrivain, il existe cependant une différence fondamentale, celle même que Gauguin dénonçait lorsqu’il parle des impressionnistes : « Ils cherchent autour de l’œil, dit-il, et non au centre mystérieux de la pensée. »<o:p></o:p>

    Ramuz ne se contente pas du mot vivant à la manière de la couleur pure, il le veut en outre en parfaite adéquation avec ce qu’il désigne, qu’il s’identifie comme substantiellement avec l’objet, de même que Gauguin veut que le trait épouse la forme. Il est en effet à remarquer que l’impressionnisme aboutit à une impasse pour ne s’être attaché qu’à la couleur et avoir négligé le dessin.<o:p></o:p>

    Cette analogie entre l’art d’écrire et celui du trait est telle que lorsque Ramuz spécifie la relation du mot et de l’objet, il emploie les termes mêmes qui conviennent à l’art pictural. « On dit ‘épouser les contours’ : c’est trop de pudeur. Il faut faire infraction ; il faut épouser tout court. »[17] Cette phrase enchanta ma jeunesse de peintre, et elle m’enchante toujours. Une même ascèse procède au dur labeur d’écrire et de peindre. Une ascèse dévolue à l’imagination « imaginative » qu’il ne faut pas prendre pour « inventive » et maîtresse d’erreur comme le fait Pascal.  Baudelaire la gratifie de « Reine du vrai » et Ramuz la proclame : « Reine du monde. »<o:p></o:p>

    Il faut relire les magnifiques pages sur l’imagination dans « Remarques » du n°4 des « Six Cahiers », du 15 janvier 1920 :<o:p></o:p>

     « On confond trop souvent en littérature invention et imagination. [ J’ajoute qu’on peut aussi le dire en peinture. ] Il est même de règle qu’invention et imagination sont des facultés qui s’excluent… L’imagination seule fait voir, non l’invention… Elle est un état de vie profond communiqué à la matière : comme si plus on descendait dans la matière, plus on s’élevait dans l’esprit… La richesse du monde doit être en profondeur. On doit finir par pouvoir mettre toute la métaphysique dans une table : l’image d’abord qu’on s’en fait, l’image ensuite qu’on en « a fait »…<o:p></o:p>

    « Il n’y a pas d’amour là où il n’y a pas d’imagination. Non que l’amour suppose l’imagination, mais l’amour donne l’imagination. L’amour nous fait nous quitter nous-mêmes pour vivre dans ceux  que nous aimons. C’est la plus belle des imaginations. »<o:p></o:p>

    André Charlier écrit : « On ne connaît vraiment une chose d’une connaissance « métaphysique », ou mieux « ontologique », que si on se transporte pour ainsi dire à l’intérieur de cette chose, et l’amour seul peut nous en rendre capables. » Arrêtons-nous là, et contemplons ce « besoin de grandeur »[18] qu’il y avait chez Ramuz. Il le définit lui-même : « Travailler dans le vierge, au nom et sous le signe de la seule vérité, et toute espèce de beauté vous sera donnée par-dessus. » <o:p></o:p>

    Je garde entre les pages de l’un de ses livres l’annonce de la mort de Ramuz que j’avais découpée dans un journal. Elle est aussi laconique qu’insignifiante. Qui, en 1947, supposait que la voix qui venait de se taire à jamais était celle d’un très grand artiste, mais aussi celle d’un prophète des temps modernes. Le dernier sans doute.<o:p></o:p>

     « Les temps sont révolus où l’homme avait encore  une  taille  parce qu’il  était fait  à l’image de<o:p></o:p>

    Dieu, ou bien c’étaient les dieux qui étaient faits à son image. Le drame véritable est que l’homme n’a plus de taille. »[19]<o:p></o:p>

    « Il n’y a qu’un seul malheur pour l’homme, c’est d’être séparé de l’Être. » Idée forte d’André Charlier. Non seulement Ramuz ne s’en sépara jamais, mais il en eut le zèle jusqu’au bout de sa vie, et s’y consuma.<o:p></o:p>

    Sa sœur relata les derniers instants de son frère ce 23 mai.<o:p></o:p>

    « Son cœur battait faiblement. Une grande paix s’établit ; avant que le soleil disparaisse derrière les arbres, Ramuz avait cessé d’être. »[20]<o:p></o:p>

    Non. Il est. On ne cesse d’être, telle est la grandeur de notre destin : l’éternité. Et nous qui portons sa pensée à l’intime de nous-même, nous prions pour que malgré la désespérance qui affleure ses derniers écrits, l’Être qui est Amour le tienne embrassé éternellement en son amour.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

     (Cet article est paru en 1997 dans La Nation, journal vaudois, ainsi que dans le journal Présent, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de C. F. Ramuz.)<o:p></o:p>





    [1] Le Cirque, 1931. <o:p></o:p>

    [2] Journal inédit, novembre 1920. Publié par Georges Duplain in Ramuz – Une biographie, Ed. 24 Heures, 1991.<o:p></o:p>

    [3] Journal, juin 1923. Op. cit. note 2.<o:p></o:p>

    [4] Une Main, Grasset, 1923, p. 103.<o:p></o:p>

    [5] Les grands moments du XXe siècle français, conférences données en 1915. Edition posthume.<o:p></o:p>

    [6] Journal, janvier 1947, p. 144, éd. Mermod, 1949.<o:p></o:p>

    [7] Six Cahiers, n°4, p. 68, éd. Mermod, 1929.<o:p></o:p>

    [8] Journal, novembre 1941, p. 412, éd. Mermod, 1943.<o:p></o:p>

    [9] Biographie, cf. note 2.<o:p></o:p>

    [10] Six Cahiers, n°6, p. 186.<o:p></o:p>

    [11] Les Nouvelles littéraires, 1924.<o:p></o:p>

    [12] Journal, juin 1922, cf. note 2.<o:p></o:p>

    [13] Journal, 1913.<o:p></o:p>

    [14] Journal, août 1922. Cf. note 2.<o:p></o:p>

    [15] Journal, août 1921. Cf. note 2.<o:p></o:p>

    [16] La Grande Peur dans la Montagne, p. 20, Grasset, 1926.<o:p></o:p>

    [17] Six Cahiers, n°1, p. 3, Mermod, 1928.<o:p></o:p>

    [18] Tel est le titre d’un de ses essais.<o:p></o:p>

    [19] Taille de l’homme, Grasset, 1933.<o:p></o:p>

    [20] Rapporté par Georges Duplain, op. cit.<o:p></o:p>



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