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Par schwa1 le 22 Mai 2006 à 15:50
LES JARGONAUTES<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
Médical. La lecture dun fascicule intitulé Rôle de laidant informel dans la prise en charge dun patient Alzheimer permet de savoir, enfin, ce quest un aidant informel. « Nous appelons aidant informel, une personne issue de lentourage proche de la personne dépendante, qui assume la prise en charge de la personne âgée de façon non rémunérée, sans avoir été formée pour cette tâche. » Doù une distinction qui saute aux yeux : il y a un aidant informel principal et des aidants informels potentiels. Mais, puisque laidant informel na pas reçu de formation, il a besoin dun soutien qui sappelle « laide aux aidants dans leur activité daide ». Voilà un rédacteur qui nest pas aidé.<o:p></o:p>
*<o:p></o:p>
Ecclésiastique. Le bulletin Horizon 49 (devise : « Faire Église en Anjou »), supplément à Chrétiens Médias 49, indique un service de « pastorale familiale » : le CLER, Centre de Liaison des Équipes de Recherche sur lamour et la famille. Ça donne envie.<o:p></o:p>
Est publié dans le même numéro (juin 2004) le texte dun poète mystique libanais, Kaul Gibran, qui adresse aux époux ce conseil : « Partagez votre pain mais ne mangez pas de la même miche. » Dont acte.
Chaque mois, la rubrique impertinente Idées et langages.
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Par schwa1 le 22 Mai 2006 à 15:48
Ayant voté non au référendum et refusé la collection dart moderne de François Pinault, les Français sont d« indécrottables ploucs » : tel est lavis de Beaux Arts Magazine (n°253, juillet 2005, p. 32). Le ton est donné.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
Que cette revue présente les créatures du Coréen Ham Jin, « réalisées avec de lanchois séché, du pop-corn, du dentifrice, ou du chewing-gum, [qui] frappent par leur virtuosité ténue et leur sexualité parfois échevelée bien que minimale » (p. 76), ou bien quelle traite des créateurs qui « distillent quelques virus pour perturber le champ visuel des signes dun quotidien trop policé » (p. 14), elle ne se dépare jamais de lObsession, allant jusquà louer « les nourritures transgressives le jeu transgressif du manger moderne lavè-nement et la banalisation de cette cuisine internationale ont détruit le caractère transgressif de la cuisine ethnique, de la cuisine de lautre. » (p. 30)<o:p></o:p>
« Lautre » : notion importante, qui a supplanté celle de prochain, et qui revient dans la bouche de Donnedieu de Vabres, linterviewé ministre à la culture (pp. 48-51). Loccasion pour lui de sinquiéter des « formes renaissantes dintégrismes, de fanatismes, de discriminations, dexclusions, de racismes Louverture à lautre et au changement suscite des peurs savamment entretenues » Il connaît son texte. Ses bonnes intentions sont indéniables : il veut « créer une spirale de confiance chez nos concitoyens Si vous êtes frileux, si vous avez peur, vous nacceptez pas ce qui vous dérange ».<o:p></o:p>
<?xml:namespace prefix = v ns = "urn:schemas-microsoft-com:vml" /><v:shapetype id=_x0000_t75 stroked="f" filled="f" path="m@4@5l@4@11@9@11@9@5xe" o:preferrelative="t" o:spt="75" coordsize="21600,21600"><v:stroke joinstyle="miter"></v:stroke><v:formulas><v:f eqn="if lineDrawn pixelLineWidth 0"></v:f><v:f eqn="sum @0 1 0"></v:f><v:f eqn="sum 0 0 @1"></v:f><v:f eqn="prod @2 1 2"></v:f><v:f eqn="prod @3 21600 pixelWidth"></v:f><v:f eqn="prod @3 21600 pixelHeight"></v:f><v:f eqn="sum @0 0 1"></v:f><v:f eqn="prod @6 1 2"></v:f><v:f eqn="prod @7 21600 pixelWidth"></v:f><v:f eqn="sum @8 21600 0"></v:f><v:f eqn="prod @7 21600 pixelHeight"></v:f><v:f eqn="sum @10 21600 0"></v:f></v:formulas><v:path o:connecttype="rect" gradientshapeok="t" o:extrusionok="f"></v:path><o:lock aspectratio="t" v:ext="edit"></o:lock></v:shapetype><v:shape id=_x0000_s1027 style="MARGIN-TOP: 78.3pt; Z-INDEX: -1; LEFT: 0px; MARGIN-LEFT: 99pt; WIDTH: 127.3pt; POSITION: absolute; HEIGHT: 169.85pt; TEXT-ALIGN: left; mso-wrap-distance-top: 8.5pt" stroked="t" strokeweight=".25pt" type="#_x0000_t75" wrapcoords="-254 -191 -254 21504 21727 21504 21727 -191 -254 -191"><v:imagedata grayscale="t" o:title="100_0993" src="file:///C:\DOCUME~1\martin\LOCALS~1\Temp\msohtml1\01\clip_image001.jpg"></v:imagedata><?xml:namespace prefix = w ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:word" /><w:wrap type="tight"></w:wrap></v:shape>On reconnaît là un parfum politique bien identifié, plus explicite, si besoin était, page 27 : une création du festival dAvignon (« Anathème ») « fera entendre des textes extraits principalement de lAncien Testament où tonne abondamment la voix dun Dieu vengeur et intolérant.<v:shape id=_x0000_s1026 style="MARGIN-TOP: 7.85pt; Z-INDEX: -2; MARGIN-LEFT: 171.7pt; WIDTH: 127.3pt; POSITION: absolute; HEIGHT: 169.45pt; mso-wrap-distance-top: 8.5pt; mso-position-horizontal-relative: char; mso-position-vertical-relative: line" stroked="t" strokeweight=".25pt" type="#_x0000_t75" wrapcoords="-254 -191 -254 21504 21727 21504 21727 -191 -254 -191"> <v:imagedata grayscale="t" o:title="100_0991" src="file:///C:\DOCUME~1\martin\LOCALS~1\Temp\msohtml1\01\clip_image003.jpg"></v:imagedata><w:wrap type="tight"></w:wrap></v:shape>En son nom, la civilisation occi- dentale a justifié quantité de mas- sacres. [ ] Et à se demander si lon peut établir un lien entre monothéisme et génocide ». Les Juifs et les Mu- sulmans appré- cieront, mais on a compris que ce ne sont pas eux qui sont visés.<o:p></o:p>
Le décor est planté, le joli paysage où sinscrit si bien larticle de Christine Angot, « Prière de toucher » (pp. 60-63). « Louise Bourgeois a livré sa version très personnelle de lincarnation en sculptant le mobilier dune église à Bonnieux, dans le Vaucluse. » Ladite église, du xviie, a été inaugurée lannée dernière par Jack Lang. On se félicite quelle ne soit pas consacrée lorsquon voit le mobilier sculpté : un bénitier dans lequel sont taillés des seins de mémères, un « Christ en croix » fait dun avant-bras emmanché de deux mains (cf. ill. ci-dessous).<o:p></o:p>
Évacuons dabord les commentaires de Christine Angot. Ils sont, ou alambiqués : « La biographie de Louise Bourgeois , si présente soit-elle, est broyée par la main droite, crispée de douleur, ou crispée tout court, du Christ dans le chur. La biographie est broyée par lincarnation. » Ou malsains, perturbés, mêlant le religieux à lérotisme (antique recette qui doit porter un nom en psychiatrie) : « Et lérotisme de ce bras , main ouverte main crispée, magnifique, est immédiat ». Ne nous arrêtons pas en si bon chemin : ce bras, « je voudrais lemporter chez moi. Je comprends les femmes mystiques en extase devant ce corps dhomme qui est Dieu » Quant au bénitier : « y plonger la main, les caresser, être presque gênée. » <o:p></o:p>
En réalité, les uvres de Louise Bourgeois ne sont pas originales : elles sont caractéristiques dune époque où les artistes et autres plasticiens sont obsédés par le catholicisme, au point de sacharner sans cesse à le tourner en dérision dans des uvres blasphématoires. Ils pourraient nêtre pas catholiques et uvrer sans se soucier de la religion ; mais il ne sagit pas dart <o:p></o:p>
Jai vu, il y a quelques temps, dans une galerie rue Saint-Paul, un petit Christ aux bras levés manière janséniste, vêtu du périzonion bref, un Christ de crucifix. Sauf quil nétait porté par aucune croix et soulevait des haltères. Où peut germer une telle idée, sinon dans un esprit obsédé ? Comme le « crucifix » de Louise Bourgeois, ce Christ-là était de facture réaliste : cest le blasphème de goût bourgeois, pour le bour- bourgeois. Un semblant dart adoucit la provocation. Limitation étant la plus basse forme de lart, elle convient, en lespèce, aux plus basses idées.<o:p></o:p>
Dautres courants artistiques expriment la même obsession sous dautres formes et des dehors plus violents. Le Manifeste de lArt Brutal (une dérive de lart brut) de Miguel Amate, corrigé çà et là de coquilles nombreuses, ne sen cache pas :<o:p></o:p>
LArt Brutal nest pas né dun geste ou dune action spontanée, mais sancre dans lhistoire de lhumanité, du premier jour où lhomme de Cro-Magnon se brûla avec le feu ; ceci fut le premier « cri brutal ».<o:p></o:p>
LÉglise catholique na rien compris, récupérant Jésus sur la croix, car limportant fut la couronne dépines, les trois clous et le Suaire.<o:p></o:p>
La balle du pistolet dOswald est plus pertinent que lenterrement médiatique de Kennedy, comme le pneu qui explosa volatilisant James Dean est plus approprié à la notion de destin que la fin dun acteur.<o:p></o:p>
La fin des illusions et des mystifications apparaît enfin à la lumière du jour, comme le fait que se fut le crayon de Marx qui écrivit Le Capital, et donc transforma le monde Et dans lhistoire de lart, loreille de Vagh [Van Gogh] est plus représentative que ses tableaux <o:p></o:p>
Un autre manifeste, signé El Bruto, que je suppose être encore Miguel Amate, précise :<o:p></o:p>
Nous proposons, comme Sainte Thérèse dAvila, de sanctifier lineffable puisquil na ni odeur ni corps Et, comme le prônait le Marquis de Sade, cest le sexe qui, à la place du prophète, devrait être crucifié ![1]<o:p></o:p>
En voilà assez, nest-ce pas ? On voit combien lidée de la Crucifixion, donc de notre rachat, leur est insupportable. Jai eu loccasion, lannée dernière, de réagir au livre de Mgr Rouet LÉglise et lArt davant-garde, dans lequel javais trouvé les mêmes haines. Quon me permette de me citer moi-même.<o:p></o:p>
« Mais alors, comment lart davant-garde que promeut lÉglise de France ne répond-il pas à nos vux, lui qui nest pas abstrait ? Monseigneur Rouet ne se fonde-t-il pas, lui aussi, sur lIncarnation ? Ne nous laissons pas abuser. Il est manifeste que dans la bouche de monseigneur Rouet la créature est la fin et non le moyen ; que quand il répète « le Christ sest fait chair », il entend « un homme nommé Christ na été que chair ». Et puisque tout nest que chair, cet art nous présente invariablement des images de cadavres, de chairs sanguinolentes et malades. À travers ces représentations, que nous dit lart davant-garde ? Quil y a la mort, la maladie et la solitude. Nous apprend-il quelque chose ? Non : chaque homme, dans son âme blessée par le péché originel et par son expérience quotidienne, connaît cette triade. Lart davant-garde ne nous surprend pas et ne nous apprend rien.<o:p></o:p>
« Au-delà de nos maux, la mort du Christ est la tragédie suprême, puisque nulle souffrance humaine ne lui est comparable. Elle anéantit la tragédie grecque en la surpassant infiniment au point que le sentiment tragique de celle-ci semble nen être plus que le pressentiment. (Les Pères de lÉglise ne se firent pas faute de voir en Eschyle un inspiré.)
Bien plus, trois jours après, la Résurrection est la mort définitive de la tragédie. Mort, où est ta victoire ? Lart davant-garde, niant la Résurrection et la Rédemption, soutient, lui, que la mort est victorieuse, doù ses obsessions anti-catholiques : du Christ en travesti au boudin consacré, de la femme en croix à la Vierge salie, il nest quun blasphème continu. »[1]<o:p></o:p>
Léon Bloy, parlant dÀ Rebours, disait : « Je ne sais pas sil sest jamais vu un aussi ferme parti pris déconduire la Vérité et la Beauté pour nadmettre que lanomalie et la déviation, lexception même étant abhorrée, si elle impliquait léquilibre de la force ou de la grandeur. »[2] Il y aurait dautres, et de multiples, citations de Bloy à faire sur le sujet, car cet écrivain avait pressenti bien des évolutions.[3] Lanomalie et la déviation sont aujourdhui la norme ; elles prennent leur plein sens quand elles mettent au jour le blasphème qui les enfante.<o:p></o:p>
Louise Bourgeois connaît-elle Mgr Rouet ? Les mettre en contact serait une pieuse idée. Cet évêque se ferait un devoir de consacrer léglise de Bonnieux, avec Jack Lang en diacre. Mais ils refuseront : ils auraient préféré, dit-on, dautres attributs dans le bénitier. Les gens ne sont jamais contents.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
<o:p></o:p>
[1] « Le beau vu den bas », dans Présent du 3 avril 2004. Javais écrit, sur le même sujet, un pamphlet (Avant-garde et Arrière-train), qui a effrayé quelques éditeurs.<o:p></o:p>
[2] Sur la tombe de Huysmans (1913), in O. C., t. 4, Mercure de France, 1965, p. 349.<o:p></o:p>
[3] Voyez par exemple « Le Christ au dépotoir », ibid., pp. 82-89. Larticle est de mars 1885. « Il ny a que deux sortes dimmondices, les immondices des bêtes et les immondices des esprits. On la connaît, la boue révolutionnaire et anticléricale ! Elle est fabuleusement surannée et plus vieille encore que le christianisme. Elle coule des parties basses de lhumanité depuis soixante siècles »<o:p></o:p>
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Par schwa1 le 22 Mai 2006 à 15:45
Léglise Saint-Pierre, de Savennières (Maine-et-Loire), dont les murs les plus anciens peuvent être datés du xe siècle, présente deux groupes de modillons, ceux du portail sud et ceux du chevet, tous du xiie. Un troisième groupe de sculptures, toujours omis dans les descriptions parce que hors duvre, est constitué de trois jardinières, posées à même le sol aux abords du portail sud. Les jardinières romanes nexistant pas, elles sont bien sûr des remplois après dépositions. Ces jardinières semblent, au premier coup dil, former toutes trois un ensemble. À y regarder de plus près, on constate que deux pierres, que nous appellerons A et B, sont de même dimensions, alors que la troisième pierre (Z) est de taille légèrement supérieure. En A et B, un décor architectural met les sculptures en valeur : quatre colonnes (une à chaque extrémité, deux accouplées au centre), chacune avec piédestal, tore, astragale, chapiteau (lun à angles volutés, lautre orné) et tailloir, supportent deux arcs segmentaires où des traits gravés simulent les claveaux. Rien de tel en Z, qui est un bas-relief coïlanaglyphe : le cadre qui entoure les sculptures est en fait la saillie de la pierre elle-même. Les trois pierres ne forment donc pas un tout : Z doit être mise à part.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
Un examen rapide de A et B révèle que le sujet traité est : les quatre saisons. De façon rationnelle, chaque pierre est occupée par deux saisons, chacune occupant une moitié de la pierre, la séparation étant matérialisée par les colonnes accouplées susdites.<o:p></o:p>
Les calendriers mois à mois, parfois couplés au zodiaque (symbole du temps qui sécoule, cyclique), ont été fort en vogue au Moyen Âge ; ordinairement, ils sont composés de douze activités rustiques (dans lesquelles activités sinscrivent la sieste ou le dîner. Les quatre saisons ont été moins représentées ; les premiers saisonniers furent composés de personnages appelés à devenir allégoriques : à Reims, la vigne nest plus vendangée, elle est le siège dun homme qui médite, et lhiver est un vieillard frileux. Cette formule (personnages allégoriques avec attributs) se maintiendra longtemps, jusquaux façades de nombreux hôtels de notre Marais : Sully, Soubise, Carnavalet Doù la particularité des sculptures des pierres qui nous occupent, où chaque saison est matérialisée par lactivité la plus représentative qui, dans une calendrier complet, ne serait quun douzième de lannée.
[...]
Si la signification des sculptures est claire, lorigine et lhistoire des pierres sont indéterminables. Doù viennent-elles ? Quand ont-elles été déposées ? Doù vient la pierre C, si proche de la pierre B ? Où est lélément Y représentant le printemps et lautomne, qui faisait la paire avec Z ? La survie de sculptures hors duvre est compromise, or celles-ci nous parviennent bien conservées, seules les épaufrures du temps les ont marquées. Leur style permet de les classer antérieures aux sculptures du portail et de labside. Étaient-ce les linteaux dune porte (séparée par un trumeau) ? De tels linteaux sculptés étaient fréquents dans une première manière romane ; léglise Saint-Pierre de Champagne a deux portes, à gauche et à droite du portail ; elles sont coiffées dun linteau en bâtière sculpté. Et les calendriers sont presque toujours aux portes. <o:p></o:p>
Cette hypothèse nexplique pas doù vient la pierre Z ; labsence de documents nous laisse sur notre faim. <o:p></o:p>
Quoi quil en soit, sil est toujours bon dêtre renseigné sur le contexte dune uvre, cest une des qualités, et une des forces, des uvres plastiques que de pouvoir être goûtées quand bien même leurs origines et les circonstances de leur existence nous sont inconnues.<o:p></o:p>
Samuel
<o:p>Retrouvez l'intégralité de cet article dans lovendrin n°7.</o:p>
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Par schwa1 le 22 Mai 2006 à 15:42
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LÂME DE JORIS-KARL HUYSMANS<o:p></o:p>M. Joris-Karl Huysmans sassit en face de son âme et la contempla face à face. Dans quoi la lui avait-on apportée ? Était-ce un calice ou une demi-pinte ? Et qui la lui avait portée ? Un archange ou un bar-man ? Et il ne se rappelait même pas si on lui avait dit : « Voilà, Monsieur », ou : « Voici, Pécheur. » Ah ! le ton du messager ! Timbre dau-delà ou accent dOutre-Manche ? Il ne savait pas, il savait seulement que son âme était là.<o:p></o:p>
Et encore, était-ce son âme ?<o:p></o:p>
Quelque chose de lourd, dinforme, de bouillonnant, avec un jet qui sarrêtait en boursouflure écumante, un suintement gras qui pouvait être de lhuile sainte et qui pouvait être autre chose, avec des rides et des creux dhumilité et des vallonnements de lassitude, et des plaies qui pouvaient être des plaies de prières et des plaies de clous consacrés, et des plaques qui pouvaient être des plaques de remords, et des taches de péchés qui voulaient rester pour être pleurés, et des brûlures de flamme mystique, des froncements de dégoût, dhorreur, et des fossés de fureur pieuse et des frissons de ferveur amère et des tons changeants, brouillés ici de bile humaine, là souriant dextase et dune extase méchante, bleus ici et dun bleu souillé de ciel souillé, vert là et dun vert sombre despoir sombre et vieux rose dun rose de jeunesse lointaine et gris dune candeur diverse et mauve dun ancien violet archiépiscopal et sang de buf dun ci-devant rouge cardinalice, cétait une âme grandiloquente et affaissée, dune sérénité batailleuse et dune laborieuse inquiétude, cétait une âme deffort, deffort vers le paradis et deffort vers lenfer, cétait une grosse âme tourmentée et débile, lâme massive dun matérialiste hésitant, lâme nuancée dun bedeau byzantin ou dun ermite capripède. Et cétait aussi, si on le voulait, une masse de nimporte quoi, - de nimporte quoi qui neût pas été léger, clair et souple.<o:p></o:p>
I<o:p></o:p>
Joris-Karl Huysmans contempla cette masse patiemment : ça avait, à travers le vase, des reflets et des fluences : il y brillait des larmes et des pierres liturgiques et des bandelettes chrétiennes sy amincissaient, puis ça redevenait obscur comme le péché. Joris parla :<o:p></o:p>
« Cest laid, dit-il, cest sale et ça tient de la place, cest glaireux, ça a des glandes et des goitres, on croirait des abcès dintestins et des tumeurs et des varices : cest horrible, cest bien mon âme. »<o:p></o:p>
Il se tut un instant et jouit de son horreur.<o:p></o:p>
Puis : « Est-ce horrible, dit-il ? Pourquoi ? Non, cest drôle et ce nest pas attirant. Et on voit bien cependant que cest une brave âme triste, une âme pesante, mais cest une âme sans vocation. Elle nétait pas née pour la vertu, et elle nétait pas née non plus pour la faute. Pauvre âme qui as erré parmi le monde et parmi les mondes, qui as été ramasser partout, dans les fanges les plus parfumées et dans les fanges les plus simples, des répugnances et des dégoûts, pauvre âme qui tes attardée, parmi lodeur des gares, lodeur des boudoirs et lodeurs des cabarets, à chercher lodeur qui fait vomir, pauvre âme qui, parmi le vertige des cloches et le vertige des messes noires, as cherché le vertige qui fait le plus trembler, te voilà maintenant qui, molle et désireuse des pires soumissions devant Dieu, te cabres et qui retournes à tes vomissements, à tes vertiges et à tes dégoûts. Et je te plains, mon âme, quoique tu sois mon âme, je te plains en tes sursauts, en tes prostrations et en tes agenouillements, et je plains le pauvre homme qui est en moi, qui a souffert et qui souffre. » Il savoura sa souffrance un moment, puis :<o:p></o:p>
« La vérité, dit-il, cest que mon âme est une âme avec des narines, des lèvres, une gorge et un ventre. Narines un peu insensibilisées par trop de senteurs, lèvre usées, gorge usée, palais perdu et ventre un peu vide.<o:p></o:p>
Et cest avec tout cela, avec tous ces restes quelle se rue en un appétit vers Dieu. Ah ! Dieu, chair fraîche que mes lèvres nont pas encore baisée, chair fraîche dont la fraîcheur ravivera mes dents, troublera mon palais, mouillera ma gorge et donnera à mon ventre la plus rare indigestion ! Et que ce soit un éclair et une ivresse de tout mon être, quest-ce que ça peut faire aux gens ? »<o:p></o:p>
Il réfléchit et sattrista.<o:p></o:p>
II<o:p></o:p>
« Mais ça me fait, à moi. Être catholique et ne pouvoir offrir à Dieu que lémoi de sa salive, de ses orteils et de son derme ! Se sentir pour cur un muscle malade, racorni, fiévreux et toussotant, et ne pas se sentir dâme ! Oui, mon âme, je la vois, elle est là et elle est toute gonflée, énorme, eh bien ! je ne sais pas si elle existe, si ce nest pas une chose toute physique, si ce nest pas tout simplement un amas dulcères et dulcères modestes. Âme venue sur le tard, âme jaillie de mes malaises, de mes aigreurs, de mes vomissements. Agglomération de mes désillusions, de mes désespérances et des mes écoeurements. Et combien factice, mon âme ! combien factices, mes écoeurements et mon dégoût ! Mon malheur, cest de ne pouvoir ni me détester ni me cracher. Je me sens trop évidemment un brave homme. Quand il me faut de la boue, il me faut aller la trouver très loin de chez moi, loin de la rue de Sèvres, à cette douloureuse Bièvre[1] et, quand je veux de la foi, il me faut aller la trouver à Saint-Sulpice.[2] Ce nest pas loin de chez moi, mais, tout de même, je demeure plus près du Bon Marché que de Saint-Sulpice et de Saint-Germain-des-Prés. Et il y a entre nous tant de tramways à traction électrique et tant de bureaux téléphoniques ! Non, je ne puis pas me détester et si jai pour moi de ladmiration, ce nest quune admiration laborieuse et pénible. Je nai pas assez vécu en dehors de moi et je nai pas assez vécu en moi. Je crois bien que je nai jamais été plus loin que lépiderme des autres et mon épiderme. Et mon âme mest aussi étrangère que lâme de mes contemporains et que lâme des gens dantan. Et pourtant je me suis promené, jai fait effort pour me promener dans les temps, dans lespace et dans mes pires dédales intimes que, au besoin, jinventerais. Jai été et je suis le touriste taciturne et mélancolique qui ne sennuie pas tout à fait et qui voudrait bien sennuyer et qui voudrait bien samuser aussi, mâchant des mots du guide Joanne et tâchant à senthousiasmer dessus et à trouver autre chose, par eux, pour samuser mieux ou pour sembêter plus. Et jai balancé en moi un éternel mal de mer à vide et hésitant. »<o:p></o:p>
Il le balança et reprit :<o:p></o:p>
III<o:p></o:p>
« Au fond, jaurais bien pu rester chez moi ou à mon bureau. Je ny aurais pas été plus malheureux quailleurs, mon âme y aurait été aussi trouble et aussi pauvre, mais cétait trop bête davoir le mal de mer sans voir la mer. Jallai la chercher. Je fis des voyages à travers les tableaux et les mystères. Il me fallait des notes et des impressions et des causes à mettre sur mon mal de mer. Et cest là toute mon histoire.<o:p></o:p>
Je navais pas de dispositions. Je nétais pas fatal. Cétaient là vertus dont il me fallait profiter. Jen profitai. Ma mauvaise humeur saventura à travers des parfums, des étrangetés et des misères destomac. Ce nétait pas le rêver et le « ailleurs » de Baudelaire. Et jallais, maussade et précis, parmi ces choses. Des enthousiasmes de ci, de là, mais des enthousiasmes un peu truqués, documentés dailleurs et de belle tenue, enthousiasmes dosés, progressifs, mathématiques, ne séchevelant que suivant les règles et les proportions, après descriptions et exposés des motifs. Et des paradoxes un peu ennuyés, soutenus : cétait beau. Je nétais pas un révolté : irrésolu et dun mécontentement nomade et ce mal de mer sadaptant à tout, se rythmant sur tout, je pouvais aller où je voulais et toujours avec le même bonheur, le même ton, la même grimace salanguissant et se perpétuant. »<o:p></o:p>
Il regarda son âme dun air hargneux, il la fixa et sembla la palper, la renifler, la peser en silence ; puis il continua :<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
IV<o:p></o:p>
« Ah ! cette âme ! penser quelle resta [la] même à travers tant de spectacles, tant dhésitations, tant de désirs. Elle ne devint ni plus pâle, ni plus crevassée, ni plus légère. Et, en les endroits, les plus divers, elle ne sest pas guérie et elle nest pas devenue plus malade. Elle na changé ni de couleur, ni dodeur parmi toutes les harmonies de parfums, parmi tous les mélanges dessence et dalcools, parmi tous les tableaux et tous les encens, parmi les plus noires magies et les plus intimes sanctuaires : rien na mordu sur elle, ni la messe noire, ni la messe de la Trappe, rien ne la vieillie, rien ne la rajeunie : elle reste grognonne et de teinte indécise et elle attend. Ah ! jai épuisé maintenant toutes les étapes, jai été partout où les hommes peuvent chercher des sensations, des idées, des larmes et des élans, jai été au fond des pires gouffres et jai tâché à menvoler sur les cloches et à peindre les anges et jai été partout sans émotion. Ésotérique et vulgarisateur, jai fait des variations sur Gilles de Rais[3] après que Hennique[4] eut fait les mêmes variations sur le duc de Beaufort et sur dautres évocations, et jai entrouvert pesamment la porte du Mystère[5] et, derrière moi, des gens sont venus qui, sans entrer, ont vendu le Mystère en des bazars à treize[6] à peine neufs, jai rendu accessible à tous la simonie, le sacrilège, lhérésie et ça ne ma pas amusé. Jai offert le comte de Montesquiou[7] à la curiosité des masses, jai chanté lessence de bergamotes et les viandes cuites au four[8] et ça ne ma pas amusé. Jai inventé une façon de voir et de dire les choses que dautres après moi ont sottement exploitées, jai inventé Wisthler en une orthographe qui na pas prévalu[9] et ça ne ma pas amusé. Jai été à la Trappe, jen ai rapporté les impressions du Désespéré de Léon Bloy[10] et ça ne ma pas amusé, jai inventé une manière davoir mal à lestomac et la manière de sen servir ; jai fait les pires combinaisons de dyspepsie et de foi, dart et de dysenterie, tout ça avec la même impassibilité, le même souci monotone de composition et décriture, et mon âme na pas bronché. Jaurai été celui des gens de ce temps qui aura eu le plus dinfluence sur ceux de ce temps et les disciples les plus attentifs et les plus directs, jaurai créé des passions nouvelles, des maladies nouvelles, une nouvelle esthétique et un nouvel ennui ; jaurai eu les évolutions les plus intéressantes, les plus poignantes désillusions, les plus heureuses audaces, jaurai été celui qui sait tout mettre en valeur, qui sait donner le ton, qui sait peindre, qui sait sentir, jaurai dressé le plus parfait répertoire, le plus copieux catalogue dinquiétudes, dhésita-tions, de tentatives et de dégoûts, jaurai été démon, ange et homme sans men apercevoir. Et je me serai à peine aperçu que jétais un pauvre homme et que javais une pauvre âme. Et, en résumé, jai promené des dons de style et une humeur âpre à travers des spectacles et des questions pour qui je nétais pas fait du tout. Mais de quoi me serais-je occupé si je ne métais pas occupé de ça ? Et mon âme nétait pas faite pour cette vie. Mais pour qu[o]i mon âme était-elle faite et pour quelle vie étais-je fait ? »<o:p></o:p>
Après cette ratiocination, le visage de J.-K. Huysmans gardait les plis de toujours. Il nétait ni plus ni moins amer, ni plus mécontent, ni plus radieux. Et les tableaux, les Vierges et la brocante dalentour navaient pas plus de grâce et pas plus de méchanceté.<o:p></o:p>
Et J.-K. Huysmans promit à son âme de nouvelles promenades, de nouveaux paysages et de nouveaux avatars, puis, maugréant et éternel, se reprit à considérer son âme.<o:p></o:p>
Apollinaire conclut son chapitre sur La Jeunesse par ces mots : « Le style dErnest La Jeunesse, qui appartenait à lécole de Jean de Tinan, est néologique, cest son défaut ; mais il est ému, cest sa qualité. Mais cette qualité suffira-t-elle à garder certaines de ses pages de loubli ? On peut en douter et penser que, si lon se doit se souvenir de lui, cest surtout parce quil fut le dernier boulevardier. » Ce nest pas cet aspect de lui quon voudrait exhumer. Il me paraît quon pourrait rééditer de ses écrits, qui gardent un intérêt pour lhistoire littéraire, voire la littérature tout court. Exactement contemporaines du premier Livre des Masques de Remy de Gourmont, Les Nuits sattachent à démasquer les gloires dalors, avec une finesse et un mordant toujours frais. Les minores ont de ces saveurs particulières.<o:p></o:p>
Amédée Schwa<o:p></o:p>
[1] « La Bièvre », in Croquis parisiens, 1880 : « la Bièvre, avec son attitude désespérée et son air réfléchi de ceux qui souffrent » ; Huysmans reviendra sur cette rivière dans La Bièvre (1890), livre réédité et complété en 1898 : La Bièvre et Saint-Séverin.<o:p></o:p>
[2] Dans Là-bas (1891), le sonneur de Saint-Sulpice est lun des seuls protagonistes à avoir une foi pure. En 1892, Huysmans prend comme directeur de conscience labbé Ferret, vicaire de Saint-Sulpice.<o:p></o:p>
[3] Dans Là-bas, 1891.<o:p></o:p>
[4] Léon Hennique, qui faisait partie du cercle naturaliste, avait publié en 1889 Un caractère, qui a pu inspiré Huysmans.<o:p></o:p>
[5] À partir de 1887, Huysmans sintéresse à loccultisme, qui continuera à lattirer après sa conversion ; cest une des raisons de la brouille avec Léon Bloy.<o:p></o:p>
[6] « Bazars à treize » : Littré donne la définition de « boutique à treize, boutique ambulante ou petit bazar où lon vend divers objets de peu de valeur, côtés au même prix et souvent à sept ou treize sous. »<o:p></o:p>
[7] Le comte de Montesquiou, poète, essayiste (1855-1921), ami de Proust, fut le modèle de des Esseintes.<o:p></o:p>
[8] Allusion au « poème en prose des viandes cuites au four », in Croquis parisiens, 1880.<o:p></o:p>
[9] Cest dans Certains (1889) que Huysmans traite de Whistler, avec une orthographe fautive. Notons que Proust, dans sa correspondance, utilise plus souvent celle-ci que lorthographe correcte.<o:p></o:p>
[10] Publié en 1886. Les séjours de Huysmans à la Trappe de N.-D. dIgny eurent lieu dans les années 1892.<o:p></o:p>
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Par schwa1 le 22 Mai 2006 à 15:39
Ernest La Jeunesse, Les Nuits, les Ennuis et les Âmes de nos plus notoires Contemporains - Quand, fouinant dans une colline de vieux volumes aux puces, je tombai sur ce titre et ce nom dauteur bizarrement calligraphiés sur une couverture verte à première vue début xxe, jachetai ce livre les yeux fermés : un ouvrage ainsi nommé se doit dêtre, sinon de qualité, du moins une curiosité.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
Cet ouvrage a été publié en 1896, chez Perrin et Cie. Étaient annoncés, du même auteur, trois ouvrages « pour paraître prochainement » et neuf autres (!) « en préparation », dont ces quelques titres : LIronie, thèse ; Fragments dhistoire littéraire ; Essais de biographie sentimentale.<o:p></o:p>
Qui était cet Ernest La Jeunesse ? Le Dictionnaire de biographie française nous indique quil sappelait en réalité Ernest Horry Cohen,[1] né en 1874, mort en 1917 ; il dresse cette liste douvrages : Les Nuits, les Ennuis (1896) ; LHolocauste (1898) ; Ouste ! texte et icôneries (1898) ; LHuis clos malgré lui (1900) ; Cinq ans chez les sauvages (1902) ; Le Boulevard (1906) ; Le Forçat honoraire (1907) ; Des soirs, des gens, des choses (1913, recueil darticles).<o:p></o:p>
Il me revint davoir croisé ce La Jeunesse dans différentes lectures. Léautaud note avoir rencontré Jean de Tinan accompagné de La Jeunesse (23 septembre 1896). Plus tard, il se souviendra de lui à ses débuts, venant au Théâtre de luvre « un veston boutonné jusquau cou sans chemise dessous » à cause de sa pauvreté (12 décembre 1922). La mention de ce théâtre nous reporte aux mêmes années 1895. Nous savons par ailleurs que La Jeunesse en illustra certains programmes.[2]<o:p></o:p>
Le texte de deux envois de Jules Renard à La Jeunesse nous a été conservé.[3]<o:p></o:p>
à Ernest Lajeunesse[4]<o:p></o:p>
auteur du chef duvre Boum ! Poum<o:p></o:p>
Jules Renard<o:p></o:p>
Juillet 1901<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
à Ernest La Jeunesse<o:p></o:p>
rare et véritable homme de lettres<o:p></o:p>
Jules Renard<o:p></o:p>
9bre 1907<o:p></o:p>
Quel est ce chef duvre Boum ! Poum ? Quelle allusion est-ce là ? Nous glanons dans une note de léditeur un titre de plus : Madame est morte (théâtre).<o:p></o:p>
Léon Bloy lappelle Ernest La Vieillesse (24 mai 1908) ou parle d « Ernest qui représente, dit-on, la Jeunesse » (20 avril 1910). Nous ne nous prononcerons pas sur ce jeu de mot. À cette époque, La Jeunesse est journaliste et Bloy lui reproche des articles favorables à Coppée et Bourget.<o:p></o:p>
Cest Apollinaire, si curieux des gens hors normes, qui a le plus parlé dErnest La Jeunesse. Dans une lettre à Picasso, il relate un dîner où il présenta La Jeunesse à Max Jacob, prétendant quils étaient cousins, doù ces médiocres vers :<o:p></o:p>
Et pour commémorer cette insigne rencontre<o:p></o:p>
La Jeunesse fit le portrait de Max Jacob<o:p></o:p>
Qui depuis dans Paris à ses amis le montre<o:p></o:p>
En se montant le job[5]<o:p></o:p>
Il y raconte également un combat singulier qui eut lieu entre La Jeunesse et Paul Fort.<o:p></o:p>
Parmi dautres impromptus de Moréas, il rapporte celui-ci :<o:p></o:p>
Bois le Cinzano de Turin,<o:p></o:p>
O La Jeunesse purpurin ![6]<o:p></o:p>
Un chapitre entier du Flâneur des deux rives est consacré à notre auteur : « Du Napo à la chambre dErnest La Jeunesse ». Le livre date de 1918, La Jeunesse était mort lannée précédente. Je laisse le lecteur relire cette précieuse évocation. En plus des titres déjà connus, Apollinaire parle de LImitation de notre maître Napoléon (qui figure « pour paraître prochainement » dans Les Nuits ). Il y est aussi question dune pièce de théâtre : La Dynastie. A-t-elle été jouée, ou même publiée ? <o:p></o:p>
Léon Deffoux, dans son livre Le Pastiche littéraire (Paris, 1932), reconnaît la grande habileté de La Jeunesse à cet exercice. Les Nuits est, selon lui, « un des bons ouvrages que dun peu loin, le pastiche ait inspirés » (p. 137). Il le définit comme un livre « mi-critique, mi-pastiche », ce qui me paraît bien vu. Il mentionne Cinq ans chez les sauvages[7], « où on trouve, entre autres bons pastiches, un grand Aiglon très réussi, mais trop sévère peut-être pour le poète de lAiglon. » (p. 172)<o:p></o:p>
En 1939, André Billy classe La Jeunesse parmi les brillants chroniqueurs des temps passés [8]<o:p></o:p>
Si nous avons passé en revue les mentions quon trouve çà et là de La Jeunesse, ce nest pas pour étaler des références littéraires (dont nous sommes prêt à reconnaître la totale vanité), mais pour montrer que cet homme qui fut connu en son temps, sétant fait une réputation par des ouvrages de qualité, tomba petit à petit dans loubli postume[9] au point de nêtre plus quun nom dans une liste vingt ans après, avant de nêtre plus cité nulle part.<o:p></o:p>
Les Nuits, les Ennuis et les Âmes de nos plus notoires contemporains est donc le premier ouvrage dun jeune auteur désargenté. Il ne saurait être question de recenser tous ces contemporains dont parle La Jeunesse, quil les cite en passant ou quil leur consacre un chapitre. Nommons, parmi ceux-ci, Anatole France, Pierre Loti, les Daudet, Émile Zola, Huysmans, Jules Renard, Paul Bourget, François Coppée, Maeterlinck <o:p></o:p>
Il pastiche Henri de Régnier, gendre de José-Maria de Heredia, dans une suite de poèmes (« Intérieur »), qui souvre sur cette strophe :<o:p></o:p>
Par un ciel souriant dun sourire dautomne,<o:p></o:p>
Le poète José-Maria maria<o:p></o:p>
Son enfant à lenfant qui, grave, séria<o:p></o:p>
Des vers dhysope et dor, de fièvre et<o:p></o:p>
[danémone.<o:p></o:p>
« Lapologie de M. Émile Zola », où le romancier parle au diable en croyant que cest un interviewer, se termine ainsi :<o:p></o:p>
« Il sarrêta avant de lancer à son malheureux visiteur dautres plaisanteries et commença à le regarder. Il remarqua dabord quil navait pas pris de notes, et il remarqua ensuite quun malaise le prenait. Et le visiteur indiqua dun geste la masse des volumes et la masse des locomotives, des cabarets, des canons, des pelles et des charrues qui y sommeillaient, puis dune voix tranquille :<o:p></o:p>
Tu ne me reconnais pas, fit-il. Cest moi qui, il y a onze lustres peut-être ou vingt siècles ai acheté ton âme au poids. »<o:p></o:p>
Voilà comment débute « Le soliloque de M. Pierre Loti » :<o:p></o:p>
« Pour avoir promené avec une grâce héroïque parmi lhorreur dun bal masqué lhorreur dun costume de Bédouin, M. Loti se jugea digne, ce soir-là, des récompenses les plus hautes.<o:p></o:p>
Pour ne sépargner aucune volupté, il se déclama, se chuchota, se sanglota les pages les plus irrésistibles de sa Jérusalem, et il saperçut que sa volupté était modeste. »<o:p></o:p>
Il serait plaisant de multiplier les exemples de lhumour et de lironie de La Jeunesse en piochant çà et là. Je préfère donner in extenso un unique chapitre. On risquerait, sinon, de ne voir en lui quun faiseur de pointes et de passer à côté de loriginalité de sa manière. On verra que son talent va bien au-delà de lépigramme. Le choix est difficile. Le chapitre sur les Daudet est fort bien fait, mais long ; je me décide pour celui consacré à Huysmans, annoté au minimum.
Amédée SCHWA
[1] Lors de la parution des Nuits , Édouard Drumont loua le talent de La Jeunesse, mais fut bien moqué lorsquon apprit que cétait luvre dun Horry Cohen.<o:p></o:p>
[2] Daprès J.-P. Goujon, dans une note au roman de Willy (écrit en réalité par Jean de Tinan), Maîtresse desthètes, rééd. 1995, édition originale en 1897.<o:p></o:p>
[3] Dans Jules Renard, Lettres retrouvées, 1884-1910, Paris, 1997, éditées par J.-F. Flamant.<o:p></o:p>
[4] Son nom a souvent été orthographié ainsi. La couverture des Nuits prête dailleurs à confusion.<o:p></o:p>
[5] Picasso/Apollinaire, Correspondance, édition de P. Caizergues et H. Seckel, Paris, 1992, lettre du 27 juin 1906. Se monter le job : sabuser, se monter la tête.<o:p></o:p>
[6] « Anecdotiques » du 16 juin 1911 (Moréas était mort en 1909).<o:p></o:p>
[7] Paris, Juven, 1900 ; suivant le Dictionnaire de biogr. fr., 1902.<o:p></o:p>
[8] La Littérature française contemporaine, Paris, p. 201.<o:p></o:p>
[9] Je me permets ici cette orthographe bizarre de « postume », lestimant correcte à la réelle étymologie du mot : postumus, superlatif de posterus.<o:p></o:p>
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