• Au musée Guimet

    Le Livre rouge de C.G. Jung

    Présent du 17 septembre 2011

    Pour les spécialistes de la psychologie analytique jungienne, l’événement est d’importance : l’exposition du manuscrit du Liber novus, calligraphié et enluminé par le maître, est l’hommage à lui rendu pour le cinquantenaire de son décès. C.G. Jung commença ce manuscrit à un moment charnière, difficile de sa vie, en 1914, après la rupture de sa collaboration avec Freud.

    Leurs divergences portaient d’abord sur la prépondérance ou non de la sexualité. Selon Freud elle est à l’origine de tout, elle explique même le fait religieux. Selon Jung, elle est une libido parmi d’autres, et le spirituel est une activité normale, innée, de l’âme. Autre divergence, le sens des images oniriques. De l’avis de Freud, les images du rêve dissimulent les désirs, il faut s’en méfier pour mieux les décrypter. De celui de Jung, elles dévoilent l’inconscient, il faut les accepter pour les comprendre.

    Les images tiennent une place primordiale dans l’œuvre de Jung, images individuelles, images archétypales remontées de l’inconscient collectif sous forme de symboles. Dans le Liber novus (livre nouveau), communément appelé Livre rouge, Jung a consigné, illustré et interprété les rêves, fantasmes, visions et fruits de l’imagination active à laquelle il s’abandonnait, qu’il a expérimentés, sur la période 1914-1930.

    Dès son enfance, enfance assez triste entre un père pasteur et une mère dépressive, Jung a des rêves étranges et marquants. Sa facilité à l’introspection sur le mode du vague à l’âme contribue à le replier sur lui-même. Il éprouve la sensation d’être double. Cela n’est pas sans analogie avec les enfances du sculpteur Théophile Bra et du peintre William Blake, ni avec leur âge adulte : comme eux, Jung dans ce Livre rouge s’exprimera par images curieuses, chargées de symbolisme et mêlées à l’indigeste fatras gnostique, aux arguties bouddhiques auxquelles s’est abreuvé un Occident déchristianisé, oublieux de la tradition et de l’expérience chrétiennes en matière de méditation et de mystique.

    La parution en 2009 du fac-similé et des traductions anglaises et allemandes du Livre rouge, son exposition aux Etats-Unis, en Suisse et ces mois-ci à Paris alors que paraît la traduction française, sont importantes pour une meilleure connaissance de Jung, y compris critique. Le manuscrit avait été enfermé presque cinquante ans dans un coffre-fort après son décès. Ce volumineux codex pèse sept kilos. Deux fac-similés permettent le feuilletage. Façon médiévale, Jung organise la page en colonnes, le texte est serré, accompagnées de lettrines ornées, de vignettes. Certaines illustrations sont pleine page. Des feuillets indépendants, des manuscrits montrent l’image comme moyen d’expression à part entière pour Jung.

    Il a dessiné de nombreux mandalas, ces cercles qui combinent géométrie et figuration, supports de méditation. Il dessine le premier en 1916, intitulé Systema mundi totius (Système du monde entier) en rapport avec les Septem sermones ad mortuos (Sept discours aux morts) qu’il publie alors, dont on nous explique que « c’est une cosmologie psychologique qui a pris la forme d’un mythe de création gnostique » – oh. A cette date, Jung vivait des événements parapsychiques – ah. Il accordait une grande importance aux mandalas. « Mes dessins de mandala étaient des cryptogrammes sur l’état de mon Soi, qui m’étaient livrés journellement. »

    Un personnage important est Philémon, vieillard à barbe blanche, Jimini Cricket des profondeurs, incarnation de l’inconscient de Jung, lequel commentait : « il était accompagné d’une atmosphère égypto-gnostico-hellénistique » – ouh.

    Quelques trésors du musée Guimet complètent la présentation du Liber novus. Les Visions secrètes du Ve Dalaï-lama, suite de mandalas peints à l’or, à l’argent et en couleurs sur papier noir (deuxième moitié du XVIIe siècle). Des peintures tibétaines représentant des mandalas, des personnages comme le « Maître des remèdes » (XIVe), ou de plus antiques peintures de Dunhuang (VIIIe-Xe), représentant des Boddhisattvas. L’œuvre la plus impressionnante est japonaise (XVIe), une sculpture sur bois d’un moine de la secte zen, massive. Le visage est émacié et la générosité du drapé paraît être celle de l’auguste moine lui-même.

    Cependant on a du mal à relier ces belles œuvres asiatiques aux discours jungiens. La lisibilité de celles-là est absente de ceux-ci. Jung est un homme plutôt sympathique, plus que Freud, les concepts d’inconscient collectif et d’archétypes ne manquent pas d’intérêt, mais le contenu du Livre rouge révèle un homme beaucoup moins « scientifique » qu’il paraissait. La crédibilité de la psychologie analytique en tant que thérapie et « science humaine » n’en sort pas confortée.

    Samuel

    Le Livre rouge, récits d’un voyage intérieur. Jusqu’au 7 novembre 2011, musée Guimet.

     

    illustration : Livre Rouge de C.G. Jung, Brahmanaspati (Seigneur des prêtres). © 2009 Fondation des œuvres de C.G.Jung, Zürich


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  • ©7435 P7 samuel

    Au musée Guimet

    Le Livre rouge de C.G. Jung

    Pour les spécialistes de la psychologie analytique jungienne, l’événement est d’importance : l’exposition du manuscrit du Liber novus, calligraphié et enluminé par le maître, est l’hommage à lui rendu pour le cinquantenaire de son décès. C.G. Jung commença ce manuscrit à un moment charnière, difficile de sa vie, en 1914, après la rupture de sa collaboration avec Freud.

    Leurs divergences portaient d’abord sur la prépondérance ou non de la sexualité. Selon Freud elle est à l’origine de tout, elle explique même le fait religieux. Selon Jung, elle est une libido parmi d’autres, et le spirituel est une activité normale, innée, de l’âme. Autre divergence, le sens des images oniriques. De l’avis de Freud, les images du rêve dissimulent les désirs, il faut s’en méfier pour mieux les décrypter. De celui de Jung, elles dévoilent l’inconscient, il faut les accepter pour les comprendre.

    Les images tiennent une place primordiale dans l’œuvre de Jung, images individuelles, images archétypales remontées de l’inconscient collectif sous forme de symboles. Dans le Liber novus (livre nouveau), communément appelé Livre rouge, Jung a consigné, illustré et interprété les rêves, fantasmes, visions et fruits de l’imagination active à laquelle il s’abandonnait, qu’il a expérimentés, sur la période 1914-1930.

    Dès son enfance, enfance assez triste entre un père pasteur et une mère dépressive, Jung a des rêves étranges et marquants. Sa facilité à l’introspection sur le mode du vague à l’âme contribue à le replier sur lui-même. Il éprouve la sensation d’être double. Cela n’est pas sans analogie avec les enfances du sculpteur Théophile Bra et du peintre William Blake, ni avec leur âge adulte : comme eux, Jung dans ce Livre rouge s’exprimera par images curieuses, chargées de symbolisme et mêlées à l’indigeste fatras gnostique, aux arguties bouddhiques auxquelles s’est abreuvé un Occident déchristianisé, oublieux de la tradition et de l’expérience chrétiennes en matière de méditation et de mystique.

    La parution en 2009 du fac-similé et des traductions anglaises et allemandes du Livre rouge, son exposition aux Etats-Unis, en Suisse et ces mois-ci à Paris alors que paraît la traduction française, sont importantes pour une meilleure connaissance de Jung, y compris critique. Le manuscrit avait été enfermé presque cinquante ans dans un coffre-fort après son décès. Ce volumineux codex pèse sept kilos. Deux fac-similés permettent le feuilletage. Façon médiévale, Jung organise la page en colonnes, le texte est serré, accompagnées de lettrines ornées, de vignettes. Certaines illustrations sont pleine page. Des feuillets indépendants, des manuscrits montrent l’image comme moyen d’expression à part entière pour Jung.

    Il a dessiné de nombreux mandalas, ces cercles qui combinent géométrie et figuration, supports de méditation. Il dessine le premier en 1916, intitulé Systema mundi totius (Système du monde entier) en rapport avec les Septem sermones ad mortuos (Sept discours aux morts) qu’il publie alors, dont on nous explique que « c’est une cosmologie psychologique qui a pris la forme d’un mythe de création gnostique » – oh. A cette date, Jung vivait des événements parapsychiques – ah. Il accordait une grande importance aux mandalas. « Mes dessins de mandala étaient des cryptogrammes sur l’état de mon Soi, qui m’étaient livrés journellement. »

    Un personnage important est Philémon, vieillard à barbe blanche, Jimini Cricket des profondeurs, incarnation de l’inconscient de Jung, lequel commentait : « il était accompagné d’une atmosphère égypto-gnostico-hellénistique » – ouh.

    Quelques trésors du musée Guimet complètent la présentation du Liber novus. Les Visions secrètes du Ve Dalaï-lama, suite de mandalas peints à l’or, à l’argent et en couleurs sur papier noir (deuxième moitié du XVIIe siècle). Des peintures tibétaines représentant des mandalas, des personnages comme le « Maître des remèdes » (XIVe), ou de plus antiques peintures de Dunhuang (VIIIe-Xe), représentant des Boddhisattvas. L’œuvre la plus impressionnante est japonaise (XVIe), une sculpture sur bois d’un moine de la secte zen, massive. Le visage est émacié et la générosité du drapé paraît être celle de l’auguste moine lui-même.

    Cependant on a du mal à relier ces belles œuvres asiatiques aux discours jungiens. La lisibilité de celles-là est absente de ceux-ci. Jung est un homme plutôt sympathique, plus que Freud, les concepts d’inconscient collectif et d’archétypes ne manquent pas d’intérêt, mais le contenu du Livre rouge révèle un homme beaucoup moins « scientifique » qu’il paraissait. La crédibilité de la psychologie analytique en tant que thérapie et « science humaine » n’en sort pas confortée.

    Samuel

    Le Livre rouge, récits d’un voyage intérieur. Jusqu’au 7 novembre 2011, musée Guimet. Tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 18h. Entrée : 5 euros.

     

    illustration : Livre Rouge de C.G. Jung, Brahmanaspati (Seigneur des prêtres). © 2009 Fondation des œuvres de C.G.Jung, Zürich


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  • Au musée Louis Senlecq

    Lithos moqueuses

    Présent du 2 juillet 2011

    Daumier, Gavarni, Rops, ce trio méritait d’être réuni. Ils le sont à L’Isle-Adam, non loin de Valmondois où Daumier a terminé sa vie. Gavarni (1804-1866) et Daumier (1808-1879) sont de la même génération, Rops est de la suivante (1833-1898) : quand il naît ses aînés sont en plein coup de feu contre Louis-Philippe.

    Ils n’ont pas été « politiques » dès le début. Gavarni est entré à La Mode, Daumier à La Silhouette, journal culturel ; mais La Mode, après s’être occupée de tournures vestimentaires, prit une tournure nettement politique et La Silhouette devint d’opposition. Daumier et Gavarni devinrent confrères à La Caricature, premier titre de la presse satirique. La censure, active à partir de 1835, les détourne de la politique et les oriente vers l’étude de mœurs. Les mœurs sont-elles apolitiques ? L’effet d’une censure établie, officielle, est d’affiner l’expression de ceux qu’elle veut brider. Elle les contraint à formuler leurs idées plus finement : ce sera vrai pour les légendes des lithographies, encore plus pour les dessins : dans une trogne, un habit, une silhouette, l’abonné lira une intention. (Là est la faiblesse de la censure. L’auto-censure, relisons Jules Monnerot, est bien plus efficace et se trahit par les facilités d’un langage avili.)

    Les bourgeois ont été la cible préférée des caricaturistes. Il serait outré d’y voir du marxisme. Ils ne sont pas opposés aux ouvriers mais aux artistes, plus pour incompatibilité d’humeurs que par rivalité de classe. La lutte est plus morale, intellectuelle, que sociale : « Le bourgeois est celui qui ne pense pas », dira Léon Bloy. L’artiste s’oppose au bourgeois – le poète à l’épicier, chez Balzac, à « Monsieur Prudhomme » dans un sonnet de Verlaine. Un diptyque de Gavarni exprime l’opposition. Un bourgeois type, légende : « Ne lui parlez pas des artistes » ; un artiste type, légende : « Ne lui parlez par des bourgeois ! » Daumier écoute les bourgeois attablés à la buvette du Salon (1864) : « Et toi, qu’est-ce que tu trouves de meilleur au Salon cette année ? –– La bière. » Les caricaturistes n’épargnent pas plus les artistes, dont ils sont. Leurs enthousiasmes factices ou démesurés, leurs vies moutonnières et caféistes offrent autant de prises à la dérision que les existences bourgeoises.

    Entre l’artiste et le bourgeois passe la femme entretenue qu’on désigne d’après le quartier de Notre-Dame de Lorette, qu’elles habitèrent nombreuses. La Lorette fait payer le bourgeois et, peu soucieuse des contraintes sociales, se lie avec l’artiste et l’étudiant, deux milieux irréguliers.

    Le grand talent de Daumier, de Gavarni est d’individualiser chaque personnage tout en en faisant un « type » identifiable. Il est vrai que l’habillement était socialement différencié au XIXe siècle, l’uniformisation vestimentaire que nous connaissons change la donne.

    L’étude des mœurs conjugales renouvelle de vieux écrits comme les Quinze Joies du mariage (XVe siècle). Quatre siècles plus tard, l’homme est toujours l’inférieur, le malmené, mais parfois il le cherche. L’épouse menace d’une chaise un époux grêle (illustration) : « Ah tu dis que tu passes la nuit à ton Bureau ! et tu vas à Musard, avec des Gourgandines !… » (Musard : un bal célèbre.) Gavarni, dans une planche de l’album Politique de femmes, montre la femme étranglant le mari dont la poche du manteau ne dissimule par une bouteille de rouge ; chez Rops, une matrone jaillit nue et charnue du lit conjugal pour étrangler l’époux en tenue de soirée : Passé minuit. L’égalité homme femme existe cependant. Une légende de Daumier, « 6 mois de mariage. La sympathie est le lien des âmes », illustre un couple près de l’âtre, bâillant à s’en décrocher la mâchoire.

    Félicien Rops pratique la lithographie mais pour certaines caricatures il mélange crayon, pierre noire, aquarelle. Il fréquente dans sa jeunesse les milieux du futur réalisme belge (Charles De Groux, Constantin Meunier…), mais son réalisme se transmue en caricature. Il fonde en 1856, du nom du personnage populaire de Till l’espiègle, l’Uylenspiegel, « journal des ébats artistiques et littéraires », ceci pour se moquer du Journal des débats… qui à Paris soutient Napoléon III. Rops reprend à son compte les thèmes traités par Daumier et Gavarni, il subit leur influence mais rapidement on le reconnaît comme leur égal, même à Paris où il s’installe en 1874.

    L’huile de Daumier intitulée Le Peintre n’est pas un autoportrait. Gavarni a fait le sien en lithographie, distingué et lointain (1843), Rops s’est dessiné dans son atelier avec son modèle (1878) : absente la dérision, demeure la pénétrante observation qui est le fond de la caricature.

    Samuel

    Pour rire ! L’invention de la silhouette. Jusqu’au 18 septembre 2011,

    Musée Louis Senlecq – 95290 L’Isle-Adam.

    illustration : Honoré Daumier, planche de l’album Mœurs conjugales, 1840, lithographie © Ecole nationale des beaux-arts, Paris.


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  • À la mairie de Paris

    Vues de Paris

    Présent du 25 juin 2011

    J’hésite à recommander cette exposition. L’entrée libre entraîne un afflux massif de visiteurs et elle n’est pas si libre : le système de sécurité est pesant. (Il est plus facile d’aborder à Lampedusa qu’entrer chez Bertrand Delanoë, fût-ce par la rue Lobau. La charité du maire, pour être médiatique, reste bien ordonnée.) Bref, l’heure d’attente est le minimum.

    « Paris au temps des impressionnistes » regroupe des œuvres venues du musée d’Orsay, dont certaines parties sont en travaux. On voit de grands maîtres ; et de petits maîtres qui se situent aux confins de l’impressionnisme, du naturalisme et de l’académisme, hors des définitions trop précises.

    La première partie présente le Paris qui se bâtit durant le Second Empire et la IIIe République. Durant la seconde moitié du XIXe, Paris s’étend ou se régénère au rythme moyen de 1 240 immeubles par an. Cette floraison est réglementée par la loi de 1859 (alignements, dimensions, encorbellements, etc.). L’architecture à structure métallique se développe, telle la gare Saint-Lazare qui Monet choisit comme motif, mais souvent elle ne rompt pas avec la pierre, cas de l’église Saint-Augustin, de la salle de lecture de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Les immeubles de rapport construits par Raoul Brandon (un élève de Victor Laloux, l’homme de la gare d’Orsay), utilisent le béton armé, dans un style haussmannien revue à la sauce Art nouveau, adaptation peu heureuse.

    Les peintres s’intéressent aux chantiers : Maximilien Luce, De Nittis qui peint les échafaudages du Louvre côté place des Pyramides. Peintre variable, élève d’Hébert, Trouillebert a donné le meilleur de lui-même dans de petits paysages, comme ce chantier ferroviaire dans l’est parisien, avec des poutrelles métalliques rouges sur le ciel bleu.

    L’élément urbain prend une importance qu’il n’avait pas du temps de l’école des paysagistes de l’école de Barbizon, qui s’était installée dans les champs et les forêts. L’impressionnisme, lui, est parisien et fluvial.

    Noble Paris seule raison qui vit encore

    Qui fixes notre humeur selon ta destinée

    Jongkind, à l’aise à l’huile et à l’aquarelle, magicien de l’eau, rend en quelques tâches sur un dessin rapide au crayon l’atmosphère d’un coin de Paris. Gauguin peint La Seine au pont d’Iéna, temps de neige (1875), Caillebotte une Vue des toits, effet de neige (1878), où les blancs sont mis en valeur par les gris, les mauves, les tons brique. Lumières de Paris, ciels plombés ! Je n’ai pas vu de toiles de Pierre-Jacques Pelletier.

    Parmi les peintres qui ne sont pas purement impressionnistes mais ont le goût de la lumière, Antoine Guillemet. Ses grandes toiles sont intéressantes : Paris vu de la butte des Moulineaux (1897), ou, mieux, Bercy en décembre (1874) : premières lumières du jour s’accrochant aux maisons basses en bord de Seine, sous un ciel gris. Situons-le, Guillemet est l’homme qui figure sur le Balcon de Manet.

    Stanislas Lépine, élève de Corot, est plus intimiste avec ses vues de Montmartre d’où se dégage une poésie certaine (Rue Saint-Vincent, vers 1870). Van Gogh, en peignant les guinguettes (1886), aura une autre vision de Montmartre, non moins poétique.

    L’époque impressionniste n’est pas que le paysage. C’est aussi la vie parisienne, avec ses gosses et ses ouvriers, ses demi-mondaines et ses bourgeois. Quelques artistes croquent, en verve. Constantin Guys, Lautrec, Steinlein, Degas, Vallotton, mais également Forain dont on voit là quelques œuvres de qualité : la Jeune femme sur un balcon associe un profil dans le goût du temps, d’une joliesse effrontée, à un décor parisien de cheminées. Deux portraits mondains : le célèbre Proust par Blanche (1892), l’antipathique Robert de Montesquiou par Boldini (1897) – mais, de grâce, Montesquiou n’a pas inspiré le personnage de Swann ! mais celui du baron de Charlus, et auparavant celui de Jean des Esseintes. Ernest La Jeunesse, dans ses Nuits et ennuis… (1896) s’est moqué de ce littérateur : il le montre en train d’écrire des vers artificiels et prétentieux et finalement ayant recours à son Larousse pour trouver une rime.

    Une salle est consacrée au Siège et à la Commune. Des troupeaux furent rassemblés dans le Bois de Boulogne afin de nourrir la capitale. Gustave Doré en a tiré un dessin étonnant, au moutonnement épique. Cet artiste est desservi, souvent, par la façon dont ont été gravées ses illustrations – la façon de l’époque, des plus communes. Les figures féminines de Puvis de Chavannes, Le Ballon (1870), Le Pigeon (1871), rappellent les moyens de communication en usage durant le siège. Dom Gérard aimait Puvis de Chavannes et cela suffirait à nous faire regarder avec attention ces figures noires sur fond brun.

    Samuel

    Paris au temps des impressionnistes.

    Jusqu’au 30 juillet 2011, Mairie de Paris, 5 rue Lobau.

    illustration : Johan Barthold Jongkind, La Seine et Notre-Dame de Paris © RMN (musée d’Orsay) / Jean-Gilles Berizzi


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  • Au musée de l’Orangerie

    Severinisme

    Présent du 18 juin 2011

    Gino Severini (1883-1966) a nagé – au fil de l’eau, comme certaines bêtes – dans divers courants du fleuve post-impressionniste : il a connu les gouttelettes du divisionnisme, et son affluent le divisionnisme scientifique, les chutes du futurisme, le ruisselet du réalisme idéiste, les larges rives du cubisme synthétique et du cubo-futurisme, avant de patauger dans le néo-classique à tendance néo-divisionniste. Comment aurait-il eu le temps d’être peintre ?

    Initié en 1902 au divisionnisme, qui est un pointillisme à revendication scientifique, et voulant mieux connaître Seurat, il vient à Paris. C’est en tant qu’introducteur en France du futurisme qu’il perce, en 1912.

    Le futurisme éclot en Italie quelques années auparavant, pondu par Marinetti. Il revendique une peinture dynamique, la modernité ayant mis en branle les machines et décuplé le mouvement mécanique. L’esthétique de la violence implacable de la bielle devient la référence.

    Rien du futurisme n’échappe à Apollinaire, qui suit avec attention le développement des idées picturales de son époque : ni la jactance des manifestes qui tombent dru, comme il arrivera au temps du surréalisme, ni l’insolence qui n’en a pas qu’après l’académisme mais toutes choses : jusqu’au cubisme, que les futuristes ne reconnaissent pas mais dont ils subissent malgré tout l’influence. D’ailleurs, pour le poète, le futurisme est une imitation des fauves et des cubistes. Il note que Severini est influencé par Van Dongen (cf. Présent du 28 mai), dont certaines peintures essayent de rendre le mouvement (de danses, de manèges), ce que Severini tente de réaliser avec La Danse du pan-pan au Monico, toile à succès en 1912. Le Monico était un dancing de Pigalle et le pan-pan, peut-être, une danse dans le goût de la Mattchiche.

    « En réalité, remarque Apollinaire, les peintres futuristes ont eu jusqu’ici plus d’idées philosophiques que d’idées plastiques. » Vu que « la nature ne les intéresse pas », c’est à des idées qu’ils demandent des formes. Tout l’intellectualisme du XXe siècle est là. « Parmi les propositions du manifeste des peintres futuristes, il n’y en a pas qui ait paru plus sotte que celle-ci : “Nous exigeons, pour dix ans, la suppression totale du nu en peinture.” » Quoi de moins humain que cette interdiction et que son objet ? (En matière d’oukases littéraires et artistiques, les surréalistes seront, là encore, des suiveurs.)

    Danseuses, tramways : le rendu du mouvement se traduit par des effets kaléidoscopiques dans les années 1912-1915. Des titres se posent comme des équations : Danseuse + Mer + Voile = Bouquet de fleurs. Voilà qui ne sent ni la mer, ni la danseuse, mais le biscornu. D’autres titres ne cachent pas leur prétention : Expansion sphérique de la lumière centripède et centrifuge et Expansion de la lumière (centrifuge et centripède). (Ce « centripède » est un barbarisme et ne désigne en aucun cas, façon Luc Ferry, un ancien ministre français.) Quand un titre prend cette allure, on sait qu’aucune peinture ne survit.

    Les futuristes aimant la modernité, ils aiment la guerre moderne, broyeuse. Marinetti suggère à Severini de s’en inspirer. (Fernand Léger aura la « révélation » d’une esthétique moderne durant la guerre, feu et acier.) Il peint au début de la Première quelques toiles intéressantes, Train blindé en action et Canons en action (illustration), typique du lettrage de l’époque, écho aux calligrammes d’Apollinaire.

    En 1916, Severini devient cubiste. Ses natures mortes ont de belles harmonies, sourdes, plus à la Juan Gris qu’à la Pablo Picasso. Il avait déjà, les années précédentes, inclus des collages, des inscriptions, dans ses tableaux : ainsi du portrait de Paul Fort (« Prince des Poètes » oublié de nos jours, dont Severini avait épousé la fille en 1913). Avec le goût cubiste pour la géométrie, Severini se lance dans de savantes et stériles recherches sur les tracés harmoniques et le nombre d’Or. Il redevient figuratif, développe un sens décoratif certain. Il peint des panneaux pour la maison du marchand d’art Léonce Rosenberg, lequel ignorait qu’un jour le second mari de sa petite-nièce serait présumé innocent dans une histoire de viol new-yorkais.

    Severini a-t-il été fasciste ? L’exposition ne clamant pas haut et fort, ni mezzo voce, qu’il ne l’a pas été, on peut s’interroger. Les futuristes ont eu tendance à le devenir. On se contentera de la perspicacité de Nicole Tamburini, dans La Tribune de l’Art, qui a vu, dans les gris et les bruns de tableaux des années trente, des couleurs qui « trahissent les sombres heures de la montée du fascisme ».

    Plus sérieusement, signalons la publication de la correspondance Severini-Maritain, deux centaines de lettres de 1923 à 1966.

    Samuel

    Gino Severini, futuriste et néoclassique.

    Jusqu’au 25 juillet 2011, Musée national de l’Orangerie.

    illustration : Gino Severini, Canons en action (Mots en liberté et formes), 1915© Archivio Fotografico Mart © ADAGP, Paris 2011


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