• Collections Esterhazy et Romanov

    À la Pinacothèque

    Écoles et tableaux

    Présent du 12 février 2011

    La Pinacothèque de Paris ouvre une page nouvelle de son existence, avec la constitution d’une collection permanente, clairement hétéroclite pour rompre avec ce que peut avoir de pesant la présentation muséale courante, encyclopédique. Nous reviendrons sur cette collection. Cette « naissance d’un musée » est parrainée par un choix tiré de deux collections, celles des Romanov et des Esterhazy, qui ont donné naissance, la première au musée de l’Ermitage, la seconde au musée des beaux-arts de Budapest. Ce qui suit n’est qu’un survol (1).

    Ecole du Nord (XVIIe). – Deux tableaux de Philips Wouverman (R) : L’assaut de la forteresse et Havre maritime, caractéristiques de sa manière, groupes de personnages qui s’inscrivent sans disparate dans le paysage, le tout traité avec des transitions qui ne tombent jamais à la mollesse. Les personnages se regardent aussi pour eux-mêmes. Wouverman était un timide qui se fit rouler par les marchands. De plus chargé de famille, il fut contraint de produire beaucoup, sans jamais négliger le faire.

    Un tout autre caractère, Jan Steen. Son père l’établit brasseur afin qu’il pût peindre sans considérations commerciales. C’était sans compter sur la faiblesse de Jan Steen, qui s’adonna à la boisson, fit faillite et s’établit cabaretier, pour mieux boire son fonds. Quand l’argent manquait, il peignait, vendait, et replongeait dans ses tonneaux. L’inspiration s’évente comme un fond de bière. Si Le contrat de mariage (R) est acceptable, Une joyeuse rigolade (E, une vingtaine d’années plus tard) se range dans ce que les scènes de genre nordiques présentent de plus bas.

    D’une tout autre qualité, Gabriel Metsu (Le malade et le médecin, et plus encore Le petit-déjeuner, R), Téniers le Jeune : son Chirurgien (E) mêle à la scène de genre les qualités d’une nature morte. On vérifie dans les détails ce qu’en dit Descamps : « Il saisissait les reflets si à propos, que les formes qu’il a voulu représenter se trouvent terminées avec quelques touches qui tiennent lieu de beaucoup d’ouvrage. »

    Avec un très beau portrait de jeune femme, Jan Mieuse Molanaer (E) nous met au défi d’échapper à un regard magnifique.

    Ecole italienne (XVIe, XVIIe). –Michele Desubleo, dit Fiammingo, était comme son nom l’indique originaire des Flandres. Il est italien d’adoption. De son David avec la tête de Goliath (E), on retient la tête de David : encore un regard remarquablement saisi, juvénile, qui n’a rien perdu d’innocence en tuant un méchant. Desubleo passa par l’atelier de Guido Reni, sans y attraper la froideur léchée qui émane d’une toile comme David et Abigaïl (E) – en exceptant la femme qui nous regarde, dans le coin à droite : un troisième regard…

    Remontons dans le temps : les peintres Marco Basaiti, Bernardino Luini, sont encore assez gothiques. Raphaël, né comme eux dans les années 1470-1480, l’est encore relativement au début du XVIe : la « Madone Esterhazy » est inachevée (les masses sont en place), ce qui lui donne une légèreté, à ajouter au fait qu’elle est encore une tempera sur bois. La sensibilité est retenue. Une Madone à l’Enfant (avec saint Joseph et saint Jean-Baptiste) de Giulio di Pietro di Simone (R) fait la transition avec le XVIe siècle avancé, où le Tintoret (Les Pèlerins d’Emmaüs, E), Véronèse (Autoportrait, R ; Christ en croix, E), le Titien (Christ Tout-puissant, R) représentent le triomphe d’une peinture consciente de son génie mais moins spirituelle.

    Ecole française (XVIIe, XVIIIe). – La collection Esterhazy fournit du La Hyre, du Champaigne ; et du Lorrain, une villa dans la campagne romaine, au premier plan un berger passe son troupeau à gué. Quelle science ! Rien d’appuyé, le classicisme n’est pas l’académisme, ce que confirme un Poussin : Vénus, faune et putti (R). Tel est le titre, énumératif à défaut d’identifier le sujet (lutte de l’amour sublime et de l’amour charnel ?). L’alliance entre un dessin rigoureux, mental, et une couleur chaude, charnelle, repousse loin la querelle ultérieure des poussinistes et des rubénistes. Seul Gauguin saura réaliser le même accord. Il donnera à ses vahinés la même qualité formelle que cette Vénus, nu magnifique.

    Au XVIIIe, Lancret et Pater (R) suivent Watteau. Ce n’est plus la tristesse de Watteau mais la tristesse de le voir suivi dans des parcs et des concerts où lui seul avait su pénétrer. Mais voilà une heureuse surprise : un jeune homme chapeauté, par Greuze (R, illustration). Un Greuze de la jeunesse (vers 1750), d’avant le mélo et l’inspiration moralo-libertine. Un portrait vivement brossé, aux ombres limpides ; un quatrième regard.

    Samuel

    (1) Commodément, nous ne séparerons pas les deux (R : Romanov ; E : Esterhazy).

    Les Esterhazy, princes collectionneurs. – Les Romanov, tsars collectionneurs.

    Jusqu’au 29 mai 2011, Pinacothèque de Paris

    Prolongation jusqu'au 15 septembre 2011

    illustration : Jean-Baptiste Greuze, Portrait de jeune homme au chapeau© Musée de l’Ermitage. Photo de Pavel Demidov. Exposition en association avec le musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg


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