• Cortone et Ferri

    Au musée du Louvre

    Un maître du baroque

    Présent du 2 avril 2011

    Avec Bernin et Borromini, Cortone (1597-1669) est l’un des trois maîtres du baroque romain. En les considérant sous leur dénominateur commun d’architecte, ce n’est pas le plus grand. Il n’a pas la puissance triomphante du premier, qui reflète celle des papes pour lesquels il travailla, ni l’intériorité du second, dont les commanditaires furent souvent des ordres religieux. Cortone a réalisé, à Rome, les façades, marquées du sceau baroque de la convexité, de Santa Maria Della Pace (accolée au si simple cloître de Bramante), de Santa Maria in Via Lata, de Santi Luca e Martina. A cette église-ci, dont il creusa la crypte, il légua sa fortune (et non à la sainte elle-même ! comme on le lit çà et là). Il y est enterré. Santi Luca e Martina était l’église des peintres, à proximité de l’Académie de dessin, dite de Saint-Luc.

    Cortone aurait pu être l’architecte du Louvre. Il fut consulté par Colbert pour l’aile orientale, avec Reinaldi et le Bernin. Le musée possède trois des cinq élévations qu’il envoya. Les projets de toitures des pavillons sont trop peu dans le goût français.

    Bernin sculpteur, Borromini architecte, Cortone peintre : cette triade a été vantée, non moins décriée. La facilité de Cortone lui a été reprochée, celle de ses élèves est quasiment un lieu commun. Luca Giordano, par exemple, fut surnommé « Fa presto » (Vite fait). « L’école des Cortonistes a couvert les églises et les palais de l’Italie de peintures rapidement exécutées, tapageuses, et dont le brio, pour parler comme les Italiens, ne compense pas toujours la vulgarité et l’incorrection. » Tel est l’avis de Salomon Reinach dans son Histoire des arts plastiques. L’école de Cortone est à l’origine du barochetto, ce baroque qui glisse du beau au joli, de la force à la nervosité.

    L’essentiel des dessins est en rapport avec les œuvres décoratives. Pour Sainte-Bibiane (Rome), Cortone a peint trois fresques, relatives au martyre de sainte Bibiane. L’étude de buste de femme nue, une sanguine (je parle de l’étude), pour le martyre de la sainte, est d’une grande sensualité. A fresque, cette sensualité devait être inexistante, tant, d’une technique à l’autre, le charnel ou le spirituel l’emporte. On le constate en voyant l’eau-forte réalisée d’après la fresque (La flagellation de sainte Bibiane) : on saisit ce qu’Henri Charlier appelait « l’esprit d’une technique » : le même buste, gravé, est incomparablement désensibilisé par rapport à la sanguine.

    D’autres dessins nous emmènent à Saint-Pierre. Sous Bernin maître d’œuvre, Cortone réalise des cartons pour certaines des mosaïques. Décorateur de parois, de plafonds, de coupoles, Cortone a peint des tableaux de chevalets, dans les années 1630-1640. Le Louvre en a quelques-uns, sur des sujets tirés de la Bible ou de l’Enéide. Pour l’épisode où Vénus apparaît à Enée (illustration), le dessin préparatoire a été modifié au moment de la peinture. Les personnages des tableaux sont en mouvement, figures presque dansantes, mais bien campées, et comme tenues par les draperies qui, sans avoir le bouillonnement façon Bernin, ont de la consistance. Les couleurs sont fraîches, à part celles du paysage de la Vierge et l’Enfant avec sainte Martine.

    Des académies, des études d’attitude (remarquable nu masculin, une étude pour un nocher), de drapés (étude pour le personnage d’Agar), de détails… Le fonds est riche en dessins de Cortone, comme en dessins de Ciro Ferri (1634-1689). Nous faisions allusion, la semaine dernière, à cet élève de Cortone, au sujet de l’exposition de la galerie Tarantino. Le Louvre souhaite établir que Ferri n’est pas qu’un suiveur. Il fut élève, puis collaborateur de Cortone. Il termina quelques travaux commencés par son maître, à Florence. (De même, autre élève, Guillaume Courtois acheva des tableaux pour l’ambassadeur de Venise. Cortone lui rendit hommage auprès de celui-ci : « Guillaume est mon élève ; mais dans ces tableaux il a fait ce que son maître aurait eu de la peine à exécuter. »)

    A la mort du maître, il fut fait souvent appel à Ciro Ferri pour, encore, terminer les travaux inachevés, mais aussi pour avoir des décorations dans le goût de Cortone. C’est ainsi qu’il se retrouva occupé à la coupole de Sant’ Agnese in Agone, décor qu’on voit ici gravé par Nicolas Dorigny, ensemble et détails. Tandis qu’il peignait la coupole, Baciccio peignait les retombées. Hélas ! Le travail de Baciccio lui parut supérieur au sien, et parut tel à d’autres. « Cette préférence lui fut si sensible, qu’il en tomba malade, et qu’il en mourut », dit un dictionnaire du milieu du XVIIIe siècle. Jalousie d’artiste ou recherche de l’excellence ? Quelle sensibilité exacerbée, en tout cas.

    Samuel

    Pietro da Cortona et Ciro Ferri – L’invention baroque.

    Jusqu’au 6 juin 2011, musée du Louvre.

     

    Pierre de Cortone, Vénus apparaissant à Enée. Musée du Louvre © RMN / Thierry Le Mage


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