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Cranach l'Ancien
Cranach l’Ancien
Présent du 5 mars 2011
Lucas Cranach (1472-1553) appartient à la génération de Dürer, de Baldung, de Grünewald. Tous peintres allemands à la forte personnalité. L’exposition du musée du Luxembourg, et alors que le Louvre s’est porté acquéreur des Trois Grâces, nous emmène dans le monde de cet artiste, dont l’autoportrait (1531) trahit l’inquiétude du regard mais prouve un œil attentif : le visage est peint fin et ferme.
Cranach s’est représenté çà et là dans des gravures : il assiste à la capture du Christ ou à une scène de tournoi. L’influence de Dürer sur ses gravures est évidente. Le gris trop uniforme est un indice. Certaines affirment plus de noirs (Le repos pendant la fuite en Egypte), peut-être au vu de gravures de Baldung, d’autres plus de blancs (Le sacrifice de Marcus Curtius, d’après un petit relief de bronze).
Cranach est un solide portraitiste. Le modelé vigoureux apparaît déjà sur le visage d’un anonyme (vers 1508), à l’air sévère, adouci par le fond bleu céruléum. Beaucoup de grands apparaissent, à commencer par Frédéric le Sage, prince électeur de Saxe, dont Cranach fut un des peintres à la cour de Wittenberg. Le prince lui octroya en 1508 des armoiries : un serpent ailé portant rubis en gueule. Ce serpent sera sa signature et la marque de son atelier. (Dürer, lui, reçut les siennes de l’empereur Maximilien. Le statut des peintres se modifiait.) Nous croisons aussi Marguerite d’Autriche au visage plein de bonté (vers 1530), Ferdinand Ier, un petit portrait superbe (1548) – la tante et le frère de Charles Quint. Sans oublier Luther, Melanchthon : Wittenberg fut, en 1517, le berceau de la Réforme.
Le tableau le plus ancien connu est religieux, la Crucifixion, de 1500. L’anatomie est maladroite, les personnages gauches, mais l’ensemble est inspiré. Le Martyre de sainte Catherine (1508), composition ambitieuse, marque les étapes franchies. Le bourreau et la sainte – celle-ci princesse en robe grenat et atours précieux – sont deux figures superbes derrière lesquelles l’éclatement de la roue, dans un déchaînement de feu céleste, provoque un hachis de païens. Le peintre s’inspire de deux gravures, l’une de Dürer, l’autre de « MZ », mais les dépasse par la déflagration colorée. Dans le coin gauche, une colline escarpée, un château perché : à guetter dans d’autres tableaux, ces éléments vus, si allemands, peints avec transparence. On les retrouve, par exemple, derrière une Vierge à l’Enfant – belle Vierge aux cheveux fins.
En présence de Marie et d’autres saintes, sainte Catherine encore, au moment de son mariage mystique. L’épouse est vêtue d’une splendide robe damassée orange. La pose et le drapé sont si gothiques ! Gothique, en effet, primitif : tel est Cranach. S’il connaît la peinture des Pays-Bas directement, la peinture italienne ne l’atteint que par la bande. Une comparaison de plusieurs Lucrèce est instructive (italienne, flamande, germanique : celle de Cranach, celle de son fils), tout comme celle de plusieurs Vierge (Metsys, Dürer, Cranach).
Gothiques aussi sont ses nus. Des nus masculins, comme Hercule et Antée, composition qu’il reprend d’un petit relief en bronze de Moderno, sur fond noir et sol caillouteux, un « décor » minimal qu’il réutilisera souvent pour le nu, l’abandonnant à d’autres moments pour un paysage. Beaucoup de nus féminins, une nymphe reprise d’une gravure de Mocetto, des allégories : la Justice (illustration), la Charité.
En grand, en petit, accompagnés d’animaux ou pas (leur présence, leur nombre variaient en fonction des moyens du client), les premiers Parents ont été un sujet maintes fois traité par Cranach et son atelier, d’où une irrégulière qualité. Adam et Eve apparaissent, classiquement, de chaque côté de l’Arbre mais parfois Cranach les assemble en couple, dans une attitude touchante : Adam tient Eve par l’épaule.
Attendre de ces nus un idéalisme raphaélesque serait cause de déception. En revanche, on peut en attendre du charme. Elie Faure signale « des femmes fort gauches, avec des jambes maigres, et cagneuses, et de grands pieds, et de gros genoux », des « nudités mythologiques mal bâties » cependant « délicieuses ». Et de souligner cette fraîcheur qui se révèle en particulier dans les têtes : « leurs visages sont d’un charme extrême, tout ronds [?], souriants, un peu malicieux, avec de belles tresses blondes ». Ces femmes « typées Cranach » sont parfois répétitives et rebattues, sentent la production d’atelier, mais en effet d’un charme extrême lorsque la main du maître leur a donné vie : c’est le cas d’un « portrait idéalisé de jeune femme », d’une magnifique Salomé, du portrait de la fille de Luther que possède le Louvre, et de la jeune Marie, de profil, occupée à tisser sous l’œil de sainte Anne.
Samuel
Cranach et son temps. Jusqu’au 23 mai 2011, musée du Luxembourg.
Tags : cranach, peinture xvie, allemagne
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