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Crime et châtiment
Au musée d’Orsay<o:p></o:p>
Rouge sang
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Présent du 10 avril 2010<o:p></o:p>
Plus d’un siècle et demi de crimes, de châtiments, vus par la peinture, qu’elle s’inspire des récits bibliques, de l’actualité ou de la littérature. En exergue, le 6e Commandement. Les critères esthétiques n’interviennent pas. Côte à côte, L’Expulsion du Paradis (Cabanel), Caïn portant le corps d’Abel (Falguière), La Justice et la Vengeance à la poursuite du Crime (Prud’hon) retracent l’histoire du Mal tandis que Füssli et Blake nous transportent en Enfer où les assassins, dans le septième cercle, bouillent dans un fleuve de sang.<o:p></o:p>
Nous entrons dans l’histoire en 1791. La Révolution innove en instaurant la guillotine pour tous. Saint-Fargeau a plaidé sans succès l’abolition de la peine de mort. Assassiné deux ans plus tard pour avoir voté la mort du Roi, il est un des héros de la Révolution, avec Marat qui connaît une vie posthume dans les beaux arts. Le tableau de David, dépouillé, est un tableau de maître. Il enfante malgré lui une version naturaliste de Paul Baudry (1860) : un bourgeois assassiné par une bourgeoise dans une bourgeoise salle de bain. Munch, en 1906, donne une version expressionniste.<o:p></o:p>
L’étêtage de masse auquel s’est livrée la Révolution, les tableaux sont impuissants à en rendre l’horreur (Une exécution capitale sur la place de la Révolution, Demachy, 1793). Le traumatisme existe, Géricault suivi par d’autres, se livre à l’étude de têtes coupées. La décollation suscite des interrogations sur le rapport de la tête et du corps, sur l’activité cérébrale post mortem. La question inspirera, plus tard dans le siècle, des pages « poësques » à Villiers de l’Isle-Adam.<o:p></o:p>
Appartenant à l’époque romantique par la date (1817), à la Révolution par la carrière de l’ancien procureur, l’affaire Fualdès défraie la chronique. Géricault tente, en six magistraux dessins à la plume, de raconter le crime à la façon d’un peintre d’histoire, de travestir ce crime en épisode antique (illustration). <o:p></o:p>
Les romantiques aiment les brigands, qu’ils peignent hauts en couleurs. Les brigands romains font une carrière artistique enviable. Goya donne dans le picaresque avec les petites toiles du frère Pedro, s’écarte du superficiel avec son pâle et froid Brigand assassinant une femme. Ils aiment aussi les femmes pousse-au-crime, que ce soit Lady Macbeth, dont la folie est un sujet de choix, ou Salomé la manipulatrice : la danse est à la fois son arme et son alibi. L’un des chefs-d’œuvre du symbolisme sera cette Apparition de Gustave Moreau, ce chef du Baptiste muet devant la jeune fille parée.<o:p></o:p>
Différents des crimes historiques ou littéraires, les crimes de sang intéressent les feuilles des années 1840. Elles sont illustrées de gravures sur bois de fil vite taillées, malhabiles, mais qui ne manquent pas de franchise. (Le volume des Brigands d’Henri Pourrat, en contient de belles reproductions.) A la fin du siècle les gravures se font sur bois de bout : c’est mou et gris.<o:p></o:p>
Inséparables des criminels, les gens de Justice. Par Viger, le Portrait de Robert de Sèze, avocat de Louis XVI, est plus qu’un portrait de magistrat. Les caricatures de Daumier, certains juges de Rouault sont bien connus. Grâce à eux, les assassins passent par la case Prison (1) ou par la case Départ. Géricault dessine une scène de pendaison à Londres ; Victor Hugo, un fantomatique pendu, une tête qui prend son envol au-dessus d’une guillotine. <o:p></o:p>
La science cherche le crime dans la conformation du crâne, dans les circonvolutions cérébrales. Les têtes de criminels, moulées, servent aux démonstrations. Le libre-arbitre perd du terrain, au profit de l’atavisme physique et social, de la dégénérescence. Ces questions trouvent un écho dans la littérature (Zola), dans l’art : par sa physionomie (prognathe au front fuyant), La petite danseuse de Degas a un destin tout tracé de criminelle ou de prostituée.<o:p></o:p>
Le crime sexuel passionne les peintres de la Nouvelle Objectivité, ainsi que les Surréalistes, dont l’intérêt pour les criminelles se manifeste à plusieurs reprises (Violette Nozière, les sœurs Papin) : acte asocial et freudien, le crime est, comme l’œuvre, une révolte. Le cadavre est exquis. <o:p></o:p>
L’exposition Crime et châtiment est une idée de Robert Badinter. Les œuvres présentées valent par elles-mêmes, mais l’habillage idéologique existe. La justesse de la peine de mort se discute, mais venant de ceux-là mêmes qui ont promu l’avortement – l’abolition de l’une, la légalisation de l’autre sont ordinairement citées conjointement comme progrès moraux – l’argument de l’humanité ne tient que par hypocrisie ou à condition de considérer qu’innocence vaut moins que crime. Il se trouve toujours quelqu’un pour libérer Barabbas.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
(1) Voir l’exposition du musée Carnavalet, Présent du 13 mars.<o:p></o:p>
Crime et châtiment. Jusqu’au 27 juin 2010, musée d’Orsay.<o:p></o:p>
illustration : Théodore Géricault, Les assassins portent le corps de Fualdès, Paris, Musée des Beaux-Arts © RMN / Jacques Quecq d'Henripret<o:p></o:p>
Tags : peinture, crime, XIXe
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