• Rembrandt et le Christ

    Au musée du Louvre

    Le Christ

    selon Rembrandt

    Présent du 21 mai 2011

    L’œuvre de Rembrandt témoigne d’une interrogation permanente : comment représenter le Christ – a fortiori, bien sûr, après la Résurrection. Le Christ apparaissant à Marie-Madeleine, aux apôtres, que ce soit au Cénacle, en particulier à saint Thomas incrédule, ou sur le chemin d’Emmaüs, autant de sujets qui explorent cela.

    Une solution consiste à jouer de la lumière éclatante. Son intensité aveuglante « efface » la figure du Christ, dans un Noli me tangere (dessin), dans une apparition du Christ aux apôtres (eau-forte) : manière d’exprimer que Marie-Madeleine ne reconnaît pas le Christ ; que les apôtres « s’imaginaient voir un esprit » (Lc 24,37). Une lumière éclatante peut aussi dramatiser la scène tout en rendant, par contre-jour, la figure du Christ obscure. C’est le cas d’un Repas d’Emmaüs, une œuvre de jeunesse (musée Jacquemart-André), construite sur un contre-jour violent, qu’atténue un feu dans une arrière-salle, à la façon d’un Le Nain.

    Parfois Rembrandt use moins de ce principe lumineux. L’incrédulité de saint Thomas (1634, Moscou) présente des formes définies autant dans la lumière que dans l’ombre. C’est un remarquable tableau, tout comme Le souper à Emmaüs (1648, Louvre), aux couleurs irisées. Dans tous les cas, se vérifie le constat d’Henri Charlier : « l’art de Rembrandt donne l’effet d’un songe théâtral très émouvant où le mystère plus que le spirituel est exprimé ».

    En 1656, Rembrandt (1606-1669) qui gère un atelier florissant est pourtant au bord de la faillite. L’inventaire des biens qui est alors effectué mentionne, parmi ses propres peintures, une « Tête du Christ d’après nature » (Een Cristus tronie nae’t leven). Lorsque ce document fut publié, à plusieurs reprises au XIXe siècle, les éditeurs furent embarrassés : comment interpréter cette étrange formulation ? Il n’y a pourtant pas à barguigner, la tête fut peinte d’après nature, d’après modèle vivant.

    Rembrandt a peint beaucoup de membres de la communauté juive d’Amsterdam. Il y a quatre ans, une exposition du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme avait tenté d’établir, non sans gêne, l’équilibre entre « judaïsation » et « déjudaïsation » des portraits de Rembrandt (voir Présent du 2 juin 2007). Dans cette série, deux très beaux portraits de jeunes hommes juifs (musée de Berlin, musée de Fort Worth). Parallèlement à cette activité de portraitiste, nourrie par elle, une réflexion personnelle, autant religieuse qu’artistique, a pu mener l’artiste à doter ses Christ de traits considérés par lui comme typiquement juifs et à peindre des Christ « d’après nature ». (La confrontation entre un vieil artiste d’Anvers et une jeune juive qu’il fait poser pour une Annonciation, c’est le sujet d’une nouvelle de Stefan Zweig, « Les prodiges de la vie ».)

    Quelques petits tableaux forment une série de têtes de Christ manifestement inspirés par les portraits juifs ou peints d’après modèle. On les date d’entre 1648 et 1656. Chacun est particularisé, par le port de tête, l’expression. L’un (Berlin) dégage une impression monumentale. Un autre (Detroit) est manifestement une étude pour le Souper d’Emmaüs du Louvre. Celui de Philadelphia (illustration) a une présence particulièrement émouvante. Les Christ de Rembrandt sont d’une grande douceur. Ses élèves et suiveurs, dont on voit quelques travaux, n’éviteront pas le poncif du douceâtre.

    La méditation du peintre a-t-elle renouvelé de façon révolutionnaire le sujet ? Evoquant la figure christique telle qu’elle a été peinte avant Rembrandt, le catalogue affirme : « Cette image canonique, voire stéréotypée du Christ, avait été affirmée par des siècles de tradition, et affinée au fil des controverses ecclésiastiques – parfois dans le sang » (sic). Une « image canonique » ? On aimerait savoir laquelle, et si elle n’est pas qu’un fantasme plutôt qu’une réalité de l’histoire de l’art. Le fait qu’on reconnaisse aisément le Christ dans l’art chrétien n’est pas dû à un stéréotype puisqu’au contraire chaque artiste l’a individualisé. Après tout, même si moins stéréotypé, on reconnaît tout autant le Christ dans les tableaux de Rembrandt.

    Un choix abondant de gravures des XVe et XVIe siècles montre la diversité des manières de figurer le Christ, gracile, presque fragile chez Martin Schongauer tandis qu’il est athlétique chez Mantegna. Dürer, Lucas de Leyde, Goltzius, autant d’artistes sur lesquels Rembrandt s’appuie ou dont il s’écarte. Son Christ de la Crucifixion du Mas-d’Agenais (1631) est humble et souffrant, ego sum vermis. L’influence de ce tableau est immédiate sur Jacob Backer, sur Jan Lievens.

    Une remarquable exposition où l’on voit à l’œuvre l’esprit curieux et insatisfait du grand artiste hollandais.

    Samuel

    Rembrandt et la figure du Christ.

    Jusqu’au 18 juillet 2011, musée du Louvre.

    illustration : Tête du Christ, huile sur bois © Philadelphia Museum of Art


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