• Rome: paysage 1600-1650

    Au Louvre et au Grand Palais

    Le paysage à Rome

    au XVIIe siècle

    Présent du 7 mai 2011

    Le paysage accède au rang de genre à part entière vers 1600. D’un côté – celui des mécènes, des clients – le goût de la littérature bucolique, l’exaltation poétique de la nature virgilienne. De l’autre – celui des artistes – Rome et ses ruines, ses campagnes sauvages ou pittoresques, excitant puissant. Les conditions sont réunies pour l’éclosion du grand paysage. La coexistence, à Rome, de peintres italiens, flamands, français, allemands, accélère

    sa maturation, que ne ralentit pas, au contraire, le retour des uns et des autres dans leur patrie, où le paysage se répand.

    Le rôle du Bolonais Annibal Carrache est déterminant. Dès son Paysage fluvial, il unit l’observation de la nature (feuillé, lumière) et la composition consciente, à partir d’un choix d’éléments existants. Le paysage est une création : l’artiste n’est pas prisonnier d’un site précis. Le difficile équilibre de la nature et de l’idéal existe déjà chez Carrache. Lieu pensé, le paysage accueille alors logiquement des sujets nobles (religieux ou mythologiques).

    Les élèves de Carrache sont nombreux. Le Dominiquin suggère l’éloignement avec des passages de tons imperceptibles (Paysage avec laveuses de linge ; Paysage avec Hercule et Acheloüs). Le Guerchin place de belles baigneuses dans la nature (Paysage avec Diane). Les figures de l’Albane ont une élégance parfois affectée, mais certains coins de nature n’ont pas ce défaut.

    « La fuite en Egypte » est un thème répété, comme d’autres qui s’accompagnent par définition d’un paysage. L’Albane en peint plusieurs, mais aussi le Cavalier d’Arpin, le Dominiquin qui laisse passer la Sainte Famille dans un coin, comme si elle n’était qu’un prétexte. Cette façon de composer ne paraît-elle pas artificielle, à nous qui concevons que le paysage puisse exister pour lui-même ? Mais ici le sujet noble donne réellement sens au paysage. Rubens acquiert un paysage rocheux de Paul Bril, aux belles lumières, et y ajoute Psyché et l’aigle, cette modification est caractéristique de sa conception du paysage.

    L’Anversois Paul Bril, venu à Rome après son frère Mathias, est contemporain d’Annibal Carrache. Il apporte du Nord un goût pour le paysage « pur », proche du nôtre, ou animé par le quotidien. Le Forum romain intéresse les peintres étrangers, bien sûr, mais ils ne dissimulent pas qu’il est occupé par le marché à bestiaux. La familiarité y trouve son compte. Les ruines ne sont pas séparées de la vie contemporaine, elles apparaissent chez Bril, chez Poelenburgh (Ruines dans la campagne), chez Breenbergh (Paysage avec le temps de Minerve Medica). Ces paysages romains des Nordiques séduisent par leur simplicité – la simplicité du sujet, de la manière de l’aborder. Goffredo Wals (originaire de Cologne) qui donne le pas aux murs et aux roches sur la verdure, dans des compositions très géométriques, paraît ainsi tout à fait « moderne » – si cela a un sens.

    Au contact d’Annibal Carrache, les Nordiques cependant introduisent aussi des sujets nobles, comme Paul Bril avec le Paysage avec saint Jean-Baptiste ou sa Vue de port qui, par son ambition, annonce le Lorrain.

    Car deux Français à Rome achèvent de donner ses lois au genre. Le Lorrain peint des scènes simples (Paysage avec un berger) ou compliquées (Vue d’un port avec le Capitole), avec une préoccupation toujours aiguë de l’atmosphère.

    Poussin, que l’opinion courante voit comme un peintre intellectuel et froid, tient la bride haute à sa sensualité, mais elle est présente, et parfois il la lui laisse sur le cou. La Vue de Grottaferrata avec Vénus et Adonis est une splendeur de verts et de mordorures. Avec Nymphe et Satyres, il démontre que le dessin et la couleur ne sont pas appelés à s’opposer dans une distinction radicale.

    Dans leur sillage, deux autres Français : Gaspard Dughet, beau-frère de Poussin (Paysage avec chasseurs, remarquez les rochers travaillés par frottis), Jean Lemaire, peintre de ruines modeste mais non sans charme.

    Tous les quatre, ainsi que Swanevelt, peignirent un ensemble de grands paysages pour le Buen Retiro de Madrid. La mode du paysage s’était répandue, et la réputation des Français avait traversé les frontières. L’épouse française de Philipe IV, Elisabeth de France (fille d’Henri IV), est peut-être pour quelque chose dans le choix de ces artistes. Les cinq peintres restèrent en deçà de leur manière afin de donner unité à l’ensemble, assez austère mais majestueux et exemplaire du genre (Paysage avec saint Paul ermite, de Poussin).

    On revient volontiers à des peintures moins « élevées », pour paître plus frais : les lointains légers et nets de Filippo Napoletano, ceux de Viola, les verts nuancés de Bonzi, les tons délicats de Cortone… Sans oublier la mâle peinture de Velasquez qui s’intéressa à un coin du jardin de la Villa Médicis.

    Une salle est consacrée aux dessins des uns et des autres – quelques perles –, que complète l’exposition du Louvre dédiée au Lorrain.

    Un Lorrain à Rome

    Claude Gelée naquit en Lorraine entre 1600 et 1605. Apprenti pâtissier devenu orphelin, il accompagna un parent à Rome, qui l’y abandonna, ou presque. Le jeune adolescent se retrouva à broyer des couleurs chez le peintre Agostino Tassi, un élève de Paul Bril. Ayant vu des tableaux de Goffredo Wals, il partit à Naples où il fut son élève (1620-1622) avant de revenir chez Tassi. Claude avait la bougeotte. Il retourna en Lorraine en passant par Venise et l’Allemagne, resta un an dans sa région natale comme assistant de Deruet, puis revint à Rome en 1626, après un voyage semé d’embûches. Le Lorrain allait désormais limiter ses allées et venues à la région de Rome, où il mourra en 1682.

    Cinquante ans de dessins ! La mise en commun des collections du Louvre et du musée Teylers (Haarlem) offre une rétrospective chronologique du Lorrain.

    L’introduction présente l’artiste et les confrères avec lesquels il allait sur le motif. Deux dessins, émouvants témoignages, représentent un artiste au travail dans son coin de nature. Arbres, rochers, cascades, sous-bois, collines… Tout est digne d’intérêt pour le Français entouré d’amis surtout nordiques. Nous retrouvons là Bril, Tassi, Wals, Breenbergh ; Poelenburgh qui réserve le papier pour suggérer le soleil violent ; Swanevelt, brillant dans la suggestion de la lumière et dans le rendu du feuillage. Les artistes comparent leurs œuvres, leurs façons de rendre tel ou tel effet, qu’ils s’empruntent.

    La manière du Lorrain est particulièrement libre, le peintre Sandrart, dérouté par cette spontanéité très tôt efficace, hésitait à se prononcer sur son talent. Comme Poussin, en comparaison, paraît précautionneux !

    On distingue assez aisément les dessins qui ont été travaillés en atelier et ceux qui ont été réalisés in situ, enlevés : le pinceau est audacieux (Arbres et rochers près d’un ruisseau, vers 1635), décontracté (Rochers avec arbres et buisson et Cabanes près du lac de Nemi, 1638-1640), la feuille est largement lavée (Paysage rocheux avec figure assise, 1640-45). Le Lorrain est curieux de toute variation, de toute nuance. Une violente flaque de lumière sur le sol, la lumière diffuse à travers les troncs d’une pinède, dans toute sa subtilité, tout l’intéresse. Dans un même feuillé il décrit l’arbre et la lumière, mais le rigoureux développement des troncs et branches dans l’espace est objet d’une étude aussi poussée.

    Un dessin au pinceau et lavis, des arbres envahis par la végétation, a un air chinois. Cela ne doit pas surprendre : Sandrart écrivit sur la peinture chinoise, le Lorrain avait certainement pu observer quelques feuilles originales. Ni une ni deux, il s’y essaye.

    Parallèlement à ces dessins géniaux, Claude a énormément dessiné en atelier, reprenant des feuilles ébauchées dehors, reconstituant de mémoire. Une bonne part de ces dessins sont des études pour des paysages à l’huile. Conformément au goût du temps, Claude utilise le paysage pour des scènes mythologiques (des nymphes, des satires, le Parnasse…), historiques (Le Débarquement de Cléopâtre, L’Onction de David par Samuel), religieuses : la fuite en Egypte, le sermon sur la montagne. Et la lumière, toujours, éclaire de façon choisie le sujet.

    Elle préoccupera le Lorrain jusqu’à la fin. Les effets crépusculaires, vaporeux, dorés, donnent une atmosphère particulière à des paysages purs ou tirés de la littérature (Mercure et Battus, 1662, sujet des Métamorphoses d’Ovide ; Enée guidé vers les Enfers par la Sibylle, 1669).

    L’étonnant talent du Lorrain lui a valu la considération de ses pairs, parfois malintentionnée : de nombreux « à la manière de » circulèrent, ce qui le poussa à copier ses tableaux dans un recueil, dit « livre de vérité », qui lui permettait d’authentifier sur demande ses tableaux en cas de doute. Ses clients furent des ambassadeurs, des prélats, Urbain VIII, Alexandre VII, Philipe IV, Louis XIV. Il resta toujours un peintre d’atelier et de nature, non de salon. Entré à l’Académie de Saint-Luc en 1633, il refusa en 1654 le poste de premier recteur. Il fut également membre de l’Académie des Virtuoses, académie pontificale des Beaux-Arts. Et virtuose, il l’était, dans le meilleur sens du mot, de la main comme de l’œil.

    Samuel

    Nature et idéal : le paysage à Rome, 1600-1650. Jusqu’au 6 juin 2011, Grand Palais.

    Claude le Lorrain, le dessinateur face à la nature. Jusqu’au 18 juillet 2011, musée du Louvre.

    Salvatore Rosa (1615-1673), Paysage lacustre avec troupeaux, 1640. © The Cleveland Art Museum

    Diego Velàzquez, Vue du jardin de la villa Medicis © Museo Nacional del Prado

    Le Lorrain, Arbres © Haarlem, Teylers Museum

    La Sibylle de Cumes conduisant Énée aux Enfers © RMN / Jean-Gilles Berizzi


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