• Watteau gravé

     

    Au musée du Louvre<o:p></o:p>

    Watteau gravé<o:p></o:p>

    Présent du 14 août 2010<o:p></o:p>

    Watteau mort à 37 ans en 1721, un de ses amis, Jean de Jullienne, entreprit en 1723 de faire graver dessins et tableaux. Jullienne était négociant en teintures, il vivait et travaillait aux Gobelins, connaissant les métiers d’art il organisa cette entreprise d’envergure avec méthode et sans lésiner : près de 35 graveurs participèrent à ce travail considérable qui nécessita douze années de travail. Six cents planches, imprimées sur les plus beaux papiers d’Auvergne, donnèrent quatre tomes connus sous le nom de « Recueil Jullienne ». Ce recueil constitue un épisode unique dans l’histoire du mécénat posthume et amical.<o:p></o:p>

    Il fut tiré à cent exemplaires, mais les estampes pouvaient être achetées à l’unité, au fur et à mesure de leur achèvement. Leur publication était annoncée par le Mercure de France, dirigé par un autre ami de Watteau : Antoine de La Roque. L’exemplaire du Louvre, ainsi que la plupart des gravures en feuilles libres, proviennent de la collection Rothschild.<o:p></o:p>

    Les tomes III et IV reproduisent l’œuvre peint. Graver des tableaux était une pratique banale et l’on n’avait pas attendu la mort de Watteau pour s’y lancer. Sous le titre général de Figures de différents Caractères, les volumes I et II concernent l’intégralité des dessins : la démarche de Jullienne était en cela originale, à la hauteur de son admiration. Elle montre la qualité de son goût et son indifférence à l’égard de la hiérarchie des genres.<o:p></o:p>

    Le volume III est ouvert sur la gravure de L’Enseigne, célèbre tableau hélas très tôt coupé en deux, gravé ici par Pierre Aveline, morceau de bravoure où on mesurera son habileté à mettre en évidence les figures sur un fond de mille et un gris. Le volume I est ouvert à la page du Rémouleur, gravé par le comte de Caylus. Le dessin original est présenté, ainsi que d’autres, à comparer avec leur transcription en gravure.<o:p></o:p>

    Quelques graveurs sont médiocres, comme Michel-Guillaume Aubert (L’indiscret), ou Louis Sururgue dont Les Amusements de Cythère révèlent le métier mou, l’interprétation mécanique. Ils sont l’exception : sinon le Recueil Jullienne ne serait pas ce qu’il est. Laurent Cars donne une magnifique version des Fêtes vénitiennes, Louis Crépy de la Perspective. Jacques-Philippe Le Bas grave une Assemblée galante et une Ile enchantée pleines de poésie. Je n’aurais garde d’oublier Louis Desplaces, avec deux singeries : La peinture et La sculpture, ni Bernard Baron (Les deux cousines, d’après une huile exposée. L’énigmatique silhouette de dos se dresse comme une version féminine du Commandeur, muette et rigoureuse jusque dans les plis de sa robe). <o:p></o:p>

    A ces gens de talent, s’ajoute François Boucher. L’exposition Watteau est – d’une pierre deux coups – tout autant une exposition Boucher. Né en 1703, Boucher n’a que vingt ans lorsque Jullienne le recrute dans l’équipe de graveurs. Elève de François Lemoine, élève de Cars (le père du Laurent Cars susnommé), Boucher est chargé pour l’essentiel de graver les dessins, mais aussi quelques tableaux. C’est avec aisance et rapidité qu’il s’acquitte de la tâche, et avec un art étonnant. Techniquement, graver des tableaux requérait l’eau-forte et le burin, ce qui limitait cette partie aux graveurs de métier confirmé ; graver les dessins requérait juste l’eau-forte, à la portée des amateurs. Cependant la contrepartie de la facilité technique était la difficulté de l’interprétation d’un dessin. Boucher grava les dessins avec une compréhension du trait de Watteau qui resta inégalée. Et du coup, après Lemoine, Watteau se trouva être le second maître de Boucher (par le même chemin que Velasquez le fut de Goya).<o:p></o:p>

    Sous sa main, les gravures de tableaux offrent de franches oppositions de noirs et de blancs, une gamme étendue de gris (illustration). Les gravures d’après dessin en imposent par un trait vivant, quel que soit le sujet : persan, savoyard avec marmotte et hautbois, femme en pied ou en buste, ou à balançoire, galant de village ou gandin de la ville, paysage (Passage d’une passerelle par des bestiaux). Quatre chinoiseries restituent le décor du château de La Muette, disparu. Le dénicheur de moineau est une autre composition décorative dont le vocabulaire détermine déjà l’élégance naissante du siècle.<o:p></o:p>

    Comme s’égrène la mandoline dans le largo d’un concerto de Vivaldi, il sonne dans l’œuvre de Watteau la grêle mélancolie d’un être qui, sauvage dans la vie, n’avait guère que l’art pour s’exprimer ; le sentiment de solitude – une solitude que, n’arrivant pas à en venir à bout, il augmentait par son comportement – lui fit créer ces rêves de compagnies enchantées. Il fallait les graveurs les mieux doués pour restituer ce désir décanté qui point légèrement. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Antoine Watteau et l’art de l’estampe.

    Jusqu’au 11 octobre 2010, Musée du Louvre.

    illustration : François Boucher d’après Watteau, La Troupe italienne © 2009 Musée du Louvre / Angèle Dequier<o:p></o:p>


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